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Full text of "Leçons de physiologie opératoire"

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LEÇONS 


DE 


PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE 


TRAVAUX  DU  MEME  AUTEUR 

Cours  de  médecine  du  Collège  de  France. 

Lpçoiim  tic  ithyHiologic  c.\|icriiiicntnle  appliquée  à  la  médecine.  Pari^, 

185i-l855,  2  vol.  in-S"  avec  figures 14  fr. 

I.pçonN  fxiir  ICN  olfetMclPs  HubMtnnccN  toxique»  Pt  ■iicflicaniPiKeiiNPN. 

Paris,  1857,    i  vol.  iii-8"  avec  figures 7  fr. 

■iCçons  Hur    la  iihyMiologic  et  la  pathologie  du  «yt^tènie  nerveux. 

Paris,  1858,  2  vol.  in-8'^  avec  figures Oi  fr. 

l.eçonM  Hur  le»*  propriétés  pliyniologiques  et  le»  altérations  patho- 

logiqucM  des  liquides  de  l'organisme.  Paris,  1859,  2  vol.  in-S"  avec 

22  figures 14  fr, 

reçons  de  pathologie  expérimentale.    Paris,    1871,  1   vol.  in-S"   de 

600  pages 7  fr. 

Ijeçons  sur  les  anesthésies  et  sur  l'asphyxie.    Paris,    1875,    1    vol. 

111-8°  lie  600  pages  avec  figures 7  fr. 

Leçons  sur  la    chaleur  animale,   sur  les  effets  de  la  chaleur  et  de  la 

fièvre.  Pari-,  1876,  1  vol.  in-8''  de  472  pages  avec  figures.  ...  7  fr. 
I^eçons  sur   le   diabète  et   la  glycogenèse    animale.   Paris,    1877, 

1  vol.  iu-S",  VIII,  576  pages  avec  figures 7  fr. 


Cours  de  physiologie  générale  du  Muséum  d'Histoire  naturelle. 

Leçons  sur  les  phénoiuènes  de  la  vie,  communs  aux  animaux  et 
aux  végétaux.  Paris,  1878,  1  vol.  iu-S"  de  450  pages  avec  1  pi.  colo- 
riée et  44  figures 7  fr. 

Tome  11,  1  vol.  in-8   de  500  pages  avec  3  pi.  gravées  et  25  ligures, 
SOUS  presse. 


Introduction  h  l'étude  de  la  médecine  expérimentale.  Paris,  1855, 
1  vol.  in-S"  de  400  pages 7  fr. 

La  Hcicnee  expérimentale,  Paris,  1878,  in-18  de  450  pages.        4  fr. 

Table  des  matières. —  Itiscour?  de  M.  J,  k.  Dumas.  —  Notice  par  M.  P.  Bert.  —  Du  progrès 
do»  i'cionce»  physiologique?.  —  Problv'tiies  de  physiologie  générale.  —  DélinitioD  de  la  vie. 
les  théories  nnciciioes  et  la  science  moderne.  —  I.a  chaleur  aaimale,  —  La  seDsibilitû.  — 
Le  curare.  —  Le  cuMir.  —  Le  cerveau.  —  Difcours  de  réception  à  l'Académie  française.  — 
Discours  d'ooverlurc  de  la  séance  publique  annuelle  des  cinq  Académies. 

Précis  iconographique  de  médecine  opératoire  et  d'anatoiuie  chi- 
rurgirnic.  par   Claude  Berxard  et   Hiettf.    Paris,  1873,   1  vol.  in-18 

Jésus  de  495  pages,  avec  113  pi.  fig.  noires.  Cartonné 24  fr. 

Le  même,  fig.  coloriées 48  IV. 

Fr.  Magendie.  Paris,  1856,  iu-8' 1   fr. 


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COURS    DE    iMEDECINE 

nu  COLLÈGE  DE  FRANCE 


LEÇONS 


DE 


PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE 


CLAUDE   BERNARD 

Membre  do  l'Institut  (Académie  des  sciences  et  Acadc'raie  française), 
Professeur   au    Collège    de   France    et  au   Musc'um   d'histoire    naturelle. 


AVEC    116  FIGURES  INTERCALÉES   DANS  LE  TEXTE 


PARIS 

LIBRAIRIE  J.-B.  BAILLIÉRE  et  FILS 

Rue  nantefeuille,  19,  près  le  boulevard  Saint-Germain. 
l.ondres  I  Madrid 

Baillière,  Tindall  and  Cox.  I  C.  Bailly-Baillière. 

1879 

Tous  droits  réservéï. 


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21 


PRÉFACI^ 


Depuis  près  de  vingt  années  (i)  Claude  Bernard  avait 
conçu  le  plan  d'un  ouvrasse  dogmatique  de  Physiologie 
opératoire. 

Voici  ce  qu'il  en  dit  dans  les  notes  retrouvées  par 
son  préparateur,  M.  d'Arsonval. 

«  Cet  ouvrage  sera  disposé  en  trois  parties  : 

»  La  première  partie  renfermera  les  procédés  opéra- 
toires pour  arriver  à  la  localisation  des  divers  phéno- 
mènes fonctionnels  de  l'organisme.  Ici  le  cadre  du 
sujet  sera  essentiellement  anatomique  :  ce  sera  de  la 
physiologie  descriptive.  Je  donnerai  des  types  d'expé- 
riences dans  lesquels  seront  exposés  les  principes  du 
déterminisme  expérimental. 

»  La  deuxième  partie  contiendra  les  moyens  d'étude 
propres  à  rechercher  X explication  des  phénomènes.  Ici 


(I;  Environ  depuis  1858  fvoy.  la  préface  aux  Leçons  de  pathologie  expé- 
rimentale, p.  VI). 


VI  PRÉFACE. 

le  cadre  ne  5era  plus  anatomiqueà  proprement  parler; 
il  s'agira  des  propriétés  des  éléments  et  des  liquides 
organiques,  des  phénomènes  physico-chimiques  de 
l'organisme,  dans  lesquels  l'anatoniie  ne  dit  ordinai- 
rement rien. 

»  La  troisième  partie  comprendra  les  études  relatives 
à  Xexppnmentatiori  patliolorjk/uf  et  thh'apeuùcpic  ou 
toncolofjique .  » 

Ce  vaste  projet  avait  depuis  longtemps  reçu  un 
commencement  d'exécution,  par  ce  fait  qu'une  partie 
-iles  leçons  professées  chaque  année  au  Collège  de 
France  étaient  consacrées  à  des  études  de  techmcpœ 
expérimenlale. 

Mais  ce  n'est  qu'en  1878  que  Claude  Bernard  s'at- 
tacha à  réaliser  son  projet  sous  une  forme  définitive, 
c'est-à-dire  à  publier  cet  enseignement  technique;  il 
voulut  bien  nous  confier  à  cet  effet  la  rédaction  de 
ses  leçons,  ainsi  que  la  direction  des  artistes  chargés 
d'exécuter  les  dessins  représentant  soit  des  appareils, 
soit  des  préparations  anatomiques ,  soit  même  des 
installations  complètes  d'expériences. 

C'est  ainsi  que  furent  rédigées,  sous  les  yeux  du 
maître,  revues  et  corrigées  par  lui  les  vingt  pre- 
mières leçons  que  renferme  ce  volume,  et  qui  ont  trait 
aux    généralités   sur   la  physiologie  opératoire,  à  la 


PRÉFACE.  MI 

préheusiou  et  k  la  contention  des  animaux,  aux  opé- 
rations d'un  usage  général  dans  les  vivisections,  et 
enfin  aux  vivisections  qui  portent  en  particulier  sur 
l'appareil  circulatoire.  —  Le  manuscrit  de  cette  série 
de  leçons  nous  reste  comme  un  précieux  modèle,  car 
chaque  page  porte  les  marques  du  soin  avec  lequel 
l'illustre  physiologiste  avait  voulu  veiller  aux  plus 
petits  détails,  aux  moindres  indications  pratiques, 
modifiant  lui-même  la  place  et  l'explication  des 
ligures,  retouchant  la  description  d'un  appareil, 
précisant  le  maniement  d'un  instrument. 

Bien  souvent  la  rédaction  de  tel  chapitre  fut  inter- 
rompue, parce  qu'il  fallait  revoir  les  expériences, 
chercher  à  les  simplifier,  à  les  condenser,  pour  ainsi 
dire,  dans  une  forme  définitive,  plus  pratique  et  plus 
apte  à  devenir  pour  telle  ou  telle  question  de  physio- 
logie un  type  classique  de  démonstration.  Ainsi,  notam- 
ment, furent  reprises  dans  ces  dernières  années  les 
expériences  sur  la  température  du  sang,  à  l'aide  des 
sondes  thermo-électriques  du  docteur  d'Arsonval,  et 
l'étude  de  ces  derniers  perfectionnements  était  à  peine 
achevée  lorsque  Claude  Bernard  fut  si  brusquement 
enlevé  à  la  science.  C'est  grâce  aux  notes  qu'a  bien 
voulu  nous  communiquer  M.  d'Arsonval  à  ce  sujet 
que  nous  avons  pu  donner  à  cette  importante  question 


VIII  PRÉFACE. 

lie  la  topographie  calorifique  les  développements 
qu'elle  devait  comporter. 

Dans  la  pensée  de  Claude  Bernard,  après  l'étude  de 
l'appareil  circulatoire  devait  venir  celle  de  l'appareil 
de  la  digestion,  et  les  leçons  de  l'année  1877-1878 
devaient  être  consacrées  à  ce  sujet  :  on  sait  que  cette 
série  de  leçons  fut  à  peine  commencée,  et  qu'après 
avoir  donné  dans  quelques  séances  les  considérations 
générales  et  historiques  du  sujet,  notre  regretté  maître 
dut  interrompre  son  Cours  pour  ne  plus  le  reprendre. 

Mais  dans  une  série  de  leçons  précédentes,  recueillies 
et  publiées  en  anglais  dans  le  Médical  Times  and  Gazette 
par  M.  le  professeur  Benjamin  Bail,  Claude  Bernard 
avait  déjà  traité  de  la  technique  opératoire  spéciale 
aux  recherches  sur  la  physiologie  du  tube  digestif;  ces 
cours,  publiés  d'abord  à  l'étranger,  se  composaient  en 
effet  de  deux  ordres  de  leçons  alternatives  et  distinctes  : 
les  unes,  de  pathologie  expérimentale^  ont  depuis  été 
publiées  en  français  sous  ce  titre;  les  autres,  consa- 
crées à  la  physiologie  opératoire  des  glandes  salivaires, 
de  l'œsophage,  de  l'estomac  et  du  pancréas,  n'étaient 
connues  que  des  lecteurs  du  journal  anglais.  M.  Gaston 
Decaisne,  interne  distingué  des  hôpitaux  de  Paris,  en 
a  fait  la  traduction  avec  un  soin  qui  sera  apprécié. 
En  les  reproduisant  aujourd'hui,  nous  complétons  heu- 


PKÉFACE.  IX 

reusement  ce  volume,  dans  l'ordre  et  avec  les  maté- 
riaux dont  Claude  Bernard  se  proposai!  de  le 
remplir. 

Quelque  différent  que  soit  ce  volume  de  ce  qu"il 
devait  être  s'il  nous  eût  été  donné  de  l'achever  sous  la 
dictée  du  maître,  nous  nous  sommes  fait  un  devoir 
de  le  publier,  composé  des  éléments  que  nous  venons 
d'indiquer.  En  effet,  ce  {ralté  ùe  P/ii/siolôf/w  opératoire 
était  l'une  des  œuvres  projetées  sur  lescjuelles  C'aude 
Bernard  reportait  le  plus  constamment  sa  pensée  :  il  en 
avait,  à  notre  connaissance,  refait  quatre  ou  cinq  fois 
le  plan;  il  avait  écrit  pour  lui  un  nombre  égal  d'intro- 
ductions et  de  préfaces,  laissées  incomplètes,  jetées 
par  fragments  épars;  l'une  de  ces  introductions  nous 
a  cependant  paru  assez  complète  pour  être  conservée 
et  servir  d'introduction  à  ces  leçons;  sans  doute  les 
considérations  générales,  qui  sont  indiquées  sous  forme 
de  notes  concises  bien  plutôt  que  développées  dans  ces 
pages  rapides,  ces  considérations,  par  la  hauteur  de 
vue  à  laquelle  elles  s'élèvent,  paraîtront  singulièrement 
en  disproportion  avec  les  sujets  techniques  traités  dans 
ce  volume  ;  mais  n'oublions  pas  qu'en  réalité  celte 
introduction  était  destinée  à  un  ouvrage  en  trois  par- 
ties, dont  les  deux  dernières  devaient  entrer  dans  les 
questions  les  plus  délicates  de  l'analyse  de  la  vie. 


X  PRÉFACli;. 

Sans  ajouter  à  la  gloire  de  Claude  Bernard,  ce 
volume  contribuera  à  propager  les  principes  de  cri- 
tique et  de  discipline  expérimentale  dont  depuis  long- 
temps il  se  préoccupait  dans  son  enseignement;  aussi 
le  sentiment  d'avoir  coniribué  à  la  vulgarisation  des 
idées  de  l'illustre  physiologiste  sera-t-il  toujours  le  plus 
glorieux  et  le  plus  cher  souvenir  de  son  élève. 


iMris,  It^  15  décembre  1878. 


Mathias  DUVâI.. 


INTRODUCTION 

L'expérimentation  est  indispensable  ponr  connaître 
les  phénomènes  de  la  vie;  l'observation  ne  saurait  suf- 
fire. L'observation  et  l'expérimenlation  ne  se  distinguent 
pas  en  réalité;  elles  se  succèdent  :  l'observation  com- 
mence et  l'expérimentation  pousse  plus  loin  l'étude  du 
phénomène  jusqu'à  la  connaissance  de  ses  causes  immé- 
diates ou  de  son  déterminisme. 

L'observation  comme  l'expérimentation  a  un  double 
but  : 

i°  Localiser  les  phénomènes  de  la  vie  (géographie 
des  fonctions)  ; 

2"  Les  expliquer. 

C'est  comme  dans  l'histoire  :  il  faut  décrire  la  scène, 
le  théâtre  des  événements  (géographie),  puis  exposer  les 
événemenls  et  le  rôle  des  acteurs  qui  s'y  meuvent. 

A.  —  Les  anciens  physiologistes  semblaient  croire 
que  la  localisation  des  fonctions  était  tout.  Quand  on 
avait  localisé  anatomiquement  une  fonction  ou  une 
maladie,  on  croyait  avoir  atteint  le  i)ut  suprême.  La 
fonction  s'expliquait  ensuite  par  une  enlité,  force  vitale, 
propriété  vitale,  etc.. 

B.  —  La  science  moderne  a  montré  qu'il  n'en  est 


XII  INTRODUCTION, 

point  ainsi.  Quand  on  a  localisé  la  fonction,  il  tant 
descendre  dans  son  explication  qui  est  d'ordre  physico- 
cliimique  spécial.  C'est  là,  pour  ainsi  dire,  que  la 
physiologie  commence  réellement  et  que  la  physiologie 
générale  a  son  domaine.  Ici  l'histologie  est  une  science 
nécess;iire,  car  il  s'agit  de  la  pliysiologie  des  éléments, 
de  leurs  phénomènes  de  nutrition,  etc. 

L'expérimentation  appliquée  aux  sciences  biologiques 
présente  à  considérer  plusieurs  principes  fondamentaux. 

i'  Le  déterminisme  existe  dans  tous  les  phénomènes 
de  la  vie  comme  dans  ceux  dont  les  corps  bruts  sont  le 
théâtre. 

Par  conséquent,  la  méthode  expérimentale  qui  sert 
à  l'investigation  physiologique  repose  sur  les  mêmes 
principes  que  celle  qui  sert  à  l'investigation  des  phéno- 
mènes physico-chimiques. 

2"  Le  but  de  l'expérimentation  biologique  est  de  loca- 
liser, décrire  et  expliquer  les  phénomènes  de  l'orga- 
nisme vivant. 

Les  localisations  sont  des  nécessités  des  mécanismes 
organiques  :  mais  elles  ne  sauraient  être  absolves.  En 
effet,  dans  les  organismes  inférieurs,  où  il  n'y  a  pas  de 
mécanismes  organiques,  rien  n'est  localisé,  tout  se  ré- 
duit aux  propriétés  nutritives  générales.  Dans  les  orga- 
nismes supérieurs,  il  n'en  est  plus  de  même;  mais 
encore  là  il  y  a  des  vicariats.  Ainsi  le  rein  expulse 
l'urine,  mais  l'intestin  pourrait  le  suppléer;  d'autre 
part,  les  organes  se  régénèrent,  c'est-à-dire  que  l'orga- 
nisme tend  toujours  à  reconstituer  son  unité.  Dans  les 


INTRODUCTION.  XIII 

systèmes  vasculaire,  nerveux,  les  localisalions  sonl  par- 
fois très-difficiles.  C'est  là  une  question  importante  en 
médecine  et  en  physiologie.  Les  localisalions  sont  le  but 
poursuivi,  parce  qu'on  croit  à  la  relation  entre  la  forme 
et  la  fonction,  ce  qui  n'est  pas  absolu. 

\J explication  des  phénomènes  vivants  doit  toujours 
être  ramenée  à  des  lois,  à  des  propriétés,  à  des  condi- 
tions, à  (\q^  phénomèiws  physico-chimiques.  Seulement 
ces  phénomènes  physico-chimiques  sont  de  nature  spé- 
ciale. Ils  ont  des  organes  spéciaux,  quoiqu'ils  rentrent 
dans  les  lois  physico-chimiques  générales.  Ce  sont  des 
ferments,  des  noyaux  de  cellules,  etc.,  en  un  mot  des 
instruments  chimiques  qui  n'existent  que  dans  les  êtres 
vivants. 

Pour  les  phénomènes  organiques  ou  histologiques,  il 
il  n'y  a  pas  nécessairement  relation  entre  la  morphologie 
et  laphénoménalité.  De  même  que  la  vie  reste  identique 
dans  toutes  les  formes  d'organismes,  de  même  les  pro- 
priétés de  la  vie  sont  identiques  dans  des  éléments  orga- 
niques de  forme  différente,  ce  qui  prouverait  que  ce 
n'est  pas  à  la  morphologie,  mais  à  la  fonction  chimique 
que  la  propriété  se  trouve  liée.  La  forme,  en  effet,  ne 
saurait  rien  dire  pour  caractériser  les  ferments,  les 
agents  les  plus  importants  de  l'économie  vivante.  Le 
protoplasma,  qui  paraît  être  la  substance  vitale  par 
excellence,  n'a  aucune  forme  déterminée.  Je  i)ense 
même  que  les  liquides  organiques  sont  vivants,  à  moins 
qu'il  n'y  ait  des  granulations  moléculaires  dune  ténuité 
extrême. 


XIV  lîNTilODUGTlON. 

Il  Y  a  dans  les  organismes  deux  côtés  essentiels  à  con- 
sidérer, au  point  de  vue  des  phénomènes  dont  ils  sont  le 
siège. 

1"  Il  y  a  une  force  atavique^  vitale^  comme  on  voudra 
l'appeler,  en  vertu  de  laquelle  les  organismes  se  suc- 
cèdent, se  répètent,  vivent  sans  que  nous  puissions 
saisir  l'origine  de  cette  force  première.  Le  Darwinisme, 
en  admettant  que  les  mécanismes  vitaux  peuvent  avoir 
une  évolution  qui  les  fasse  tous  procéder  les  uns  des 
autres,  n'explique  rien  et  ne  dit  rien  relativement  à 
cette  force  première,  qui  reste  tout  aussi  incompréhen- 
sible pour  nous.  Le  Darwinisme^  c'est  la  théorie  cellu- 
laire appliquée  aux  organismes.  Tous  les  tissus  pro- 
viennent d'une  cellule  ;  on  voudrait  que  tous  les 
organismes  procédassent  d'un  proto-type.  Il  ne  s'agit 
que  de  le  prouver. 

On  ne  peut  échapper  a  l'idée  que  cette  force  ata- 
vique, vitale  inconnue  est  la  cause  cachée  de  tous  les 
phénomènes  de  la  vie.  Mais  c'est  là  une  cause  à'ordre 
métaphysique  qui  n'a  aucune  action  par  elle-même. 
Elle  pourrait  à  la  rigueur  être  regardée  comme  une 
résultante;  mais  elle  ne  possède  aucun  effet  rétroactif 
sur  l'organisme  qui  l'aurait  engendrée. 

2"  Toutes  les  causes  ou  toutes  les  conditions  actives 
sur  l'organisme  sont  (Vovàx'Q physico-chimique.  Sans  ces 
conditions  matérielles,  la  condition  atavique  d'ordre 
métaphysique  reste  inerte,  cachée  et  comme  si  elle 
n'existait  pas  :  c'est  une  force  dormante.  Dans  la  méde- 
cine, il  y  a  une  foule  d'entités  métaphysiques,  fièvre, 
génie  morbide,  etc.  ;  on  ne  peut  pas  agir  sur  ces  entités, 


INTRODUCTION.  XV 

on  ne  peut  agir  que  sur  le  physique  et  par  le  phy- 
sique. 

On  peut  dire,  en  un  mot,  qu'il  y  a  dans  les  orga- 
nismes deux  forces  :  La  force  législative  ^  métaphysique: 
la  force  executive^  physico-chimique. 

Or,  nous  ne  pouvons  saisir  dans  nos  études  que  les 
forces  executives  physiques,  les  autres  étant  purement 
subjectives,  en  dehors  de  notre  portée  et  sans  efTet 
rétroactif. 

On  peut  dire  comme  conséquence  de  la  proposition 
précédente  :  La  physique  agit  sur  la  métaphysique, 
??iais  Jamais  la  f?iétaphysique  nagit  sur  la  physicfue. 

Critique  expérimentale.  —  C'est  en  vertu  des  prin- 
cipes indiqués  ci-dessus  qu'on  peut  essayer  de  fonder 
aujourd'hui  la  critique  expérimentale  qui  repose  : 
1"  sur  le  déterminisme,  comme  principe  scientifique 
absolu,  tandis  que  les  théories  sont  relatives.  2"  La 
critique  repose  également  sur  un  autre  principe  fonda- 
mental :  la  spécialité  des  agents  physico-chimiques 
dans  l'organisme.  C'est  le  principe  que  j'appellerai  : 
principe  du  vitalisme  physico-chimique.  3"  Un  troisième 
principe  est  celui  de  la  mobilité  excessive  des  phéno- 
mènesvitaux,  qu'il  faut  distinguer  en  phénomènes  ^,y;«- 
thétiquesQi  en  phénomènes  analytiques  ou  fonctionnels. 
Celte  mobilité  des  phénomènes  exige  l'instantanéité  et 
la  simultanéité  dans  les  expériences  comparatives,  qui 
sont  toujours  le  critérium  le  plus  sûr.  4°  Il  faut  savoir 
aussi  que,  lorsque  lorganisme  est  disloqué,  troublé  par 
une  maladie  ou  autrement,  les  phénomènes  synthétiques 


XVI  INTRODUCTION. 

s'anôteiit,  tandis  que  les  phénomènes  anali/tiqiies  ou 
de  décomposition  continuent  et  môme  s'accélèrent.  Il 
en  est  de  même  après  la  mort  :  les  phénomènes  syn- 
thétiques s'arrêtent,  mais  les  phénomènes  de  désassi- 
milation  continuent.  Ex.  :  foie,  ferments  digestifs,  etc.  ; 
c'est  là  un  principe  important.  5"  11  y  a  autonomie  des 
tissus  et  des  élémenls,  mais//<  situ^  ce  qui  prouve  qu'il 
y  a  des  territoires  spéciaux  dans  l'organisme.  Là-dessus 
sont  fondées  des  méthodes  expérimentales  :  circulations 
artificielles,  empoisonnements  partiels,  etc. 

Conclusion.  —  Aujourd'hui  il  faut  fonder  la  critique 
expérimentale  pour  débarrasser  la  physiologie  des  expé- 
riences qui  l'encombrent  et  qui  retardent  sa  marche. 
Magendie  a  été  l'initiateur  de  l'expérimentation  sur  les 
êtres  vivants;  aujourd'hui  il  faut  créer  la  discipline,  la 
méthode.  Elle  repose  sur  les  principes  que  nous  avons 
exposés  et  qu'on  pourrait  développer  beaucoup  plus.  Ce 
livre  ne  sera  que  le  développement  des  idées  contenues 
dans  celte  Introduction. 

Claude  BERNARD. 


LEÇONS 


DE 


PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE 

PREMIÈRE  PARTIE 

LA  PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  ET  LES  VIVISECTIONS  EN  GÉNÉRAL 


PREMIÈRE  LEÇON 

Sommaire  :  Nécessité  d'établir  une  technique  opératoire  en  physiologie.  — 
Plan  de  ces  Leçons.  —  De  la  phijaiologie  et  de  ses  rapports  avec  la  méde- 
cine.—  De  l'expérimentation  en  physiologie.  —  Difficultés  des  expériences. 

—  De  l'empirisme.  —  Des  sciences  pures  et  des  sciences  appliquées. 
La  médecine  est  une  science  appliquée.  —  Des  progrès  de  la  physiologie. 

—  De  son  caractère  scientifique. 


Messieurs, 

Les  leçons  dont  nous  reprenons  et  poursuivons 
aujourd'hui  la  série  doivent  avoir  un  caractère  essen- 
tiellement pratique.  Nous  avons,  en  effet,  l'intention  de 
répéter  devant  vous,  dans  un  ordre  déterminé,  toutes 
les  expériences  physiologiques  acquises  définitivement 
à  la  science,  afin  de  vous  expliquer  les  principes  de  la 
méthode  expérimentale.  Les  motifs  qui  m'ont  engagé 
à  suivre  cette  voie  dans  mon  enseignement  dérivent  de 
la  nature  même  de  la  science   expérimentale.  Il  est 

CL.    BERNARD.  —   PHYS.    OPÉR.  1 


2  PIIYSIOLOGIK    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

impossible,  en  effet,  d'enseigner  convenablement  cette 
science  sans  avoir  recours  aux  expériences.  Or,  c'est 
là  une  condition  qui  ne  peut  jamais  être  complètement 
réalisée  dans  un  ensemble  de  leçons  ordinaires.  Et  ce 
n'est  qu'en  consacrant  des  leçons  spéciales  à  cet  objet 
qu'on  est  à  même  d'initier  l'étudiant  aux  principes  de 
l'investigation  expérimentale.  Pour  devenir  un  physio- 
logiste, comme  pour  devenir  un  chimiste  ou  un  phy- 
sicien, il  faut  vivre  dans  le  laboratoire.  Malheureu- 
sement nous  sommes  trop  peu  pourvus  en  France  de  ce 
genre  d'établissements,  si  communs  en  Allemagne,  où 
l'on  forme  réellement  de  jeunes  observateurs.  Notre 
intention  est  actuellement  de  suppléer  à  ce  desideratum. 
La  liberté  absolue  dont  nous  jouissons  au  Collège  de 
France  nous  a  permis  d'entreprendre  cette  tâche. 

En  biologie,  l'expérimentation  rencontre  des  diffi- 
cultés beaucoup  plus  grandes  que  celles  qui  peuvent 
entraver  le  physicien  ou  le  chimiste.  Il  suffit  pour  ces 
derniers  de  se  placer  dans  des  conditions  déterminées  à 
l'avance,  toujours  identiques,  pour  obtenir  les  mêmes 
résultats.  Le  physiologiste,  au  contraire ,  obligé  de 
lutter  contre  les  embarras  créés  par  les  expériences 
elles-mêmes,  ne  réussit  pas  toujours  à  surmonter  toutes 
les  difficultés  qui  entourent  une  opération  pratiquée 
dans  un  milieu  vivant. 

Le  seul  moyen  d'obvier  à  ces  difficultés  consiste  à 
donner  une  définition  exacte  du  modus  faciendi.  Sans 
cette  précaution,  on  n'arriverait  jamais  à  des  résultats 
propres  à  établir  des  comparaisons  et  des  rapproche- 
ments. C'est  pourquoi  nous  pouvons  donner  aux  études 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  3 

qui  vont  suivre  le  titre  de  Leçons  de  phi/siologie  opératoire. 

Après  les  quelques  indications  qui  précèdent,  l'intro- 
duction à  rétude  de  la  physiologie  opératoire  ne  com- 
porte pas  des  généralités  très-étendues  :  il  est  cependant 
indispensable  de  préciser  encore  plus  nettement  l'impor- 
tance du  sujet  et  les  raisons  qui  nous  l'ont  fait  choisir. 

h^i physiologie  est  la  science  de  la  vie  :  elle  doit  servir 
de  base  à  toutes  les  autres  sciences  biologiques,  et  en 
particulier  à  la  médecine.  Mais  la  physiologie  est-elle 
en  efTet  arrivée  à  un  point  de  développement,  à  un  état 
de  fixité,  qui  lui  permette  de  servir  de  point  de  départ 
aux  sciences  qui  doivent  en  dériver?  C'est  ce  que  nous 
allons  examiner. 

Toutes  les  sciences  ont  commencé  par  {'observation. 
Pour  ce  qui  est  de  l'étude  des  êtres  vivants,  ou  a 
cherché  d'abord  à  se  faire  sur  la  nature  des  phéno- 
mènes de  la  vie  des  idées  entièrement  h/pothétiques^ 
qui  ont  successivement  disparu  devant  l'observation 
directe,  à  laquelle  on  est  revenu  de  plus  en  plus  tous 
les  jours.  Ou  s'est  d'abord  demandé  si  les  êtres  vivants 
sont  de  même  nature  que  les  corps  bruts  :  on  croyait 
volontiers  à  l'existence  d'un  principe  qui  se  trouverait 
en  eux  et  nulle  part  ailleurs;  c'était  la  vie.  On  retrouve 
encore  dans  \di Physiologie  de  Burdach  (1;  le  reflet  de  ces 
tendances.  Après  avoir  étudié  les  fonctions  des  organes, 
Burdach  se  demande  si  les  données  acquises  nous 
mettent  en  état  de  résoudre  le  problème  de  la  vie.  — 
BufTon  lui-même  était  porté  à  croire  que  dans  la  com- 

i{)  Burdach,  Traité  de  phijsiologie  considérée  comme  science  d'observation , 
trad.  par  A.  J.  L.  Jourdan.  Paris,  1837-1841. 


4  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE   ET    VIVISECTIONS. 

position  des  corps  vivants  entre  un  principe  chimique, 
qui  leur  serait  particulier  et  qu'on  ne  trouverait  pas 
dans  lescorps  bruts.  Mais  la  chimie  moderne  a  démontré, 
par  la  balance,  qu'en  dehors  des  principes  minéraux  on 
ne  trouve  rien  de  particulier  comme  élément  consti- 
tuant des  organismes  vivants. 

Reconnaître  ce  fait,  c'est  reconnaître  que  la7??^'Mof/<? 
expérimentale  s'applique  aussi  bien  aux  corps  vivants 
qu'aux  corps  bruts  ;  c'est  reconnaître  que  les  phéno- 
mènes de  la  vie  sont  soumis  à  des  lois  comme  les  phé- 
nomènes de  la  physique  et  de  la  chimie;  c'est  recon- 
naître que  la  physiologie  constitue  réellement  une 
science^  une  science  rigoureuse. 

Nous  nous  occuperons  donc  cette  année  de  technique 
expérimentale.  En  même  temps,  les  études  différentes 
que  nous  entreprendrons  successivement  à  ce  point 
de  vue  nous  amèneront,  par  la  diversité  des  faits  passés 
en  revue,  à  des  notions  plus  précises  de  physiologie 
générale;  nous  verrons  que  les  phénomènes  de  la  vie 
se  prêtent  à  la  méthode  expérimentale  tout  aussi  bien 
que  les  phénomènes  qui  font  l'objet  des  autres  sciences, 
telles  que  la  physique,  la  chimie,   etc.;  nous  verrons, 
en  un  mot,  et  c'est  là  une  notion  générale  qui  domine 
toutes  les  autres,  nous  verrons  que,  par  cette  méthode, 
il  nous  est  possible  de  pénétrer  dans  l'analyse  de  \?ivie, 
et  qu'il  n'est  pas  vrai  de  considérer  l'expérimentation, 
ainsi  que  le  disait  Cuvier,  comme  troublant  les  phéno- 
mènes vitaux,  au  point  d'en  dénaturer  les  manifestations 
et  d'égarer  celui  qui  cherche  à  en  saisir  l'essence.  Du 
reste,  nous  devons  le  déclarer  dès  maintenant,  l'expéri- 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  5 

mentation  ne  nous  révélera  nullement  l'essence  de  ces 
phénomènes  :  elle  nous  permettra  de  préciser  les  condi- 
tions dans  lesquelles  ils  se  produisent,  de  déterminer 
leurs  causes  médiates;  mais  quant  aux  causes  immé- 
diates, quant  à  leur  nature  intime  même,  nous  ne 
saurions  espérer  de  nous  en  rendre  couipte,  pas  plus 
que  la  chimie  ou  la  physique  ne  pénètrent  la  nature 
intime  des  phénomènes,  dont  elles  savent  cependant 
définir  les  causes  et  les  conditions  déterminantes. 

Cette  importance  de  la  méthode  expérimentale  dans 
l'étude  des  phénomènes  de  la  vie  est  aujourd'hui  géné- 
ralement reconnue;  en  voyant  combien  cette  méthode 
est  maintenant  l'objet  d'applications  constantes,  on  a 
même  peine  à  se  rendre  compte  des  obstacles  qu'elle  a 
rencontrés  dès  le  début.  Mais  ces  efforts  généraux,  dans 
la  voie  expérimentale,  portent  en  eux-mêmes  leur  dan- 
ger :  si  tout  le  monde  est  aujourd'hui  d'accord  sur  le 
principe,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  applications 
particulières  soient  aussi  bien  comprises.  On  fait  des 
expériences  :  on  en  fait  beaucoup,  sur  toutes  les  ques- 
tions et  dans  tous  les  sens.  Mais  ces  expériences  sont- 
elles  conduites  d'après  des  règles  rationnelles?  Les 
résultats  obtenus  sont-ils  rigoureusement  interprétés 
d'après  une  détermination  exacte  des  conditions  expé- 
rimentales réalisées?  Nous  croyons  que  trop  souvent  il 
n'en  est  pas  ainsi.  C'est  pourquoi,  après  avoir  longtemps 
lutté  pour  l'introduction  de  la  méthode  expérimentale 
dans  l'étude  des  phénomènes  vitaux,  et  après  avoir  vu 
le  succès  couronner  nos  efforts  dans  ce  sens,  nous 
croyons  qu'il  nous  reste  encore  plus  à  faire  :  après  avoir 


6  PHYSIOLOGIE   OPÉRATOIRIÏ    KT    VIVISECTIONS. 

contribué  à  établir  le  principe,  nous  devons  chercher  à 
en  régler  les  applications  par  des  préceptes  propres  à 
établir  la  critique  des  diverses  expériences  et  à  fixer  les 
procédés  à  suivre  dans  un  certain  nombre  de  recherches 
prises  comme  types.  —  Tel  sera  l'objet  de  ce  cours. 

Ce  qu'il  faut  aujourd'hui,  ce  n'est  plus  établir  la 
nécessité  des  expériences,  c'est  constituer  une  disci- 
pline  expérimentale  qui  précise  et  les  circonstances  et 
les  conditions  de  toute  bonne  recherche. 

L'étude  de  ces  moyens  est  plus  importante  qu'on  ne 
le  croirait  à  priori.  Ils  sont  une  des  conditions  indispen- 
sables pour  arriver  à  cette  physiologie  expérimentale 
scientifique  qui  est  l'objet  de  tous  nos  efforts.  Les  incer- 
titudes actuelles  de  la  physiologie  ont  découragé  bien  des 
expérimentateurs.  Eschricht,  qui  s'était  d'abord  livré 
à  la  physiologie  expérimentale  avec  succès,  Ta  abandon- 
née pour  se  livrer  à  l'analomie  comparée,  qui,  par  sa 
méthode  rigoureuse  et  ses  résultats  positifs,  lui  semblait 
plus  propre  à  satisfaire  son  esprit.  Jean  Muller  était 
arrivé  au  môme  résultat  vers  la  fin  de  sa  carrière  scien- 
tifique :  frappé  de  l'incohérence  des  résultats  fournis 
par  les  expériences,  il  finit  par  s'adonner  uniquement  à 
la  dissection  des  animaux  inférieurs.  Nous  pourrions 
encore  citer  l'exemple  de  Tiedemann. 

Hâtons-nous  de  dire  que  nous  ne  sommes  pas  de  ceux 
qui  se  laisseraient  encore  décourager  par  les  incertitudes 
actuelles  de  la  science.  S'il  y  a  eu,  s'il  y  a  encore  tant 
de  fluctuations,  elles  tiennent  au  défaut  de  méthode,  à 
l'absence  complète  de  disciphne  dans  l'expérimentation. 
Il  faut  donc  poser  les  règles  qui   serviront  à  faire  de 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  7 

bonnes  expériences,  et,  dans  ce  but,  aucun  détail  pra- 
tique ne  doit  nous  paraître  insignifiant  ou  d'une  trop 
mince  importance.  Nous  ne  craignons  pas  de  le  dire, 
rien  n'est  plus  difficile  que  les  expériences  de  physiolo- 
gie ;  aussi,  par  manque  de  méthode  et  d'études  prépa- 
ratoires, nous  voyons  des  expérimentateurs  improvisés 
arriver  à  des  résultats  en  apparence  contradictoires.  Il 
faut  bien  le  dire  aussi,  ce  défaut  de  méthode  remonte, 
jusqu'à  un  certain  point,  à  Magendie.  Ce  grand  expéri- 
mentateur était  essentiellement  empirique  ;  il  ne  voulait 
même  pas  qu'une  idée  mère  dirigeât  les  expériences  ; 
celles-ci  devaient  venir  s'entasser,  sans  vues  précon- 
çues, et,  une  fois  accumulées,  elles  devaient  pour  ainsi 
dire  parler  d'elles-mêmes.  C'est  ainsi  que  toute  une 
école  médicale  entassait  les  observations  cliniques,  sans 
idée  à  priori,  sans  but  entrevu  d'avance,  avec  l'espoir 
que  la  vérité  sortirait  d'elle-même  de  ces  richesses 
scientifiques  laborieusement  et  patiemment  acquises. 
Magendie  a  été  lui-même  victime  de  cette  méthode,  ou 
plutôt  de  ce  manque  de  méthode  ;  il  est  arrivé  parfois 
à  des  résultats  en  apparence  contradictoires. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  faille  s'abandonner  à  la  véri- 
fication obstinée  d'une  idée  préconçue  ;  entre  ces  deux 
extrêmes  se  trouve  un  milieu  légitime,  c'est  le  domaine 
de  V expérimentation  rationnelle. 

Peut-être  se  deniandera-t-on  comment  cette  étude 
de  technique  et  de  critique  expérimentale  se  rattache 
au  titre  de  l'enseignement  de  cette  chaire  ?  Car,  vous 
le  savez,  le  programme  de  notre  enseignement  com- 
porte un  cours  de  niédecine,    et,  quoique  la  nature 


8  PHYSIOLOGIE   OPÉRATOIRE    ET   VIVISECTIONS. 

môme  de  riuslitution  du  Collège  de  France  donne  au 
professeur  la  latitude  la  plus  large  dans  le  choix  de  son 
sujet,  il  nous  faut  faire  ici  delà  médecine,  puisque  c'est 
là  le  litre  de  notre  chaire.  Eh  bien!  messieurs,  j'espère 
vous  faire  facilement  comprendre  que  ces  études  de 
technique  et  de  critique  expérimentale  se  rapportent 
directement  à  la  médecine,  et  qu'elles  représentent 
même  la  seule  forme  sous  laquelle,  dans  l'état  actuel  de 
nos  connaissances,  la  médecine  puisse  être  professée  au 
Collège  de  France. 

Qu'est-ce  donc  que  la  médecine?  Cette  question  vous 
étonne  par  sa  simplicité;  mais  en  consultant  les  diverses 
définitions  qui  ont  été  données  de  la  médecine,  vous 
verrez  qu'il  n'est  pas  inutile  de  chercher  tout  d'abord  à 
bien  s'entendre  sur  ce  sujet  :  en  effet,  les  uns  en  font 
une  science^  d'autres  un  «/Y,  d'autres  la  regardent 
comme  une  demi-science^  tenant  à  la  fois  de  la  science 
pure  et  de  l'art  (Trousseau)  ;  d'autres  en  font  une  science 
conjecturale  (Cabanis),  associant  ainsi  deux  mots  qui 
sont  incompatibles  l'un  avec  l'autre.  Si  ceux  qui  ont 
cherché  à  définir  la  médecine  par  une  formule  ne  par- 
viennent pas  à  s'accorder,  tâchons  du  moins  de  nous 
entendre,  et,  renonçant  pour  le  moment  à  toute  défini- 
tion, examinons  simplement  l'état  des  choses. 

Nous  dirons  d'abord  que  la  médecine  n'est,  à  nos 
yeux,  ni  une  science,  ni  un  art. 

Ce  n'est  pas  un  art,  car  l'art  suppose  une  œuvre. 
Où  est  l'œuvre  du  médecin?  Est-ce  le  malade?  Sans 
doute,  le  médecin  le  réclamera  comme  son  œuvre 
quand  il  guérit,  mais  que  sera-ce  quand  le  malade 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  9 

meurt?  Du  reste,  même  quand  le  malade  guérit,  le  plus 
habile  praticien  n'avoue-t-il  pas  qu'il  n'a  été  le  plus 
souvent  que  le  collaborateur  de  la  nature?  Aussi  beau- 
coup d'auteurs  ont-ils  défini  la  médecine  en  disant  non 
pas  que  c'est  Yart  de  guérir,  mais  simplement  que  c'est 
la  curadon  des  maladies,  laissant  ainsi  indéterminée  la 
part  qui  revient  au  médecin  et  la  part  qui  revient  à  la 
nature.    Le    mot  d'Ambroise   Paré  est  bien  connu  : 
«Je  le  pansai.  Dieu  le  guarit. »  —  D'autre  part,  si 
nous  nous  en  rapportons  à  ce  qu'en  général  on  désigne 
sous  le  nom  (Yart,  nous  voyons  que  l'art  consiste  en 
des  créations  de  l'esprit  dont   les  procédés  peuvent 
arriver  très-primitivement  à  un  degré  de  perfection 
qui  défie  tout  progrès,  et  que  l'art  diffère  ainsi  de  la 
science,  laquelle  a  pour  nature  même  un  progrès  inces- 
sant. Ainsi  les  sciences  modernes  ont  laissé  bien  loin 
derrière  elles  la  science  grecque  ;  mais  l'art  grec,  de 
l'aveu  de  tous,  n'a  pas  été  dépassé  par  l'art  moderne. 
A  ce  point  de  vue,  la  médecine  ne  saurait  être  un  art, 
car  elle  a  fait  bien  des  progrès  depuis  le  Grec  qui  a 
reçu  le  nom  de  père  de  la  médecine,  et  il  est  permis 
d'affirmer  que  ces  progrès  ne  sont  encore  rien,  à  côté 
de  ceux  qu'elle  est  appelée  à  faire. 

Ce  n'est  pas  non  plus  une  science,  du  moins  à  son 
état  actuel  d'évolution  et  dans  le  sens  qu'on  donne 
généralement  au  mot  science.  La  médecine  est  une 
application  de  diverses  sciences  :  c'est  une  profession 
qui  met  en  pratique  des  données  théoriques  réellement 
scientifiques.  Mais  il  ne  faut  pas  confondre  la  pratique 
et  la  théorie.  Sous  ce  rapport,  l'École  où  est  enseignée 


10         rnYSiOLOGiii:  opératoire  et  vivisections. 

la  médecine  diffère  complètement  des  autres  Facultés, 
et,  en  précisant  cette  différence,  il  sera  facile  de  com- 
prendre la  distinction  sus-indiquée.  A  la  Faculté  de  droit, 
par  exemple,  on  enseigne  le  droit,  c'esl-à-dire  la  théorie  ; 
mais  on  n'enseigne  pas  l'art  de  plaider,  c'est-à-dire  la 
pratique  ;  à  la  Faculté  dessciences  il  est  des  cours  de  chi- 
mie, de  physique,  mais  aucun  enseignement  n'est  consa- 
cré aux  diverses  applications  industrielles  de  ces  sciences 
pures.  —  Au  contraire,  l'École  de  médecine  donne  un 
enseignement  qui  comprend  à  la  fois  les  notions  pure- 
ment scientifiques,  en  même  temps  qu'il  prépare  aux  né- 
cessités de  la  pratique,  aux  applications  de  ces  notions; 
c'est  même  par  ce  côté  pratique  qu'on  définit  le  plus 
généralement  la  médecine  en  l'intitulant  Fart  ou  la 
science  de  guérir.  Or,  définir  une  science  par  ses  appli- 
cations, c'est  méconnaître  absolument  le  caractère  des 
sciences  et  la  règle  absolument  générale  qui  tait  qu'on 
les  caractérise  précisément  par  leur  côté  théorique  pur; 
on  définit  la  géométrie^  la  science  qui  nous  apprend  à 
connaître  l'étendue  considérée  comme  ligne,  surface  et 
corps,  et  on  ne  la  définit  pas  comme  l'art  de  mesurer  les 
surfaces  et  les  lignes;  ceci  est  l'arpentage,  qui  n'est 
qu'une  application  de  la  géométrie. On  définit  \di physique 
et  la  chimie,  la  science  qui  nous  apprend  k  connaître  les 
propriétés  des  corps,  et  non  la  science  de  construire  tel 
appareil  thermométrique  ou  de  produire  tel  composé 
chimique  industriel.  En  un  mot,  je  le  répèle,  on  ne 
définit  jamais  les  sciences  par  leurs  applications  pra- 
tiques, mais  par  leurs  données  théoriques. 

Mais  la  médecine  a  eu  une  origine  éminemment  pra- 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRlMliMALE  11 

tique  :  s'il  n'y  avait  jamais  eu  de  malades,  il  n'y  aurait 
jamais  eu  de  médecin  ;  celui-ci  n'a  existé  tout  d'abord 
que  pour  lépondre  à  la  nécessité  pratique,  et  par  suite 
la  médecine  n'a  été  jusqu'à  présent  définie  que  par 
cette  pratique  même.  Mais  ce  n'est  pas  à  dire  que  ce 
côté  pratique  doive  toujours  exister  seul  ;  nous  le  disons 
hardiment,  et  les  explications  dans  lesquelles  nous 
allons  entrer  vous  le  feront  comprendre,  la  médecine 
théorique  devra  prendre  à  son  tour  son  existence, 
existence  indépendante  et  réelle  ;  ce  sera  la  médecine 
scientifique,  la  médecine  sans  malades,  c'est-à-dire  au- 
dessus  de  toutes  les  considérations  pratiques. 

Pour  le  moment  la  médecine,  telle  qu'elle  existe,  est 
une  profession  qui  applique  les  données  théoriques  d'une 
série  de  sciences  diverses;  c'est  ainsi  que  l'agriculture 
consiste  dans  l'application  des  données  théoriques  de  la 
botanique,  de  la  physiologie  végétale,  de  la  chimie,  de 
la  géologie,  mais  il  n'y  a  pas  une  science  qui  soit  l'agri- 
culture. De  même,  si  vous  parcourez  le  programme  des 
cours  de  la  Faculté  de  médecine,  vous  verrez  qu'il  n'est 
pas  une  chaire  dont  l'enseignement  soit  consacré  à  une 
entité  scientifique  répondant  au  mot  abstrait  de  méde- 
cine: ici  on  enseigne  l'anatomie,  ailleurs  la  physiologie, 
ailleurs  la  chimie,  la  physique,  l'anatomie  pathologique, 
la  pathologie,  etc. ,  etc.,  et  c'est  seulement  l'application 
des  notions  puisées  à  ces  diverses  sources  scientifiques 
qui  constituent  la  médecine  tout  entière. 

Ou  s'étonnait,  dans  un  rapport  officiel,  que  les  diffé- 
rentes parties  que  contient  l'enseignement  de  la  méde- 
cine fussent  distribuées  à  l'École  de  médecine  en  plus 


15  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

de  trente  cours  différents,  et  que  le  Collège  de  France, 
dans  sa  seule  chaire,  intitulée  simplement  Cours  de 
médecine,  semblât  appelé  à  donner  par  un  seul  homme 
l'enseignement  que  se  partageaient  ailleurs  tant  de  pro- 
fesseurs spéciaux.  C'est  au  contraire  que  le  titre  de 
Cours  de  médecine  indique  ici  que  le  professeur  est 
appelé  cà  choisir  parmi  les  nombreuses  sciences  qui 
toutes  contribuent  à  l'enseignement  médical  ;  et,  en 
effet,  la  chaire  de  médecine,  l'une  des  premières  créées 
lors  de  la  fondation  du  Collège  de  France,  a  été  suc- 
cessivement consacrée  à  l'étude  de  toutes  les  branches 
qui  constituent  le  faisceau  des  connaissances  médicales: 
elle  a  été  occupée  par  des  anatomistes,  comme  Ferreiii; 
par  des  hygiénistes,  comme  Halle  ;  par  des  botanistes, 
comme  Tournefort;  par  des  anatomo-pathologistes, 
comme  Laennec  ;  par  des  physiologistes ,  comme 
Magendie.  On  a  donc  trouvé  ici  toutes  ces  branches, 
anatomie,  physiologie,  histoire  naturelle,  etc.,  repré- 
sentées successivement,  comme  elles  le  sont  simultané- 
ment à  l'École  de  médecine.  Seulement  ces  choix  suc- 
cessifs de  telle  ou  telle  branche  n'ont  pas  été  faits  au 
hasard  ;  ils  ont  porté  à  chaque  époque  sur  les  sciences 
dont  les  progrès  étaient  dans  le  rapport  le  plus  intime 
avec  ceux  des  connaissances  médicales.  C'est  ainsi 
qu'aux  purs  anatomistes  ont  succédé  les  anatomo- 
pathologistes,  qui,  comme  Laennec,  ont  fait  faire  un  pas 
immense  à  la  connaissance  des  maladies  et  aux  procédés 
de  diagnostic. 

Si  depuis  Magendie  nous  choisissons  la  physiologie 
comme  objet  de  notre  enseignement,  c'est  que  cette 


DE   LA   MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  13 

science  est  aujourd'hui  celle  qui  porte  les  plus  vives 
lumières  dans  les  connaissances  médicales  ;  c'est  elle 
qui  est  appelée  à  faire  sortir  la  médecine  de  l'empirisme 
pur  et  à  en  faire  une  véritable  science.  Voyons  donc  ce 
qu'a  été  la  médecine  depuis  ses  débuts  et  ce  qu'on  peut 
espérer  qu'elle  sera  un  jour. 

La  médecine  a  été  et  devait  fatalement  être,  à  ses 
débuts,  purement  empirique;  tels  ont,  du  reste,  été  les 
débuts  de  toutes  les  sciences  les  plus  nettement  consti- 
tuées aujourd'hui.  L'art  de  faire  du  verre  existait  avant 
qu'on  connût  ce  que  c'est  que  les  silicates,  avant  que 
la  chimie  scientifique  eût  pris  naissance  ;  de  même  pour 
la  métallurgie,  qui  constituait  une  des  industries  les  plus 
avancées  bien  des  siècles  avant  que  la  chimie  des  métaux 
fût  constituée  ;  on  avait  construit  des  instruments 
d'optique  grossissant  et  des  télescopes,  avant  de  con- 
naître les  plus  simples  lois  de  la  réfraction  de  la  lumière, 
avant  que  la  science  physique  fût  constituée.  De  même 
il  a  fallu  que  l'homme,  en  présence  des  maladies,  aiguil- 
lonné par  le  danger,  cherchât  des  moyens  d'éviter  ces 
maladies,  et  des  agents  plus  ou  moins  heureux  pour  les 
combattre,  avant  de  se  rendre  compte  soit  de  la  nature 
de  ces  agents,  soit  de  la  nature  des  phénomènes  contre 
lesquels  ils  étaient  employés.  iMais  cet  état  empirique, 
commun  à  toutes  les  sciences  à  leur  début,  s'est  pro- 
longé pour  la  médecine  plus  longtemps  que  pour  toutes 
les  autres  sciences  ;  cet  état  est  encore  en  grande  partie 
aujourd'hui  celui  de  la  médecine,  tant  sont  complexes 
les  connaissances  diverses  appelées  à  la  constituer. 
Cependant,  il  est  bien  reconnu  aujourd'hui  que  la 


14  PHVSIOLOGIli:    OPÉRATOIRE    ET   VIVISECTIONS. 

médecine,  outre  son  côté  pratique,  a  aussi  son  côté 
théorique;  que  cette  théorie  est  en  voie  de  formation, 
c'est-à-dire  que  la  médecine  tend  à  devenir  une  véri- 
table science.  La  médecine  pratique  ayant  pris  naissance 
par  la  nécessité  de  secourir  le  malade,  on  a  été  natu- 
rellement porté  à  faire  du  malade  et  de  la  maladie  des 
choses  tout  à  fait  spéciales,  dont  l'étude  appartenait  au 
médecin  seul;  quant  à  l'étude  de  l'homme  sain,  de  ses 
fonctions,  des  propriétés  de  ses  tissus  et  de  ses  organes, 
quant  à  la  physiologie,  en  un  mot,  c'était  une  chose 
tout  à  fait  à  part,  dont  les  médecins  consentaient  bien 
à  acquérir  quelques  notions;  c'était  une  étude  consi- 
dérée plutôt  comme  agréable  que  comme  réellement 
utile  :  la  physiologie  était  le  roman  de  la  médecine.  Il 
faut,  du  reste,  reconnaîtrequ'en  effet,  pendantlongtemps, 
la  médecine,  ayant,  si  nous  pouvons  ainsi  dire,  à  pour- 
voir au  plus  pressé,  agissait  sagement  en  se  cantonnant 
dans  l'empirisme,  et  que  la  physiologie  n'était  nulle- 
ment en  mesure  de  lui  fournir  des  connaissances  suffi- 
santes pour  que  la  pratique  se  déduisît  de  la  théorie. 

Mais  l'étude  de  l'organisme  sain,  Tanatomie  et  la 
physiologie  ont  marché,  et  le  résultat  le  plus  général  de 
ces  progrès  a  été  de  faire  tomber  cette  barrière  élevée 
entre  les  phénomènes  de  l'organisme  sain  et  les  phéno- 
mènes de  l'organisme  malade.  11  y  a  peu  d'années,  on 
admettait  que  certains  tissus  malades  n'avaient  pas 
leurs  analogues  dans  les  tissus  normaux  ;  on  croyait  à 
des  produits  hétérologues  ;  on  a  reconnu  aujourd'hui  que 
les  formes  anatomiques  (histologiques)  des  tissus  patho- 
logiques ne  diffèrent  réellement  pas  de  celles  des  tissus 


DE    LA.    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  15 

sains.  On  reconnaît  aussi  qu'il  n'y  a  pas  non  plus  de 
phénomènes  hétérologues  ;  les  processus  morbides, 
regardés  comme  des  entités,  ne  sont  que  des  formes 
exagérées  ou  diversement  modiflées  des  processus  nor- 
maux, physiologiques.  L'étude  de  la  fièvre  devient  un 
chapitre  de  l'étude  des  phénomènes  de  calorification, 
considérés  à  l'état  normal  et  à  l'état  morbide.  La  physio- 
logie pathologique  du  diabète  a  pour  base  la  physiologie 
de  la  fonction  glycogénique  et  de  la  nutrition.  Ces  deux 
exemples  suffisent  pour  montrer  que  l'étude  des  trou- 
bles morbides  a  pour  base  celle  des  fonctions  normales, 
et  il  est  en  effet  facile  de  comprendre  qu'il  doit  en  être 
de  la  machine  animale  comme  de  toute  machine,  dont 
il  serait  difficile  d'apprécier  les  dérangements  et  d'y 
porter  remède,  sans  la  connaissance  théorique  de  la 
disposition  de  ses  rouages  et  de  leur  fonctionnement. 

Trop  souvent,  les  médecins  se  plaisent  à  constater 
que  la  physiologie  n'explique  pas  tel  phénomène  mor- 
bide; mais  la  physiologie  expérimentale  date  d'une 
époque  si  récente,  qu'il  n'est  pas  étonnant  de  ne  la  voir 
donner  l'explication  que  d'un  nombre  très-restreint  de 
phénomènes.  Il  n'est  pas  permis  de  dire,  en  parlant  de 
n'importe  quel  symptôme  morbide,  que  la  physiologie 
est  impuissante  à  l'expliquer  ;  on  peut  seulement  dire 
qu'elle  ne  l'explique  pas  encore  aujourd'hui. 

Lorsque  la  physiologie  aura  donné  tout  ce  qu'on  lui 
demande,  tout  ce  qu'on  est  en  droit  d'attendre  d'elle, 
il  n'y  aura  plus  deux  sciences,  comprenant  l'une  la  con- 
naissance de  l'organisme  sain,  l'autre  la  connaissance 
de  l'organisme  malade:  il  n'y  aura  plus  une  médecine 


16  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

et  une  physiologie.  La  physiologie,  devenue  la  science 
complète  de  la  vie,  embrassera  aussi  bien  les  phéno- 
mènes normaux  que  les  phénomènes  anormaux,  ces  der- 
niers dérivant  des  premiers.  La  physiologie  sera  la 
médecine  devenue  science  théorique,  et  de  cette  théorie 
se  déduira,  comme  pour  toutes  les  autres  sciences,  les 
applications  nécessaires,  c'est-à-dire  la  pratique  médi- 
cale. 

Déjà  dans  quelques  pays  nous  voyons  se  réaliser  cette 
tendance  à  établir  une  médecine  théorique,  c'est-à-dire 
scientifique,  bien  distincte  de  la  médecine  profession- 
nelle. Nous  faisons  allusion  à  certains  usasfes  établis 
d'une  manière  plus  ou  moins  nette  dans  quelques  écoles 
allemandes  :  après  leurs  études  à  l'université,  les  jeunes 
gens  qui  ont  étudié  l'anatomie  et  la  physiologie  normales 
et  pathologiques,  reçoivent  le  titre  de  docteurs  en  méde- 
cifie  ;  mais  ce  titre,  purement  scientifique,  ne  leur  donne 
aucun  droit  à  la  pratique  ;  s'ils  veulent  exercer  la  méde- 
cine, il  leur  faut  s'attacher  à  des  praticiens,  les  suivre 
dans  leurs  visites  cliniques,  et  enfin  subir  ce  qu'on 
appelle  Y  examen  d'état,  destiné  à  constater  qu'après  les 
connaissances  théoriques  le  candidat  a  su  acquérir 
l'habitude  pratique,  le  manuel  opératoire,  le  tact  cli- 
nique nécessaires  à  une  bonne  application  de  ces  con- 
naissances. Chez  nous,  vous  le  savez,  quoique  certains 
examens  aient  un  caractère  plus  spécialement  théo- 
rique ou  pratique,  l'ensemble  des  épreuves  réunit 
ces  deux  caractères,  et  le  titre  de  docteur  en  méde- 
cine est  le  couronnement  commun  des  connaissances 
théoriques  et  des  aptitudes  pratiques  confondues  en 


DE    LA    MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  17 

un  tout,  comme  elles  sont  confondues  dans  l'enseigne- 
ment. 

Ici,  dans  la  chaire  de  médecine  du  Collège  de  France, 
c'est  la  médecine  théorique  seule,  c'est-à-dire  la  mé- 
decine scientifique,  qui  doit  trouver  place  :  cette 
science  que  nous  devons  étudier,  c'est  la  physiologie, 
laquelle  est  unique.  L'expression  de  physiologie  nor- 
male et  de  physiologie  pathologique  n'a  qu'une  valeur 
provisoire  :  l'organisme  malade  ne  saurait  obéir  à 
d'autres  lois  que  l'organisme  sain  ;  il  n'y  a  pas  une 
mécanique  normale  et  une  mécanique  anormale, 
pour  expliquer  d'une  part  la  marche  régulière  et 
d'autre  part  les  dérangements  d'une  machine  ;  les 
masses  d'une  construction  qui  s'élève,  comme  celles 
d'un  monument  qui  s'écroule,  obéissent  aux  mêmes  lois 
de  pesanteur  et  d'équilibre  :  les  conditions  seules  sont 
changées,  mais  non  la  nature  des  phénomènes.  De  même 
pourles  organismes  vivants,  l'anatomie  normale  et  patho- 
logique, la  physiologie  normale  et  pathologique,  obéis- 
sent aux  mômes  lois,  dont  l'étude  représente  la  partie 
scientiBque,  théorique,  de  la  médecine  :  la  clinique  en 
est  l'application. 

Mais  il  ne  faudrait  pas  même  conclure  de  cette  divi- 
sion qu'il  y  a  dans  la  médecine  deux  sciences  :  l'une 
théorique,  l'autre  pratique,  et  croire  qu'en  général  il  y 
â,  à  côté  des  sciences  théoriques,  de  véritables  sciences 
«/?/)//^Me>5.  Ya-t-ildeuxchimies,  l'une  théorique,  l'autre 
pratique?  Y  a-t-il  deux  physiques  ?  Non,  sans  doute.  Il 
en  est  de  môme  pour  la  médecine  :  il  n'y  a  qu'une 
science,  la  science  des  phénomènes  des  êtres  vivants,  la 


CL.    BERNARD.  —  PHYS.    OPER. 


18  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

physiologie,  et  ici,  comme  pour  les  exem[)les  précédents, 
le  praticien,  le  clinicien,  ne  fait  qu'appliquer  ce  que  lui 
apprend  la  science  pure. 

Cependant,  direz-vous,  le  praticien  interprète,  il  est 
vrai,  les  phénomènes  anormaux  d'après  les  lois  de  la 
physiologie  qui  les  rattache  aux  phénomènes  normaux  ; 
mais,  d'autre  part,  il  agit  sur  ces  phénomènes,  il 
cherche  à  s'en  rendre  maître  ;  il  s'occupe  de  théra- 
peutique^  et  n'est-ce  pas  là  une  science  pratique  dis- 
tincte? Non,  certainement.  La  thérapeutique,  ou 
étude  de  Taction  des  médicaments,  est  de  la  physio- 
logie au  premier  titre  ;  elle  relève  directement  de  la 
théorie  et  n'en  est  qu'une  application.  Sans  les  don- 
nées de  la  physiologie,  la  thérapeutique  est  réduite 
à  cet  empirisme  grossier  qui  était  seul  possible  dans  les 
premiers  temps,  mais  dans  lequel  il  serait  honteux  de 
vouloir  cantonner  aujourd'hui  la  pratique  médicale. 
Sans  doute  la  thérapeutique,  comme  application  à  des 
cas  particuliers  des  lois  de  l'action  physiologique  des 
substances  actives,  la  thérapeutique,  à  cause  de  la 
complexité  de  ces  cas  divers,  demande  un  tact  par- 
ticulier,  un  art  tout  spécial,  pour  saisir,  comme  par 
intuition,  les  mille  indications  et  contre-indications  qu'il 
est  encore  impossible  de  fixer  par  des  lois.  C'est  ce  sen- 
timent des  nuances  qui  donne  à  la  pratique  médicale 
(juclque  chose  du  caractère  d'un  art,  et  en  fait  une 
œuvre  marquée  dun  cachet  personnel.  Mais  ce  besoin 
d'un  certain  génie  particulier,  d'un  tact  individuel,  ce 
besoin  résulte  précisément  de  ce  que  la  science  théo- 
rique est  loin  d'être  faite,  toutes  les  lois  qui  régissent 


DE    LA    MÉTHODE   EXPÉRI3IENTALE.  19 

l'organisme  n'étant  pas  encore  fixées.  En  suppléant  k 
l'ignorance  par  une  certaine  intuition  qu'on  peut  appeler 
artistique,  le  praticien  ne  tait  pas  une  science  :  il 
applique  la  science  courante  avec  plus  ou  moins  d'habi- 
tude et  de  bonheur. 

Nous  dirons  donc  que  la  physiologie  est  la  science  des 
phénomènes  de  la  vie,  c'est-à-dire  de  ces  phénomènes 
dans  leurs  différentes  manifestations  normales  et  patho- 
logiques, et  selon  les  modifications  qu'elles  subissent  par 
l'intervention  de  divers  agents.  La  physiologie  comprend 
donc  la  médecine  scientifique,  puisqu'elle  comprend 
toute  la  science  de  la  vie,  puisque,  en  étudiant  la  vie  et 
ses  conditions,  elle  analyse  les  rapports  de  l'organisme 
vivant  avec  les  milieux  ambiants  et  l'influence  de  ces  mi- 
lieux selon  leurs  modifications  physiques,  chimiques,  etc. 
Or,  les  modifications  physiques  de  ces  milieux  nous 
donnent  la  clef  de  certains  phénomènes  morbides,  tels 
que  ceux  que  produit  l'excès  de  chaleur,  et  nous  étu- 
dions par  exemple  la  mort  par  excès  de  chaleur.  Ou  bien 
ce  milieu  met  l'organisme  en  contact  avec  des  substances 
nuisibles  qui  n'entrent  pas  d'ordinaire  dans  sa  com- 
position, et  nous  sommes  ainsi  amenés  à  l'étude  des 
miasmes,  des  poisons,  etc.,  et  des  troubles  morbides 
qu'ils  produisent.  Mais  en  étudiant  ces  troubles  et  les 
substances  qui  les  occasionnent,  nous  trouvons  que  l'ac- 
tion de  telle  substance  se  fait  dans  un  sens  tel,  qu'en 
employant  cette  substance  à  une  certaine  dose  nous 
pouvons  nous  en  faire  un  moyen  d'arrêter  ou  même  de 
supprimer  tel  phénomène  fâcheux,  tel  trouble  morbide, 
dont  celte  substance  devient  alors  le  remède,  et  nous 


20  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET   VIVISECTIONS. 

sommes  ainsi  amenés  à  poser  les  bases  de  la  thérapeu- 
tique. 

On  voit  donc  que  tout  se  tient  dans  cette  étude  de  la 
vie,  et  que  la  physiologie,  ou  médecine  scientifique,  com- 
prend à  la  fois  ce  qu'on  a  artificiellement  séparé  sous 
les  noms  de  physiologie  normale,  de  physiologie  patho- 
logique et  de  thérapeutique.  Au  point  de  vue  pratique, 
c'est  certainement  la  thérapeutique  qui  intéresse  au  plus 
haut  degré  le  médecin  ;  or,  c'est  précisément  la  théra- 
peutique qui  doit  le  plus  de  progrès  à  la  physiologie 
expérimentale.  Au  lieu  de  composer  des  remèdes  qui, 
comme  la  classique  thériaque,  renfermaient  une  infinité 
de  composés  d'origines  les  plus  diverses  et  que  la  vieille 
pharmacopée  semble  n'avoir  si  bizarrement  assortis 
qu'afin  que  chaque  maladie  y  trouve  son  antidote  spécial, 
mais  inconnu,  nous  employons  aujourd'hui  des  princi- 
pes purs,  exactement  dosables  et  à  action  parfaitement 
connue  ;  nous  savons  non-seulement  quelle  est  cette 
action,  mais  nous  avons  pu  encore  préciser  sur  quels 
éléments  anatomiques  elle  porte,  et  tout  cela,  grâce  à 
la  physiologie  expérimentale,  qui,  même  dans  l'opium, 
nous  a  permis  de  reconnaître  des  alcaloïdes  à  actions 
diverses  ou  opposées.  Ainsi ,  au  lieu  d'administrer 
l'opium,  qui  renferme  des  alcaloïdes  hypnotisants  et  des 
alcaloïdes  convulsivants,  et  qui,  par  suite,  selon  les  sus- 
ceptibilités individuelles,  produit  de  l'excitation  chez 
l'un  et  de  l'anesthésie  chez  l'autre,  nous  employons  les 
alcaloïdes  de  l'opium,  c'est-à-dire  les  principes  actifs 
isolés  et  purifiés,  nous  permettant  de  produire  exacte- 
ment à  un  degré  voulu  le  résultat  cherché.  En  faisant 


DE    LA   MÉTHODE    EXPÉRIMENTALE.  2i 

ces  recherches  expérimentales  sur  l'action  des  alcaloïdes 
de  l'opium,  ne  faisions-nous  pas  réellement  de  la  belle  et 
bonne  médecine,  puisque  les  fciits  ainsi  établis  sont 
aujourd'hui  d'une  application  journalière  dans  la  pra- 
tique ?  Mais  nous  faisions  de  la  médecine  en  dehors  du 
malade,  sans  idée  des  applications  qui  devaient  fatale- 
ment en  être  déduites  ;  nous  faisions  de  la  médecine 
théorique,  c'est-à-dire  scientifique,  c'est-à-dire  de  la 
physiologie. 

Du  reste,  permettez-moi  cette  remarque  générale, 
c'est  toujours  ainsi  que  procèdent  les  sciences.  Ce  n'est 
pas  en  cherchant  une  application  que  se  font  les  décou- 
vertes; c'est  en  cherchant  les  faits,  les  lois  scientifiques, 
la  science  pure,  en  un  mot  ;  la  théorie  une  fois  faite,  la 
pratique  en  dérive  nécessairement,  fatalement.  Chevreul 
cherchait-il  une  application  industrielle  en  étudiant  la 
composition  des  corps  gras?  Préoccupé  de  problèmes  de 
chimie  pure,  il  dédouble  les  graisses  en  glycérine  et 
acides  gras,  et  cette  découverte,  qui  fait  faire  un  pas 
immense  à  la  théorie  de  la  constitution  de  toute  une 
classe  de  corps,  a  aussitôt,  comme  conséquence  impré- 
vue, une  des  plus  grandes  applications  industrielles  de 
nos  jours,  la  fabrication  des  bougies  stéariques.  Quand 
Arago,  étudiant  pour  la  première  fois  les  phénomènes 
singuliers  de  l'aimantation  d'une  barre  de  fer  doux  par 
le  passage  d'un  courant  électrique,  se  livrait  à  des 
recherches  présentant  au  plus  haut  degré  le  caractère 
spéculatif  de  la  science  pure  et  théorique,  le  fciit  de 
physique  dont  il  étabhssait  les  lois  devait  avoir  pour 
application  l'invention  du  télégraphe. 


52  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

Je  ne  multiplierai  pas  ces  exemples  :  lascience  moderne 
en  offre  mille  semblables  et  qui  vous  sont  familiers. 

C'est  pourquoi  nous  nous  attacherons,  Messieurs, 
à  l'étude  de  la  physiologie  pure,  dégagés  de  toute 
idée  de  pratique,  mais  sachant  par  avance  que  nous 
faisons  ainsi  de  la  médecine  scientifique,  car  de  chaque 
découverte  en  physiologie  résultera  nécessairement  une 
application  médicale  pratique. 

Nous  ferons  donc  de  la  physiologie  expérimentale.  Le 
principe  de  l'application  de  l'expérimentation  à  l'étude 
des  phénomènes  de  la  vie  étant  aujourd'hui  universelle- 
ment admis,  nous  entrerons  dans  le  détail  de  la  mise  en 
œuvre  de  ce  irrincipe  ;  nous  le  développerons  en  pré- 
ceptes applicables  à  chaque  ordre  de  recherches;  quant 
à  ces  divers  ordres  de  recherches,  je  crois  vous  les 
avoir  suffisamment  indiqués  dans  les  considérations 
précédentes;  nous  étudierons  les  phénomènes  de  l'orga- 
nisme normal  et  les  modiûcations  qu'ils  présentent  pour 
constituer  ce  que  l'on  nomme  létat  pathologique  ;  nous 
étudierons  l'action  des  substances  toxiques,  et  nous 
verrons  de  même  comment  elles  peuvent  modifier  les 
phénomènes  vitaux  aussi  bien  dans  leurs  formes  nor- 
males que  dans  leurs  formes  pathologiques.  Ceci  sera 
conforme  à  la  définition  de  la  médecine  telle  (|ue  nous 
l'avonsdonnée  précédemment  :  La  médecine  est  la  science 
qui  nous  apprend  à  connaître  les  phénomènes  de  la  vie, 
aussi  bien  dans  leurs  formes  normales  et  anormales, 
ainsi  que  les  modifications  que  ces  phénomènes  su- 
bissent de  la  part  de  divers  agents. 


DEUXIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  De  la  méthode  expérimentale.  —  Observation  et  expérience.  — 
L'expérience  est  une  observation  provoquée.  —  Il  n'y  a  pas  de  distinction 
absolue  entre  l'observation  et  l'expérience.  —  Induction  et  déduction.  — 
Complexité  des  phénomènes  à  étudier  chez  les  êtres  vivants.  —  De  l'usage 
des  hypothèses  en  physiologie  expérimentale.  —  État  d'esprit  nécessaire 
à  l'institution  de  bonnes  expériences. 


Messieurs  , 

Dans  toutes  les  sciences  expérimentales,  on  a  établi 
et  fixé  les  procédés  expérimentaux  reconnus  les  meilleurs 
pour  arriver  à  constater  tel  fait  ou  à  instituer  des 
recherches  dans  tel  ordre  de  choses  :  pour  telle  analyse 
chimique  destinée  à  nous  éclairer  sur  l'existence  de  tel 
corps  simple  dans  un  composé  quelconque,  il  est  des 
règles  à  suivre  et  dont  l'investigateur  ne  saurait  s'écarter 
sous  peine  de  voir  infirmer  ses  résultats  par  défaut  de 
rigueur  dans  l'institution  de  son  expérience.  Il  n'en  est 
malheureusement  pas  ainsi  en  physiologie  expérimen- 
tale. L'enthousiasme  pour  la  méthode  expérimentale 
s'est  ici  répandu  si  subitement,  si  universellement,  et 
on  s'est  si  peu  rendu  compte  de  la  complexité  des 
phénomènes  à  étudier,  que  chacun  a  cru  pouvoir 
aborder  l'expérimentation  sans  s'être  livré  au  moindre 
apprentissage  ;  aussi  les  résultats  obtenus  et  annoncés 
ne  doivent-ils  être  acceptés  qu'avec  une  extrême  réserve, 


24  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

après  examen  sérieux  des  procédés  employés,  après  une 
critique  exacte  de  l'expérience.  Il  serait  donc  on  ne 
peut,  plus  utile  de  fixer  ces  procédés  ;  et  c'est,  vous  le 
savez,  à  l'établissement  d'expériences  typiques  que 
nous  devons  consacrer  ces  leçons  ;  nous  ferons  donc  de 
la  technique  et  de  la  critique  expérimentales. 

Qu'est-ce  donc  que  l'expérimentation  ?  Telle  est  la 
question  que  nous  devons  ici  nous  poser  tout  d'abord. 
Il  est  d'autant  plus  nécessaire  d'y  répondre,  que  beau- 
coup de  médecins  discutent  encore  sur  les  avantages 
comparés  de  l'expérience  et  de  l'observation  :  les  uns 
préfèrent  l'observation,  qui,  disent-ils,  est  le  véritable 
procédé  des  sciences  médicales,  cliniques;  les  autres, 
tout  en  accordant  à  l'expérience  la  valeur  qu'on  ne 
saurait  lui  refuser,  distinguent  deux  méthodes  :  la  mé- 
thode expérimentale  et  la  méthode  d'observation  ;  de 
là  à  admettre  deux  médecines,  la  médecine  d'observa- 
tion et  la  médecine  d'expérimentation,  il  n'y  a  qu'un 
pas,  que  plusieurs,  même  parmi  nos  contemporains 
des  plus  éminents,  n'hésitent  point  à  franchir.  Vous 
voyez  donc  que  la  question  est  d'une  importance  pri- 
miordiale. 

Or,  j'espère  vous  démontrer  que  ces  préférences  sont 
injustes,  que  ces  distinctions  sont  mal  fondées,  que  ni 
les  unes  ni  les  autres  n'ont  de  raison  d'être  ;  qu'expé- 
rience et  observation  ne  sont  essentiellement  qu'une 
seule  et  même  chose. 

Cette  manière  de  voir  n'est  pas  nouvelle.  Déjà  Bacon 
ne  distinguait  pas  l'observation  de  l'expérience  :  c'était 
pour  lui  deux  moyens  égaux  d'amasser,  au  môme  litre, 


OBSERVATION    ET    EXPÉRIENCE.  25 

les  faits  que  l'esprit  élabore  ensuite  pour  en  tirer  les 
conclusions  générales.  Mais  Zimmerman,  qui  a  écrit 
trois  volumes  sur  l'expérience,  pose  en  principe  la  dis- 
tinction sus-indiquée  :  pour  lui,  l'observation  diffère  de 
l'expérimentation  en  ce  que,  dans  la  première,  le  phé- 
nomène se  présente  naturellement  à  l'observateur, 
tandis  que,  dans  la  seconde,  il  y  a  intervention  de  la  part 
de  l'investigateur,  qui  fait  effort  pour  obtenir  un  résultat 
dans  un  sens  donné.  Cuvier,  qui  admettait  une  sem- 
blable distinction,  l'exprimait  très-nettement  en  ces 
termes  :  «  L'observateur  écoute  la  nature,  l'expérimen- 
tateur l'interroge.  » 

Chevreul  donne  à  l'expérience  le  nom  de  méthode 
expérimentale  à 'posteriori \  c'est  que,  dit-il,  l'observation 
nous  montre  un  phénomène,  puis,  pour  reproduire  ce 
phénomène  qui  s'est  spontanément  présenté,  pour 
vérifier  l'idée  que  nous  nous  en  faisons,  nous  instituons 
une  expérience.  C'est  à  ce  travail  de  vérification  qu'il 
donne  le  nom  d'expérience. 

Si  nous  quittons  les  définitions  pour  nous  en  rappor- 
ter aux  faits  ,  si  nous  considérons  ce  que  font  l'expéri- 
mentateur et  l'observateur,  nous  allons  voir  que  toutes 
ces  distinctions  s'évanouissent. 

L'observateur,  dit-on,  est  passif  et  l'expérimentateur 
actif  au  contraire.  Mais  prenons  un  exemple.  Nous 
nous  trouvons  en  face  d'un  homme  ou  d'un  animal  pris 
de  vomissements  :  nous  constatons  létat  des  matières 
rejetées,  nous  observons  le  mécanisme  visible  de  ce 
vomissement  ;  c'est  là  pour  tout  le  monde  de  l'obser- 
vation.   D'un   autre   côté,   nous  prenons  un    animal 


26  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET   VIVISECTIONS. 

intact,  et,  en  lui  pratiquant  une  fistule  gastrique,  nous 
allons  directement  étudier  ce  qui  se  passe  dans  l'esto- 
mac pendant  la  digestion  ou  au  moment  du  vomisse- 
ment; celte  fois,  c'est  bien  de  l'expérience.  Mais  voici 
que  le  médecin  américain  Beauniont  se  trouve  en  pré- 
sence d'un  chasseur  canadien  auquel  un  coup  de  feu  a 
accidentellement  ouvert  l'estomac ,  avec  production 
consécutive  d'une  fistule  gastrique,  telle  que  nous  en 
faisons  sur  les  animaux;  par  celte  fistule,  il  étudie  ce 
que  nous  étudions  sur  les  animaux  en  expérience  ,  et  il 
l'étudié  exactement  comme  nous  le  faisons  chez  les 
animaux.  Est-ce  de  l'observation  pure  et  simple  ?  n'est- 
ce  pas  plutôt  de  l'expérimentation,  et  refusera-t-on  ce 
caractère  à  cette  série  de  recherches,  parce  que  la  fis- 
tule qui  les  a  permises  a  été  le  résultat  d'un  accident  et 
non  le  fait  d'une  intervention  volontaire  de  la  part  de 
l'expérimentateur? 

Ainsi  l'état  passif  ou  actif  de  l'investigateur  ne  saurait 
nous  servira  établir  une  véritable  distinction  entre  ce 
qu'on  veut  appeler  observation  pure,  et  ce  qu'on  veut 
désigner  sous  le  nom  d'expérience.  On  ne  peut  pas  non 
plus  établir  ce  caractère  distinctif  en  disant  que  l'expé- 
rience est  destinée  à  contrôler  les  résultats  de  l'observa- 
tion. En  effet,  d'une  part,  l'observation  peut  être  con- 
trôlée purement  et  simplement  par  une  nouvelle  obser- 
vation; c'est  ce  qui  a  lieu  tous  les  jours  :  lorsque,  par 
exemple,  une  épidémie  se  produisant  dans  un  certain 
milieu,  l'observation  tend  à  en  attribuer  la  cause  à  l'un 
des  éléments  particuliers  de  ce  milieu,  si,  dans  une  autre 
contrée,  avec  la  même  condition  de  milieu,  on  observe 


OBSERVATION    ET    EXPÉRIENCE.  27 

la  même  épidémie,  cette  nouvelle  observation  est  le  con- 
trôle de  l'hypothèse  émise,  lors  de  la  première,  sur  les 
rapports  de  cause  à  effet  relativement  à  l'épidémie. 
D'autre  part,  on  fait  souvent  des  expériences  sans  idée 
de  contrôle,  parce  qu'il  n'y  a  rien  à  contrôler  :  lorsque, 
par  exemple,  on  se  trouve  en  présence  d'une  substance 
nouvelle,  sur  les  propriétés  physiologiques  de  laquelle 
on  n'a  aucune  donnée,  on  fait  alors,  comme  disait  Ma- 
gendie,  des  expériences  pour  voir;  puis  les  résultats 
obtenus  par  les  premières  expériences  sont  alors  con- 
tri»lés  par  de  nouvelles  expériences. 

Dira-t-on,  avecMagendieet  Laplace,  que  l'observateur 
étudie  des  phénomènes  naturels,  et  que  l'expérimen- 
tateur étudie  des  phénomènes  troublés  par  son  interven- 
tion ?  Mais  alors  les  vivisections  les  plus  considérables, 
celles,  par  exemple,  dans  lesquelles  on  ouvre  un  animal 
pour  observer  les  mouvements  du  cœur  et  de  la  circu- 
lation, ces  vivisections  ne  seront  que  des  observations 
tant  qu'on  ne  troublera  pas  le  jeu  des  appareils  circula- 
toires; et  faudra-t-il  admettre  que  du  moment  où 
on  lie  une  artère,  du  moment  où  on  coupe  un  vais- 
seau, faudra-t-il  admettre,  en  un  mot,  que  du  mo- 
ment où  on  entrave  d'une  manière  quelconque  la 
circulation,  l'observation  se  change  aussitôt  en  expé- 
rience? Du  reste,  l'observation  porte  souvent  sur  des 
phénomènes  troublés  d'une  manière  plus  ou  moins 
directe  par  l'observateur  :  un  accident,  un  oubli,  ont 
souvent  été  l'occasion  d'une  découverte  en  présentant 
à  l'observateur  des  phénomènes  nouveaux  et  inatten- 
dus,  dont   la  manifestation   n'était  ni  spontanée,    ni 


28  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

volontairement  provoquée.  Qui  nous  dira  si  clans  ce  cas 
l'investigateur  a  dû  ses  résultats  à  une  expérience  ou  à 
une  observation? 

Nous  concluons  en  disant  qu'à  nos  yeux  il  n'y  a  pas 
de  distinction  réelle  à  établir  entre  l'observation  et  l'ex- 
périence ;  ce  sont,  à  titres  égaux,  des  moyens  de  re- 
cueillir des  matériaux,  c'est-à-dire  des  faits.  D'ordinaire 
on  commence  par  observer  simplement  les  tàits  qui  se 
présentent.  iMais  cette  ressource  est  bientôt  épuisée;  on 
s'aperçoit  qu'elle  ne  nous  montre  qu'un  côté  des  choses, 
qu'elle  ne  nous  révèle  que  l'extérieur  des  phénomènes. 
Alors  on  cherche  à  aller  plus  profondément.  Les  diffé- 
rentes périodes  de  l'histoire  de  la  médecine  nous  mon- 
trent bien  ces  phases  successives.  On  a  commencé  par 
observer  des  malades  ;  mais  l'analyse  exacte  des  mani- 
festations extérieures  symptomatiques  a  été  plus  tard 
trouvée  insuffisante  :  alors  on  a  voulu  regarder  dans 
l'intérieur  des  cadavres  de  ceux  qui  avaient  succombé 
aux  affections  dont  les  symptômes  avaient  été  soigneu- 
sement notés,  et  enfin  on  a  voulu  encore  pénétrer  dans 
l'intérieur  de  l'organisme  vivant  lui-même,  et,  ne  se 
contentant  plus  de  l'anatomie  pathologique,  on  a  fait  de 
la  physiologie  pathologique.  Or,  cette  recherche  ne  peut 
se  faire  sur  l'organisme  humain  :  on  a  donc  recours  aux 
animaux;  on  provoque  artificiellement  chez  eux  des 
maladies;  on  fait  en  un  mot  de  l'expérimentation  au 
premier  chef. 

Nous  voyons  donc  qu'on  a  recours  à  l'expérience 
lorsque  l'observation  est  épuisée  ;  mais  alors,  aux  phé- 
nomènes qu'on   provoque,  on   applique  purement  et 


OBSERVATION    ET    EXPl-RIENCE.  29 

simplement  l'observation.  Ce  que  fait  l'expérimentateur, 
c'est  élargir  le  champ  de  l'observation  :  l'expérience  est 
une  observation  provoquée,  dont  on  détermine  d'avance 
les  circonstances.  L'observation  pure  et  simple  ayant 
donné  les  caractères  extérieurs  des  phénomènes,  l'in- 
vestigateur pénètre  plus  profondément  et  va  au-devant 
de  phénomènes  cachés  quil  force  à  se  produire  en  plein 
jour. 

Ainsi,  en  passant  de  ce  qu'on  appelle  l'observation  à 
ce  qu'on  appelle  l'expérience,  nous  ne  faisons  qu'é- 
tendre et  creuser  le  terrain  de  nos  recherches,  et  c'est 
toujours  l'observation,  dans  des  conditions  nouvelles, 
qui  nous  sert  à  recueillir  les  faits.  Il  n'y  a  donc  pas  à 
distinguer  entre  l'obseryalion  et  l'expérimentation,  si 
ce  n'est  que  cette  dernière,  par  son  caractère  d'obser- 
vation provoquée,  est  infiniment  plus  délicate  et  plus 
dilficile  que  l'observation  simple,  car,  en  créant  de 
nouvelles  conditions  à  la  manifestation  des  phénomènes, 
elle  nous  place  dans  un  milieu  infiniment  plus  com- 
plexe; mais  il  serait  même  inexact  de  faire  de  ces  dif- 
ficultés un  caractère  de  l'expérimentation,  car  pour 
bien  des  cas  l'observation  pure  et  simple  n'est  pas  moins 
délicate,  et  l'on  se  trompe  aussi  bien  en  recueillant  des 
observations  qu'en  instituant  des  expériences. 

Qu'ils  soient  le  résultat  de  l'observation  ou  de  l'expé- 
rience, les  faits,  une  fois  amassés  n'importe  par  quelle 
méthode,  doivent  être  interprétés^  comme  disait  Bacon: 
ils  doive[it  subir,  de  la  part  de  notre  esprit,  une  élabo- 
ration qui  nous  conduit  aux  formules  générales,  but 
ultérieur  de  nos  recherches. 


30  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

Celte  élaboration  se  fait,  dit-on,  par  induction  ou  par 
âikluclion.  Or  voilà  deux  expressions  sur  lesquelles,  au 
point  de  vue  de  nos  recherches  spéciales,  nous  sommes 
encore  tenu  de  nous  expliquer  :  il  nous  faut  chercher 
quelle  différence  il  y  a  entre  l'induction  et  la  déduction, 
quelles  sont  les  sciences  inductives  et  déductives,  et  à 
laquelle  de  ces  sciences  appartient  la  physiologie. 

Par  la  déduction,  dit-on,  nous  allons  du  général  au 
particulier  :  partant  d'un  principe,  on  en  fait  des  ap- 
plications à  des  cas  particuliers.  Telle  est  la  méthode 
des  sciences  mathématiques,  qui,  dans  tous  leurs  déve- 
loppements, se  réduisent  toujours  à  partir  d'un  prin- 
cipe pour  en  déduire  toutes  les  conséquences  possibles. 

Au  contraire,  dans  Xindnction,  nous  partons  des  faits 
eux-mêmes,  c'est-à-dire  des  cas  particuliers,  et  de 
l'étude  de  ces  cas  nous  recherchons  à  remonter  vers 
une  loi  générale,  vers  un  principe.  C'est  une  marche 
absolument  inverse  de  la  précédente. 

Dans  la  déduction,  l'esprit  part  donc  d'un  principe, 
et  ce  qui  est  caractéristique  de  cette  méthode,  c'est  que 
ce  principe  n'est  pas  discuté;  il  est  posé  comme  abso- 
lument exact  :  le  mathématicien  part  ainsi  de  formules 
qu'il  pose  lui-même  comme  évidentes  par  elles-mêmes  ; 
ce  qu'il  en  déduit  est  obtenu  par  les  procédés  rigoureux 
du  raisonnement,  et  du  moment  que  le  principe  est  in- 
discuté, les  conséquences  le  sont  également  :  elles  n'ont 
pas  besoin  de  vérification  matérielle. 

Ce  caractère  n'appartient  qu'aux  mathématiques 
pures  dans  lesquelles,  nous  le  répétons,  on  pose,  on  fait 
soi-même  le  principe  qui  sert  de  point  de  départ.  Mais 


OBSERVATION   ET    EXPÉRIENCE.  31 

dès  qu'eu  u'a  pas  fait  soi-même  les  choses,  on  a  beau 
procéder  par  des  méthodes  empruntées  aux  mathéma- 
tiques, on  n'arrive  pas  à  des  résultats  indiscutables  et 
qui  puissent  se  passer  absolument  de  vérification.  Voyez, 
par  exemple,  ce  qu'il  en  est  de  l'astronomie.  Quand, 
par  le  calcul,  l'astronome  a  découvert  l'existence  d'un 
corps  céleste,  il  n'est  pas  aussi  sûr  de  son  résultat  que 
le  mathématicien  qui,  en  partant  de  l'axiome  que  la  ligne 
droiteest  le  plus  court  chemin  d'un  pointa  unautre,  arrive 
à  démontrer  une  propriété  d'un  triangle  :  le  mathéma- 
ticien n'a  pas  besoin  d'aller,  par  des  mensurations  sur 
un  triangle  réel,  vérifier  la  conclusion  de  son  théorème. 
L'astronome,  au  contraire,  a  recours  à  sa  lunette,  et 
cherche  à  constater  si  l'astre  découvert  par  le  calcul 
existe  bien  à  la  place  indiquée  par  ce  calcul;  il  est 
obligé  d'en  venir  à  l'observation  directe  et  de  vérifier 
ainsi  le  résultat  de  son  raisonnement. 

Donc,  dans  ce  cas,  la  déduction  n'est  pas  suffisante  : 
ce  contrôle,  emprunté  à  l'observation,  enlève  à  la  déduc- 
tion le  caractère  spécial  et  absolu  qu'elle  présente  dans 
les  sciences  mathématiques  pures.  Du  moment  que  la 
vérification  est  nécessaire,  nous  sommes  aussi  bien  en 
présence  d'une  induction  que  d'une  déduction. 

Nous  pensons  donc  que  toutes  les  fois  qu'on  peut 
procéder  en  disant  :  «  tel  principe  général  étant  vrai, 
telle  conséquence  particulière  en  résulte,  d'une  ma- 
nière absolue,  incontestable,  en  dehors  de  toute  véri- 
fication »,  dans  ces  cas  on  procède  par  déduction.  Mais 
que  du  moment  qu'on  peut  seulement  dire  :  «  si  tel 
principe  est  vrai,  telle  chose  se  produira  très-vraiseni- 


82  PHYSIOLOGIE    OPÉKATOIRE   ET    VIVISECTIONS. 

blablement  )>,  du  moment  qu'on  admet  que  l'observa- 
tion, prise  comme  moyen  de  contrôle,  pourra  donner 
une  confirmation  ou  un  démenti  à  cette  prétendue  dé- 
duction, on  procède  réellement  non  plus  par  déduction, 
mais  par  induction.  Du  moment  qu'on  est  obligé  d'ac- 
cepter l'observation  ou  l'expérience  comme  moyen  de 
vérillcation,  on  fait  de  l'induction  :  car  toute  déduction 
dubitative  ne  mérite  plus  le  nom  de  déduction,  elle 
reprend,  par  le  fait  du  contrôle  auquel  elle  est  soumise, 
le  véritable  caractère  de  l'induction. 

Il  est,  par  suite,  bien  évident  qu'en  médecine  la  phy- 
siologie est  une  science  inductive.  Mais  il  faut  être  bien 
prévenu  que,  de  toutes  les  sciences  inductives,  la  méde- 
cine est  la  plus  délicate,  la  plus  difficile,  en  raison  de 
notre  ignorance  actuelle  des  lois  des  phénomènes  des 
organismes  vivants. 

Les  astronomes,  grâce  aux  caractères  de  précision 
que  les  mathématiques  donnent  à  leurs  recherches,  font 
presque  toujours  des  hypothèses  vraies  et  que  l'obser- 
vation vient  confirmer  ;  cependant  l'expérience  pure 
est  quelquefois  appelée  à  entrer  ici  en  jeu,  car  nous 
pouvons  donner  le  nom  d'expérience  aux  analyses  spec- 
trales par  lesquelles  l'aslronomie  cherche  à  confirmer 
ses  hypothèses  sur  la  constitution  des  corps  célestes  et 
du  soleil  en  particulier. 

En  chimie,  en  physique,  des  lois  générales  ont  enfin 
été  trouvées,  et  l'on  a  assez  de  principes  et  de  véritables 
axiomes  pour  pouvoir  fiicilement  étabhr  des  hypothèses 
vraies. 

Mais  il  n'enj  est  plus  de  même  dans  l'étude  des  corps 


OBSERVATION    ET    EXPERIENCE.  33 

vivants  :  ici,  les  circonstances  particulières  sont  si  com- 
plexes, les  lois  générales  sont  encore  si  rares,  qu'il  est 
difficile  de  tenter  des  hypothèses  heureuses. 

Il  faut  donc,  avant  tout,  que  l'investigateur  soit  bien 
pénétré  de  celte  complexité  des  phénomènes  qu'il  étudie: 
il  faut  qu'il  se  metle  bien  en  garde  contre  la  tentation 
d'établir  trop  rapidement  des  principes  trop  simples;  il 
faut  qu'il  s'attende  à  recevoir  de  l'expérience  les  dé- 
mentis les  plus  complets.  Alors  même  qu'un  principe 
est  vrai  au  point  de  vue  physico-chimique,  alors  que 
son  application  à  l'organisme  vivant  paraît  chose  natu- 
rellement indiquée,  et  que  les  conclusions  qu'on  en 
déduit  concordent  avec  les  fait  réels,  il  ne  faudra  pas  se 
contenter  d'une  concordance  dont  tous  les  détails  ne 
sont  pas  vérifiés.  Il  faudra  chercher  s'il  ne  s'agirait  pas 
d'une  simple  coïncidence  ;  si,  le  principe  et  les  faits  ul- 
times étant  exacts,  il  n'y  a  pas  toute  une  série  de  faits 
mtermédiaires  qui  en  réalité  ne  sont  nullement  d'ac- 
cord avec  ceux  qu'établit  le  raisonnement.  Combien 
d'exemples  de  ce  genre  nous  sont  offerts  par  l'histoire 
de  la  physiologie  !  Galien  constate ,  contrairement  à 
Érasistrate,  que  les  artères  contiennent  non  de  l'air, 
mais  du  sang  comme  les  veines;  ce  sang  a  dû  passer  des 
veines  dans  les  artères;  donc,  dit  Galien,  la  cloison 
iuterventriculaire  du  cœur  est  perforée.  Partant  d'un 
fait  vrai,  la  présence  du  sang  dans  les  deux  ordres  de 
vaisseaux,  Galien  arrive  à  un  fait  vrai,  le  passage  du 
sang  des  veines  dans  les  artères;  mais  ce  passage  il  l'ex- 
plique par  une  hypothèse  qui,  si  bien  encadrée  d'élé- 
ments de  vérité,  lui  paraît  inutile  à  vérifier;  et  pendant 


CL.    BERNARD.  —   PHVS.    OPÉR. 


34  PHYSIOLOGIE   OPÉRVTOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

des  siècles  l'hypotlièse  est  acceptée,  jusqu'au  jour  où 
Yésale  démontre  qu'elle  ne  repose  sur  aucun  fait  ana- 
tomique;  et  dès  lors,  en  cherchant  le  véritable  méca- 
nisme de  ce  passage  du  sang,  Michel  Servet,  puis 
Harvey,  arrivent  à  l'immortelle  découverte  de  la  circu- 
lation. 

Plus  tard,  nous  voyons  Lavoisier,  après  avoir  décou- 
vert la  chimie  des  phénomènes  de  combusiion,  appli- 
(juer  sa  théorie  à  l'étude  des  organismes  vivants  et  ra- 
mener, par  une  hypothèse  hardie,  la  vie  à  une  série 
continue  d'actes  de  combustion.  Comme  conception 
générale,  cette  théorie  est  vraie,  elle  rend  bien  compte 
de  l'ensemble  et  du  résultat  définitif  des  actes  chimi- 
ques de  Têtre  vivant;  mais  combien  les  choses  sont 
moins  simples  en  réalité  quand  on  pénètre  dans  l'inti- 
mité des  actes  complexes  du  corps  vivant.  Cependant 
Dulong  etDesprelz,  séduits  par  la  conception  de  Lavoi- 
sier, mesurent  la  chaleur  que  produit  un  être  vivant 
dans  un  temps  donné,  ainsi  que  les  quantités  de  car- 
bone et  d'hydrogène  que  cet  être  rend  sous  la  forme 
d'eau  et  d'acide  carbonique  pendant  le  même  temps.  Il 
se  trouve  que  leurs  chiffres  donnent  une  équation  par- 
faite, montrant  que  la  chaleur  produite  correspond 
exactement  à  celle  qui  peut  prendre  naissance  par  la 
combustion  directe  de  l'hydrogène  et  du  carbone  exha- 
lés sous  forme  de  produits  excrémentitiels.  Pouvait-on, 
avec  la  confiance  qu'on  avait alorsdans  l'application  des 
lois  les  plus  simples  de  la  chimie  à  l'organisme  vivant, 
pouvait-on  désirer  une  plus  rigoureuse  démonstration 
de  l'hypothèse  qui  assimile  l'être  vivant  à  un  fourneau 


OBSERVATION    ET    EXPÉRIENCE.  35 

à  combustion  simple?  Et  cependant  les  chiffres  obtenus 
parDulonget  Despretz  n'étaient  siconûrmatifs  que  par  le 
fait  d'une  simple  coïncidence.  Ces  recherches  reprises 
par  Regnault  ont  montré  que  dans  l'organisme  il  n'y  a 
pas  seulement  des  combustions,  mais  qu'il  se  produit 
une  inflnité  d'autres  phénomènes  qui,  en  dehors  des 
oxydations,  sont  des  sources  de  calorique  ou  bien  s'ac- 
compagnent d'absorption  de  chaleur  :  il  y  a  les  substan- 
ces liquides  qui  passent  à  l'état  gazeux,  il  y  a  par  contre 
des  vapeurs  qui  se  condensent;  il  y  a  des  phénomènes 
d'hydratation  ;  enfin  il  y  a,  comme  nous  l'avons  démon- 
tré à  propos  de  la  formation  de  la  substance  glycogène, 
il  y  a  des  actes  véritables  de  réduction.  De  ces  phéno- 
mènes complexes  et  incomplètement  connus,  les  uns 
dégagent  du  calorique,  les  autres  en  absorbent,  et  il 
peut  se  faire  que  dégagement  et  absorption  arrivent  à 
s'équilibrer,  et  qu'en  définilive  la  quantité  de  chaleur 
dégagée  par  l'animal  pendant  un  temps  donné  se  trouve 
égale  à  la  quantité  déterminée  par  le  calcul,  en  prenant 
pour  base  le  poids  d'oxygène  absorbé  pendant  ce  temps, 
et  en  supposant  que  les  oxydations  sont  les  seules  sour- 
ces de  chaleur  de  l'organisme.  Mais  ce  ne  sera  là  qu'une 
simple  coïncidence,  qu'il  serait  fâcheux  de  regarder 
comme  démonstrative  d'une  loi  aussi  simple  que  celle 
posée  par  Dulong  et  Despretz  ;  des  coïncidences  bien 
plus  frappantes  se  produisent  parfois,  et  si,  par  la  nature 
même  des  faits,  nous  n'étions  mis  en  garde  contre  la 
tendance  de  notre  esprit  à  généraliser,  elles  nous  amè- 
neraient à  de  bien  singulières  conclusions. 
Il  en  est  de  même  des  calculs  qui  ont  fait  croire 


80  PHYSIOLOGIE   OPÉRATOIRl-    ET    VIVISECTIONS. 

((u'avec  la  simple  équation  de  l'oxygène  absorbé  et  de 
l'acide  carbonique  exhalé,  on  pouvait  se  rendre  compte 
de  la  chaleur  produite  par  un  animal  dans  un  temps 
donné.  Non-seulement,  je  vous  l'ai  dit,  les  phénomènes 
sont  bien  plus  complexes  que  ceux  d'une  combustion 
directe,  mais  même,  pour  ce  qui  est  des  combustions 
elles-mêmes,  elles  peuvent  se  produire  par  le  moyen 
d'une  provision  d'oxygèneemmagasinée  par  l'organisme, 
de  sorte  que  la  chaleur  produite  ne  correspond  plus  du 
tout  à  la  quantité  doxygène  absorbé  pendant  la  période 
même  de  cette  production.  C'est  ce  qu'on  observe  quand 
on  réveille  un  animal  hibernant,  un  loir  par  exemple: 
sa  température  monte  aussi  très-rapidement,  et  cepen- 
dant si  l'on  a  disposé  l'expérience  de  manière  à  appré- 
cier la  quantité  d'oxygène  absorbé,  on  constate  que 
l'absorption  de  ce  gaz  n'a  pas  été  en  proportion  de  ce 
rapide  réchauffement.  Mais  nous  savons  que  les  animaux 
sujets  au  sommeil  hivernal  absorbent  dans  cet  état  plus 
doxygène  qu'ils  n'en  utilisent,  c'est-à-dire  qu'ils  em- 
magasinent de  ce  gaz  dans  leurs  tissus. 

Nous  dirons  donc  que,  s'il  est  vrai  que  les  phéno- 
mènes de  la  vie  puissent,  selon  la  belle  conception  de 
Lavoisier,  être  ramenés  à  des  actes  physico-chimiques, 
c'est  par  une  exacte  analyse  expérimentale  qu'il  faut 
arriver  à  préciser  les  détails  intimes  et  les  mille  formes 
de  ces  actes,  et  ne  pas  se  laisser  séduire  par  la  simplicité 
de  quelques  formules  chimiques  qui,  pour  être  souvent 
exactes  quant  aux  résultats  généraux  qu'elles  indiquent, 
s'écartent,  par  leur  simplicité  même,  des  processus 
complexes  et  si  peu  connus  de  l'organisme  vivant. 


OBSERVATION    ET    EXPÉRIENCE.  37 

Comme  conclusion  générale,  nous  dirons  que  le  méde- 
cin, le  physiologiste,  est  à  la  fois  observateur  et  expéri- 
mentateur, ou  qu'en  tout  cas  du  moins,  en  faisant  de 
l'expérience,  il  fait  nécessairementde  l'observation.  L'ex- 
périence étant  instituée  en  vue  d'une  idée,  il  faut  en 
effet,  une  fois  l'expérience  en  train,  oublier  celte  idée  et 
redevenir  simplement  observateur.  C'est  leseul  moyen  de 
ne  pas  se  laisser  entraîner  à  forcer  l'interprétation  des 
phénomènes,  en  voulant  quand  même  trouver  la  véri- 
fication de  l'idée  directrice.  11  faut,  en  un  mol,  que  l'ex- 
périmentateur interroge  la  nature,  mais  il  faut  qu'aus- 
sitôt il  la  laisse  parler  en  redevenant  observateur.  La 
plupart  des  erreurs  viennent  de  la  tendance  à  considé- 
rer une  hypothèse  une  fois  émise  comme  une  thèse  en 
faveur  de  laquelle   il  faut   chercher  des  arguments, 
comme  une  cause  qu'il  faut  plaider  et  gagner.  Tel  in- 
vestigateur se  sent  humilié  si  l'expérience  lui  démontre 
brutalement  que  son  hypothèse  est  fausse.  L'expéri- 
mentateur doit  avoir  des  dispositions  contraires.  Il  ne 
doit  pas  s'attacher  aux  hypothèses  qu'il  a  été  amené  à 
faire;  en  ne  considérant  ces  hypothèses  que  comme  un 
moyen  et  non  un  but,  l'esprit  sera  dans  les  dispositions 
les  plus  heureuses  pour  arriver  à  la  vérité,  car  il  sera 
accessible  aussi  bien  aux  phénomènes  contraires  à  l'idée 
préconçue  et  à  ceux  qui  lui  sont  favorables.  En  négli- 
geant ce  précepte,  en  oubliant  cette  sorte  de  résigna- 
tion avec  laquelle  il  faut  écouler  les  réponses  de  l'expé- 
rience, l'investigateur  perd  les  plus  belles  occasions  de 
faire  des  découvertes,  car  il  se  rend  volontairement 
aveugle  pour  les  phénomènes  nouveaux,  imprévus. 


38         PHYSIOLOGIE  opératoire:  et  vivisections. 

C'est  en  effet  le  plus  souvent  par  le  fait  des  démentis 
donnés  par  l'expérience  à  une  hypothèse,  point  de  départ 
de  cette  expérience,  c'est  par  un  hasard  heureux  que  les 
voies  les  plus  nouvelles  ont  été  ouvertes  àl'investigation, 
quand  l'observateur,  renonçant  aussitôt  à  son  idée  pré- 
conçue, s'est  décidé  à  chercher  dans  le  sens  des  phéno- 
mènes inattendus,  au  lieu  de  chercher  à  forcer  l'inter- 
prétation de  ces  phénomènes  pour  les  plier  à  sa  théorie. 

Si  vous  me  permettez  de  prendre  un  exemple  per- 
sonnel, je  vous  rappellerai  comment  j'ai  été  amené  à  la 
découverte  des  nerfs  vaso-moteurs.  Partant  de  cette 
observation  clinique,  relativement  ancienne,  que^  dans 
les  membres  paralysés,  on  constate  tantôt  un  refroidis- 
sement et  tantôt  un  échauffement,  je  pensais  pouvoir 
expliquer  ces  observations  contradictoires  en  supposant 
que,  à  côté  du  système  nerveux  de  relation,  le  grand 
sympathique  devait  avoir  pour  fonction  de  présider 
à  la  production  de  chaleur,  c'est-à-dire  que,  dans  le 
cas  où  le  membre  paralysé  était  refroidi,  je  supposais 
qu'à  la  paralysie  des  nerfs  du  mouvement  se  joignait 
celle  du  sympathique,  tandis  que  ce  dernier  nerf  au- 
rait conservé  ses  fonctions  dans  les  membres  paralysés 
non  refroidis,  le  système  nerveux  moteur  étant  ici  seul 
atteint. 

C'était  une  hypothèse,  c'est-à-dire  une  idée  propre  à 
amener  l'institution  d'expériences  dans  lesquelles  il 
s'agissait  de  trouver  un  filet  sympathique  volumineux, 
se  rendant  à  un  organe  facile  à  observer,  et  de  couper 
ce  filet  pour  voir  ce  qui  se  produirait  dans  la  calorifica- 
tion  de  cet  organe.  Vous  savez  que  l'oreille  du  lapin  et  le 


OBSERVATION    ET    EXPÉRIENCE.  89 

filet  sympathique  cervical  de  cet  animal  nous  présen- 
taient ces  conditions  requises.  Je  coupai  donc  ce  filet  et 
aussitôt  l'expérience  donna  à  mon  hypothèse  le  plus 
éclatant  démenti:  j'avais  pensé  que  la  section  du  nerf, 
en  supprimant  la  fonction  de  nutrition,  de  calorification, 
à  laquelle  était  supposé  présider  activement  le  sympa- 
thique, amènerait  le  refroidissement  du  pavillon  de 
l'oreille,  et  je  me  trouvai  au  contraire  en  présence  d'une 
oreille  très-chaude,  avec  des  vaisseaux  très-dilatés. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  rappeler  avec  quel  empres- 
sement, abandonnant  ma  première  hypothèse,  je  me 
livrai  à  l'étude  du  nouveau  phénomène,  et  vous  savez 
que  tel  fut  le  point  de  départ  de  toutes  mes  recherches 
sur  le  système  vaso-moteur  et  thermique,  dont  l'étude 
est  devenue  l'un  des  sujets  les  plus  riches  do  la  physiolo- 
gie expérimentale.  Cet  exemple  vous  montre  que  l'hy- 
pothèse est  toujours  utile,  en  ce  que,  si  elle  n'est  pas 
confirmée  par  l'expérience,  les  faits  mêmes  qui  la  dé- 
mentent deviennent  aussitôt  le  point  de  départ  d'une 
nouvelle  ère  de  recherches. 

Je  pourrais  multiplier  les  exemples  de  ce  genre.  11 
me  suffira  de  vous  faire  remarquer  que  tous  nous  con- 
duisent à  la  môme  conclusion  générale,  à  savoir,  qu'il 
n'y  a  pas  à  distinguer  l'observation  de  l'expérience,  en 
ce  sens  que  l'expérience  ne  deviendra  fructueuse  que  si 
l'investigateur  y  apporte  le  même  état  d'esprit  et,  si 
l'on  peut  ainsi  dire,  le  même  désintéressement  que  dans 
l'observation  pure  et  simple. 


TROISIÈME  LEÇON 

Sommaire:  Qu'est-ce  qu'un  fait?  —  Distinction  du  fait  et  du  jugement 
auquel  il  donne  lieu.  —  Exemples  empruntés  à  l'histoire  de  la  physiologie 
pour  montrer  la  différence  du  fait  et  de  son  interprétation.  —  Nécessité 
d'instituer  une  critique  expérimentale.  —  Du  déterminisme.  —  De  la  mé- 
thode numérique.  —  Perfectionnements  des  procédés  d'observation.  — 
Méthode  graphique.  —  Des  conditions  ou  causes  des  phénomènes. 

Messieurs, 

Nous  sommes  arrivés  à  cette  conclusion  générale  (|ue 
l'observation  et  l'expérimentation  ne  constituaient  pas 
deux  méthodes  di.stinctes  et  séparables,  mais  un  en- 
semble de  moyens  propres  à  nous  permettre  de  recueillir 
les  fails  que  l'esprit  doit  ensuite  élaborer  ;  je  tiens  à 
bien  marquer  cet  ordre  de  succession  dans  les  opéra- 
tions de  nos  sens  et  de  notre  esprit  :  recueillir  les  faits  et 
.s'astreindre  à  ne  les  interpréter  qu'ensuite  est  la  condi- 
tion indispensable  pour  arrivera  la  vérité;  si  l'on  se 
laisse  aller  à  interpréter  les  faits  au  fur  et  à  mesure 
qu'on  les  observe,  on  s'expose  trop  souvent  à  mal  obser- 
ver, à  forcer  la  nature,  à  prendre  pour  un  fait  ce  qui 
est  une  élaboration  de  notre  esprit. 

Il  s'agit  donc  de  nous  demander  dès  maintenant  ce 
que  c'est  qu'un  fait,  question  que  peu  de  personnes  se 
poseni,  tant  ce  mot  paraît  répondre  à  une  notion  sur 
laquelle  personne  n'hésite.  Cependant  des  esprits  philo- 
sophiques éminents  ont  donné  une  importance  toute 


LE    FAIT   ET    SON    INTERPRÉTATION.  41 

particulière  à  la  définition  du  moi  fait,  et  nous  devons 
citer  en  première  li^ne  M.  Chevreul,  qui,  autrefois  dans 
ses  Lettres  à  Yillemain  (sur  la  définition  du  fait)  et  ré- 
cemment encore  dans  une  série  de  communications  à 
l'Académie  des  sciences,  s'est  attaché  à  établir  ce  qu'on 
doit  entendre  par  le  moi  fait. 

D'après  M.  Chevreul,  nous  ne  connaissons  les  choses 
que  par  leurs  qualités  :  cette  qualité  connue,  ne  fût-ce 
que  \  étendue  limitée  et  Y  impénétrabilité,  suffit  pour  nous 
donner  la  conscience  de  l'existence  des  substantifs 
propres  auxquels  elle  se  rapporte  ;  c'est  pourquoi  le 
substantif  propre  ne  dit  rien  à  l'esprit,  ne  rappelle  rien 
aux  sens,  si  on  le  dégage  de  toutes  les  qualités,  de  tous 
les  attributs  par  lesquels  il  nous  a  été  rendu  sensible  et 
par  lesquels  il  s'est  fixé  dans  l'esprit.  C'est  pourquoi, 
dit  M.  Chevreul,  ce  sont  ces  qualités  qui  constituent  le 
fait.  Et,  en  effet,  lorsque  pour  une  cause  ou  pour  une 
autre  on  perd  le  souvenir  des  choses,  lorsque  la  mé- 
moire s'en  va,  ce  sont  d'abord  les  noms  des  choses  ou 
des  personnes  qui  nous  échappent,  tandis  que  nous  con- 
servons encore  celui  de  leurs  qualités,  de  leurs  proprié- 
tés, de  leurs  attributs. 

Mais  cette  définition  du  fait  nous  amène,  en  y  réflé- 
chissant bien,  à  considérer,  avec  M.  Chevreul,  le  fait 
comme  une  pure  abstraction.  Ainsi,  lorsque  nous  disons 
d'une  personne  qu'elle  est  bonne,  nous  résumons  une 
idée  générale  résultant  des  actes  que  nous  avons  vu 
accomplir  à  cette  personne  :  tout  ce  que  nous  connais- 
sons de  ses  actions,  de  ses  projets,  nous  la  montre  bonne, 
et,  lorsque  nous  lui  donnons  cet  attribut,  nous  le  faisons 


42  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

par  une  abslraction,  une  conCeplion  générale  de  sou 
caractère.  Les  actions  de  la  personne  sont  des /«?V5  maté- 
riels^ des  faits  physigues;  la  qualité  que,  d'après  ces 
actes  matériels,  nous  attribuons  à  la  personne,  est  une 
sorlede  conception  métaph/jsiqne.  Si  l'on  veut  ajjpeler  cela 
un  fait,  il  faut  reconnaître  que  ce  prétendu  fait  existe 
plutôt  dans  notre  esprit  et  n'est  pas  une  chose  tangible, 
accessible  aux  sens  en  dehors  des  actes  particuliers, 
points  de  départ  de  notre  jugement.  Aussi  iM.  Chevreul 
n'hésite-t-il  pas  à  dire  que  le  fait  est  une  abstraction: 
f(  Les  attributs  comprenant  propriétés^  qualités,  défauts^ 
sont  des  faits,  et  ces  faits  deviennent  des  abstractions 
lorsque  l'esprit  considère  chacun  d'eux  en  particulier.  » 

Nous  ne  pouvions  chercher  à  fixer  la  signification  du 
mol  fait  sans  rappeler  la  manière  de  voir  de  M.  Che- 
vreul. Mais  nous  ne  la  discuterons  pas  ici.  Ce  serait  là 
une  étude  de  philosophie  dans  laquelle  nous  n'avons  pas 
à  entrer.  11  nous  suffira  de  rappeler  que  nous  cherchons 
à  définir  le  mot  fait  au  point  de  vue  spécial  de  nos 
recherches  physiologiques,  et  que  dès  lors  il  nous  est 
impossible  de  le  définir  une  abstraction.  Pour  nous,  c'est 
au  contraire  Y  acte  matériel,  sans  aucune  élaboration  de 
notre  esprit,  qui  est  le  fait  ;  c'est  l'acte  qui  frappe  nos 
sens.  Nous  avons  cité  tantôt  l'exemple  d'une  personne 
dont  on  dit  qu'elle  est  bonne.  Cette  qualité  de  bonté 
ne  saurait  être  pour  nous  un  fait  :  elle  exprime  un 
jugement  que  nous  portons  sur  cette  personne  d'après 
ses  actes;  ces  actes,  qui  la  font  juger  bonne,  constituent 
seuls,  nous  l'avons  dit,  les  faits  proprement  dits. 

Nous  devons  donc  bien  distinguer  \q  fait  et  le  j^ige- 


LE    FAIT    ET    SON    INTERPRÉTATION.  43 

me?itque  nous  portons  d'après  ce  ou  ces  faits  :  c'est  que 
rien  n'est  plus  facile  à  confondre,  et  que  les  esprits 
même  les  plus  éminents  prennent  souvent  pour  un  fait 
un  jugement  basé  sur  ce  fait,  mais  en  dépassant  singu- 
lièrement la  portée.  Ainsi  Map^endie,  qui  posait  en  prin- 
cipe qu'il  ne  faut  jamais  sortir  du  fait,  en  était  sorti  une 
fois  cependant  dans  une  petite  discussion  que  nous 
eûmes  au  sujet  du  liquide  pancréatique  :  il  avait  dit 
que  ce  liquide  est  albumineux ;  j'avais  avancé  le  con- 
traire, et  pour  prouver  à  mon  illustre  maître  qu'il  s'était, 
non  pas  trompé  sur  un  fait,  mais  seulement  sur  le  juge- 
ment porté  avec  ce  fait  pour  point  de  départ,  je  n'eus 
qu'à  lui  faire  remarquer  que  le  fait  observé  par  lui  se 
réduisait  à  ceci  :  le  suc  pancréatique  est  coafiulé  par  la 
chaleur.  Comme  l'albumine  est  coagulée  par  la  chaleur, 
il  en  avait  conclu  que  le  suc  pancréatique  est  albumi- 
neux. Maisl'albumine  est  encore  caractérisée pard'autres 
réactions  que  je  n'avais  pas  trouvées  dans  le  liquide 
pancréatique.  Magendie  serait  resté  dans  le  fait  vrai  en 
disant  que  le  suc  pancréatique  est  coagulé  par  la  cha- 
leur; il  était  sorti  du  fait  et  avait  porté  un  jugement 
inexact  en  en  inférant  que  ce  suc  est  albumineux. 

En  physiologie,  nous  appellerons  donc  fait  le  phéno- 
mène matériel,  acte  mécanique,  physique,  réaction 
chimique,  etc.,  et  nous  aurons  toujours  soin  de  distin- 
guer le  fait  du  jugement  que  nous  en  inférons.  Lorsque 
je  dis  que  le  sang  renferme  du  sucre,  vous  pensez 
peut-être  encore  que  j'énonce  un  fait;  il  n'en  est  rien  : 
le  fait,  c'est  que  le  sang  extrait  des  vaisseaux  a  donné, 
par  des  traitements  successifs,  un  liquide  incolore  qui  a 


44  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

précipité  la  liqueur  cupro-potassique;  le/«zV,  c'est  que 
cet  extrait  du  sang  a  fermenté  en  présence  de  la  levure 
de  bière,  c'est  qu'il  a  dévié  la  lumière  polarisée  d'un 
certain  nombre  de  degrés.  Voilà  les  faits,  et  d'après  eux 
je  forme  ce /^/^^>??^/'^  que  le  sang  contient  du  sucre; 
mais  les  foits  étant  vrais,  le  jugement  ne  sera  exact  que 
si  pendant  les  opérations  expérimentales  je  n'ai  pas 
introduit  dans  nos  produits  des  substances  capables  de 
donner  des  réactions  semblables  à  celles  du  sucre.  Si 
donc  vous  vouliez  faire  la  critique  du  jugement  que 
j'énonce  en  disant  qu'il  y  a  du  sucre  dans  le  sang,  il 
faudrait  chercher  les  éléments  de  cette  critique  dans 
chacune  des  séries  d'opérations  qui  nous  ont  amenés  à 
la  constatation  des  faits. 

Autrefois  on  discutait  en  s'opposant  des  arguments  ; 
on  paraît  aujourd'hui  discuter  le  plus  souvent  en  s'op- 
posant des  faits  ;  et  cependant,  si  vous  y  regardez  de 
bien  près,  vous  verrez  que  ce  sont  réellement  des  juge- 
ments et  non  des  faits  que  s'opposent  les  adversaires. 
L'un  dit,  par  exemple,  qu'il  a  trouvé  du  sucre  dans  le 
sang,  l'autre  qu'il  n'en  a  pas  trouvé;  mais  trouver  du 
sucre  dans  le  sang  n'est  pas  un  fait,  je  le  répète,  du 
moment  qu'on  n'isole  pas  ce  sucre  en  nature  :  c'est  un 
jugement  basé  sur  des  réactions  chimiques;  ces  réac- 
tions chimiques  ont  pu  donner  des  résultats  opposés  à 
deux  expérimentateurs  et  se  contredire  ainsi  en  ap- 
parence ;  c'est  que  tous  deux  n'auront  pas  opéré  exac- 
tement dans  les  mêmes  circonstances,  avec  des  réac- 
tifs également  purs,  etc.  Opposer  à  ce  prétendu  fait  que 
l'un  a  lrouv(';  du  sucre,  cet  autre  prétendu  fait  que  le 


LE   FAIT    ET    SON    INTERPRÉTATION.  45 

second  n'en  a  pas  trouvé  ,  c'est ,  en  se  réduisant  ;ï 
cet  énoncé,  combattre  en  l'air  avec  des  arguments 
abstraits.  Ce  qu'il  faut  dire,  dans  une  discussion  de 
ce  genre,  c'est  que  le  premier  observateur  ayant  traité 
le  sang  de  telle  ou  telle  manière,  a  ensuite  obtenu 
une  réduction  du  liquide  cupro-potassique,  et  que  le 
second,  après  avoir  opéré  dans  telles  et  telles  circon- 
stances, après  avoir  soumis  le  sang  à  telle  série  de 
réactions,  n'a  obtenu  aucune  action  sur  le  liquide 
cupro-potassique. 

Pour  montrer  la  différence  qu'il  y  a  entre  le  fait  et 
son  interprétation,  je  vous  citerai  encore  la  discussion 
qui  s'éleva  à  propos  des  mouvements  de  rotation  pro- 
duits par  la  piqûre  des  pédoncules  du  cervelet  :  Ma- 
gendie  avait  observé  une  rotation  se  faisant  du  côté 
opposé  au  côté  lésé  ;  Longet  répète  l'expérience  et  ob- 
serve que  la  rotation  a  lieu  du  côté  de  la  lésion.  Evi- 
demment ni  l'un  ni  l'autre  des  expérimentateurs  ne 
pouvait  avoir  pris  le  côté  gauche  pour  le  côté  droit  ; 
c'était  cependant  à  cela  que  se  réduisait  la  discussion 
si  l'on  s'en  tenait  au  résultat  brut  de  l'expérience,  sans 
s'inquiéter  des  conditions  différentes  dans  lesquelles 
elle  pouvait  avoir  été  faite.  Et  en  effet,  comme  Schitf 
et  moi  l'avons  démontré  en  même  temps,  le  pédoncule 
en  question  étant  large,  aucun  des  deux  expérimen- 
tateurs n'avait  fait  porter  la  lésion  sur  sa  totalité  :  Ma- 
gendie  en  lésait  les  parties  antérieures  contenant  des 
fibres  déjà  entre-croisées;  Longet  faisait  porter  ses 
sections  sur  la  moitié  postérieure  où  les  fibres  n'ont 
encore  subi  aucune  décussation  :  de  là,  mouvements 


46  PHYSIOLOGIE   OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

vers  le  côté  opposé  dans  un  cas,  vers  le  côté  même  de 
la  lésion  dans  l'autre  cas. 

Il  faut  donc,  non-seulement  bien  déterminer  les  con- 
ditions de  l'expérience,  mais  se  tixer  d'avance  sur  ces 
conditions.  Il  faut,  en  un  mot,  que  les  expériences  soient 
telles  que  l'on  n'ait  à  discuter  que  sur  leur  interpré- 
tation ;  mais  il  faut  que  le  fait  reste  toujours  immua- 
ble. En  effet,  les  expériences  ne  sont  pas  faites  pour 
servir  à  étayer  telle  ou  telle  théorie  conçue  de  toute 
pièce  ;  elles  sont  faites  pour  constituer  la  base  solide  et 
indiscutable  de  la  théorie,  qui  est  elle-même  discutable 
et  perfectible  à  l'infini;  elles  doivent  en  être  le  point 
de  départ,  et  non  un  secours  que  l'on  appelle  à  un  mo- 
ment donné  à  son  aide.  C'est  ce  que  M.  Chevreul  ex- 
primait d'une  façon  en  apparence  paradoxale,  en  disant 
qu'il  faut  faire  des  expériences  à  posteriori.  C'est  ainsi 
qu'ont  procédé  les  sciences  physiques  et  chimiques. 

La  critique  expérimentale  ne  sera  possible  qu'à  par- 
tir du  moment  où  l'on  cessera  de  confondre  les  faits  et 
leur  théorie.  Les  faits  doivent  rester  fixes  et  indiscuta- 
bles en  eux-mêmes;  leurs  interprétations  ou  leurs  ex- 
plications seront  discutables  et  susceptibles  de  changer 
tant  qu'il  y  aura  des  progrès  à  faire  en  science. 

Ce  que  nous  voulons  arrêter  ici,  ce  sont  les  condi- 
tions des  faits,  mais  non  leurs  explications. 

Le  fait  est  donc,  si  nous  pouvons  ainsi  nous  expri- 
mer, ce  pour  quoi  l'investigateur  n'a  besoin  que  de  ses 
yeux,  ou,  d'une  manière  plus  générale,  de  ses  sens  : 
les  conditions  dans  lesquelles  il  a  opéré,  les  phénomè- 
nes qui  se  sont  présentés  à  lui,  tels  sont  l«s  faits  ;  mais 


LE    FAIT    ET    SON    DÉTERMINISME.  47 

dès  qu'il  sort  de  la  relation  désintéressée  de  ces  phéno- 
mènes, dès  qu'il  cesse  de  dire,  par  exemple,  «  tel  liquide 
a  été  coagulé  par  la  chaleur  »,  pour  dire  «  ce  liquide 
est  albumineux  »,  il  n'exprime  plus  le  fait  pur  et  sim- 
ple, il  exprime  un  jugement. 

Or,  on  entend  souvent,  et  notamment  en  médecine, 
employer  les  expressions  de  fait  ordinaire^  fait  singu- 
lier, fait  exceptionnel,  rare,  commun,  etc.  Ces  expres- 
sions n'ont  pas  de  raison  d'être.  Un  fait  n'est  pas  excep- 
tionnel ,  car,  étant  données  les  circonstances  de  sa 
production,  il  doit  toujours  se  produire.  Un  fait  ne 
prend  le  caractère  étonnant,  extraordinaire,  que  parce 
que  nous  ne  connaissons  pas  les  causes  déterminantes 
de  ce  fait  et  que  ces  causes  se  trouvent  réunies  à  notre 
insu.  Un  fait  est  toujours  un  fait  pur  et  simple  ;  c'est  à 
nous  d'en  connaître  et  d'en  apprécier  les  causes,  et  alors 
sa  manifestation  nous  apparaîtra  toujours  comme  une 
chose  naturelle,  ordinaire  et  régulière;  et,  quand  nous 
aurons  déterminé  ces  conditions,  si  nous  pouvons  les 
réunir  dans  une  expérience,  nous  verrons  le  fait  se  re- 
produire d'une  manière  constante,  nécessaire,  et  nous 
aurons  peine  alors  à  comprendre  ce  qu'on  pourrait 
vouloir  encore  désigner  sous  le  nom  de  fait  singulier, 
extraordinaire,  etc.  :  un  fait  n'est  extraordinaire  que 
parce  qu'Aesi  indéterminé;  ces  deux  expressions  sont 
synonymes,  en  ce  sens  qu'elles  expriment  également 
notre  is^norance  relativement  à  la  nature  et  aux  condi- 
lions  des  faits  auxquels  on  les  applique. 

Le  tout  est  donc  d'établir  ce  que  j'ai  appelé  le  déter- 
minisme des  faits,  c'est-à-dire  l'ensemble  des  conditions 


48  PHYSIOLOGIE   OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

de  ces  faits.  Malheureusement  ce  déterminisme  est  sou- 
vent très- difficile  à  établir,  surtout  lorsque,  se  bornant 
à  la  simple  observation,  on  est,  volontairement  ou  par 
la  nature  môme  des  choses,  mis  dans  l'impossibilité  de 
changer  les  conditions  du  phénomène,  afin  de  recher- 
cher quelles  conditions  sont  étrangères  et  quelles  con- 
ditions sont  intimement  liées  à  sa  manifestation.  Dans 
ces  circonstances  on  a  eu  recours  à  une  méthode  indi- 
recte; on  a  noté  combien  de  fois  tel  fait  coïncide  avec 
telles  conditions  plus  ou  moins  complexes;  on  a  fait  de 
la  statistique.  Or  ce  n'est  pas  là  de  la  science,  c'est  de 
l'empirisme  pur  :  du  moment  qu'on  n'a  pas  ramené  le 
fait  à  ses  conditions  simples,  il  est  impossible  d'établir 
des  lois;  en  n'arrive  qu'à  des  probabilités,  on  peut  dire 
que  telle  chose  arrive  quatre  fois  sur  cinq,  qu'il  y  a, 
dans  tel  cas,  tant  de  chances  pour  que  tel  phénomène 
se  produise;  mais  ce  ne  sont  pas  là  des  bases  sur  les- 
quelles puisse  se  bâtir  une  science.  La  chimie  en  serait- 
elle  arrivée  où  elle  est  aujourd'hui,  si  les  chimistes  n'a- 
vaient pu  parvenir  à  des  généralités  plus  précises  que 
celle  qui  consisterait  à  dire  que  neuf  fois  sur  dis 
la  combinaison  de  l'oxygène  et  de  l'hydrogène  donne 
naissance  à  de  l'eau. 

En  médecine  on  fait  souvent  de  la  statistique  ;  mais 
on  n'en  fait  ou  du  moins  on  ne  devrait  absolument  en 
faire  que  quand  on  ne  peut  ])as  faire  autre  chose.  Et 
en  tout  cas  il  est  inadmissible  de  considérer  cette 
manière  de  procéder  comme  une  véritable  méthode, 
intitulée  méthode  numérique.  Sans  doute  des  esprits 
éminenls,  comme  par  exemple  le  médecin  Louis,  ont 


DU    DÉTERMINISME.  49 

prétendu  que  cette  sorte  de  méthode  était  celle  que 
devaient  essentiellement  employer  les  recherches  médi- 
cales ;  sans  doute  celte  manière  de  faire  permet  à  la 
pratique  d'arriver  à  quelques  indications  prognostiques 
probables.  Mais  qui  parle  de  sciences  expérimentales  ne 
parle  pas  de  probabilités. 

Quand  un  fait  est  bien  déterminé  dans  toutes  ses  cir- 
constances, il  devient,  si  ces  circonstances  sont  réunies, 
non  pas  probable,  mais  certain,  c'est-à-dire  qu'il  ne  se 
produit  pas  huit  ou  neuf  fois  sur  dix,  mais  exactement 
autant  de  fois  que  se  produisent  ces  circonstances  déter- 
minantes elles-mêmes,  et  cela  aussi  bien  dans  la  série 
des  faits  médicaux  et  thérapeutiques  que  dans  celle  des 
faits  physiques  ou  chimiques.  Prenez  par  exemple  l'his- 
toire de  la  gale  :  avant  que  la  nature  parasitaire  de  cette 
affection  fût  connue,  on  soumettait  les  malades  à  divers 
traitements  internes  et  externes,  et  l'on  reconnaissait  que 
tel  traitement  était  plus  ou  moins  couronné  de  succès: 
sur  trente  malades,  vingt-cinq  étaient  guéris  dans  un 
cas;  par  un  autre  procédé,  on  n'obtenait  que  vingt  gué- 
risons  sur  trente  sujets.  On  sait  aujourd'hui  que  la  gale 
est  due  à  la  présence  d'un  parasite  que  l'histoire  natu- 
relle étudie,  dont  elle  nous  trace  les  mœurs,  nous  ex- 
pliquant ainsi  plusieurs  particularités  des  symptômes  et 
du  mode  de  contagion;  nous  savons  de  même  par  quels 
agents  on  peut  détruire  ce  parasite.  Toutes  les  condi- 
tions de  la  maladie  et  de  sa  curation  étant  connues,  ce 
n'est  plus  par  une  proportion  de  cinq  sur  dix  ou  de 
vingt  sur  trente  qu'on  énonce  les  succès  du  traitement 
parasiticide  :  sur  cent  galeux  qui  entrent  à  l'hôpital 


CL.    BERNARD.   —   PHYS.    OPKR. 


50  PHYSIOLOGIE    OPËRATOIRI-:    LT    VIVISECTIONS. 

Saint-Louis,  cent  sortent  guéris  après  avoir  subi  le  trai- 
tement. 

La  médecine  peut  donc,  comme  le  montre  cet  exem- 
ple, devenir  une  véritable  science,  à  la  condition  de  dé- 
terminer exactement  tout  ce  qui  a  rapport  aux  faits 
qui  lui  sont  soumis.  Mais  ces  faits  sont  d'ordinaire  très- 
complexes  :  il  faudra  donc  les  analyser,  les  décomposer 
et  les  ramener  à  une  série  de  faits  simples,  dont  le  dé- 
terminisme pourra  être  rigoureusement  établi.  Dès  lors 
il  n'y  aura  plus  lieu  de  faire  de  la  statistique,  laquelle 
n'a  de  raison  d'être  que  par  la  nature  indéterminée  des 
faits  auxquels  on  l'applique. 

Dansées  circonstances  nous  ne  saurions,  cela  va  sans 
dire,  admettre  âes  faits  contradictoires.  C'est  là  une  ex- 
pression souvent  employée  et  qui  doit  disparaître,  du 
moins  si  l'on  voulait  lui  donner  toute  sa  rigueur,  car  un 
fait  ne  peut  pas  être  contradictoire  d'un  autre  fait  ;  cha- 
cun d'eux  existe  dans  ses  conditions  déterminées,  et 
l'affirmation  de  l'un  ne  saurait  être  la  négation  de  l'au- 
tre. La  nature  ne  se  contredit  pas;  c'est  l'observateur 
qui  se  trompe,  soit  qu'il  ne  détermine  pas  exactement 
les  conditions  du  fait,  soit  qu'il  substitue  au  fait  un  juge- 
ment qui  alors  pourra  être  en  contradiction  avec  un 
autre  jugement.  Admettre  des  faits  contradictoires,  ce 
serait  par  cela  même  nier  absolument  toute  science. 

Pour  l'étude  des  phénomènes  delà  vie,  on  a  longtemps 
pensé,  et  des  esprits  éminents  partageaient  cette  opinion 
il  n'y  a  pas  plus  d'une  vingtaine  d'années,  on  a  longtemps 
pensé  que  les  phénomènes  vitaux  n'obéissaient  pas  à  des 
lois  absolument  rigoureuses;  que  le  principe  de  la  vie 


DU   DÉTERMINISME.  51 

était  pour  ainsi  dire  capricieux  dans  ses  manifestations, 
lesquelles  auraient  pu  être  absolument  différentes  dans 
des  circonstances  identiques  :  en  un  mot,  on  faisait  de 
l'absence  de  loi  rigoureuse  la  règle  générale  de  la  vie  ; 
telle  était  la  manière  de  voir  des  vilalisles  en  général. 
11  n'en  est  pas  ainsi  :  les  phénomènes  des  corps  organi- 
sés sont  soumis  à  des  lois  aussi  bien  que  les  phénomènes 
physiques  et  chimiques.  Mais  ces  lois  sont  très-com- 
plexes; nous  ne  pouvons  arriver  à  les  saisir  qu'en  cher- 
chant à  déterminer  exactement  toutes  les  conditions  des 
phénomènes;  c'est  à  cette  recherche,  vous  le  savez,  que 
j'ai  donné  le  nom  de  déterminisme. 

Grâce  au  déterminisme.,  qui  doit  être  la  base  de  la 
physiologie  et  de  toute  science  expérimentale ,  nous 
pourrons  dire  que  tel  phénomène,  dans  telle  circon- 
stance, se  produira  toujours,  et  non  pas  trois  fois  sur 
cinq  ou  neuf  fois  sur  dix.  Un  phénomène  dont  le  dé- 
terminisme est  entièrement  établi  devient  une  chose 
immuable,  dont  on  peut  prédire  rigoureusement  l'ap- 
parition dans  tous  les  cas  où  se  trouveront  réalisées  les 
circonstances  de  sa  production  :  il  comporte  une  certi- 
tude absolue. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  l'objection  d'après  la- 
quelle on  pourrait  nous  répondre  qu'il  n'y  a  pas  de  cer- 
titude absolue;  que,  par  exemple,  parce  que  le  soleil 
s'est  levé  hier  et  aujourd'hui,  nous  ne  pouvons  pas  assu- 
rer qu'il  se  lèvera  demain.  Même  dans  ce  cas,  dira-t-on, 
cette  certitude  dépend  de  causes  déterminées,  et  nous 
pouvons  seulement  dire  que,  si  rien  n'est  changé  dans 
l'ordre  de  l'univers,  le  soleil  continuera  à  se  lever  demain 


52  PHVSIOLOGIli:    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

comme  il  s'est  levé  la  veille.  Mais  cette  certitude,  tenant 
à  des  causes  déterminées,  est  précisément  celle  que  nous 
attribuons  aux  phénomènes  des  êtres  vivants,  et  nous  ne 
saurions  aspirer  à  quelque  chose  de  plus  :  nous  nous 
contentons  de  pouvoir  dire  que,  si  rien  n'est  changé 
dans  l'économie  de  l'univers,  tel  phénomène  qui  s'est 
produit  dans  telles  circonstances  déterminées  se  repro- 
duira si  ces  circonstances  se  trouvent  de  nouveau  réali- 
sées :  telle  est  la  certitude  que  nous  donne  le  détermi- 
nisme. 

Si  donc  nous  récapitulons  l'ordre  de  mise  en  jeu  de 
nos  facultés  pour  l'acquisition  de  la  science,  nous  pou- 
vons dire  qu'à  l'aide  des  sens  nous  recueillons  et  amas- 
sons des  faits,  qu'avec  les  sens  encore  nous  reconnais- 
sons les  conditions  de  ces  faits,  mais  qu'ensuite,  par  le 
jugement,  nous  rattachons  ces  faits  à  ces  conditions 
dites  déterminantes  et  nous  en  tirons  une  notion  géné- 
rale.Ce  sontdonc  les  constatations  faites  par  nos  sens  qui 
sont  la  source  première  de  nos  connaissances,  et  l'obser- 
vation simple  ou  expérimentale  est  d'autant  plus  rigou- 
reuse, que  nous  avons  simplement  recueilli  les  impres- 
sions faites  sur  nos  sens,  et  non  cherché  à  voir  ce  que 
des  jugements  antérieurs,  des  hypothèses  préconçues, 
nous  présentaient  comme  plus  ou  moins  vraisem- 
blable. 

Pour  réaliser  celte  observation  désintéressée  et  ce- 
pendant précise,  que  nous  considérons  comme  la  con- 
dition essentielle  de  toute  étude  vraiment  scientifique, 
l'idéal  consisterait  à  substituer  à  nos  sens  eux-mêmes  des 
modes  de  constatation  pour  ainsi  dire  automatiques, 


DU    DÉTERMINISMIi.  53 

grâce  auxquels  les  phénomènes  traduiraient  d'eux- 
mênies  leurs  manifestations. 

Quelques  procédés  d'investigation  réalisent  déjà  ce 
desideratum;  nous  avons  la  méthode  graphique,  mise  en 
usage  aussi  bien  pour  les  recherches  de  physiologie  que 
pour  celles  de  physique  ;  nous  avons  de  même  la  photo- 
graphie. 

Pour  vous  montrer  combien  ces  procédés  de  consta- 
tation suppléent  avec  avantage  à  la  simple  observation 
à  l'aide  des  sens,  il  me  suffira  de  vous  citer  l'exemple 
suivant  qui  s''est  produit  lors  d'une  discussion  à  l'Aca- 
démie des  sciences  sur  la  constitution  des  comètes. 
On  avait  pris  des  photographies  de  comètes,  lorsque, 
quelque  temps  après,  la  discussion  sur  ces  astres  étant 
revenue  à  l'ordre  du  jour,  on  fut  amené  à  émettre  sur 
leur  constitution  des  vues  nouvelles,  lesquelles  deman- 
daient, comme  vérification,  des  constatations  que  l'on 
n'avait  pas  songé  à  faire  antérieurement.  Mais  si 
l'observateur,  dont  l'attention  n'était  pas  éveillée  sur 
ces  points  nouveaux,  n'avait  pas  songé  à  faire  cette 
constatation,  la  photographie,  qui  reproduit  indifférem- 
ment ce  qui  est  recherché  et  ce  qui  n'attire  que  médio- 
crement l'attention,  la  photographie  devait  avoir  repro- 
duit les  détails  demandés  s'ils  existaient  réellement;  on 
pensa  donc  à  recourir  aux  photographies  prises  précé- 
demment, et  l'on  y  constata  en  effet  les  aspects  dont  la 
nouvelle  hypothèse  rendait  la  recherche  nécessaire  :  la 
photographie,  substituée  ici  à  l'observation  simple,  avait 
donné  à  la  fois  plus  et  mieux  que  cette  observation. 

Aujourd'hui,  des  procédés  semblables  ou  analogues 


54  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

ont  pris  largement  place  dans  la  méthode  expéiimen- 
tale.  En  rectifiant,  en  fixant  ainsi  les  impressions  de 
nos  sens,  nous  parvenons  plus  rigoureusement  à  éviter 
les  nombreuses  causes  d'erreur  dans  des  observations 
aussi  complexes  que  celles  qui  s'adressent  aux  phéno- 
mènes de  la  vie.  Il  nous  est  ainsi  possible  de  constater 
les  faits  et  leurs  conditions  et  de  rattacher  les  uns  aux 
autres. 

Conditions  ou  causes  des  phénomènes  sont  pour  nous 
des  expressions  à  peu  près  synonymes  ;  nous  savons 
bien  que,  comme  le  disent  les  philosophes,  nous  n'arri- 
vons pas  réellement  à  reconnaître  les  causes  premières, 
absolues,  des  phénomènes,  c'est-à-dire  leur  essence  in- 
time ;  nous  ne  pouvons  remonter  si  haut,  et  il  doit  nous 
suffire  d'arriver  aux  causes  immédiates,  c'est-à-dire  aux 
conditions  matérielles  de  l'existence  des  phénomènes  : 
c'est  pourquoi  nous  ne  parlons  jamais  que  de  ces 
causes  secondes  que  nous  désignons  généralement  sous 
le  nom  de  conditions  déterminantes . 

Même  dans  la  détermination  de  ces  conditions,  il 
s'en  faut  de  beaucoup  que  la  science  des  organismes 
vivants  soit  arrivée  aujourd'hui  à  des  acquisitions  qui 
lui  permettent  de  se  considérer  comme  constituée  ;  mais 
les  progrès  qu'elle  a  accomplis  sur  quelques  points  par- 
ticuliers permettent  de  préjuger  ce  qu'elle  deviendra 
dans  l'avenir.  Gomme  science,  surtout  comme  science 
active  appelée  à  connaître  les  phénomènes,  à  les  arrêter 
ou  à  les  reproduire  volontairement,  la  physiologie,  si 
elle  sait  se  défendre  des  vaines  spéculations  sur  les 
causes  premières  et  concentrer  ses  efforts  sur  un  déter- 


UU    DÉTERMINISME.  55 

minisme  précis  et  fécond,  la  physiologie,  tout  en  se 
reconnaissant  loin  encore  du  but  k  atteindre,  est  dès 
maintenant  en  droit  d'afficher  hautement  sa  confiance 
dans  les  conquêtes  de  l'avenir  :  par  la  méthode  expéri- 
mentale elle  établira  la  matérialité  des  phénomènes; 
elle  analysera  les  éléments  de  cette  matérialité,  et  de- 
viendra ainsi  maîtresse  des  phénomènes  eux-mêmes, 
car,  libre  de  favoriser  ou  d'empêcher  la  réunion  des 
causes  déterminantes  matérielles,  elle  sera  par  cela 
même  en  état  de  provoquer  ou  d'arrêter  la  manifesta- 
tion de  ces  phénomènes  ou  actes  matériels. 


QUATRIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  La  nosologie  aux  temps  anciens.  —  Union  actuelle  de  la  médecine 
et  de  la  physiologie  expérinieiilale.  —  Cette  union  intime  est  déjà  indi- 
quée dans  le  frontispice  du  livre  de  Régnier  de  Graaf.  —  Des  emprunts 
que  la  physiologie  doit  faire  à  la  physique  et  à  la  chimie.  —  Des  labora- 
toires de  physiologie  expérimentale.  —  Histoire  des  laboratoires.  —  Des 
vivisections.  —  Histoire  des  vivisections.  —  Choix  des  animaux  sur  les- 
quels portent  L^s  vivisections.  —  Los  résultats  des  vivisections  pratiquées 
sur  les  animaux  sont  applicables  à  la  piiysiologie  de  l'homme.  —  Dans 
quelles  limites  peuvent  se  faire  ces  applications. —  Réfutation  des  attaques 
dont  les  vivisections  ont  été  l'objet. 

Messieurs, 

La  médecine,  au  temps  d'Hippocrate  et  bien  long- 
temps après  hii^  se  réduisait  à  la  recherche  d'un  pro- 
nostic plus  ou  moins  net  :  tel  symptôme,  dans  telle 
affection,  est  le  présage  d'une  fin  prochaine  ou  l'augure 
d'une  amélioration  probable  ;  telle  était  la  formule 
générale  qui  semblait  comme  le  but  suprême  de  la  mé- 
decine. On  comprend  que,  dans  ces  conditions,  les 
médecins  avaient  cru  pouvoir  .se  borner  à  l'observation 
pure  et  simple,  par  laquelle  ils  pouvaient  acquérir  cette 
habitude  et  ce  tact  particulier  nécessaires  pour  poser  un 
pronostic.  On  comprend  aussi  que  cette  manière  de 
voir  a  fait  prendre  aux  études  médicales  une  tournure 
spéciale,  bien  différente  des  tendances  actuelles,  c'est- 
à-dire  qu'on  en  était  arrivé,  en  définitive,  à  étudier  les 
maladies  comme  des  objets  d'histoire  naturelle,  que 
l'on  classe  et  dont  on  établit  la  nomenclature;  la  tioso- 
logie  n'était  autre  chose  que  cette  mise  en  série  des  types 


DE    LA   MÉDECINE    EXPÉRIMENTALE.  57 

morbides  considérés  comme  des  entités,  et  naguère 
Pinel  déflnissait  ainsi  la  médecine  :  une  maladie  étant 
donnée,  trouver  sa  place  dans  le  cadre  nosologique. 

Ces  études  nosologiques  sont,  pensons-nous,  desti- 
nées à  disparaître,,  parce  que,  ainsi  que  je  vous  l'ai  dit, 
elles  sont  basées  sur  cette  croyance  erronée  d'une  dis- 
tinction absolue  entre  les  phénomènes  de  l'homme  sain 
et  ceux  de  l'homme  malade.  Or,  du  moment  que  nous 
arrivons  à  établir  que  les  états  morbides  ne  sont  qu'une 
forme  dérivée,  qu'un  état  troublé  des  fonctions  nor- 
males, la  classification  nosologique  doit  disparaître  et 
être  remplacée  par  la  nomenclature  physiologique  des 
fonctions  étudiées  à  leur  état  normal  et  dans  leurs  formes 
pathologiques.  C'est  ainsi  que  le  diabète  ne  saurait 
représenter  une  entité  nosologique,  pas  plus  qu'il  ne 
saurait  figurer  dans  les  affections  de  l'appareil  urinaire. 
La  physiologie  nous  révèle  l'existence  d'une  fonction 
glycogénique  normale,  formant  l'une  des  phases  des 
actes  complexes  de  la  nutrition  ;  le  diabète  est  un 
trouble  de  cette  fonction;  c'est,  dans  sa  forme  la  plus 
simple,  une  exagération  de  la  glycogénèse  normale  ; 
mais  comme  les  actes  de  nutrition  sont  encore  impar- 
faitement connus,  ce  trouble  morbide  ne  saurait  être 
encore  parfaitement  expliqué  dans  toutes  ses  formes  : 
la  théorie  pathologique  va  aussi  loin  et  s'arrête  là  oii 
s'arrête  la  théorie  physiologique. 

Si  l'on  nous  objecte  qu'il  est  bien  des  maladies  qu'on 
ne  peut  ramener  à  des  phénomènes  physiologiques, 
comme  la  rougeole,  la  variole,  etc.,  nous  répondrons 
que  cette  objection  est  une  erreur  de  fait,  en  ce  qu'elle 


58  PHYSIOLOGll:;    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

ne  tient  pas  compte  de  l'état  actuel  de  la  physiologie; 
on  raisonne  comme  si  la  physiologie  était  une  science 
faile,  achevée,  tandis  qu'elle  n'est  encore  qu'à  ses 
débuts.  De  ce  qu'un  grand  nombre  de  maladies  parais- 
sent aujourd'hui  ne  présenter  aucun  lien  avec  les  phé- 
nomènes que  nous  a  révélés  l'analyse  physiologique 
expérimentale,  et  semblent  par  cela  même  constituer  ce 
qu'on  a  appelé  des  entités  nosologiques,  ce  n'est  pas  à 
dire  que  ces  prétendues  entités  ne  viendront  pas  se 
fondre  un  jour  avec  les  phénomènes  physiologiques  ; 
mais  il  faut  pour  cela  que  ces  derniers  soient  plus  com- 
plètement connus  et  interprétés.  Certes,  nous  ne  sommes 
pas  encore  assez  avancés  dans  cette  étude  pour  espérer 
d'en  faire  dès  maintenant  jaillir  une  lumière  propre  à 
convaincre  les  nosologistes  les  plus  ardents  ;  bien  des 
médecins  se  succéderont  encore  avec  l'idée  de  l'entité 
nosologique,  comme  Priestley  est  mort  croyant  encore 
Si\\phlof/is tique,  alors  queLavoisier  avait  démontré  que 
la  combustion  se  fait  simplement  par  l'oxygène  de  l'air. 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'union  intime  de  la  physiologie 
expérimentale  et  delà  médecine,  aujourd'hui  générale- 
ment reconnue,  avait  déjà  été  très-nettement  entrevue 
par  quelques  esprits  éminents  des  siècles  passés.  Galien 
n'avail-il  pas  fait  des  vivisections  sur  le  singe  et  sur  di- 
vers animaux  ?  Régnier  de  Graaf,  dans  le  frontispice  de 
son  Traité  sur  le  suc  pancréatique  (1),  n'a-t-il  pas  eu  soin 
de  marquer,  d'une  manière  pour  ainsi  dire  symbolique, 
les  rapports  de  l'anatomie,  de  la  physiologie  expérimen- 
tale et  de  la  médecine?  On  voit  en  effet,  dans  cette 

(1)  Régnier  de  Graaf, De  succipancreaticinatura  et  usu.  Lugduni-Balavoruni, 
1671,in-12. 


DE    LA   MÉDECINE   EXPÉRIMENTALE  59 

première  page  de  son  livre  (fig.  1),  une  salle  où  sont 


PiG.  1.  —  Frontispice  du  livre  de  Régnier  de  Graaf. 

réunis  des  sujets  en  expérience  pour  les  vivisections,  un 


60  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

chien  avec  une  fistule,  des  oiseaux,  des  poissons,  et  au 
milieu  de  laquelle  est  une  table  où  se  pratiquent  des  dissec- 
tions, en  même  temps  que  au  fond  on  aperçoit  une  salle  de 
malades.  Régnier  de  Graafindiquaitainsique,  des  recher- 
ches expérimentales  entreprises  dans  le  laboratoire  de 
vivisection,  résultent  les  notions  scientifiques,  lesquelles 
trouvent  ensuite  leurs  applications  dans  la  pratique  cli- 
nique. Mais,  il  faut  le  reconnaître,  ces  tentatives  pour 
adjoindre  l'expérimentation  à  la  pratique  médicale,  ces 
tentatives  sont  raresà  cette  époque  et  sont  comme  le  fait 
d'esprits  en  avance  sur  leur  siècle.  Dans  les  intervalles 
de  ces  tentatives  isolées,  la  grande  masse  des  médecins 
trouvait  plus]simple  de  recourir  à  des  théories,  à  des  sys- 
tèmes construits  de  toute  pièce,  et  il  se  prodnisait  alors 
une  éclipse  totale  de  toute  tentative  expérimentale. 

C'est  seulement  depuis  le  commencement  de  ce  siècle 
que  l'expérimentation  a  été  introduite  en  médecine 
d'une  manière  définitive,  telle  qu'il  n'y  aura  plus,  on 
peut  l'affirmer,  d'interruption  dans  la  marche  de  ces 
études  expérimentales,  telle,  en  un  mot,  qu'il  ne  se  pro- 
duira plus  de  systèmes  comme  ceux  qui  ont  passionné 
un  certain  temps  nos  pères,  pour  se  perdre  ensuite  dans 
un  rapide  oubli.  L'honneur  d'avoir  définitivement  intro- 
duit la  méthode  expérimentale  en  médecine  revient  à 
Magendie.  Mais  il  faut  dire  que  cet  illustre  maître  reçut 
l'impulsion  de  Laplace  et  de  Lavoisier,  et  qu'il  a  trouvé 
le  terrain  heureusement  préparé,  en  ce  sens  que  les 
sciences  physiques  et  chimiques  étaient  parvenues, 
lorsqu'il  est  lui-même  apparu,  au  degré  de  développe- 
ment qui  rendait  la  physiologie  expérimentale  possible. 


DE   LA   MÉDECINE   EXPÉRIMENTALE.  61 

Il  est  eu  effet  évident  qu'alors  que  les  lois  physiques  et 
chimiques  étaient  encore  perdues  dans  un  chaos  de  faits 
indéterminés,  il  était  impossible  d'entreprendre  avec 
succès  l'analyse  des  phénomènes  de  la  vie,  d'une  part 
parce  que  ces  phénomènes  relèvent  des  lois  de  la  chi- 
mie et  de  la  physique,  et  d'autre  part  parce  que  leur 
étude  ne  peut  être  faite  sans  les  appareils,  les  instru- 
ments et,  en  un  mot,  tous  les  moyens  d'analyse  dont 
nous  sommes  redevables  aux  laboratoires  des  chimistes 
et  des  physiciens. 

Nous  devons  en  effet,  permettez-moi  d'insister  en 
passant  sur  ce  point,  nous  devons  beaucoup  emprunter 
à  la  physique  et  à  la  chimie,  et  le  physiologiste  doit,  pour 
ainsi  dire,  combiner  en  lui-même  toutes  les  sciences 
nécessaires  pour  lui  permettre  d'apprécier  complète- 
ment la  valeur  des  faits  qu'il  observe.  Mais,  dira-t-on, 
il  y  aurait  bien  peu  de  physiologistes  si,  pour  mériter 
ce  titre,  il  fallait  posséder  toutes  les  branches  de  la 
science  humaine.  Cela  est  incontestablement  vrai  !  Mais 
nous  avons,  dans  chaque  cas  particulier,  la  ressource 
de  recourir  à  l'aide  d'un  spécialiste.  C'est  de  cette  manière 
que  nous  arrivons  à  constituer  un  jury  complet  pour 
l'appréciation  des  faits.  Seulement  il  ne  faut  jamais 
oublier  que,  lorsque  deux  observateurs  appartenant  à 
deux  déparlements  différents  de  la  science  se  réunissent 
pour  pratiquer  une  expérience,  souvent  les  rôles  res- 
pectifs sont  renversés,  ce  qui  ftiit  dévier  leurs  travaux 
de  leur  objet  primitif.  Il  est,  par  suite,  nécessaire  que, 
dans  toute  expérience  exécutée  sur  les  animaux  vivants, 
le  physiologiste  se  constitue  le  maître  absolu.  C'est  à  lui 


6^  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

seul  qu'il  appartient  de  déterniiner  les  conditions  de 
l'expérience. 

Nous  disions  donc  qu'aujourd'hui  la  physique  et  la 
chimie,  ces  sciences  auxquelles  nous  devons  tant  em- 
prunter, sont  en  état  de  nous  fournir  des  moyens 
d'étude  :  il  n'est  donc  plus  permis  à  la  médecine  de  s'en 
tenir,  comme  autrefois,  à  la  clinique  seule  ;  les  expé- 
riences au  laboratoire  doivent  occuper  autant  de  place 
que  les  observations  au  lit  du  malade. 

Cette  nécessité  est  si  bien  sentie,  que  chaque  clinique 
s'adjoint  aujourd'hui,  dans  nos  grands  hôpitaux,  un 
laboratoire,  où  non-seulement  on  procède  aux  analyses 
chimiques  et  autres  compléments  nécessaires  de  l'obser- 
vation du  malade,  mais  où  l'on  étend  encore  cette 
observation  en  provoquant  des  troubles  morbides  sur 
(les  animaux  en  expérience.  Ces  laboratoires,  adjoints 
aux  cliniques,  ne  sauraient  être  l'expression  entière  des 
tendances  actuelles  ;  le  laboratoire  d'expérience,  source 
de  nos  connaissances  théoriques,  doit  avoir  par  cela 
même  son  existence  propre,  son  indépendance;  et  c'est 
ainsi  que  vous  voyez,  comme  ici,  au  Collège  de  France, 
le  laboratoire  de  médecine  expérimentale  fonctionner 
isolément,  c'est-à-dire  en  dehors  de  toute  attache 
clinique,  prenant  pour  point  de  départ  à  ses  recherches 
médicales  non  les  faits  observés  sur  le  malade,  mais 
bien  l'étude  des  phénomènes  physiologiques  dont  les 
faits  pathologiques  sont  des  formes  dérivées. 

Que  doit  donc  être  un  laboratoire  de  physiologie? 
quel  est  son  but?  quels  sont  ses  moyens? 

Certes,  en  regardant  vers  le  passé,  quelques  personnes 


DE    LA    MÉDECINE    EXPÉRIMENTALE.  63 

ont  pu  dire  qu'en  général  les  laboratoires  ne  sont  pas 
indispensables,  que  Lavoisier  a  fait  ses  immortelles 
découvertes  sans  avoir  de  laboratoire,  que  le  labora- 
toire ne  donne  pas  le  génie  des  découvertes,  et  que 
celui  qui  sait  chercher  trouvera  sans  disposer  d'une 
installation  spéciale;  sans  doute,  mais  avec  quelles 
difficultés,  avec  quelles  pertes  de  temps  !  Or,  il  faut 
que  la  science  marche  le  plus  vite  possible;  il  faut 
que,  une  expérience  étant  conçue,  nous  puissions 
la  réaliser  rapidement.  C'est  à  cela  que  sert  le  labora- 
toire, en  nous  mettant  sous  la  main  et  les  sujets  et  les 
conditions  expérimentales  nécessaires;  il  facilite  aux 
jeunes  l'entrée  dans  la  voie  expérimentale  :  il  permet 
aux  maîtres  de  marcher  plus  rapidement  et  plus  vite 
dans  cette  voie  ;  il  ne  donne  pas  le  génie,  mais  il  en 
facilite  singulièrement  les  manifestations. 

Autrefois,  et  je  parle  seulement  d'une  trentaine 
d'années,  lorsque  l'idée  d'une  expérience  était  conçue, 
il  fallait  en  attendre  parfois  bien  longtemps  la  réali- 
sation ;  nous  n'avions  ni  locaux,  niappareils,  ni  animaux 
à  notre  disposition  ;  il  fallait  un  heureux  hasard  et  une 
grande  ténacité  pour  arriver  à  réunir  les  conditions 
nécessaires  à  une  tentative  expérimentale.  On  expéri- 
mentait dans  sa  chambre,  sur  un  animal  conquis  par 
surprise,  sans  aide  et  presque  sans  instruments.  Quand, 
en  1830,  Magendie  fut  nommé  au  Collège  de  France,  il 
n'obtint  pour  faire  ses  vivisections  qu'une  toute  petite 
salle,  ou  plutôt  une  sorte  de  petit  cabinet,  où  nous 
pouvions  à  peine  nous  tenir  à  deux  ;  c'est  là  cependant, 
et  aux  prix  des  plus  patients  efforts,  que  se  sont  faites 


64  PHYSIOLOGIE   OPIiRATOiRE    ET    VIVISECTIONS. 

ses  plus  immortelles  recherches,  car  c'est  seulement 
dix  ans  plus  tard,  en  1840,  qu'il  obtint  un  véritable 
laboratoire,  celui  où  nous  sommes  aujourd'hui. 

En  comparaison  de  la  première  installation  de 
Magendie,  notre  laboratoire  d'aujourd'hui  est  une  chose 
splendide,  et  cependant  les  étrangers  qui  viennent  nous 
y  visiter  ne  peuvent  cacher  leur  étonnement  à  la  vue 
de  son  exiguïté,  de  sa  pauvreté,  de  ses  faibles  ressources. 
C'est  que  le  signal  donné  par  Magendie  fut  bientôt  suivi 
de  tous  côtés.  Le  laboratoire  du  Collège  de  France  fut, 
dans  le  monde  entier,  le  premier  laboratoire  de  physio- 
logie et  de  médecine  expérimentales;  mais,  depuis  lors, 
on  a  fondé  de  nombreux  laboratoires  à  l'étranger,  et 
ces  installations  ont  grandement  dépassé,  par  leur 
munificence,  surtout  en  Allemagne,  la  nôtre  demeurée 
en  partie  à  son  état  de  simplicité  primitive.  Quoi  qu'il 
en  soit  de  ces  installations  plus  ou  moins  parfaites,  elles 
nous  montrent  toutes  qu'on  reconnaît  aujourd'hui  la 
nécessité  de  lire  directement  dans  le  grand  livre  de  la 
nature,  et  de  ne  plus  se  contenter,  comme  on  l'a  fait 
pendant  tant  de  siècles,  de  commenter  les  anciens 
écrits.  Pour  pénétrer  dans  les  phénomènes  de  la  nature, 
on  a  dû  s'outiller  autrement  qu'autrefois,  on  a  dû  s'en- 
tourer de  tous  les  moyens  qui  viennent  à  l'aide  de  nos 
sens  et  qui  économisent  le  temps;  ce  besoin  d'établir, 
si  je  puis  ainsi  dire,  la  bonne  administration  scientifique 
de  l'emploi  de  nos  facultés,  a  présidé  à  la  création  et  à 
l'installation  des  laboratoires. 

Cela  étant  donné,  quelles  dispositions  doit  présenter 
un  laboratoire?  Je  vous  l'ai  dit,  c'est  celui  du  Collège 


DES    LABORATOIRES.  65 

de  France  qui  a  été  le  premier  créé  ;  c'est  lui  qui  a 
d'abord  servi,  sinon  de  modèle,  au  moins  d'exemple 
pour  les  créations  faites  à  l'étranger  ;  mais  aujourd'hui 
notre  laboratoire,  vu  son  exiguïté,  ne  saurait  plus  être 
présenté  comme  type.  Ces  modèles,  il  faut  aller  les 
chercher  dans  les  pays  où  des  installations  de  ce  genre 
ont  été  faites  sur  le  pied  le  plus  large  et  avec  une  véri- 
table munificence  ;  il  faut  les  chercher  en  Allemagne, 
et  notamment  à  Leipzig  (laboratoire  de  Ludwig),  à 
Pesth  en  Hongrie  ,  à  Leyde  en  Hollande  ,  en 
Suisse,  etc.,  etc.  Là  tout  est  disposé  pour  que  l'expé- 
rimentateur trouve  sous  sa  main  tout  ce  qui  est  néces- 
saire, animaux,  appareils  physiques  et  chimiques,  forces 
motrices,  etc.,  etc.  A  l'époque  oii  nous  faisions  des 
recherches  sur  le  sang,  et  qu'il  nous  fallait  absolument 
mettre  à  profit  certaines  propriétés  du  sang  du  cheval, 
nous  étions  forcés  de  nous  transporter  à  du  grandes 
distances  pour  aller  chez  les  équarrisseurs,  dans  les 
abattoirs,  nous  procurer  les  matériaux  nécessaires  aux 
recherches. 

Je  ne  cite  là  qu'un  exemple;  il  en  est  mille 
autres  propres  à  vous  montrer  comment  on  peut 
être  réduit,  pour  courir  pour  ainsi  dire  après  les 
sujets  d'expérience,  à  perdre  des  journées  entières, 
heureux  encore  si  ces  longues  dépenses  de  temps 
donnent  un  véritable  résultat.  Ce  sont  ces  perles  inutiles 
qu'un  laboratoire  doit  éviter;  aussi  le  laboratoire  de 
Pesth,  que  je  vous  citais  comme  exemple,  possède-t-il 
comme  annexe  des  écuries,  des  basses-cours,  de  véri- 
tables parcs,  où  Ton  nourrit,  entrelient  et  même  élève 

CI..    CER.NAKD.  —    l'HYS.    OPKR.  5 


C)6  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

les  différents  animaux  sur  lesquels  doivent  porter  les 
vivisections. 

Mais  si  nos  ressources  ne  nous  permettent  pas  pour  le 
moment  de  songer  k  des  installations  semblables,  nous 
devons  du  moins  nous  efforcer,  même  avec  un  étroit 
local,  de  satisfaire  aux  bonnes  conditions  instrumen- 
tales de  nos  recherches.  Pour  cela,  il  faut  que  chaque 
ordre  de  recherches  ait  sa  place  consacrée  à  cet  effet, 
avec  disposition  toujours  toute  prête  des  appareils  à  ce 
destinés  :  ici  les  microscopes;  là  les  appareils  de  phy- 
sique, polarimètre,  densimètre,  etc.,  etc.  ;  ici  les  piles 
et  tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'électricité,  etc.,  etc. 
Il  faut  qu'en  un  mot  Texpérimentateur,  en  entrant 
dans  le  laboratoire  avec  l'idée  dune  expérience,  trouve 
aussitôt  sous  la  main  tout  ce  qu'il  faut  pour  la  réa- 
liser et  pour  en  analyser  tous  les  éléments  avec  les 
appareils  physiques  aussi  bien  qu'avec  les  procédés 
chimiques. 

Je  n'insisterai  pas  davantage  sur  cette  question,  qui 
recevra  un  complément  de  développement  lorsque  je 
vous  exposerai  la  méthode  à  suivre  pour  faire  les  autop- 
sies des  animaux  mis  en  expérience.  Parlons  maintenant 
de  ces  animaux  eux-mêmes. 

Notre  but  spécial,  ainsi  que  l'indique  du  reste  le 
titre  de  ce  cours,  c'est  l'étude  des  vivisections,  étude  qui 
nous  présentera  un  champ  très-étendu  pour  établir  les 
règles  de  l'expérimentation  rationnelle,  car,  outre 
l'exactitude  et  la  méthode  qu'il  faut  apporter  aux  expé- 
riences en  général,  il  y  a  encore  des  conditions  particu- 
lières dexactitude  k  remplir  quand  on  opère  sur  les 


LABORATOIRES    ET    VIVISECTIONS.  67 

corps  vivants,  qui,  vu  leurs  métamorphoses,  leurs  chan- 
gements incessants,  nous  forcent  à  redoubler  de  mé- 
thode; il  faut  que  nous  cherchions  à  fixer  momenta- 
nément l'instabilité  des  phénomènes  qu'ils  présentent, 
afin  de  les  étudier  toujours  dans  les  mêmes  circonstances. 

Tel  est  le  but  des  vivisections  entreprises  d'une 
manière  rationnelle.  Galien  faisait  déjà  des  dissections 
sur  des  animaux  vivants^  et  des  expériences  plus  ou 
moins  systématiques  pour  démontrer  devant  le  public 
les  propositions  qu'il  avait  avancées.  C'est  ainsi  qu'il 
a  expérimenté  sur  la  moelle  épinière,  sur  les  nerfs 
laryngés  ;  il  avait  même  observé  les  phénomènes  qui  se 
rapportent  à  la  blessure  du  fameux  nœud  imitai  de 
Flourens  ;  il  savait  que  c'est  ainsi  que  le  taureau  est 
foudroyé,  mais  il  attribuait  cette  mort  subite  à  la  lésion 
de  la  dure-mère,  à  laquelle  il  accordait  un  rôle  immense 
dans  les  fonctions  de  l'organisme. 

Déjà  du  temps  de  Galien  on  s'inquiétait  des  meilleures 
conditions  pour  faire  de  bonnes  expériences.  La  grande 
question  était  alors  et  a  été  longtemps  encore  de  savoirs'il 
faut  opérer  sur  les  animaux  les  plus  voisins  de  l'homme; 
c'est  ce  que  pensait  Galien ,  et  c'était  là  à  ses  yeux  la  con- 
dition nécessaire  pour  rendre  applicable  à  la  médecine 
le  résultat  de  ses  vivisections.  Aussi  quelques  expérimen- 
tateurs ont-ils,  du  temps  des  Plolémées,  porté  leurs 
vivisections  jusque  sur  des  condamnés.  Galien  se  con- 
tentait d'agir  sur  des  singes,  et  même,  par  la  suite, 
révolté  par  la  ressemblance  douloureuse  des  gestes  du 
singe  et  de  l'homme  qui  se  débat,  il  se  contenta  d'agir 
sur  des  animaux  qui,  sans  présenter  aucune  ressem- 


()8  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

blance  extérieure  avec  riioinine,  offrent  cependant  la 
plus  grande  conforniilé  d'organisation  intérieure;  il  agit 
sur  des  porcs,  et  particulièrement  sur  de  jeunes  porcs. 
Comme  l'homme  estomnivore,Vésale.  de  son  côté,  avait 
cru  devoir  choisir  un  animal  également  omnivore,  et  c'est 
pourquoi  il  expérimentait  sur  le  porc.  Dans  les  temps 
modernes.  Ch.  Bell  a  pratiqué  de  nombreuses  vivisec- 
tions sur  les  singes. 

Beaucoup  de  médecins  penseraient  encore  volontiers 
qu'il  faut,  pour  obtenir  des  résultats  utilisables,  agir  sur 
des  animaux  très-voisins  de  l'homme.  C'est  là  une 
erreur.  Sans  doute  cette  reclierche  serait  nécessaire  s'il 
s'agissait  d'expériences  ayant  pour  objet  des  applications 
chirurgicales  ou  médicales  directes  ;  mais  il  s'agit  de 
lois  générales,  de  phénomènes  largement  compris,  et 
dans  ce  cas,  non-seulement  la  recherche  d'animaux 
voisins  de  l'homme  n'est  pas  utile,  mais  on  peut  dire 
que  l'homme  lui-même  serait  moins  avantageux  la 
plupart  du  temps  que  des  animaux  qui  en  sont  très- 
éloignés.  L'oreille  du  lapin  est  mille  fois  plus  avanta- 
geuse que  ne  le  serait  l'oreille  de  l'homme  pour  étudier 
les  phénomènes  de  l'imiervation  vaso-motrice.  Sous  le 
rapport  des  lois  générales  de  la  physiologie,  la  grenouille 
a  rendu  bien  plus  de  services  que  n'aurait  pu  jamais  le 
faire  l'homme  lui-même. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  la  recherche  du  singe  soit 
entièrement  inutile  pour  certains  cas  particuliers;  nous 
avons  déjà  rappelé  l'exemple  de  Ch.  Bell  qui  s'en  servit 
pour  étudier  l'innervation  de  la  face,  mais  ces  cas  sont 
rares  ;  lanimal  lui-même  n'est  pas  facile  à  se  procurer  ; 


DES   VIVISECTIONS.  69 

ses  mains,  ses  gestes,  ses  regards  douloureux  inspirent 
toujours  une  certaine  répugnance  à  le  torturer. 

Nous  nous  servons  donc  en  général  des  animaux 
domestiques  les  plus  communs  qui  nous  entourent  :  à  ce 
point  de  vue,  la  grenouille  est  le  plus  précieux  de  nos 
sujets  d'expérimentation. 

Mais,  dira-t-on,  il  existe  certaines  différences  que 
l'expérimentation  directe  a  fait  découvrir  entre  les  phé- 
nomènes présentés  par  certains  animaux  et  ceux  que 
l'on  observe  chez  l'homme.  Chez  la  grenouille,  par 
exentple,  on  a  remarqué  que  lacontractilité  musculaire 
persistait  plus  de  vingt-quatre  heures  après  la  mort  ; 
chez  les  mammifères,  cette  contractilité  disparaît  beau- 
coup plus  tôt;  chez  les  oiseaux,  elle  dure  moins  encore. 
On  a  dit  de  même  que  les  courants  électriques  observés 
dans  les  nerfs  et  les  muscles  de  la  grenouille  ne  se  ren- 
contrent plus  chez  les  animaux  d'un  type  plus  élevé.  Je 
soutiens,  au  contraire,  qu'il  faut  admettre  l'exis- 
tence de  toutes  ces  propriétés  dans  les  espèces  animales 
supérieures  :  il  n'y  a  là  qu'une  simple  question  d'inten- 
sité; en  changeant  les  conditions  ordinaires  de  la  vie, 
nous  pouvons  modifier  à  volonté  les  propriétés  physio- 
logiques. Chez  les  animaux  à  sang  froid,  les  phénomènes 
ont  un  caractère  de  lenteur  qui  permet  de  les  observer 
facilement  ;  au  contraire,  chez  les  animaux  à  sang  chaud, 
nous  les  voyons  se  succéder  avec  une  telle  rapidité,  qu'il 
devient  impossible  de  les  saisir  dans  leur  ordre  d'appa- 
rition. 

Lorsque,  par  la  section  de  la  moelle  épinière,  ainsi 
que  nous  vous  le  montrerons  plus  tard,  nous  transfor- 


70  PHYSIOLOGIE    OPKRATOIHE    ET    VIVISECTIONS. 

mons  un  mammifère  en  nn  animal  à  sang  froid,  nous 
découvrons  chez  lui  les  mêmes  phénomènes  électriques 
que  chez  la  grenouille;  par  contre,  nous  voyons  ces 
phénomènes  disparaître  chez  les  batraciens  plongés  dans 
un  milieu  dont  la  température  est  plus  élevée  que  leur 
température  propre.  Dans  ces  circonstances,  les  batra- 
ciens se  comporlent  comme  les  animaux  à  sang  chaud. 
Nous  avons  donc  le  droit,  dans  nos  expériences,  de 
comparer  les  résultats  obtenus  chez  un  animal  avec  ceux 
que  nous  observons  chez  un  autre,  en  dépit  des  diffé- 
rences d'organisation  qu'ils  présentent,  quelque  frap- 
pantes qu'elles  soient.  Cela  ne  doit  pas  cependant  nous 
empêcher  de  donner  la  préférence,  dans  nos  études,  aux 
animaux  dont  l'organisation  se  rapproche  le  plus  près 
possible  de  la  nôtre. 

Il  n'est  plus  que  peu  de  personnes  qui  répètent  les 
objections  auxquelles  je  viens  de  faire  allusion.  On  est 
revenu  maintenant  de  ces  idées  étroites  :  dès  que  la  vie 
existe,  on  peut  étudier  ses  phénomènes  sur  n'importe  quel 
organisme,  et  la  physiologie  générale  emprunte  ses  objets 
d'étude  à  tous  les  échelons  de  la  série  des  êtres  vivants, 
depuis  le  champignon  et  l'infnsoire  jusqu'à  l'homme. 
D'une  manière  générale,  les  résultats  obtenus  avec  des 
sujets  si  divers  peuvent  légitimement  être  généralisés  et 
appliqués,  c'est-à-dire  qu'à  notre  point  de  vue  parti- 
culier il  nous  est  permis  de  conclure  des  animaux  à 
l'homme.  Cependant  il  faut  distinguer. 

I"  Les  phénomènes  vitaux  proprement  dits,  qui  sont 
les  manifestations  des  propriétés  des  tissus;  ceux-là 
peuvent  être  étudiés  sur  n'importe  quels  animaux,  et  ils 


I)i:S   VIVISECTIONS.  71 

doivent  l'être  de  préférence  sur  les  animaux  à  sang  froid, 
dont  les  tissus  conservent  leurs  propriétés  longtemps 
après  la  mort  générale  de  l'animal;  c'est  ainsi,  je  le 
répète,  que  les  expériences  sur  les  muscles  et  les  nerfs 
de  la  grenouille  ont  été  le  point  de  départ  de  nos  prin- 
cipales connaissances  en  physiologie  générale  :  la  nutri- 
tion des  éléments  anatomiques,  leur  reproduction,  leur 
respiration,  d'une  manière  générale  leurs  échanges  avec 
les  milieux  ambiants,  et  enfin  leur  mort,  tous  ces  phé- 
nomènes élémentaires  s'observent  dans  les  tissus  de  la 
grenouille  aussi  bien  que  dans  ceux  des  animaux  à  sang 
chaud  les  plus  supérieurs  et  dans  ceux  de  l'homme;  ils 
s'y  observent  seulement  avec  plus  de  facilité,  parce 
qu'ils  sont  plus  lents  et  par  cela  même  plus  saisissables; 
aussi  pourrait-on  faire  un  livre  rien  qu'en  relatant  les 
découvertes  que  la  physiologie  a  faites  sur  la  grenouille, 
cet  animal  qu'on  a  appelé  le  Job  de  la  physiologie;  du 
reste,  ce  livre,  cette  histoire  de  l'emploi  de  la  grenouille 
dans  les  expériences.  C.  Duméril  l'a  esquissée  déjà  en 
1840  (i). 

"2"  Mais  quant  a.  l'étude  de  la  manière  dont  sont  coor- 
données en  un  ensemble  les  fonctions  élémentaires  des 
tissus,  c'est-à-dire  les  mécanismes  divers  par  lesquels 
ces  fonctions  s'enchaînent  les  unes  aux  autres,  cette 
étude  n'est  valable  que  pour  l'animai  sur  lequel  elle  a 
été  faite,  parce  que,  si  les  tissus  ont  chez  tous  les  mêmes 
propriétés,  ils  sont  associés  chez  les  divers  animaux  d'une 


(1^  c.  Duiiicril,  yotice  historique  sur  les  découvertes  faites  dans  les  sciences 
d'observation  par  l'étude  de  l'organisation  des  grenouilles.  '  Bulletin  de  l'Aca- 
démie de  médecine.  Paris,  18KJ,  t.  IV). 


75  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

manière  dilTérente  el  constituent  des  organes  et  des  appa- 
reils très-divers.  Ainsi  les  tissus  des  poissons,  des  oiseaux, 
des  mammifères,  respirent  de  même,  mais  il  s'en  faut 
de  beaucoup  que  le  mécanisme  respiratoire  soil  le  même 
chez  tous  ;  de  même  qu'une  série  de  machines  peuvent 
avoir  le  môme  agent  moteur,  la  vapeur,  et  cependant  se 
composer  de  mécanismes  tout  à  fait  différents,  comme 
ceux  d'un  moulin  ou  ceux  d'une  locomotive. 

Chez  les  mammifères  même  les  plus  voisins,  on  s'ex- 
poserait, à  ce  point  de  vue,  à  de  singulières  erreurs  si  l'on 
voulait  conclure  d'un  animal  à  l'autre.  Ainsi  la  section 
bilatérale  du  nerf  facial  amène  l'asphyxie  chez  le  cheval  : 
en  concluerons-nous  que  ce  nerf  est  essentiel  à  la  respi- 
ration? Mais  cette  même  paralysie  faciale  ne  produit 
aucun  accident  de  ce  genre  chez  le  chien,  le  chat,  ni  chez 
l'homme,  etc.;  c'est  que  le  cheval  ne  peut  respirer  que 
par  les  narines,  el  que  la  paralysie  des  muscles  nasaux, 
détruisant  la  dilatation  active  des  narines,  met  obstacle 
à  l'entrée  de  l'air.  Il  n'y  a  donc  eiître  le  facial  du  cheval 
et  celui  des  animaux  voisins  qu'une  différence  dans  le 
mécanisme  selon  lequel  sont  associés  à  la  respiration 
certains  muscles  qu'il  anime  ;  chez  tous,  comme  chez 
l'homme,  ce  nerf  est  moteur:  chez  tous,  il  se  distribue 
aux  muscles  de  la  face;  mais  ces  muscles  ne  jouent  pas 
chez  tous  un  rôle  également  important  dans  le  méca- 
nisme de  Tinspiration. 

Nous  emprunterons  donc  à  l'expérience  sur  n'importe 
quels  aniu)aux  les  notions  de  physiologie  générale;  celles 
de  physiologie  spéciale  devront,  pour  devenir  applica- 
bles à  la  pratique  médicale,  être  le  résultat  de  recherches 


DES    VIVISECTIONS.  73 

faites  sur  les  mammifères  supérieurs  et  surl'liomme  lui- 
même. 

En  interrogeant  l'histoire  de  la  médecine,  on  trouve 
quelques  exemples  fameux  d'expériences  faites  sur 
l'homme  lui-même.  Il  me  suffira  devons  rappeler  l'his- 
toire bien  connue  de  lopération  de  la  taille,  faite  pour 
la  première  fois  sur  un  condamné  qui  y  gagna  à  la  fois 
la  vie  et  la  guérison  de  son  infirmité.  De  nos  jours, 
l'évolution  des  tœnias  a  été  étudiée  soit  par  des  expé- 
riences faites  sur  des  condamnés,  soit  par  des  expé- 
riences dont  lexpérimentateur  s'est  fait  lui-même  l'ob- 
jet.Enfin  les  médicaments  nouveaux,  après  une  première 
épreuve  sur  les  animaux,  sont  le  plus  souvent  soumis  à 
des  épreuves  déûnitives  que  leur  auteur  n'hésite  pas  à 
faire  sur  lui-même. 

Mais,  en  somme,  à  part  ces  quelques  cas  exception- 
nels ou  spéciaux,  toutes  nos  idées  morales  se  refusent  à 
admettre  l'expérimentation  sur  Ihonime;  c'est  aux  ver- 
tébrés supérieurs,  aux  mammifères,  et  principalement 
aux  animaux  domestiques,  que  nous  avons  recours. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  sur  une  considéra- 
tion générale  qui  ne  mérite  pas  de  nous  arrêter  long- 
temps. On  peut  se  demander  si  nos  vivisections,  si  les 
supplices  et  la  mort  imposés  à  ces  divers  animaux  sont 
légitimes. 

De  nombreuses  protestations  se  sont  élevées  à  ce  sujet, 
moins  en  France  que  dans  les  pays  voisins,  et  toujours, 
il  faut  le  dire,  de  la  part  de  personnes  étrangères  k  la 
science.  11  ne  sera  donc  pas  déplacé  de  vous  dire  ici  en 
quelques  mots  notre  opinion  à  ce  sujet. 


74  PHYSIOLOGIE    OPKRATOIKE    KT    VIVISECTIONS. 

Certes,  ceux  ((ui  s'apitoient  sur  le  sort  des  animaux 
soumis  aux  expériences  obéissent  à  un  sentiment  naturel, 
légitime,  et  que  nous  éprouvons  aussi  bien  qu'eux  ;  seu- 
lement ils  ne  voient  que  les  souffrances  imposées  aux 
animaux,  tandis  que  nous,  nous  voyons  avant  tout  le  but 
à  atteindre.  Si,  obéissant  à  l'idée  de  chercher  à  diminuer 
partout  la  souffrance,  on  voulait  être  logique,  il  faudrait 
renoncer  aux  pratiques  les  plus  usuelles,  il  faudrait  renon- 
cer à  notre  mode  d'alimentation,  et,  comme  le  quaker 
qui  venait  reprochera  Magendieses  vivisections,  repous- 
ser à  tout  jamais  la  viande  de  boucherie,  le  gibier,  et 
en  revenir  à  une  nourriture  exclusivement  herbivore  et 
frugivore.  Mais,  dira-t-on,  l'abattoir  se  borne  à  donner 
aux  animaux  qui  font  notre  nourriture  une  mort  brusque, 
violente,  sans  prolonger  leur  supplice.  Sans  doute;  mais, 
si  nous  voulioiTs  plaider  ici  une  cause  en  faveur  de 
laquelle  nous  nous  contenterons  d'invoquer  le  simple  bon 
sens,  nous  pourrions  répoudre  que,  pour  obtenir  cette 
dégénérescence  particulière  que  le  gourmet  savoure  sous 
le  nom  de  foie  gras,  on  soumet  des  milliers  d'animaux  à 
un  supplice  infiniment  plus  long  et  plus  pénible  que 
ceux  dont  sont  témoins  nos  laboratoires;  nous  pourrions 
répondre  que,  pour  satisfaire  à  des  goûts  de  mode, 
on  mutile  les  animaux,  on  coupe  capricieusement  aux 
chiens  la  queue  et  les  oreilles,  etc.  ;  enfin  nous  dirions 
qu'aujourd'hui  les  animaux  sur  lesquels  nous  opérons 
sont  le  plus  souvent  anesthésiés,  et  que  par  ce  fait  même 
nous  supprimons  la  douleur. 

Mais  la  véritable,  la  seule  raison  que  nous  ayons  à 
donner,  c'est  que  les  vivisections  font  marcher  la  science, 


DES  VIVISECTIONS.  75 

que  la  science  a  des  applications,  et  que  par  ces  applica- 
tions, les  unes  déjà  réalisées,  les  autres  encore  incon- 
nues, mais  non  moins  certaines,  la  médecine  pratique 
arrive  à  soulager  des  milliers  d'êtres  humains,  pour 
quelques  animaux  auxquels  nous  avons  imposé  un  in- 
stant de  souffrance. 

Ces  vues,  qui  résultent  de  tout  ce  que  je  vous  ai  pré- 
cédemment exposé  sur  la  méthode  des  sciences  expéri- 
mentales, et  sur  les  applications  qui  s'en  déduisent 
nécessairement  et  souvent  de  la  manière  la  moins 
attendue,  ces  vues  ne  sont  malheureusement  pas  fami- 
lières aux  gens  du  monde,  à  ceux  qui  se  sont,  dans  ces 
derniers  temps,  si  violemment  insurgés  contre  les  vivi- 
sections. Tout  en  maintenant  bien  haut  notre  droit, 
ou,  pour  mieux  dire,  notre  devoir  d'expérimenter,  nous 
devons  cependant  éviter  de  blesser  la  sensibilité  des  per- 
sonnes qui  s'émeuvent  des  vivisections.  Pour  cela,  il 
faut  sinq)lement  nous  garder  de  pratiquer  les  expé- 
riences ailleurs  que  dans  les  lieux  consacrés  à  ce  genre 
de  recherches,  c'est-à-dire  ailleurs  que  dans  les  labora- 
toires. On  conçoit  que  les  cris  d'animaux  soumis  à  des 
vivisections  dans  les  appartements  d'une  maison  habitée, 
puissent  émouvoir  les  voisins;  mais  nous  n'en  sommes 
plus  au  temps  où  nul  abri  spécial  n'était  offert  à  l'expéri- 
mentateur; nos  laboratoires  sont  modestes,  sans  doute, 
mais  enfin  ils  existent,  et  c'est  là  que  la  vivisection  doit 
savoir  se  cantonner.  Ceux  qui  viennent  assister  à  nos 
expériences  en  connaissent  la  portée,  et,  partageant  notre 
foi  dans  la  science,  ils  partageront  notre  apparente  indif- 
férence à  la  souffrance  des  animaux  ;  ceux  qui  ne  voient 


76  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRK    I.T    VIVISECTIONS. 

que  cette  souffrance,  Siiiis  penser  aux  recherches  qui 
motivent  et  justifient  nos  tentatives,  n'ont  qu'à  se  retirer 
si  leurs  sens  sont  trop  vivement  affectés. 

Pour  vous  montrer  combien  est  fausse,  du  moins 
quant  à  ses  conséquences,  cette  exagération  de  sensibi- 
lité, dont  trop  de  personnes  croient  devoir  se  parer, 
je  vous  citerai  ce  qui  se  pratique  dans  les  écoles  vétéri  - 
naires,  et  notamment  k  Alfort.  Tandis  que,  pour  se  fa- 
miliariser avec  la  pratique  chirurgicale,  les  étudiants 
en  médecine  répètent  des  opérations  sur  le  cadavre  hu- 
main, les  étudiants  vétérinaires  sont  exercés  sur  des 
chevaux  vivants,  destinés,  du  reste,  à  l'équarrisseur. 
Cette  image  de  tortures  infligées  à  des  animaux  mou- 
rants révolte  lespril  de  bien  des  gens.  En  réfléchissant 
cependant,  ils  verraientbientôt  qu'au  point  de  vue  même 
de  l'humanité,  cette  pratique  est  légitime,  et  qu'au  prix 
de  quelques  souffrances  infligées  aux  animaux,  elle  a 
pour  but  d'éviter  de  plus  grands  malheurs.  Dans  l'exer- 
cice de  son  art,  le  vétérinaire  est  exposé  à  de  grands 
dangers  :  il  ftiut  qu'il  sache  se  défendre  contre  les 
violentes  réactions  des  sujets  sur  lesquels  il  opère;  il 
faut  donc  que,  pendant  ses  éludes,  il  s'exerce  non-seu- 
lement à  la  pratique  des  opérations,  comme  le  fait  sur 
le  cadavre  l'étudiant  en  médecine,  mais  qu'il  s'habitue 
encore  à  se  mettre  en  garde  contre  les  mouvements  de 
défense  de  l'animal  qu'il  opère;  il  faut  qu'il  s'exerce  à 
opérer  sur  le  vivant;  la  vivisection  est  ici  la  condition 
de  sa  sécurité  ultérieure,  et  celui  qui  s'apitoie  avec  exa- 
gération sur  les  soutfiances  de  l'animal  opéré,  oublie 
évidemment  que,  si  ces  exercices  n'avaient  pas  lieu,  il 


DES   VIVISECTIONS.  77 

aurait  malheureusement  à  s'aftliger  à  bien  plus  juste 
titre  des  accidents  terribles  dont  seraient  victimes  les 
vétérinaires  pendant  leurs  opérations. 

Toutes  ces  considérations  nous  ramènent  à  l'objet 
principal  de  cette  leçon,  c'est-à-dire  à  l'importance  des 
laboratoires.  Je  vous  ai  montré  que  ces  installations  sont 
indispensables  afin  de  permettre  ce  que  nous  avons  ap- 
pelé une  bonne  administration  de  nos  moyens  de  recher- 
ches; vous  voyez  que  les  laboratoires  sont  non  moins 
précieux  pour  nous  mettre  à  l'abri  des  personnes  trop 
impressionnables,  de  même  que  pour  éviter  à  celles-ci 
des  spectacles  qui  leur  sont  fatalement  odieux,  du  mo- 
ment que  l'esprit,  insensible  aux  résultats  scientifiques 
et  pratiques  ultérieurs,  ne  voit  que  les  détails  présents, 
ne  s'arrête  que  sur  l'opération  de  vivisection  elle-même, 
et  la  laisse  apprécier  par  le  sentiment  seul. 


CINQUIÈME  LEÇON 

Sommaire.  —  Nécessité  des  expériences  de  contrôle.  —  Détermination  du 
rôle  des  vivisections  en  physiologie  cxpr-rimentalo.  —  Des  inductions 
anatomiques.  —  Comment  on  localise  les  phénomènes  de  la  vie.  —  Com- 
ment on  les  explique.  —  Ces  phénomènes  rentrent  dans  l'ordre  des  actes 
physico-cliimiques.  —  Impulsion  donnée  à  la  physiologie  générale  par 
les  découvertes  de  Lavoisier.  —  De  l'emploi  des  poisons  pour  porter 
l'analyse  expérimentale  jusque  sur  les  éléments  anatomiques.—  De  la  vie. 
—  Théories  anciennes  sur  la  vie.  —  La  vie  réside  dans  les  éléments 
anatomiques.  —  La  vie  totale  de  l'individu  est  la  somme  des  vies  partielles 
des  éléments  de  tissus.  —  Objet  de  la  physiologie  expérimentale. 

Messieurs, 

Nous  venons  de  voir  que  la  vivisection  est,  par  excel- 
lence, le  procédé  d'investigation  physiologique,  et  nous 
avons  défendu  les  vivisections  contre  les  attaques  di- 
verses dont  elles  ont  été  l'objet,  en  même  temps  que 
nous  avons  montré  à  ce  sujet  la  nécessité  des  labora- 
toires. 

Pour  en  revenir  aux  principes  généraux  que  nous 
cherchons  à  établir,  insistons  sur  ce  point  qu'il  est  in- 
dispensable, dans  toute  vivisection,  d'avoir  recours  aux 
contre-épreuves.  La  grande  méthode  adoptée  en  phy- 
siologie consiste  à  supprimer  un  organe  et  à  comparer 
ce  qui  se  passe  alors  avec  la  marche  naturelle  et  ordi- 
naire des  phénomènes  de  la  vie;  mais  nous  devons  faire 
abstraction,  dans  ce  cas,  de  toutes  les  conséquences 
immédiates  de  la  vivisection,  en  un  mot  des  accidents 
chirurgicaux. 


DES    EXPÉRIENCES    DE    CONTROLE.  79 

Si,  par  exemple,  nous  sectionnons  un  nerf  chez  un 
animal,  nous  devons  faire  en  même  temps  une  contre- 
épreuve  sur  un  autre;  pour  cela,  nous  mettons  chez 
celui-ci  le  nerf  à  découvert,  sans  le  diviser,  et  nous 
sommes  alors  à  même  de  distinguer  les  troubles  qui 
résultent  de  la  section  du  cordon  nerveux  des  acci- 
dents qui  ne  sont  que  la  conséquence  de  l'opération 
préliminaire.  On  ne  saurait  s'imaginer  le  nombre  de 
services  inespérés  que  cette  méthode  a  rendus  à  la 
science.  C'est  par  elle  que  j'ai  réussi  moi-même  à  décou- 
vrir la  fonction  glycogénique.  Avant  cette  découverte, 
adoptant  les  opinions  courantes  du  jour,  je  croyais  que 
le  sucre  ne  se  formait  jamais  au  sein  de  l'économie, 
mais  que  les  animaux  détruisaient,  d'une  manière  ou 
d'une  autre,  la  glycose  qu'ils  absorbaient  par  l'inter- 
médiaire de  leurs  ahments.  Pour  démontrer  ce  fait,  je 
me  mis  à  rechercher  le  sucre  dans  tous  les  organes  d'un 
chien  nourri  d'aliments  renfermant  cette  substance  ; 
mais,  en  examinant  en  même  temps  les  organes  d'un 
autre  chien  soumis  exclusivement  au  régime  animal, 
je  m'aperçus,  non  sans  étonnement,  que  le  résultat  de 
l'analyse  était  le  même  dans  les  deux  cas.  Ce  résultat 
inattendu  me  conduisit  à  une  nouvelle  série  d'expé- 
riences qui  m'amenèrent  à  la  découverte  de  la  fonction 
glycogénique. 

Nous  devons  donc  toujours  étudier  la  marche  des 
phénomènes  chez  un  sujet  sain,  parallèlement  à  ce  que 
nous  observons  chez  l'animal  en  expérience.  Mais  il  est 
quelquefois  impossible  d'obtenir,  chez  des  animaux  dif- 
férents, des  résultats  susceptibles  d'être  comparés  :  c'est 


80  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

ainsi  que,  voulant  in'assurer  par  moi-même  de  la  na- 
ture des  aliments  ca|)ables  de  produire  la  plus  grande 
quantité  de  matière  glycogène  dans  le  foie,  j'examinai 
en  môme  temps  deux  animaux  soumis  antérieurement 
à  des  modes  d'alimentation  difTérents;  or,  les  résultats 
obtenus  ont  varié  avec  l'âge  et  l'état  de  santé  des  deux 
animaux.  J'eus  ensuite  recours  à  la  manière  de  procé- 
der suivante  :  j'enlevai  un  petit  morceau  du  l'oie  d'un 
animal  qui  avait  été  pendant  longtemps  privé  de  nour- 
riture, après  quoi  j'injeclai  dans  son  estomac  un  ali- 
ment d'une  composition  particulière,  puis  je  le  sacrifiai, 
afin  de  pouvoir  comparer  les  résultats  de  l'analyse  avant 
et  après  l'ingestion  de  l'aliment. 

Mais  la  vivisection,  dans  le  sens  classique  du  mot, 
n'est  qu'un  moyen  assez  grossier  de  recherches;  nous 
connaissons  aujourd'hui  quelleest  la  complexité  des  phé- 
nomènes vitaux,  et  nous  ne  saurions  nous  contenter, 
pour  en  faire  l'analyse,  des  antiques  procédés  de  vivi- 
section, tels  que  les  pratiquaient  Galien  et  Yésale;  jus- 
qu'à la  fin  du  siècle  dernier,  si  l'on  avait  eu  à  installer  un 
laboratoire  de  physiologie  expérimentale,  il  eût  suffi  de 
le  pourvoir  des  instruments  de  vivisection,  c'est-à-dire 
de  dissecùon,  tels  que  Vésale  lui-môme  les  a  représen- 
tés à  la  fin  de  son  Anatomie.  Une  pareille  installation 
serait  aujourd'hui  dérisoire  :  les  divers  instruments 
tranchants  propres  aux  vivisections  nous  permettent  seu- 
lement d'aller  pénétrer  dans  l'organisme  vivant,  mais 
alors,  c'est-à-dire  une  fois  que  nous  sommes  arrivés  sur 
le  lieu  même  où  se  produisent  les  phénomènes  les  plus 
intimes,  nous  empruntons  à  la  physique  et  à  la  chimie 


DES   VIVISECTIONS.  81 

tous  leurs  appareils  les  plus  délicats  pour  analyser  ces 
phénomènes. 

Nous  allons  donc  essayer  de  définir  avec  précision  le 
rôle  des  vivisections  en  physiologie  expérimentale,  de 
montrer  jusqu'à  quel  point  elles  nous  laissent  pénétrer 
dans  l'étude  de  l'organisme,  et  à  quel  moment  elles 
doivent  être  supplées  et  remplacées  par  l'emploi  des 
moyens  d'analyse  physico-chimique. 

L'anatomie  descriptive,  étudiée  sur  le  cadavre,  nous 
permet  de  reconnaître  des  parties  distinctes,  des  orga- 
nes :  la  vivisection,  c'est-à-dire  l'anatomie  faite  sur 
l'être  vivant,  nous  permet  de  constater  les  usages  de  ces 
parties,  et  complète  des  notions  que  l'anatomie  cadavé- 
rique serait  toujours  restée  impuissante  à  nous  donner. 
Un  exemple,  entre  mille,  suffira  pour  rendre  la  chose 
évidente  :  sur  le  cadavre  on  trouve  toujours  les  artères 
vides  ou  remplies  de  gaz,  et  celui  qui,  comme  Erasis- 
trale,  s'en  serait  toujours  tenu  à  l'inspection  des  artères 
sur  le  cadavre,  n'aurait  jamais  soupçonné  le  rôle  de  ces 
vaisseaux  dans  la  circulation  du  sang  ;  aussi  Erasistrate 
regardait-il  les  artères  comme  des  canaux  aériens,  en 
communication  avec  le  conduit  aérien  du  poumon,  avec 
la  trachée-artère .  Mais  Galien  dissèque  des  animaux 
vivants;  il  voit  les  artères  pleines  de  sang;  et  ainsi  la 
vivisection  lui  montre  l'usage  réel  de  ces  canaux,  dont 
l'anatomie  avait  seulement  révélé  l'existence,  et  amené 
les  premiers  analomistes  à  des  idées  fausses  sur  leur 
rôle. 

On  peut  donc  dire  que  la  vivisection  anime  l'anato- 
mie :  la  physiologie  établie  à  l'aide  des  vivisections  est 


CL.    BERNARD.  —  PHVS.    OPER. 


82  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

une  anafomia  animata,  ainsi  que  la  définissait  Haller 
lui-môme. 

Pour  arriver  à  cette  analomia  animata^  la  vivisection, 
dans  sa  forme  la  plus  primitive,  se  contente  d'observer 
les  faits  sur  le  sujet  ouvert,  comme  lorsque  Galien 
constate  la  présence  du  sang  dans  les  artères ,  ou  bien 
elle  a  recours  à  des  procédés  plus  complexes  :  on  en- 
lève l'organe  dont  on  veut  étudier  les  usages,  et,  des 
troubles  produits  par  son  absence, on  conclut  à  ses  fonc- 
tions et  à  leur  importance.  Cette  manière  de  faire  a 
souvent  été  la  source  de  grosses  erreurs,  les  expérimen- 
tateurs n'ayant  pas  toujours  parfaitement  établi  le  dé- 
terminisme des  phénomènes  observés,  c'est-à-dire 
n'ayant  pas  tenu  compte  des  lésions  qui  accompagnent 
l'ablation  de  l'organe,  et  des  troubles  consécutifs  à  ces 
lésions  indépendamment  de  l'absence  des  fonctions  de 
l'organe  enlevé.  Nous  reviendrons  ultérieurement  sur 
cette  question  de  critique  expérimentale. 

C'est  à  la  vivisection,  pratiquée  sous  les  deux  foruies 
sus-indiquées,  que  nous  devons  en  définitive  les  plus 
importantes  découvertes  sur  les  fonctions  des  parties, 
sur  les  mécanismes  des  fonctions  ;  c'est  ainsi  qu'Harvey 
a  découvert  le  mécanisme  de  la  circulation.  Ce  sont  en- 
core les  vivisections  de  ce  genre  qui  ont  permis  à  Haller 
de  faire  ses  belles  études  sur  les  parties  sensibles  et  les 
parties  insensibles^  sur  \qs parties  immobiles  et  sur  les 
parties  mobiles  ou  irritables.  C'est-à-dire  que,  pour 
rendre  ces  expressions  par  leurs  équivalents  modernes, 
Haller,  à  l'aide  de  la  vivisection,  a  distingué  les  nerfs 
d'avec  les  muscles,  en  montrant  que  les  nerfs  sont  sen- 


DES    VIVISECTIONS.  83 

sibles  et  les  muscles  irritables  (contractiles);  et  cette 
distinction,  qui  nous  paraît  aujourd'hui  chose  évidente, 
était  à  cette  époque  un  progrès  considérable,  progrès 
que  Haller  a  poussé  très-loin,  car  il  a  démontré  l'auto- 
nomie du  nerf  et  du  muscle,  c'est-à-dire  montré  que  le 
muscle,  par  exemple,  possède  ses  propriétés  contrac- 
tiles indépendamment  du  nerf:  le  nom  d'irritabilité 
hallérienne,  donné  à  l'irritabilité  du  muscle,  a  consacré 
cette  importante  découverte. 

Les  vivisections,  comme  moyen  de  localiser  chaque 
fonction  dans  chaque  organe,  les  vivisections  ont  donné 
encore  des  résultats  plus  importants,  car,  siHallera  dis- 
tingué les  nerfs  des  muscles,  Magendie  a  distingué,  par 
la  même  méthode,  deux  espèces  de  nerfs  à  fonctions 
distinctes,  les  nerfs  sensilifs  et  les  nerfs  moteurs,  et 
vous  savez  que  les  seules  sections,  portées  successive- 
ment sur  les  deux  ordres  de  racines  des  nerfs  rachi- 
diens,  ont  établi  cette  distinction  capitale,  point  de 
départ  de  toute  la  physiologie  du  système  nerveux. 

Tous  ces  résultais  des  vivisections,  quelque  considé- 
rables qu'ils  soient,  ne  nous  donnent  de  renseigne- 
ments que  sur  le  mécanisme  des  fonctions,  sur  l'usage 
des  organes,  sur  les  propriétés  des  vaisseaux,  des  nerfs, 
des  muscles,  etc.;  mais  la  vivisection  ne  va  pas  au  delà; 
la  nature  de  ces  propriétés  qu'elle  révèle,  les  condi- 
tions intimes  de  ces  phénomènes  qu'elle  localise,  la 
lorce  qui  meut  ces  instruments  qu'elle  nous  fait  con- 
naître, tout  cela  échappe  à  son  investigation.  Elle  s'ar- 
rête, de  même  que  s'arrêterait  un  mécanicien  qui  nous 
expliquerait  le  rôle  de  chacune  des  pièces  d'une  loco- 


84  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

motive,  d'une  machine  quelconque,  mais  resterait  muet 
sur  la  vapeur,  sur  la  force  motrice  qui  met  en  jeu 
toutes  ces  pièces. 

A  l'époque  où  j'ai  commencé  mes  études,  on  croyait 
être  arrivé  à  tout  ce  que  peut  donner  la  physiologie 
expérimentale  quand  ou  avait  localisé  tel  phénomène 
dans  tel  organe  ;  on  ne  croyait  pas  devoir  chercher 
rien  au  delà  de  celte  localisation,  de  cette  anatomia 
animata.  On  avait  reconnu  que  le  muscle  est  l'agent 
mécanique  des  mouvements ,  qu'il  déplace  les  leviers 
osseux  en  se  contractant,  c'est-à-dire  en  se  raccourcis- 
sant, et  l'on  ne  pensait  pas  à  rechercher  le  mécanisme 
intime  de  cette  contraction,  à  étudier  les  conditions  qui 
la  modifient.  On  se  hornait,  en  un  mot,  à  établir  l'usage 
des  parties. 

Aujourd'hui  on  est  allé  et  on  va  tous  les  jours  plus 
loin  dans  l'analyse  des  phénomènes  des  êtres  vivants  : 
après  avoir  localisé,  on  exphque.  Pour  répondre  aux 
besoins  de  ce  nouvel  ordre  de  recherches,  ce  n'est  plus 
la  vivisection  pure  et  simple  qui  est  mi«e  en  pratique, 
ce  sont  les  procédés  de  l'analyse  physique  et  chimique. 
Sans  doute  l'anatomie  vient  encore  à  notre  aide;  grâce 
aux  instruments  grossissants  nous  parvenons  à  aperce- 
voir les  éléments  anatomiques  qui  sont  le  sujet  des  pro- 
priétés des  tissus  ;  les  éludes  histologiques,  si  largement 
et  si  fructueusement  cultivées  aujourd'hui,  donnent 
aux  recherches  de  physiologie  générale  une  base  ana- 
tomique  ;  mais  l'anatomie  microscopique  ne  peut  nous 
servir  qu'à  localiser  les  phénomènes,  les  propriétés  élé- 
mentaires :  c'est  l'expérimentation,  c'est  la  physiolo- 


DES    VIVISECTIONS.  85 

gie  générale  qui  les  explique,  c'est-à-dire  qui  en  ana- 
lyse la  nature  physico-chimique. 

Les  grands  promoteurs  de  ces  nouvelles  études,  ceux 
qui  les  premiers  ouvrirent  la  voie  à  cette  analyse  phy- 
sico-chimique des  phénomènes  de  la  vie,  furent  La- 
place  et  Lavoisier.  Nous  ne  saurions  tenir  compte  ici 
des  tentatives  antérieures  faites,  par  exemple,  par  Van 
Helmont,  tentatives  prématurées  et  basées  sur  de  pures 
hypothèses,  car  la  chimie  n'était  pas  constituée  encore, 
et  il  était  par  suite  impossible  d'emprunter  des  explica- 
tions valables  à  une  science  qui  n'existait  pas. 

Eu  créant  la  chimie,  Lavoisier  rendit  du  même  coup 
possibles  les  tentatives  durables  de  physiologie  générale, 
et  ces  tentatives,  il  les  réalisa  lui-même  avec  Laplace, 
dans  le  grand  travail  que  ces  auteurs  publièrent  sur  la 
chaleur  animale.  En  montrant  que  la  chaleur  dégagée 
par  les  êtres  vivants  ne  diffère  pas  de  la  chaleur  pro- 
duite par  les  combustions  ou  par  d'autres  phénomènes 
chimiques;  en  établissant  qu'il  n'y  a  qu'une  seule-  et 
même  physique,  qu'une  seule  et  même  chimie,  de 
même  qu'une  seule  mécanique,  pour  les  corps  orga- 
niques et  pour  les  corps  inorganiques,  Lavoisier  et 
Laplace  jetèrent  les  premières  bases  de  la  physiologie 
générale;  la  physiologie  des  fonctions,  l'étude  de  l'usage 
des  parties,  établie  d'après  les  vivisections,  allait  donc 
être  complétée  par  des  recherches  plus  intimes,  par 
l'analyse  physico-chimique  des  phénomènes  élémen- 
taires. 

(Vest  Magendie  qui  donna  pour  la  première  fois  à 
un  livre  de  physiologie  le  titre  de  Leçons  sur  les  phéno- 


SQ  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVLSliCTlONS. 

77iènes  physif/iœs  de  la  vie,  marquant  bien  ainsi  le  prin- 
cipe do  la  nouvelle  méthode  dont  il  a  été  l'un  des  plus 
actifs  initiateurs.  Nous  verrons  longuement  et  dans 
tous  leurs  détails,  au  cours  de  ces  leçons,  les  progrès 
accomplis  grâce  à  ces  modes  d'investigation.  Permettez- 
moi,  pour  le  moment,  de  tous  signaler  quelques-uns 
de  ses  dangers,  ou,  pour  mieux  dire,  de  vous  mettre  en 
garde  contre  quelques  excès  qui  résultent  non  pas  de  la 
méthode  elle-même,  mais  de  la  manière  défectueuse, 
hâtive  et  incomplète  dont  elle  est  parfois  appliquée. 

Je  veux  parler  ici  des  cas  où,  pour  expliquer  par  la 
chimie  et  la  physique  des  phénomènes  dont  la  nature  est 
certainement  physique  et  chimique,  on  se  contente  de 
les  concevoir  tels  qu'ils  pourraient  être  sans  rechercher 
ce  qu'ils  sont  réellement.  Quelques  exemples  vous  fe- 
ront mieux  comprendre  ma  pensée. 

Ainsi  les  matières  amylacées  sont  transformées,  par 
l'action  des  sucs  digestifs,  en  dextrine,  puis  en  glycose; 
le  chimiste,  iii  vitro,  produit  ces  mêmes  transforma- 
tions soit  par  l'action  des  acides,  soit  par  celle  de  la 
chaleur.  Cela  suffît-il  pour  nous  autoriser  à  conclure 
que  les  sucs  digestifs  agissent  par  acidité,  ou  qu'il  faut 
faire  jouer  un  grand  rôle  à  une  sorte  de  cuisson,  de 
coction  digestive?  L'hypothèse  a  été  émise  ;  elle  a  été 
donnée  et  adoptée  comme  une  explication.  Cependant, 
l'étude'directe  du  phénomène  organique  a  montré  que 
l'économie  vivante  produisait  bien  de  la  glycose  et  de 
la  glycose  identique  à  celle  que  produit  le  chimiste, 
mais  qu'elle  agissait  par  un  procédé  différent,  par  une 
véritable  fermentation,   et   nous   isolons    aujourd'hui 


DES   VIVISECTIONS.  87 

les  ferments,  qui  sont  les  agents  actifs  de  ces  transfor- 
mations. 

De  même  pour  la  saponification  des  corps  gras  :  les 
chimistes  l'obtiennent  par  l'action  des  acides,  par  celle 
des  alcalis  forts,  par  celle  de  la  vapeur  d'eau  surchauf- 
fée; conclure  par  analogie  à  des  actions  semblables  se 
produisant  dans  l'organisme,  ce  serait  tomber  volon- 
tairement dans  une  grossière  erreur,  car  l'étude  directe 
du  phénomène  même  nous  montre  qu'ici  encore  l'orga- 
nisme agit  par  le  moyen  d'un  ferment  contenu  dans  le 
suc  pancréatique. 

Ainsi,  de  l'identité  des  résultats  produits,  il  n'est  pas 
légitime  de  conclure  à  l'identité  des  procédés  :  nous 
produisons  de  l'électricité  par  des  piles,  par  des  électro- 
aimants, par  des  actions  capillaires,  etc.,  etc.;  dans 
tous  ces  cas,  l'électricité  produite  est  toujours  de  même 
nature,  mais  les  moyens  de  production  sont  totalement 
différents.  Les  êtres  vivants  produisent  aussi  de  l'élec- 
Iricité,  et  certains  poissons  possèdentdes  organes  quileur 
permettent  de  fournir  des  décharges  aussi  fortes  et  aussi 
dangereuses  que  celles  données  par  des  appareils  puis- 
sants. De  ce  qu'on  obtient  le  plus  souvent  l'électricité 
avec  une  pile  composée  de  cuivre  et  de  zinc,  en  con- 
clurons-nous que  l'appareil  électrique  de  ces  poissons 
renferme  une  électrode  cuivre  et  une  électrode  zinc,  ou 
bien  y  chercherons-nous  un  électro-aimant?  Ces  suppo- 
sitions, dans  cet  exemple  particulier,  vous  frappent  par 
leur  absurdité  même  :  l'appareil  organique  de  ces  ani- 
maux produit  cependant  de  l'électricité  identique  à  celle 
que  donnent  nos  divers  appareils  physiques  et  chi- 


88  PHYSIOLOGIt:    Ol'ÉRVTOIRli    ET    VIVISECTIONS. 

miques,  électricité  qu'où  peut  recueillir  et  condenser  dans 
une  bouteille  de  Leyde,  comme  les  décharges  de  la  ma- 
chine électrique,  électricité  à  laquelle  on  peut  faire 
parcourir  un  circuit  métallique,  comme  on  le  fait  pour 
celle  de  nos  piles.  Cependant,  malgré  cette  identité  des 
résultats,  vous  ne  sauriez  pensera  l'identité  des  procédés 
qui  les  produisent. 

Il  en  est  de  même  pour  une  infinité  d'autres  phéno- 
mènes organiques,  et  ce  n'est  pas,  je  le  répète,  les  ex- 
pliquer réellement  que  les  identifier  à  priori  à  ce  que 
le  chimiste  produit  in  vitro  dans  son  laboratoire.  La 
chimie  et  la  physique  ont  mieux  k  faire  que  de  nous 
fournir  des  hypothèses  :  elles  nous  offrent  les  moyens 
d'analyser  les  actes  intimes  des  phénomènes  élémen- 
taires, et  ce  sont  seulement  les  résultats  de  ces  analyses 
qui  nous  permettront  d'établir  sur  des  bases  sérieuses 
les  notions  essentielles  de  physiologie  générale. 

Mais  les  vivisections  d'une  part,  les  analyses  physico- 
chimiques d'autre  part,  ne  sont  pas  les  seuls  moyens 
d'investigation  que  nous  ayons  à  notre  disposition.  Nous 
savons  aujourd'hui,  grâce  aux  progrès  de  l'anatomie 
générale,  qu'il  faut  chercher  les  éléments  de  la  vie  dans 
les  éléments  anatomiques  eux-mêmes.  Comment  péné- 
trer par  l'expérimentation  jusqu'à  ces  éléments  anato- 
miques, de  manière  à  agir  isolément  sur  chacun  d'eux, 
ou,  pour  mieux  dire,  sur  chaque  classe  particulière? 
Eh  bien  !  nous  trouvons  dans  l'emploi  des  poisons  les 
réactifs  qui  nous  permettent  ces  actions  expérimentales 
élémentaires  par  lesquelles  nous  dissocions  les  fonctions 
des  éléments  anatomiques  eux-mêmes. 


DE   l'emploi   des   POISONS.  89 

Depuis  que  nous  avons  abordé  à  ce  point  de  vue 
l'élude  de  la  physiologie  générale,  nous  pensons  être 
parvenu  à  démontrer  que  tout  ce  qui  agit  sur  la  vie  d'un 
organisme,  pour  l'entretenir,  la  modifier,  la  détruire, 
n'agit  pas  en  réalité  sur  cette  entité  abstraite  qu'on  ap- 
pelle la  vie,  mais  porte  son  action  spécialement  sur  un 
des  nombreux  éléments  anatomiques  qui,  par  l'ensemble 
de  leur  vie  partielle,  constituent  la  vie  générale  de  l'or- 
ganisme total  :  ainsi,  dire  que  la  strychnine  agit  sur  la 
vie  du  chien,  de  l'oiseau,  du  poisson,  c'est  exprimer, 
au  point  où  en  est  aujourd'hui  la  physiologie,  une  idée 
absolument  fausse  ;  dire  que  ce  poison  agit  sur  la  moelle 
épinière  de  ces  animaux,  c'est  déjà  se  rapprocher  de  la 
vérité,  mais  sans  l'atteindre  cependant,  car  de  même 
que  l'animal  se  compose  d'une  réunion  d'organes,  de 
même  chaque  organe,  et  la  moelle  épinière  en  particu- 
lier, se  compose  d'un  ensemble  complexe  d'éléments 
anatomiques,  et  en  réalité  l'action  du  poison  se  porle 
«ur  un  seul  de  ces  éléments  anatomiques. 

Si,  par  exemple,  la  strychnine  agit  uniquement  sur 
les  cellules  nerveuses  excito-motrices  de  la  moelle,  c'en 
est  assez  pour  que  le  trouble  apporté  dans  le  fonction- 
nement de  ces  cellules  interrompe  le  fonctionnement 
de  la  moelle,  car,  dans  un  organe,  les  propriétés  des 
éléments  anatomiques  sont,  dans  leurs  manifestations, 
si  intimement  liées  les  unes  aux  autres,  que  la  suppres- 
sion de  l'une  amène  l'arrêt  de  l'autre,  comme  la  sup- 
pression d'un  rouage  arrête  le  jeu  entier  d'une  machine. 
Mais  la  même  solidarité  qui  existe  dans  un  organe  entre 
ses  éléments  anatomiques,  existe  également  dans  lêtre 


90  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS, 

entier  entre  ses  divers  organes,  et  c'est  ainsi  que  le 
trouble  des  fonctions  de  la  moelle  épinière  amène,  dans 
l'exemple  choisi,  la  mort  de  l'organisme  total,  la  mort 
du  chien,  de  l'oiseau,  du  poisson. 

Un  exemple  frappant  de  cette  solidarité  des  éléments 
anatomiqnes,  dont  les  vies  partielles  constituent  la  vie 
totale,  nous  est  fourni  par  l'étude  de  Tempoisonnement 
que  produit  l'oxyde  de  carbone,  ou  bien  par  celui 
qu'occasionne  le  curare.  Dans  le  premier  cas,  les  glo- 
bules rouges  du  sang  sont  seuls  atteints  ;  dans  le  second, 
ce  sont  les  nerfs  moteurs;  et  cependant  la  mort  n'en 
arrive  pas  moins  fatalement  dans  l'un  comme  dans 
l'autre  cas,  parce  que,  d'une  part,  la  fonction  des  glo- 
bules rouges,  qui  sont  chargés  du  transport  de  l'oxygène 
dans  les  tissus,  étant  supprimée,  il  en  résulte  une  asphyxie 
générale;  parce  que,  d'autre  part,  la  cessation  de  fonc- 
tion des  nerfs  moteurs  a  pour  conséquence  l'arrêt  de 
toutes  les  contractions  musculaires  qui  président  aux 
mécanismes  les  plus  importants  de  l'organisme,  à  la  res- 
piration, à  la  circulation. 

Cette  action  des  poisons. nous  permet  donc  de  réa- 
liser en  quelque  sorte  des  vivisections  d'une  délicatesse 
infinie,  puisqu'elle  nous  permet,  ce  qui  est  le  caractère 
de  la  vivisection  proprement  dite,  de  localiser  les  phé- 
nomènes de  la  vie  ;  mais  ici  celte  localisation,  au  lieu 
de  se  faire  sur  des  organes,  se  fait  sur  des  éléments 
anatomiques. 

Une  fois  cette  localisation  réalisée,  c'est  encore,  pour 
les  éléments  anatomiques  comme  précédemment  pour 
les  organes,  par  les  procédés  d'analyse  physico-chimi- 


DE    l'emploi    des    POISONS.  91 

que  que  nous  parvenons  à  l'explication  des  phénomè- 
nes élémentaires.  Parmi  les  exemples  précédemment 
donnés,  il  en  est  un  où  cette  analyse  est  aujourd'hui 
parvenue  très-loin  :  je  veux  parler  de  l'empoisonnement 
par  l'oxyde  de  carbone.  Nous  savons  aujourd'hui  que  le 
globule  sanguin  renferme  une  substance  particulière, 
l'hémoglobine,  qui  se  combine  chimiquement  avec 
l'oxygène,  et  que  c'est  grâce  k  cette  combinaison,  dite 
oxyhémoglobine,  que  cet  élément  anatomique  se  charge 
d'oxygène  et  en  devient  le  véhicule  dans  l'intimité  des 
tissus.  Nous  savons  aussi  que  cette  hémoglobine  jouit 
d'une  grande  affinité  pour  l'oxyde  de  carbone,  et  que  la 
combinaison  qu'elle  forme  avec  ce  gaz  est  plus  stable 
que  celle  qu'elle  forme  avec  l'oxygène.  Nous  concevons 
donc  bien  comment,  en  présence  d'un  milieu  renfer- 
mant de  l'oxyde  de  carbone,  les  globules  rouges  se  char- 
gent de  ce  gaz,  et,  devenant  impropres  à  transporter 
l'oxygène,  ne  le  fournissent  plus  à  la  respiration  des 
tissus,  d'où  résulte  la  mort  de  l'organisme  total  par 
asphyxie. 

Vous  voyez  combien  ici  nous  avons  pénétré  profon- 
dément dans  la  localisation  du  phénomène  et  dans  son 
mécanisme  chimique;  pour  faire  plus  encore  il  nous 
faudrait  parvenir  à  connaître  les  réactions  à  l'aide  des- 
quelles nous  pourrions  déplacer  l'oxyde  de  carbone  fixé 
sur  le  globule;  nous  serions  alors  en  complète  possession 
du  phénomène,  maître  de  le  provoquer,  de  l'empêcher 
et  même  de  le  supprimer,  c'est-à-dire  de  détruire  la 
combinaison  chimique,  et  vous  concevez  facilement  que 
cette  connaissance  entière  du  phénomène,  cette  notion 


92  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

scientifique  expérinieiitale,  est  la  seule  condition  d'une 
application  médicale  rationnelle. 

Les  considérations  que  je  vous  ai  exposées  sur  les  vi- 
visections, sur  l'analyse  physico-chimique  des  fonctions 
des  organes,  et  enfin  sur  l'emploi  des  poisons  comme 
agents  de  recherches  physiologiques,  nous  permettant 
de  localiser  les  phénomènes  vitaux  dans  les  éléments 
anatomiques,  ces  considérations  ont  dû  vous  faire  voir 
que  la  vie  de  l'organisme  n'est  pas  une  entité  telle  que  la 
concevaient  les  anciens,  c'est-à-dire  une  force  unique 
ayant  un  siège  unique  plus  ou  moins  localisable. 

Comme  les  phénomènes  que  nous  devons  étudier  sont 
les  phénomènes  de  la  vie,  il  importe  que  nous  nous  fas- 
sions dès  maintenant  une  idée  bien  nette  de  la  vie,  et 
que  nous  sachions  ce  que  nous  recherchons  en  en  fai- 
.sant  l'étude. 

Certes  je  ne  me  propose  pas  de  vous  rappeler  ici  com- 
bien ont  été  diverses  les  idées  que  les  philosophes  et  les 
naturalistes  se  sont  faites  de  la  vie.  Je  vous  dirai  seule- 
ment qu'aujourd'hui  nous  la  définissons  l'ensemble  des 
phénomènes  qui  existent  chez  les  êtres  vivants.  Ces  phé- 
nomènes obéissent  à  des  lois  qui  ne  sont  nullement  pro- 
pres à  l'être  vivant,  qui  sont  en  dehors  de  lui,  puisque 
ce  sont  les  lois  de  la  physique,  de  la  chimie,  de  la  méca- 
nique; mais  les  conditions  dans  lesquelles  se  manifes- 
tent ces  lois  sont  propres  à  l'organisme;  ces  conditions 
constituent  les  mécanismes  particuliers  de  ce  qu'on  ap- 
pelle les  fonctions. 

Au  commencement  de  ce  siècle,  on  cherchait  à  re- 
connaître, dans  les  parties  diverses  de  ces  mécanismes. 


DÉFINITION    DE    LA    VIE.  93 

des  pièces  principales,  des  organes  privilégiés,  présidant 
au  jeu  des  autres  parties  :  telle  était  la  conception  con- 
nue sous  le  nom  de  trépied  vital  de  Bichat,  d'après  la- 
quelle trois  organes  principaux  étaient  comme  les  trois 
rouages  essentiels  de  la  vie,  et  amenaient  la  mort  par 
l'arrêt  de  leur  fonction  :  on  meurt,  disait  Bichat,  par  le 
cerveau,  par  le  poumon  ou  par  le  cœur.  Cette  manière 
de  s'exprimer  est  exacte  quand  on  parle  de  Thomme  et 
des  animaux  supérieurs,  mais  il  ne  faut  pas  comprendre 
par  là  que  le  cerveau,  le  cœur,  le  poumon  soient  le 
siège  d'un  principe  spécial  de  la  vie.  La  vie  est  indépen- 
dante, d'une  manière  absolue,  de  l'existence  d'un  cœur, 
d'un  poumon,  d'un  cerveau  :  une  infinité  d'animaux  in- 
férieurs vivent  sans  poumon,  sans  cerveau,  sans  cœur  ; 
mais  chez  les  animaux  supérieurs  les  échanges  des  di- 
vers tissus  avec  le  milieu  extérieur  se  font  par  le  jeu  de 
l'appareil  pulmonaire  et  cardiaque,  ei  la  suppression  de 
ces  organes  amène  la  mort  des  éléments  de  tissu,  parce 
qu'elle  détruit  leurs  conditions  d'existence. 

La  vie  n'est  donc  pas  dans  le  poumon  ni  dans  le  cœur  ; 
elle  est  dans  les  cellules,  dans  les  éléments  anatomiques 
de  l'être  vivant.  Pas  plus  que  nous  n'admettons  le  tré- 
pied de  Bichat,  nous  ne  saurions  admettre  \q  point  vital 
ou  nanicl  vital  de  Flourens.  Par  une  blessure  d'une  ré- 
gion bien  circonscrite  de  la  moelle  allongée,  ce  physiolo- 
giste produisait  la  mort  subite  des  animaux  ;  cette  expé- 
rience était  du  reste  connue  depuis  Galien  et  avait  été 
plus  récemment  répétée  parLegallois.  Galien  expliquait 
la  mort  subite  par  la  lésion  de  la  dure-mère,  hypothèse 
en  rapport  avec  la  haute  importance  que  les  anciens 


94  l'HVSIOLOGIE    OPËRATOIRE    ET   VIVISECTIONS. 

attachaienl  aux  prétendues  fonctions  des  méninges,  et 
dans  l'hisloire  desLiueiles  nous  n'avons  pas  à  entrer  ici. 
Floureus  semble  vouloir  faire  de  celte  région  du  bulbe 
le  centre  de  la  vie  ;  or  nous  savons  aujourd'hui  que  cette 
partiedesubstance grise  de  la  moelle  allongée  est  le  centre 
d'origine  des  nerfs  de  la  respiration  et  de  l'innerva- 
tion cardiaque:  en  détruisant  ce  centre,  on  supprime  les 
fonctions  du  cœur  et  des  poumons;  on  arrête  la  vie,  non 
pas  parce  qu'on  atteint  cette  entité  métaphysique  dans 
son  siège  unique  et  central,  mais  parce  qu'on  supprime 
deux  des  fonctions  ou,  comme  nous  avons  dit,  des  mé- 
canismes qui,  chez  les  animaux  supérieurs,  sont  indispen- 
sables aux  échanges  entre  le  milieu  extérieur  et  les  élé- 
ments anatomiques,  c'est-à-dire  indispensables  à  la  vie 
des  innombrables  éléments  anatomiques  dont  la  somme 
constitue  la  vie  de  l'organisme  entier. 

La  physiologie  cherche  donc  aujourd'hui  la  vie  dans 
les  cellules  mômes  des  tissus,  ou  dans  les  éléments  déri- 
vés plus  ou  moins  directement  de  la  forme  cellulaire 
(fibres  musculaires,  nerveuses,  etc.).  La  pathologie  suit 
la  même  direction  ;  elle  ne  se  contente  plus  de  l'inspec- 
tion des  organes  ;  l'examen  microscopique  est  appelé  à 
fournir  de  précieux  renseignements  sur  l'état  des  élé- 
ments anatomiques  des  tissus  malades. 

Tous  les  organes,  tous  les  tissus,  ne  sont  en  somme 
qu'une  réunion  d'éléments  anatomiques,  et  la  vie  de 
l'organe  est  la  somme  des  phénomènes  vitaux  propres  à 
chaque  espèce  de  ces  éléments.  Ceux-ci  ne  vivent  pas, 
comme  l'organisme  entier,  dans  le  milieu  extérieur;  ils 
n'ont  aucun  rapport  direct  avec  ce  milieu  ;  ils  vivent  dans 


DÉFINITION   DE   LA   VIE.  95 

un  milieu  intérieur,  qui  est  le  liquide  sanguin,  par  l'in- 
termédiaire duquel  ils  reçoivent  des  substances  néces- 
saires à  la  manifestation  de  leur  propriété  et  rejettent 
les  résidus  des  actes  chimiques  dont  ils  sont  le  siège, 
c'est-à-dire  les  substances  devenues  impropres  à  entre- 
tenir leur  vie. 

Ainsi,  quand  on  distingue  des  animaux  terrestres, 
aériens  ou  aquatiques,  cette  distinction  ne  s'applique 
qu'aux  mécanismes  des  fonctions,  c'est-à-dire  que,  par 
exemple,  l'appareil  destiné  à  mettre  le  sang,  ou  mJlieu 
intérieur,  en  contact  d'échanges  avec  Tair,  cet  appareil 
est  disposé  différemment  chez  les  animaux  qui  vivent 
plongés  dans  cet  air  et  chez  ceux  qui,  vivant  dans  l'eau, 
empruntent  l'air  que  celle-ci  contient  en  dissolution  ; 
mais  chez  les  uns  comme  chez  les  autres,  la  vie  générale, 
celle  des  éléments  anatomiques ,  se  fait  de  la  même 
manière.  Ces  éléments  vivent  dans  un  milieu  liquide, 
dans  le  sang  qui  les  baigne  ;  il  n'existe  pas  d'élément 
anatomique  vivant  dans  l'air,  et  lorsqu'on  descend  aux 
degrés  les  plus  inférieurs  de  l'échelle  des  êtres,  jusqu'à 
ces  organismes  qui  ne  sont  formés  que  d'une  cellule, 
que  d'une  petite  masse  de  protaplasma,  on  voit  que  ces 
animaux  ou  végétaux  monocellulaires  vivent  toujours 
dans  l'eau  ou  dans  un  milieu  liquide. 

Pour  pénétrer  dans  l'analyse  de  la  vie  des  éléments 
anatomiques,  l'étude  du  sang  sera  donc  de  première 
importance,  car  aucune  substance  ne  peut  arriver 
jusqu'à  ces  éléments,  pour  en  modifier  la  vie,  sans  pas- 
ser par  l'intermédiaire  du  sang;  c'est  par  ce  milieu  in- 
térieur que  se  font  toutes  les  actions  nutritives,  exci- 


96  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

tantes,  modératrices,  destructives,  etc.  Il  est  vrai  que 
le  système  nerveux  vient  agir  direclement  sur  certains 
éléments,  comme  sur  la  fibre  musculaire  dont  il  pro- 
voque la  contraction  ;  mais  dans  bien  des  cas  l'action  du 
svstème  nerveux  ne  se  produit  que  par  l'intermédiaire 
du  sang,  soit  qu'il  y  ail  modification  dans  l'afflux  du 
sang,  soit  qu'il  y  ait  même  changement  dans  sa  com- 
position, car  le  système  nerveux  agit  tout  aussi  bien  sur 
le  phénomène  mécanique  de  la  circulation  que  sur  la 
constitution  chimique  du  milieu  intérieur  :  ce  sont  là 
des  questions  que  nous  développerons  ultérieurement, 
en  vous  rendant  témoins  des  expériences  qui  s'y  rap- 
portent. 

Je  vous  ferai  ici  seulement  remarquer  à  ce  point  de 
vue  que,  s'il  est  des  animaux  qui  s'engourdissent  pen- 
dant l'hiver,  tandis  que  les  autres  conservent  la  même 
activité  que  dans  les  autres  saisons,  c'est  que  le  sys- 
tème nerveux  présente  chez  ces  derniers  des  propriétés 
telles  qu'il  règle  la  température  du  sang  et  la  main- 
tient à  peu  près  constante,  c'est-à-dire  indépendante 
des  variations  extérieures  :  grâce  à  ce  mécanisme,  les 
éléments  anatomiques  vivent  alors  dans  le  milieu  inté- 
rieur comme  des  plantes  en  serre  chaude,  et  n'ont  pas 
à  subir  l'influence  de  l'abaissement  de  température  du 
milieu  où  est  plongé  l'organisme  entier.  Les  animaux 
qui  sont  dépourvus  de  ce  mécanisme  régulateur  sont 
dits  animaux  à  sang  froid,  et  subissent  sous  ce  rapport 
l'influence  des  variations  du  milieu  ambiant. 

Mais  il  faut  ajouter  que  plus  les  organismes  possèdent 
des  fonctions  complexes,  plus  ils  sont  exposés  h  un  grand 


DÉFINITION    DE    LA.    VIE.  97 

nombre  de  maladies,  de  même  qu'une  machine  est 
d'autant  plus  exposée  à  des  accidents  qu'elle  se  com- 
pose de  pièces  plus  nombreuses  et  plus  compliquées. 
De  ce  que  les  animaux  à  sang  chaud  ont  de  plus  que  les 
animaux  à  sang  froid  un  mécanisme  régulateur  de  la 
température  du  milieu  intérieur,  il  s'ensuit  qu'ils  peu- 
vent être  frappés  dans  ce  mécanisme  même  ;  et  en  effet, 
l'un  des  processus  morbides  les  plus  fréquents,  la  fièvre, 
n'est  autre  chose  qu'une  altération  de  la  fonction  de 
calorification  :  les  animaux  à  sang  froid  étant  dépour- 
vus de  cette  fonction,  sont  en  même  temps  exempts  de 
la  lièvre. 

Puisque  nous  avons  parlé  de  la  fièvre,  je  vous  rap- 
pelerai  que  le  danger  de  ce  processus  morbide  vient 
précisément  de  ce  que  l'augmentation  de  température 
du  milieu  intérieur  place  les  éléments  anatomiques  dans 
des  conditions  anormales,  l'excès  de  chaleur  auquel  ils 
sont  soumis  pouvant  alors  amener  leur  mort.  Nous 
avons  étudié  précédemment  les  conditions  de  la  mort 
par  la  chaleur,  et  les  notions  que  nous  avons  acquises 
à  ce  sujet  sont  devenues,  d'une  manière  générale,  assez 
classiques  pour  qu'il  me  suffise  de  vous  rappeler  que 
les  fonctions  des  éléments  musculaires,  comme  celles 
des  nerfs,  sont  arrêtées  lorsque  la  température  du  mi- 
lieu intérieur  monte  de  quatre  à  cinq  degrés  au-dessus 
de  la  normale. 

En  cherchant  à  faire  l'analyse  de  la  vie  par  l'étude  de 
la  vie  partielle  des  différentes  espèces  d'éléments  ana- 
tomiques, il  nous  faudra  éviter  de  tomber  dans  une  er- 

CL.  BERNAUD.  —  Phjrsiol.  opér.  7 


98  PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIHK    KT    VIVISECTIONS. 

reur  trop  facile,  et  qui  consisterait  à  conclure  de  la  na- 
ture, de  la  forme  et  des  besoins  de  la  vie  totale  de  l'in- 
dividu, à  la  nature,  à  la  forme  et  aux  iiesoins  de  la  vie 
des  éléments  anatomi(|ues.  Ainsi  on  sait  que  l'oxygène 
est  indispensable  à  la  vie  des  animaux;  c'est  là  une  des 
notions  les  premières  acquises  depuis  la  découverte  de 
l'oxygène,  notion  fondamentale  aujourd'hui  de  toutes 
nos  connaissances  sur  la  respiration  et  de  toutes  nos  pra- 
tiques d'hygiène.  Mais  de  ce  que  l'organisme  entier  doit 
vivre  au  contact  de  l'oxygène,  soit  dans  l'air,  soit  dans 
l'eau,  s'ensuit-il  que  des  conditions  semblables  soient 
nécessaires  aux  éléments  anatomiques?  Au  premier 
abord,  par  le  simple  raisonnement,  en  vertu  de  fortes 
analogies,  on  n'hésiterait  pas  à  répondre  par  l'affirma- 
tive, mais  la  réponse  devient  très-douteuse  lorsqu'on 
s'en  rapporte  aux  résultats  de  l'expérimentation,  c'est- 
à-dire  à  la  réalité  des  choses. 

En  effet  on  voit,  d'une  part,  que  les  phénomènes  orga- 
niques, qui  se  traduisent  en  définitive  par  des  oxydations, 
ne  se  produisent  réellement  pas  par  de  simples  combus- 
tions, mais  par  des  dédoublements  infiniment  plus 
complexes  :  nous  avons,  dans  la  leçon  précédente,  in- 
sisté sur  cette  question.  D'autre  part,  nous  voyons  que 
les  élénients  anatomiques  vivent  non  pas  directement 
au  contact  du  sang  chargé  d'oxygène,  mais  au  contact 
du  liquide  interstitiel,  delà  lymphe,  c'est-à-dire  qu'ils 
sont  plongés  non  dans  le  sang  rouge,  mais  dans  le  sang 
blanc,  et  de  même  pour  les  invertébrés  elles  vertébrés. 
Or,  dans  cette  lymphe,  les  éléments  de  tissus  sont  dans 
un  milieu  chargé  d'acide  carbonique  et  pauvre  en  oxy- 


FONCTIONS    DES   ÉLÉMENTS    A.VATOMIQUES.  99 

gène,  comme  le  démontrent  tous  les  travaux  récents 
sur  les  gaz  de  la  lymphe. 

Bien  plus,  il  semble  que  lorsqu'on  fait  arriver  l'oxy- 
gène jusqu'au  niveau  des  cellules  des  tissus,  en  satu- 
rant l'organisme  de  ce  gaz,  on  provoque  dans  ces  cellu- 
les des  troubles  qui  sont  incompatibles  avec  la  vie  :  tels 
sont  les  résultats  des  expériences  de  P.  Bert  sur  la  res- 
piration de  l'oxygène  pur  et  de  l'air  comprimés  à  de 
hautes  tensions.  Toutes  ces  questions  sont  encore  fort 
obscures  au  point  de  vue  de  la  physiologie  générale  ; 
en  y  faisant  allusion  ici,  nous  n'avons  d'autre  but  que 
de  vous  montrer,  je  le  répète,  combien  il  faut  se  garder 
de  conclure  des  conditions  d'existence  de  l'organisme 
entier  aux  conditions  d'existence  de  ses  éléments  ana- 
tomiques  constituants,  et  nous  devions  insister  sur  ce 
fait,  en  apparence  paradoxal,  que  l'oxygène,  indis- 
pensable à  la  vie  de  l'organisme  entier,  est  peut-être 
moins  directement  utile,  et  même,  dans  certaines  cir- 
constances, devient  nuisible  à  la  vie  des  éléments  aua- 
tomiques. 

Nous  dirons  donc,  pour  résumer  toutes  les  vues  pré- 
cédentes, nous  dirons  que  la  physiologie  expérimentale 
doit  porter  son  investigation  jusque  dans  la  profondeur 
intime,  microscopique,  de  l'organisme,  jusqu'aux  élé- 
ments analomiques  ;  que  dans  cette  étude  de  physio- 
logie générale  il  faut  procéder  comme  dans  celle  des 
fonctions  des  organes,  c'est-à-dire  localiser  d'abord  et 
expliquer  ensuite;  etqu'enfln,  pour  établir  ces  explica- 
tions, il  ne  faut  pas  se  contenter  de  conclure  par  ana- 
logie des  fonctions  et  propriétés  de  l'organisme  aux 


100         PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE    ET    VIVISECTIONS. 

fonctions  et  propriétés  de  ses  éléments  de  tissus,  mais 
toujours  rechercher  directement,  c'est-à-dire  par  le 
procédé  expéiimental,  quelle  est  la  réalité  des  phéno- 
mènes, et  quels  sont  les  processus  qui,  tout  en  obéissant 
aux  lois  de  la  physique  et  de  la  chimie,  sont,  quant  à 
leurs  formes,  spéciaux  aux  éléments  anatomiques 
vivants. 

Avec  un  semblable  programme  tout  sentiment  d'im- 
patience serait  absolument  fatal.  Quand  on  a  bien  com- 
pris la  complexité  et  l'étendue  des  phénomènes  à  ana- 
lyser, on  est  nécessairement  pénétré  de  la  nécessité  de 
marcher  lentement,  mais  sûrement,  de  se  contenter  du 
peu  qu'on  trouve,  pourvu  que  ce  peu  constitue  définiti- 
vement une  pierre,  si  petite  soit-elle,  pour  l'édifice 
scientiflque  qu'il  s'agit  d'élever  sur  des  bases  solides. 

Tel  est  le  but  de  la  physiologie,  de  la  médecine  expé- 
rimentale. Malheureusement  il  est  difficile  au  médecin 
de  se  pénétrer  de  ce  besoin  de  patience:  il  lui  faut 
attendre  les  lentes  conquêtes  de  la  science,  et  cependant 
le  malade  est  là,  dans  un  état  dont  on  veut  au  plus  vite 
se  rendre  compte  et  auquel  plus  vite  encore  on  désire 
porter  remède.  Pour  répondre  à  ce  double  desideratum, 
la  médecine  a  eu  depuis  longtemps  recours  à  l'empirisme, 
et  sur  bien  des  points  c'est  encore  à  l'empirisme  qu'elle 
devra  longtemps  encore  s'adresser  ;  mais  cet  empirisme 
aura,  même  au  point  de  vue  scientifique,  ses  résultats 
incontestables  :  il  fait  surgir  des  questions  que  l'étude 
expérimentale  aborde  et  dont  elle  fournit  la  solution, 
remplaçant  alors  les  notions  vagues  et  indéterminées  par 
les  données  d'un  déterminisme  exact.  Et  c'est  ainsi  que, 


MÉDECINE    EXPÉRIMENTALE,  ICI 

la  science  expliquant  l'empirisme,  l'empirisme  offrant  à 
la  science  des  points  de  vue  nouveaux,  médecine  et 
physiologie  iront  simullanéinent  s'enlr'aidant  et  se 
fusionnant  de  plus  en  plus  en  une  seule  et  véritable 
science,  la  médecine  expérimentale  ou  physiologie  expé- 
rimentale, car  les  phénomènes  de  1  organisme  malaJe 
seront  expliqués  par  les  phénomènes  de  l'organisme 
sain,  et  la  })hysiologie,  dans  le  sens  le  plus  large,  dans 
le  sens  vrai  du  mot,  comprendra  nécessairement,  en  une 
seule  et  même  étude,  les  fonctions  de  l'organisme  sous 
leurs  formes  diverses  dites  physiologiques  et  patholo- 
giques. 

Si  nous  avons  confiance  dans  cet  avenir  de  nos 
études  expérimentales,  nous  devons,  en  raison  ujcme  de 
la  grandeur  du  but,  donner  tous  nos  soins  aux  moindres 
détails  des  efforts  qui  nous  permettront  de  l'atteindre; 
nous  devons,  en  un  mot,  nous  préoccuper  avant  tout 
d'une  bonne  discipline  expérimentale,  et  préciser  à  cet 
effet  les  conditions  rigoureuses  d'une  technique  etd'une 
critique  expérimentale  qui,  en  fixant  les  procédés  propres 
à  contrôler  les  résultats  déjà  obtenus,  nous  permettent 
de  marcher  plus  loin  dans  l'analyse  des  phénomènes  de 
la  vie.  Dans  une  étude  de  ce  genre,  aucun  détail  ne 
saurait  être  insignifiant:  c'est  pourquoi  nous  commen- 
cerons, dans  la  prochaine  leçon,  cet  exposé  de  technique 
expérimentale  par  l'indication  rapide  des  moyens  de 
préhension,  de  fixation,  d'anesthésie,  etc.,  des  animaux 
mis  en  expérience. 


DEIXIÈME  PARTIE 

PRÉHENSION  ET  CONTENTION  DES  ANIMAUX. 

INSTRUMENTS ,  APPAREILS  ET  OPÉRATIONS  D'UN  USAGE  GÉNÉRAL 

DANS  LES  VIVISECTIONS. 


SIXIÈME  LEÇON 

SOMH.URE  :  Opérations  préliminaires  à  toutes  les  vivisections.  —  Choix  des 
animaux  destinés  aux  vivisections.  —  Préhension  des  animaux.  —  Chiens  : 
manière  de  les  saisir  fpince  à  collier,  nœuds  coulants,  etc.);  manière  de 
les  museler.  —  Cliats  :  manière  de  les  saisir  (emploi  du  chloroforme  i; 
manière  de  les  museler.  —  Lapins  et  autres  animaux  de  petite  taille.  — 
Oiseaiuc. 


Messieurs, 

Nos  éludes  devant  porter  sur  des  animaux  vivants, 
noire  premier  soin  doit  être  de  nous  procurer  ces  sujets 
d'expérience.  A  cet  effet,  la  meilleure  manière  défaire 
serait  d'élever  des  animaux,  ainsi  que  cela  se  fait  dans 
les  annexes  des  somptueux  laboratoires  établis  dans 
quelques  pays  étrangers,  car  le  déterminisme  expéri- 
mental porte  non-seulement  sur  les  conditions  mêmes  de 
Texpérience,  mais  encore  sur  les  conditions  antérieures 
des  animaux,  et  souvent,  pour  faire  parallèlement  des 
recherches  de  contrôle,  des  contre-épreuves,  nous  de- 
vons agir,  par  exemple,  sur  des  chiens  d'une  même 


CHOIX    DES    ANIMAUX.  103 

portée,  atin  d'avoir  des  sujets  exactement  comparables. 
D'autre  part,  il  est  des  animaux^ qu'on  perdrait  beau- 
coup de  temps  à  rechercher,  si  des  installations  parti- 
culières ne  les  mettaient  constamment  à  notre  disposi- 
tion ;  tels  sont  les  animaux  marins.  Aussi  avons-nous  en 
France  des  laboratoires  établis  aux  bords  de  la  mer,  à 
Concarneau,  à  Roscoff  par  exemple,  oi!i  les  poissons, 
les  mollusques,  leséchiuodermes,  etc.,  etc.,  sont  élevés 
dans  d'immenses  aquariums  et  peuvent  être  étudiés  aux 
diverses  époques  de  leur  développement.  A  Naples,  une 
institution  de  ce  genre  a  été  fondée  sur  un  pied  infini- 
ment grandiose  et  est  devenue  le  rendez-vous  d'expéri- 
mentateurs qui  y  accourent  de  tous  les  points  de  l'Eu- 
rope. 

Mais  en  somme,  pour  les  besoins  de  la  médecine  expé- 
rimentale, nous  n'avons  que  très-rarement  recours  aux 
animaux  marins;  les  animaux  domestiques,  chien, 
chat,  lapin,  cheval,  nous  suffisent  la  plupart  du  temps, 
et  comme  notre  installation  ne  nous  permet  pas  d'élever 
ces  animaux,  nous  nous  les  procurons,  on  le  devine,  soit 
en  achetant  ceux  qui  se  trouvent  dans  le  commerce,  soit 
en  nous  faisant  céder  ceux  qui,  par  mesure  de  police 
ou  pour  toute  autre  cause,  sont  destinés  à  être  abattus. 
Ainsi  les  chiens  errants  sont  ramassés  pour  être  mis 
en  fourrière  et  détruits  par  pendaison  si  leurs  pro- 
priétaires ne  les  ont  pas  réclamés  au  bout  de  vingt- 
quatre  heures.  C'est  donc  à  la  fourrière  que  nous 
cherchons  les  chiens  nécessaires  à  nos  expériences. 

Pour  agir  sur  ces  animaux,  il  faut  que  le  physiolo- 
giste, au  point  de  vue  de  sa  propre  sécurité,  ait  recours 


104  PRÉHENSION    DES    ANIMAI  X. 

à  certaines  mesures  de  prudence,  absolument  comme 
le  chimiste  prend  les  précautions  nécessaires  pour  éviter 
des  explosions  ou  autres  accidents  dangereux.  Quoi- 
que, la  plupart  du  temps,  les  chiens  venus  de  la  four- 
rière soient  Irès-abattus  et  par  suilelrès-doux,  il  en  est 
cependant  qui  résistent,  qui  ne  se  laissent  pas  saisir;  en 
tout  cas,  ils  se  défendent  violemment  pendant  les  ex- 
périences. Les  chats  sont,  cela  va  sans  dire,  plus  dif- 
ficiles encore  à  saisir  et  à  maîtriser.  >'ous  devons  donc 
vous  indiquer  en  deux  mots  les  moyens  de  préhension. 
et  de  contention  des  animaux. 

Les  préceptes  d'expérimentation  relatifs  au  choix  et  à 
la  disposition  des  animaux  suivant  le  but  spécial  que  l'on 
se  propose  d'atteindre  se  trouveront  plus  utilement  pla- 
cés à  propos  de  chaque  expérience  particulière.  Il  n'en 
est  pas  de  même  des  préliminaires  opératoires  qui  vont 
suivre,  et  qui  se  rapportent  à  la  préhension  et  à  la  con- 
tention des  animaux,  aux  dispositions  générales  de  l'in- 
strumentation. Ces  moyens,  s'étendant  à  l'ensemble  des 
vivisections,  doivent  être  exposés  ici,  une  fois  pour 
toutes,  dans  leur  généralité. 

PRÉHENSION   DES    ANIMAUX. 

Les  animaux  sont  toujours  plus  ou  moins  indociles 
quand  ou  pratique  sur  eux  des  opérations  douloureuses. 
11  arrive  alors  que  l'opérateur  ou  ses  aides,  s'ils  n'ont 
pas  pris  les  précautions  nécessaires,  sont  exposés  à  être 
blessés  par  ces  animaux  qui  usent  de  leurs  moyens 
naturels  de  défense.  La  condition  principale  de  sécurité 
([ue  je  ne  cesse  de  recommander  aux  élèves  qui  servent 


PRtHENSlO.V    DES    ANIMAL  X.  105 

d'aides  ou  qui  expérimentent,  c'est  le  sang-froid,  qui 
permet  de  considérer  toutes  les  précautions  à  prendre 
et  fait  qu'on  n'eu  néglige  aucune.  Quand  on  reste  calme 
et  qu'on  a  tout  calculé  pour  éviter  le  danger,  on  a  le 
couiage  réfléchi  fondé  sur  la  confiance,  et  dans  cet  état 
désprit  on  peut  aborder  hardiment  les  opérations  les 
plus  périlleuses;  tandis  que  je  tremble  toutes  les  fois 
que  je  vois  des  expérimentateurs  emportés  par  ce  cou- 
rage irréfléchi  qui  consiste  à  ne  pas  avoir  peur  de 
braver  le  danger,  et  qui,  dans  leur  imprévoyance, 
courent  risque  d'être  blessés  même  dans  les  opérations 
les  plus  simples. 

Chien.  —  A  raison  de  leur  docilité,  les  chiens  se 
laissent  généralement  prendre  sans  résistance.  Mais, 
comme  les  chiens  sur  lesquels  on  expérimente  dans  les 
laboratoires  n'ont  plus  de  maîtres,  en  ce  sens  que  ce  sont 
souvent  des  chiens  errants  pris  et  amenés  dans  un  labo- 
ratoire où  ils  sont  dépaysés,  il  arrive  que  ces  animaux 
sont  ou  intimidés,  comme  cela  a  lieu  chez  les  races  de 
chiens  de  chasse,  ou  bien  qu'ils  sont  irrités,  défiants,  et 
se  tiennent  toujours  sur  la  défensive,  ainsi  que  cela  se 
voit  chez  certaines  races  de  bouledogues.  Il  faut,  dans 
ce  dernier  cas,  prendre  certaines  précautions  pour  se 
rendre  maître  de  ces  animaux. 

11  n'arrive  pas  ordinairement  que  le  chien  se  jette 
sur  l'homme  qui  ne  lui  dit  rien;  ce  n'est  qu'au  moment 
d'être  saisi  que  l'animal  cherche  à  mordre  la  main  qui 
veut  le  prendre.  Si  l'animal  est  simplement  un  peu  effa- 
rouché, on  peut  souvent,  par  des  moyens  de  douceur  et 
en  caressant  l'animal  de  la  voix,  arriver  à  l'approcher 


I0(i  PRÉHEIVSION    ])ES   AMMAUX. 

sulTisamiuent  pour  le  saisir  rapidement  et  solidement 
par  la  peau  du  cou.  11  ne  faut  jamais  dans  ces  cas 
essayer  de  saisir  le  chien  par  une  autre  partie  du  corps, 
parce  que  l'on  serait  inévitablement  mordu.  Dans  toutes 
ces  manœuvres,  il  ne  faut  pas  avoir  l'air  d'être  hésitant, 
et  il  ne  faut  pas,  ce  qui  effraye  le  chien  et  l'irrite  encore, 
faire  de  mouvements  inutiles. 

Enfin,  si  l'animal,  trop  féroce,  gronde,  montre  les 
dents  et  ne  se  laisse  pas  approcher,  on  eu  vient  à  l'em- 
ploi de  moyens  qui  permettent  de  saisir  l'animal  sans 
être  exposé  à  être  mordu.  Un  des  moyens  les  plus  connus 
est  une  pince  à  collier,  qui  sert  à  se  rendre  maître  des 
chiens  enragés.  Ce  n'est  autre  chose  qu'une  longue 
pince  en  fer,  dont  les  mors,  disposés  en  croissant,  for- 
ment par  leur  rapprochement  un  collier  dans  lequel  on 
étreint  le  cou  de  l'animal,  sans  excès,  mais  suffisam- 
ment pour  qu'il  ne  lui  soit  pas  possible  de  se  dégager. 
L'animal  ainsi  saisi  doit  être  maintenu  solidement, 
pendant  qu'une  autre  personne  s'occupe  à  le  museler, 
en  ayant  soin  de  ne  pas  trop  approcher  les  doigts  de  la 
gueule  et  en  se  tenant  en  garde  contre  les  griffes  des 
pattes  antérieures. 

Quand  on  n'a  pas  de  pince  à  collier,  on  peut  y  sup- 
pléer par  deux  longs  bâtons  portant  l'un  et  l'autre  un 
nœud  coulant.  Ces  nœuds  étant  jetés  avec  habileté  et 
serrés  autour  du  cou  de  l'animal,  les  bâtons  servent  à  le 
maintenir  à  distance,  immobile  entre  deux  aides. 

Enfin  si  l'animal,  à  raison  de  sa  force  et  de  sa  fu- 
reur, ne  peut  pas  être  maîtrisé  on  en  vient  à  un  moyen 
extrême  qui  réussit  toujours.  Ce  moyen  consiste  à  jeter 


PRÉHENSION    DES    ANIMAUX.  407 

autour  du  cou  du  chien,  soit  direclement,  soit  au  moyen 
d'un  long  bâton,  une  corde  avec  un  nœud  coulant;  alors 
on  serre  le  nœud  coulant,  soit  en  s'arc-boutant  contrôle 
pied  d'une  table,  soit  en  suspendant  l'animal  contre  une 
porte.  On  étrangle  ainsi  l'animal;  et  le  chien,  bientôt 
à  demi  asphyxié ,  tombe  dans  une  résolution  et  une 
insensibilité  complètes.  On  profite  de  cet  instant  pour  le 
museler  rapidement,  pour  lui  lier  les  pattes  de  devant, 
avec  lesquelles  il  chercherait  ensuite  à  se  démuseler,  et 
aussitôt  après  on  desserre  le  nœud  coulant  ;  après  quel- 
ques minutes  le  chien  revient  à  la  vie,  muselé  et  garrotté 
de  façon  qu'on  en  soit  complètement  maître. 

Musèlement  du  chien.  —  On  pourrait  faire  usage  de 
muselières  semblables  à  celles  que  l'on  mettait  jadis  aux 


Fie.  i.  —  WusélemciU  dii  cliien  à  l'aide  d'une  simple  corde  rattachée  sur  la  nuque. 

chiens  pendant  les  grandes  chaleurs  de  l'été;  mais  pour 
les  usages  physiologiques  ces  moyens  sont  souvent 
incommodes  et  trop  compliqués,  car  il  faudrait  avoir 
des  muselières  à  la  taille  de  tous  les  chiens  —  Le  pro- 


i08  PRÉHENSION    DES    ANIMAUX. 

cédé  de  niiisèlement  physiologique  le  plus  simple  con- 
siste à  faire  d'abord  sur  le  museau  un  ou  deux  tours  avec 
un  ruban  de  fil,  ou  même  une  petite  corde,  que  l'on 
noue  solidement  sous  la  mâchoire  et  dont  on  vient  en- 
suite (voy.  fig.  ^)  attacher  les  deux  chefs  sur  la  nuque, 
en  arrière  des  oreilles,  pour  empêcher  la  ligature  anté- 
rieure de  glisser.  Ou  bien  l'on  fait  d'abord  passer  la 
corde  dans  la  gueule  de  l'animal,  puis  on  entoure  le 
museau  et  on  lie  sur  celui-ci  :  les  dents  canines  empê- 
chent ainsi  laligature  de  glisser  en  avant.  Ou  bien  en- 
core on  place  un  morceau  de  bois  derrière  les  dents 
canines,  et  l'on  empêche  ainsi  le  glissement  de  la  ficelle 
dont  on  entoure  le  museau  comme  précédemment.  En 
se  rapportant  à  la  figure  empruntée  à  Régnier  de  Graaf 
(fig.  5  ci-après),  on  voit  que  cet  opérateur  agissait  un 
peu  différemment  :  il  faisait  un  tour  de  ficelle  derrière 
le  cou,  puis  il  en  entourait  le  museau,  et  venait  enfin  fixer 
la  ficelle  à  un  clou  fiché  dans  la  table. 

Chat.  —  Les  chats  sont  plus  terribles  que  les  chiens, 
en  ce  qu'ils  sont  armés  de  griftes  et  de  dents,  et  que  leur 
souplesse  et  leur  agilité  les  rendent  difficiles  à  contenir. 
Aussi  serait-il  à  peu  près  impossible  de  se  rendre  maître 
d'un  chat  furieux  :  il  fait  des  bonds  comme  un  tigre  et 
déchire  ce  qui  se  trouve  sous  ses  griffes.  On  peut  facile- 
ment approcher  les  chats  domestiques  et  on  les  adoucit 
par  les  caresses;  mais  aussitôt  que  l'animal  se  sent  saisi 
et  qu'il  voit  qu'on  veut  s'en  rendre  maître,  sa  férocité 
se  réveille  instantanément,  et  ses  griffes  et  ses  dents  font 
des  blessures  cruelles  qui  forcent  de  le  lâcher.  Il  s'agit 
donc  de  saisir  le  chat  subitement,  de  manière  à  être  à 


rRÉUEXSlON    DES    ANIMAUX'.  109 

l'abri  de  ses  griffes  el  de  ses  dents.  Autrefois,  avant 
l'emploi  des  anesthésiques,  je  faisais  usage  de  procédés 
plus  ou  moins  compliqués  et  difficiles  que  je  ne  décrirai 
pas. 

Aujourd'hui  que  les  anesthésiques  sont  connus,  le 
moyen  le  plus  simple  de  se  rendre  maître  d'un  chat 
consiste  à  prendre  l'animal  par  les  caresses  et  à  le  jeter 
brusquement  dans  une  boîte  ordinaire  ou  dans  une 
boître  vitrée  à  éthérisatiou  (voy.  plus  loin  l'appareil  à 
éthérisalions)  que  l'on  referme  immédiatement.  On  in- 
troduit une  éponge  imbibée  de  chloroforme  et  bientôt 
le  chat  tombe  anesthésié.  On  profite  de  cet  instant  pour 
s'en  rendre  maître,  c'est-à-dire  pour  lui  attacher  les 
pattes  et  le  museler. 

Musèlement  du  chat.  —  Le  musèlement  du  chat  est 
loin  d'être  facile,  parce  que  ces  animaux  ont  le  nez  très- 


FiG.  3.  —  Chat  muselé. 
Le  corps  de  l'animal  est  placé  dans  la  gouttière  (voy.  plus  loin  fig.  16)  dont  on  n'aperçoit 
ici  que  l'extrémité  ;  dans  la  bouche  se  trouve  le  mors  en  fer  anne.\é  à  cctic  même  gout- 
tière dont  on  trouvera  plus  loin  la  description. 

court  et  que  la  corde  tend  à  glisser,  ou  bien  suffoque  le 
chat  en  aplatissant  les  cartilages  nasaux.  Aussi  Walter 
faisait-il  une  suture  aux  lèvres,  de  sorte  que  la  bouche 


110  l'RÉnE.vsioN  i)i:s  animaux. 

était  cousue.  Mais  il  est  plus  convenable  de  museler  le 
chat  en  liant  la  mâchoire  inférieure,  qui  n'échappe  pas 
si  l'on  place  un  bâillon  qui  sert  de  mors  (voy.  fig.  3). 

Lapins  et  autres  animaux  rongeurs.  —  Les  rongeurs 
ne  sont  pas,  comme  les  carnassiers,  féroces  de  leur 
naturel;  cependant  il  est  certaines  précautions  qu'il  con- 
vient de  prendre  quand  on  doit  opérer  sur  eux. 

Les  lapins  sont  faciles  à  saisir  par  les  oreilles,  et  leur 
nature,  en  général  inoffensive,  paraît  devoir  dispenser 
de  toute  précaution.  Cependant  il  arrive  souvent  que 
les  lapins  mordent  ou  cherchent  à  se  débarrasser  avec 
leurs  griffes  aiguës  des  mains  qui  les  contiennent.  Il 
faudra  donc  en  tout  cas  saisir  un  lapin  de  manière  à 
avoir  la  main  en  dehors  des  atteintes  des  dents  et 
des  griffes.  De  plus,  il  faudra  se  tenir  pour  averti  que  le 
lapin  fait  des  mouvements  extrêmement  subits  et  vio- 
lents qui  le  font  échapper  et  exposent  alors  les  opéra- 
teurs à  manquer  les  expériences  et  à  être  blessés. 

Les  cobayes  ou  cochons  cVlnde  se  servent  quelquefois 
aussi  de  leurs  dents  ;  mais  il  suffit  de  les  saisir  et  de  les 
maintenir  par  la  peau  du  cou  pour  être  en  dehors  de 
leurs  atteintes. 

Les  marmottes^  hors  l'état  d'hibernation,  si  elles  ne 
sont  pas  apprivoisées,  sont  des  animaux  très-difficiles  à 
saisir  en  se  mettant  à  l'abri  de  leurs  griffes.  Elles  font 
des  morsures  qui  sont  très- profondes.  Le  meilleur 
moyen  consiste  à  les  faire  passer  dans  une  boîte  ou  dans 
un  sac,  et  à  les  éthériser  comme  les  chats. 

Les  rais  blancs  apprivoisés  sont  très-doux  ;  mais  les 
surmulots  non  apprivoisés  sont  redoutables  par  leurs 


PRÉHENSION    DES    AXIMAIX.  111 

dents;  pour  les  museler,  il  faut  les  éthériser  ou  les  sai- 
sir par  la  peau  du  cou  avec  de  longues  pinces  ana- 
logues aux  anciennes  pinces  des  chimistes.  On  les 
musèle  avec  un  mors  et  on  les  fixe  comme  les  chiens  et 
les  chais. 

Animaux  divers.  —  Le  clievrecm^  \ agneau,  le  mou- 
ton, sur  lesquels  le  physiologiste  a  parfois  l'occasion 
d'expérimenter,  sont  des  animaux  doux  et  inoffensifs 
qui  n'offrent  en  général  aucune  difficulté  dans  leur 
mode  de  préhension . 

En  France,  on  opère  assez  rarement  sur  les  sinr/es. 
Je  n'ai  eu  qu'une  fois  l'occasion  d'expérimenter  sur  cet 
animal.  Quand  il  est  irrité,  il  est  redoutable  par  ses 
dents  et  par  ses  mains.  Les  dents  font  des  morsures 
profondes,  et  les  mains,  armées  d'ongles  aigus  quand  le 
singe  est  grand,  saisissent  celles  de  l'opérateur  avec 
une  vigueur  telle  qu'on  a  de  la  peine  à  s'en  débarras- 
ser. Cependant,  avec  les  précautions  convenables,  on 
parvient  assez  facilement  à  maîtriser  cet  animal. 

Il  est  certains  animaux  qui  présentent  quelques 
particularités,  tel  le  hérisson,  qui  se  roule  en  boule  et 
ne  peut  être  saisi  dans  cet  état.  Il  suffit  de  l'élhériser 
pour  le  faire  dérouler.  Quant  à  beaucoup  d'autres  petits 
animaux  mammifères,  tels  que  les  chauves-souris,  sur 
lesquels  on  peut  encore  opérer,  pourvu  qu'on  connaisse 
leurs  mœurs  il  sera  facile  de  s'en  rendre  maître,  d'après 
tout  ce  qui  a  été  dit  précédemment. 

Oiseaux.  —  Les  oiseaux  sur  lequels  on  opère  le  plus 
ordinairement  sont  les  gallinacés  de  basse-cour,  puis  le 
dindon,  le  canard,  le  pigeon,  etc.  Leur  préhension 


W'-l  l'Rh'HENSION    DKS    ANIMAUX. 

n'offre  aucune  difficulté.  Cependant  les  oies  et  les  din- 
dons font  quelquefois  des  morsures  assez  profondes,  si 
l'on  n'y  prend  garde. 

Quant  aux  oiseaux  de  proie,  tels  que  la  chouette, 
lelTraie,  etc.,  il  faut  se  garer  de  leur  bec  et  de  leurs 
serres.  Le  meilleur  moyen  est  de  se  garantir  les  mains 
avec  des  gants  très-épais.  Du  reste,  quand  on  leur  a 
couvert  ou  enveloppé  la  tête  de  manière  à  leur  enlever 
toute  perception  lumineuse,  il  devient  assez  facile  de 
les  maintenir  et  de  les  tîxer  de  ftiçon  k  s'en  rendre 
maître. 


SEPTIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  De  la  contention  des  animaux.  —  Contention  mécanique  et  con- 
tention physiologique.  —  Appareils  de  contention  mécanique  employés  par 
Vésale,  par  Régnier  de  Graaf.  —  Ligature  des  membres.  —  Diverses  tables 
à  vivisection.  —  Gouttières  diverses  de  Schwann,  de  Pirogoff,  de  Blondlot. 
—  Table  à  vivisection  de  Cl.  Bernard.  —  Figures  montrant  la  disposition 
de  divers  animaux  sur  cette  table.  —  Transformation  de  cette  table  en 
diverses  formes  de  gouttières.  —  Installations  des  animaux  sur  ces  gout- 
tières (figures).  —  Nouvelle  gouttière  brisée  de  Cl.  Bernard.  —  Dispositions 
des  animaux  sur  la  gouttière  brisée.  —  Détails  sur  les  mors  employés  pour 
le  chien.  —  Contention  du  lapin.  —  Appareil  de  Czermak.  —  Préhension 
et  contention  des  grands  animaux  :c/teî;ai  (morilles,  bricole,  entravons,  etc.)  ; 
bœuf  (travail). 


Messieurs  , 

Lorsqu'on  s'est  rendu  maître  de  l'animal  sur  lequel 
on  veut  expérimenter,  il  s'agit  de  le  maintenir  plus  ou 
moins  longtemps  dans  une  situation  convenable  et  ap- 
propriée au  genre  d'expérience  que  l'on  veut  pratiquer. 
On  peut  arriver  à  ce  résultat  au  moyen  d'un  nombre 
suffisant  d'aides;  mais  on  n'a  pas  toujours  autant  d'aides 
que  l'on  veut,  et  quand  les  animaux  sont  petits,  cela 
devient  quelquefois  gênant.  C'est  pourquoi  on  fixe 
l'animal  avec  des  liens,  sur  des  tables  ou  divers  appa- . 
reils,  qui  ont  été  imaginés  depuis  longtemps  par  les  expé- 
rimentateurs. 

Les  moyens  de  contention  des  animaux  sont  de  deux 
ordres  :  les  moyens  mécaniques  et  les  moyens  anesthé- 

cr,.  BERNARD.  —  Phvsiol.  opér.  s 


114  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

signes,  qu'on  peut  appeler  d'une  manière  plus  générale 
les  moyens  de  contention  physiologique. 

MOYENS    DE    CONTENTION   MÉCANIQUE    :    HISTORIQUE. 


Les  anciens  expérimentateurs  s'étaient  déjà  soigneu- 
sement pourvus  de  moyens  propres  à  immobiliser  les 
animaux.  C'est  une  revue  curieuse  que  celle  des  appa- 
reils plus  ou  moins  primitifs  qu'ils  avaient  mis  en  usage 
dans  ce  but. 

Nous  trouvons  dans  Vésale  une  figure  représentant 
l'appareil  de  contention  destiné  à  l'expérimentation  sur 


FiG.  4.  —  Appareil  do  contention  du  porc,  d'après  Vcsale. 

bb,  table  de  vivisection  ;  d,  anneaux,  et  c,  trous  pour  fixer  les  membres  de  l'animal  ; 
e,  chaîne  qui  fixe  la  lète  en  passant  dans  la  g'ucule. 

le  porc  (fig.  4).  —  Voici  la  légende  de  celte  figure  telle 
que  la  donne  Vésale  : 

«  Hac  figura  suem  asseri  quem  vivis  sectionibus 
administrandis  parare  solemus. 

»  b,  b,  asser  vivis  seclionibus  administrandis  idoneus. 

»  c,  c,  varia  foramina  quibus  laqueos  pro  animalis 
mole  adhibemus,  quum  femora  et  biachia  vincimus. 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  M 5 

»  d,  d,  ejus  mocli  anuli  summis  manibus  pedibusquc 
ligandisadaptantur. 

»  e,  huic  anulo  maxilla  superior,  libéra  inferiori, 
catenula  alligatur,  ut  cap  ut  immotum  servatur,  ac  inté- 
rim neque  vox  neque  respiratio  vinculorum  occasione 
prepediantur  (i).  » 

Un  des  procédés  les  plus  simples  pour  la  contention 
du  chien  se  trouve  représenté  dans  l'ouvrage  de  Régnier 
de  Graaf  sur  le  pancréas  {^) . 


FiG.  5.  —  Contention  du  rhicn,  tl'après  Régnier  de  Graaf. 

Dans  cette  figure,  l'animal  est  fixé  sur  une  table, 
couché  sur  le  dos  et  les  quatre  membres  maintenus  par 
des  liens  qui  sont  attachés  à  quatre  clous  plantés  à  des 
distances  plus  ou  moins  grandes,  suivant  la  taille  du 
chien.  La  tête  et  le  museau  sont  également  maintenus 

iV)  Aiidreije  Vcsalii  Bruxellcnsis  Suormn  de  humanl  corporis  fahrica  lihro- 
ruin  epitome.  London,  1545. 

(2)  Tractalus  anatomo-medicus  de  succi  pancreatici  natura  et  ms»,  authore 
Rcgnero  de  Graaf.  1671,  p.  47. 


116  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

à  l'aide  d'un  clou  auquel  est  fixée  une  muselière  en 
corde  qui  forme  une  anse  derrière  la  tête  et  vient  se 
nouer  sur  le  museau. 

Pour  empêcher  les  cris  de  l'animal,  sans  gêner  la  res- 
piration, la  trachée-artère  a  été  mise  à  nu,  puis  ouverte 
.en  a  et  soulevée  sur  un  clou  passé  en  dessous  en  travers, 
afin  que  les  liquides  sanguinolents  ne  coulent  pas  dans 
les  voies  respiratoires. 

Beaucoup  d'autres  physiologistes  ont  eu,  comme  de 
Graaf,  la  pensée  d'éteindre  les  cris  des  animaux  pour 
éviter  les  plaintes  des  voisins  du  laboratoire. 

Dupuytren  faisait  la  section  des  nerfs  récurrents  pour 
les  rendre  aphones.  Nous-même  avons  souvent  prati- 
qué la  même  opération  dans  un  but  semblable  ;  seule- 
ment nous  opérons  par  la  méthode  sous-cutanée,  suivant 
un  autre  procédé  que  nous  décrirons  ailleurs. 

Au  lieu  de  fixer  les  quatre  membres  de  l'animal  à 
l'aide  de  clous  enfoncés  dans  la  table,  selon  la  méthode 
de  de  Graaf,  on  peut  les  attacher  à  des  liens  de  cordes 
préalablement  passés  et  arrêtés  dans  des  trous  pratiqués 
dans  une  table.  Mageudie  se  servait  pour  les  vivisections 
d'une  simple  table  de  chêne  solide  sur  ses  bases  et 
munie  de  liens  nombreux  préalablement  fixés  à  des 
distances  variées  et  pouvant  ainsi  s'adapter  à  des  ani- 
maux de  taille  variée. 

Un  autre  procédé,  peut-être  le  plus  simple  de  tous, 
consiste  à  étendre  l'animal  sur  une  petite  table  et  à 
fixer  ses  quatre  membres  aux  angles  montants  de  la 
table  à  l'aide  d'une  corde  attachée  à  chacun  d'eux. 

Dans  ces  procédés,  où  l'animal  est  ainsi  garrotté  sur 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  117 

une  planche,  en  quelque  sorte  écartelé,  et  où  le  tronc 
est  posé  à  plat  sur  une  table,  il  y  a  des  mouvements  du 
corps  qui  peuvent  beaucoup  gêner  l'opérateur  et  exiger 
des  aides.  C'est  pour  cela  que  d'autres  expérimentateurs 
ont  imaginé  des  tables  mieux  disposées,  ou  des  espèces 
de  gouttières  dans  lesquelles  le  corps  de  l'animal  peut 
se  loger  et  être  maintenu  latéralement,  en  même  temps 
que  les  membres  sont  fixés  convenablement. 

11  existe  un  grand  nombre  de  ces  appareils  à  vivisec- 
tion, nous  n'en  citerons  ici  que  quelques-uns. 

Haller  avait  imaginé  une  table  à  vivisection  pou- 
vant s'élever  et  s'incliner  dans  des  sens  divers,  suivant 
les  opérations  que  l'on  avait  à  pratiquer.  Il  existe  encore 
des  tables  de  ce  genre  en  Allemagne,  mais  tous  ces 
appareils  sont  plus  ou  moins  compliqués. 

M.  Schwann  (de  Liège)  a  imaginé  une  gouttière  spé- 
cialement destinée  aux  chiens  (l'animal  y  est  maintenu 
couché  sur  le  dos) ,  pour  les  opérations  que  l'on  a  à  pra- 
tiquer sur  le  ventre. 

Je  dois  la  description  de  celte  gouttière  à  l'obligeance 
du  professeur  Schwann  lui-même,  qui  me  la  transmit 


FiG.  6.  —  GouUièrc  de  Schwann. 
B,  B,  gouttiôre  ;  E,  E,  pieds  ou  supports  ;  D,  D,  trous  pour  fixer  l'animal;  F,  boîte 
à  chloroformer  (o,  ouverture  pour  l'entrée  de  l'air  ;    r,  couvercle  qui  permet 
d'introduire  l'ouate  imbibée  de  chloroforme). 

en  1860,  lorsque  je  faisais  un  cours  de  physiologie  opé- 
ratoire au  Collège  de  France,  et  que  je  m'occupais  déjà 


118  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

de  fixer  les  procédés  d'expérimentalioi).  Voici  le  dessin 
de  cette  gouttière  (fig.  6). 

L'appareil  se  compose  de  deux  planches  D,  D,  réunies 
sous  un  angle  d'environ  80  degrés.  La  gouttière  qu'elles 
forment  repose  sur  deux  planches  verticales  E,  E,  qui 
servent  de  pied ,  de  manière  qu'elle  penche  en  arrière 
et  que  l'urine  s'écoule  de  ce  côté.  La  longueur  totale 
des  planches  est  de  70  centimètres,  leur  largeur  de 
20  centimètres.  En  avant,  cette  largeur  est  diminuée  sur 
une  étendue  de  19  centimètres.  Les  planches  sont  tra- 
versées de  trous  nombreux  (D,  D). 

Pour  fixer  les  chiens,  on  leur  met  dans  la  gueule, 
derrière  les  dents  canines,  une  tige  de  fer  ou  de  laiton 
qui  se  termine  aux  deux  bouts  par  un  anneau  dans 


KiC.  7.  —  Musclonient  du  chien  avec  une  forte  ficelle  phice'c  en  arrière  d'un  mors  de  fe 


lequel  on  passe  une  corde.  On  serre  les  mâchoires  par 
une  corde  qui  est  placée  en  arrière  de  la  tige  de  fer, 
autour  du  museau  (voy.  fig.  7). 


CONTENTION    MÉCANIQUE.  119 

Quand  le  chien  est  couché  dans  la  gouttière,  le  ventre 
en  haut,  on  fixe  la  tête  au  moyen  des  cordes  qui  sont 
passées  dans  les  extrémités  de  la  tige  de  fer.  On  fixe 
ensuite  les  membres  au  moyen  de  cordes  qu'on  passe 
parles  trous  pratiqués  dans  les  planches. 

Cet  appareil  est  de  plus  muni  d'une  boîte  en  cuivre, 
F,  destinée  cà  chloroformer  l'animal.  Cette  boîte  pris- 
matique est  longue  de  18  centimètres,  et  s'adapte  à 
l'appareil  en  bois  au  moyen  d'une  glissière  qui  permet 
de  la  retirer  ou  de  l'enfoncer,  de  manière  à  la  mettre  à 
volonté  en  rapport  avec  le  museau  du  chien  par  son 
ouverture  postérieure.  En  ce  point,  c'est-à-dire  en 
arrière,  la  paroi  supérieure  de  la  boîte  est  évasée  et 
dépasse  les  autres  parois,  de  fiiçon  à  recouvrir  le  mu- 
seau (lu  chien,  afin  de  l'empêcher  de  respirer  au 
dehors.  Il  aspire  donc,  de  l'intérieur  de  la  boîte  en 
cuivre,  l'air  qui  sort,  par  la  partie  postérieure  de  la 
boîte,  chargé  de  chloroforme,  après  être  entré  par  une 
ouverture  0  pratiquée  à  la  partie  antérieure.  L'air  se 
charge  de  chloroforme  à  l'intérieur  delà  boîte  en  cuivre, 
parce  qu'il  traverse  une  couche  d'ouate  arrosée  de  chlo- 
roforme et  placée  entre  deux  cylindres  métalliques. 
On  introduit  l'ouate  imbibée  de  chloroforme  par  la 
partie  supérieure  de  la  boîte  en  cuivre,  qui  est  munie 
d'une  porte  à  coulisse. 

M.  Pirogoff  a  imaginé  une  goultière  dont  un  modèle 
réduit  m'a  été  transmis  de  la  part  de  M.  Pirogoff  lui- 
même.  Voici  la  forme  de  cette  gouttière  qui  est  égale- 
ment destinée  à  pratiquer  des  opérations  sur  le  ventre  et 
sur  la  partie  antérieure  de  l'animal  (fig.  8). 


i20  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

Elle  se  compose  d'une  table  A  A,  sur  laquelle  est  fixée 
la  gouttière  B,  élevée  sur  deux  montants  triangulaires 
E,  E.  A  l'une  de  ses  extrémités,  en  C,  la  gouttière  pré- 
sente une  échancrure  sur  laquelle   repose  le  cou  de 


l'"lG.  8.   —  Goutlii'rc  de  l'iro^oll". 

A,  A,  table  ;  15,  goullii-Te  soutenue  par  les  montants  E,  E;  C,  extrémité  échancrée  pour 
recevoir  le  cou  de  l'animal  ;  d,  d,  trous  pour  le  fixer. 

l'animal.  Celui-ci  est  couché  sur  le  dos  et  ses  membres 
sont  maintenus  par  des  liens  fixés  aux  parois  de  la  gout- 
tière, en  passant  dans  divers  trous  ovales  dont  celle-ci  est 
percée. 

Blondlot  a  décrit  une  gouttière  mobile  et  non 
fixée  à  une  table  comme  la  précédente.  Il  en  a  fait  usage 
pour  pratiquer  les  fistules  biliaires;  mais  elle  peut  aussi 
être  utilisée  pour  les  diverses  opérations  que  l'on  pratique 
sur  la  partie  antérieure  du  corps. 

Voici  (fig.  9)  cette  gouttière,  que  j'ai  fait  exécuter 
d'après  la  description  qu'en  donne  Blondlot  : 

B,B,  planches  d'un  mètre  et  demi  delongueur,  réunies 
à  peu  près  à  angle  droit  et  ayant  18  à  "20  centimètres  de 
largeur. 

d,(l,d,  mortaises  et  trous  pour  donner  passage  à  des 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  I^i 

courroies  ou  à  des  cordes  destinées  à  fixer  l'animal. 
E,E,  patins  ou  chevalets  convenablement  échancrés 
sur  lesquels  sont  clouées  les  planches  qui  forment  la 
gouttière  (1). 


j?    <^ 


FiG.  9.  —  Gouttière  de  Blondlol.  (Pour  l'explication,  voyez  le  texte.) 


Table  à  vivisection. — Tous  les  appareils  de  contention 
qui  consistent  en  une  gouttière  fixe  sont  très-commodes 
quand  ils  sont  construits  en  vue  d'une  seule  expérience, 
c'est-à-dire  quand  il  s'agit  d'opérer  toujours  sur  des 
animaux  à  peu  près  de  même  taille  et  placés  sur  le  dos, 
de  manière  à  rendre  le  cou,  la  poitrine  et  le  ventre  par- 
ticulièrement accessibles  à  l'opérateur.  Mais  quand  il 
s'agit  de  pouvoir  opérer  sur  des  animaux  de  taille  et 
d'espèce  très-diverses  et  placés  dans  toutes  les  positions 
que  peut  exiger  la  physiologie  expérimentale,  alors  une 
simple  table  percée  de  trous  serait  préférable.  Cependant 
celle-ci  offre  encore  beaucoup  d'inconvénients;  elle  ne 
maintient  pas  suffisamment  le  tronc  des  animaux,  ou 

(1)  Yoy.  Bloiidlot,  Essai  sur  les  fonctions  du  foie  et  de  ses  annexes.  1846, 
p.  49. 


l'2'2  CONTENTION    DES    AXHIAUX. 

bien  exige  un  trop  grand  nombre  d'aides  qui  souvent 
gênent  plus  qu'ils  ne  servent.  C'est  pourquoi  j'ai  cherché 
à  rassembler  dans  un  même  appareil  à  contention  les 
avantages  d'une  table  percée  de  trous,  comme  celle  de 
Magendie,  et  d'une  ou  plusieurs  gouttières  mobiles. 
Le  principal  avantage  est  qu'alors  les  animaux  peuvent 
être  disposésd'une  manière  très-convenable  pour  opérer 
sur  le  dos  et  sur  la  colonne  vertébrale.  Voici  comment 
se  compose  cet  appareil,  que  j'appelle  table  à  vivisection 
et  dont  je  me  sers  depuis  plusieurs  années  au  Collège 
de  France  avec  beaucoup  d'avantages. 

1^'appareil  représenté  figure  10  se  compose  de  deux 
parties  distinctes  : 

La  première  est  une  table  à  vivisection  (E)  qui  est 
percée  de  trous  (ff^f/)  dans  toute  son  étendue,  et  qui, 
comme  on  le  voit  dans  le  dessin,  est  formée  par  quatre 
panneaux  {e,  e,  e,  e)  réunis  entre  eux  par  des  charnières 
{f->f^f)->  t'ont  trois  sont  visibles  en  dessus  et  les  six 
autres  placées  en  dessous.  Les  charnières,  ainsi  disposées, 
permettent  aux  panneaux  de  s'étendre  comme  une  table 
(fig.  10)  ou  de  se  replier  en  forme  de  gouttière,  comme 
nous  le  verrons  plus  loin  (fig.  15  à  19). 

La  deuxième  partie  de  l'appareil  est  une  forte  table 
en  chêne  montée  sur  quatre  pieds  solides  (o,  o,  o).  Cette 
table  est  bordée  latéralement  par  un  liteau  D  et  munie  à 
ses  deux  extrémités  de  deux  rebords  mobiles  R.  Ces 
rebords  tiennent  à  la  table  chacun  par  deux  charnières 
visibles  en  dessus,  ce  qui  permet  de  pouvoir  les  relever 
ou  les  abaisser  à  volonté.  Dans  la  figure  10,  les  rebords 
sont  relevés  et  maintenus  dans  cette  position  par  des 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  1^3 

tasseaux  à  tiroir  C,  C.  A  l'extrémité  libre  de  chacun  de 


Fie.  10.  —  Table  d  vivisection.  —  Ici  la  lable  à  vivisection  n'est  pas  repliée  en  gout- 
tières (voy.  ci-après  li(f.  15,  16,  17,  18  et  19),  mais  simplement  éUiblie  en  table  plane  : 
g,  y,  trous  de  la  table  ;  e,  e,  e,  ses  panneaux  ;  f,  f.  charnières  de  ces  panneaux  ;  o,  o,  pied? 
dé  la  table  proprement  dite,  avec  son  liteau  D  et  ses  rebords  mobiles  R,  que  main- 
tiennent los  tasseaux  C,C. 


\^i  CONTE>fTION    MÉCANIQUE    DES    ANIMAUX. 

ces  rebords  se  trouve  une  feuillure  ù,  à,  destinée  à 
encastrer  à  ses  deux  bouts  la  table  à  vivisection,  qui 
est  retenue  latéralement  par  la  continuation  du  liteau 
latéral  de  la  table  (d,  d).  On  peut  donc  enlever  la 
table  à  dissection  proprement  dite,  et  alors,  en  repous- 
sant les  deux  tasseaux  à  tiroir  C,  C,  les  rebords  s'a- 
baissent et  la  table  de  support  devient  une  table  ordi- 
naire. —  Cet  appareil,  tel  qu'il  est  représenté  dans 
la  figure  10,  est  dans  ce  que  j'appellerai  la.  première 
posilioit. 

Voici  les  dimensions  que  j'ai  choisies  pour  chaque 
partie  de  l'appareil,  comme  étant  celles  qui  conviennent 
à  peu  près  dans  tous  les  cas  : 

La  longueur  de  la  table  gouttière  est  de  r",30 
(fig.  10)  ;  sa  largeur  est  de  0"\85,  qui  se  divisent  ainsi  : 
0'",'î>l  pour  chaque  panneau  extrême  et  0"',19  pour 
chaque  panneau  moyen.  —  Longueur:  r",45;  hauteur 
delà  table:  0'",  87. 

On  peut,  avec  la  table  à  vivisection  disposée  comme 
dans  la  figure  10,  avoir  tous  les  avantages  d'une  table 
ordinaire  ;  seulement  la  multiplicité  des  trous  permet  de 
fixer  des  animaux  de  toute  taille  inférieure  aux  dimen- 
sions de  la  table. 

Fixation  des  membres  sur  la  table  à  vivisection.  — 
Pour  attacher  les  pattes  de  l'animal  et  les  fixer  à  l'appa- 
reil, on  glisse  autour  d'elles  un  nœud  coulant  et  l'on  passe 
les  deux  chefs  de  la  corde  dans  les  ouvertures  pratiquées 
à  la  table,  de  manière  à  attacher  le  membre  dans  la  posi_ 
tion  la  plus  convenable,  suivant  l'opération  que  l'on  veut 
pratiquer  (voy.  fig.  il). 


i-2r» 


FiG.  11.  —  Nœud  coulant  pour  fixer  les  membres. 

Daus  la  fissure  12  un  chien,  dans  la  figure  13  un 


FiG.  12.  —  Chien  fixé  sur  la  table  à  tnvisection. 


FiG.  13.  —  Lapin  fixé  sur  la  table  à  vtvisecliou. 


h2<'>  CONTENTION    MÉCANIQl  i:    DES    ANIMAUX. 

lapin  sont  fixés  par  les  extrémités  des  membres  au 
moyen  de  cordes  qui  sont  nouées  dans  les  trous  de  la 
labiée 

Dans  la  figure  14,  on  voit  un  pigeon  fixé  de  la  même 
manière  par  les  àeuxjamdes  et  par  les  deux  ailes. 


FiG.  14.  —  Pigeon  fixe  sur  la  table  à  vivisection. 

Mais  quand  l'expérience  que  l'on  a  à  exécuter  exige 
que  le  tronc  de  l'animal  soit  maintenu  dans  une  gout- 


l-'ic.  13.  —  Table  à  vivisection  dont  les  quatre  panneaux  sont  resserrés  de  manière 
à  former  une  gouttière  (par  ses  deux  panneaux  médians,  A,  A). 

tière,  on  peut  immédiatement  transformer  la  table  à  vivi- 
section en  un  appareil  à  gouttière.  Il  suffit,  comme  le 


TABLE    A    VIVISECTION.  1^7 

montre  la  Bgure  15,  de  resserrer  les  quatre  panneaux  en 
repliant  en  bas  les  deux  panneaux  externes  B,B,  qui 
servent  ainsi  de  support  à  la  gouttière  formée  par 
les  deux  paneaux  médians  A  A.  L'appareil  a  pris 
alors  la  forme  de  la  lettre  M,  dont  les  deux  jambages 
externes,  représentant  les  panneaux  externes,  sont  portés 
dans  la  feuillure  h  des  rebords  R,  maintenus  relevés 
par  les  tasseaux  à  coulisse  c  qui  sont  tij'és.  On  peut 
taire  promener,  attirer  à  soi  ou  repousser  tout  l'appareil 
ainsi  disposé,  sans  crainte  qu'il  tombe,  parce  qu'il  est 
retenu  latéralement  par  le  fragment  de  liteau  d  qui  tient 
au  rebord  relevé. 

L'animal  est  donc  facilement  placé  dans  cette  gout- 
tière, aussi  commodément  que  dans  tous  les  autres  appa- 
i-eils  à  gouttière  fixe.  Même  s" il  est  utile  que  la  tête  de 
l'animal  soit  élevée,  on  passe  par  les  trous  transversaux 
une  règle  très-épaisse  «,  sur  laquelle  on  appuie  le  cou 
de  l'animal  pour  lui  soulever  la  tète.  L'appareil  tel  qu'il 
est  représenté  dans  la  figure  15  est  dans  ce  que  j'appelle 
la  deuxième  position. 

On  peut  rétrécir  ou  élargir  à  volonté  la  gouttière  eu 


Fie  10.  —  Profil  de  la  lable  à  vivisection,  dans  sa  deujcUine  positio)t  (fig.  15),  jwur 
montrer  les  ferrures  ou  tirants  (T,  T',  T';  avec  leurs  clous  à  pivot  («),  leurs  articula- 
lions  (r)  et  leurs  clous  à  têlo  (p)  ;  B,  B,  panneaux  externes  ;  A,  A,  panneaux  internes 
i formant  la  gouttière). 

écartant  plus  ou  moins  les  panneaux.  Ces  panneaux  sont 


{"It^  CO.MEVnON    MÉCANIQUE    DES    A.M.M MX. 

maintenus  solidement  fixés  dans  leur  position  par  un 
système  de  ferrure  qu'on  voit  de  profil  dans  la  figure  16, 
dessinée  au  dixième  de  la  grandeur  naturelle. 

Les  deux  panneaux  internes  A  A  sont  relevés  en  forme 
de  gouttière  par  un  tirant,  aplati,  en  fer  (T),  fixé  sur  un 
clou  à  pivot  en  s,  articulé  en  r,  et  percé  de  trous  qu'on 
peut  fixer  à  distance  dans  un  autre  clou  à  tête  en  y;.  Ces 
trous  ont  une  gorge  qui  entre  dans  le  collet  du  clou,  où 
elle  est  solidement  retenue  par  un  ressort  q.  Celui-ci  se 
relève  pour  empêcher  le  tirant  de  tomber  spontanément, 
et  il  faut  appuyer  sur  lui  si  l'on  veut  dégager  le 
tirant. 

Les  deux  panneaux  externes  B,  B  sont  reliés  chacun 
aux  panneaux  médians  correspondants  par  le  même 
système  de  tirant  (T,  T'). 

Ce  mécanisme  en  fer  est  très-solide  ;  mais  il  pourrait 
peut-être  être  remplacé  par  la  simple  règle  en  bois 
épais  a  (fig.  15).  en  en  passant  une  aux  deux  extrémités 
de  l'appareil. 

Si  au  lieu  d'une  gouttière  on  veut  en  avoir  deux 
côte  à  côte,  pour  pratiquer  quelques  expériences  qui 
réclament  deux  animaux,  comme  la  transfusion  par 
exemple,  on  les  obtient  immédiatement  en  retournant 
l'appareil  et  le  plaçant  tel  qu'il  est  disposé  figure  17.  Il 
prend  alors  la  forme  de  la  lettre  M  renversée  (j\'). 

Les  panneaux  internes  A,  A  forment  une  arête 
médiane,  intermédiaire,  des  gouttières,  dont  les  pan- 
neaux B  B  forment  les  côtés  externes.  Tout  est  d'ailleurs 
disposé  sur  la  table  F  comme  dans  la  figure  15. 

La  position  de  l'appareil  en  double  gouttière,  comme 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  129 

il  est  représenté  dans  la  figure  17,  est  ce  que  j'appellerai 
en  troisième  position. 

Enfin,  si  au  lieu  d'avoir  à  opérer  sur  la  face  inférieure 
du  corps  des  chiens,  on  veut  opérer  sur  lo  dos,  comme 
cela  a  lieu  particulièrement  dans  les  expériences  sur  la 
moelle  épinière  et  sur  les    racines  rachidiennes,  on 


'AC£ER3AIZSi . 


FiG.  17.  — Table  à  vivisection  disposiie  de  manière  à  donner  une  double  gouttière  ;  c'est 
la  gouttière  de  la  figure  15  renversée.  (Lettres  comme  dans  les  ligures  10  et  15.)  — 
{Troisième  position.) 

obtient  très-facilement  une  sorte  de  gouttière  culmi- 
nante dans  laquelle  se  loge  le  thorax  de  l'animal,  tandis 
(jue  ses  membres  peuvent  être  fixés  en  bas  très-solide- 
ment, et  que  la  tète  peut  également  être  maintenue 
solidement  au  moyen  d'un  mors  ou  d'une  lige  en  1er. 
Il  suffit,  pour  obtenir  ce  résultat,  la  table  à  vivisection 
étant  dans  la  troisième  position  (fig.  17j,  de  rappro- 
cher les  deux  panneaux  externes  B,  B,  qui,  étant  plus 
longs  que  les  panneaux  internes,  dépassent  l'arête  de 
ces  derniers.  Lorsque  le  rapprochement  est  suffisant 

tL.   BERNARD.  —  l'iiysiol.   Opcf.  9 


130  CONTENTION    MÉCANIOUE   DES   AMMAIX. 

pour  recevoir  le  thorax  du  chien  suivant  sa  taille,  on 
fixe  les  panneaux  externes  avec  le  système  de  tirant  déjà 
décrit.  On  voit  dans  la  figure  \S  le  profil  de  la  dispo- 


l'iG.  18.  Table  à  vivisection  en  quatrième  position  :  les  deux  i>aiineaiix  externes  de  la 
figure  17  sont  ici  rapproclu's  des  panneaux  internes,  et  forment  ainsi  une  étroite  gout- 
tière. (Lettres  comme  dans  les  ligures  10,  15  et  10.) 

sition  du  tirant  dans  ce  que  j'appelle  la  quatrième  posi- 
fioncle  l'appareil  à  vivisection.  Le  tirant  T,  qui  retient 
les  deux  panneaux  moyens  A,  A,  est  toujours  dans  la 
même  situation.  Quant  aux  deux  autres  tirants,  c'est- 
à-dire  les  externes,  il  y  en  a  un,  le  droit,  qui  ne  peut 
pas  servir  et  qui  doit  rester  relevé  et  collé  contre 
l'extrémité  du  panneau  externe  ;  au  contraire  le  tirant 
gauche  T^  qui  fixe  les  panneaux  externes  B,  est  accroché 
en  a.  On  a|)erçoit  à  l'autre  extrémité  de  l'appareil  le 
tirant  droit  T',  qui  sert  ici  à  son  tour  pour  maintenir 
le  panneau  externe  droit  qui  ne  l'était  pas  encore. 

Dans  la  figure  19,  la  table  à  vivisection  est  tout  entière 
représentée  dans  celte  quatrième  position.  Un  chien  (H) 
est  fixé  de  manière  à  présenter  le  dos.  A  l'aide  de  la 
corde  /  qui  sert  de  muselière,  et  au  moyen  du  mors 
(voy.  ci-dessus  fig.  2) ,  la  tète  est  également  fixée 
à  l'appareil  ;  les  membres  sont  attachés,  sur  le  plan 
incliné  formé  par  les  panneaux   externes,  à  l'aide  de 


COXThNTION    .Ml-CWiQUt:.  131 

cordes  /,  ?,  passées  dans  les  trous.  On  voit  sur  le  même 


Fie.  19.  —  Ensemble  de  la  lable  |iro|iroiii:nt  dite  et  de  la  table  à  viiisection,  celle-ci 
étant  disposée  en  goiitiièro  dans  .<a  quatrièine  position,  et  servant  à  maintenir,  à 
gaucho,  un  chien  (H)  placé  sur  le  vonirc  ,  et,  à  droite,  un  lapin  (K).  —  /,  corde  ipii  sort 
à  museler  le  chien  (ratlaclu-c  derrière  la  tèlo)  ;  i,i,  liens  fixateurs  des  membres  du 
chien;  m, m,  môme  disposilion  pour  )e  lapin  K;  F,  table  propreminl  dite  sur  laquelle 
sont  posés  les  instruments.  (Pour  les  autres  lettres,  voy.  dg.  10  et  15.) 

appc^reil  un  lapin  (K)  couché  sur  le  dos  et  les  quatre 


132  CONTENTION    MÉCANIQUE    DES    ANIMAUX. 

membres  fixés  par  des  cordes  m,  m,  m.  En  effet,  pour 
les  petits  animaux  comme  les  lapins,  si  l'on  trouve  les 
gouttières  de  la  deuxième  et  de  la  troisième  position 
trop  profondes,  on  peut  se  servir  de  la  gouttière  culmi- 
nante de  la  quatrième  position.  On  voit  les  instru- 
ments sur  la  table  F  de  support,  qui  est  ici  disposée 
comme  dans  toutes  les  autres  positions  de  l'appareil, 
ce  dont  on  peut  facilement  se  rendre  compte,  parce 
que  dans  toutes  les  figures  les  principales  lettres  se 
correspondent,  en  ce  sens  qu'elles  désignent  toujours 
les  mêmes  objets. 

En  résumé,  cet  appareil  à  vivisection  peut  èlre  em- 
ployé dans  les  positions  suivantes  : 

l^po.'^itiorw  Éteadu,  les  Irois  cliarnièros  du  milieu  en  liaut(fig.  10.  1-2,  13^. 

2^  —  Helcvé  en  M  à  gouttière  médiane:  les  patiences  ou  fe/renienls 
au  cinquième  ou  sixième  trou,  à  partir  de  la  base.  Tra- 
verses pour  soutenir  la  tète  du  chien  (fig.  15,  ICj. 

3«  —  En  it  à  deux  gouttières  latérales  ;  patiences  id.  :  c\'sl  la 
deuxième  renversée  (fig.  17). 

4»  —  En  W  :  c'est  la  troisième  dont  les  deux  panneaux  externes 
sont  rabattus  en  dedans;  ils  sont  fixés  ciiacun  par  uie  pa- 
tience (au  dernii  rr  tou),  Tune  des  patiences  appartenant  à 
une  extrémité,  l'autre  à  Tautre  extrémité    fig.  18  et  19 

Gouttière  brisée.  —  Nous  avons  dit  dans  nos  leçons 
d'introduction  qu'un  moyen  de  perfectionner  l'expéri- 
mentation consistait  à  chercher  toujours  à  simplifier  les 
instruments  ou  les  appareils  opératoires. 

Depuis  1860  nous  nous  sommes  servi  des  appareils 
précédemment  décrits;  si  nous  avons  reconnu  qu'ils  ont 
de  grands  avanlages  par  les  indications  nombreuses  et 
variées  qu'ils  remplissent,  nous  avons  reconnu,  d'autre 
part,  qu'ils  sont  un  peu  compliqués,  assez  coûteux,  et 


CONTENTION  MÉCANIQUE.  133 

qu'ils  demandent  une  certaine  attention  pour  qu'on 
puisse  s'en  servir  convenablement.  C'est  pourquoi  nous 
avons  cherché  à  résumer  dans  une  seule  gouttière  très- 
simple,  un  grand  nombre  des  avantages  de  notre  table 
à  vivisection. 

Cette  gouttière  est  une  gouttière  simple,  mais  dont 
les  ailes  sont  divisées  en  deux  parlies  de  manière  à 


Fie.  20  (A). 


FiG.  20  (B,. 

pouvoir  se  rabattre  de  côté,  c'est-à-dire  en  dehors,  et  à 
donner  ainsi  une  gouttière  plus  ou  moins  profonde. 
C'est  ce  que  nous  avons  appelé  la  gouttière  brisée  (1). 

(1)  Fie.  20  A  et  20  B.  {GouUière  brisée.)  —  l"  FiG.  20  A.  —  A,  B,  base  de 
la  gouttière  :  de  cotte  base  s'élèvent  les  deux  ailes  (C,  C)  de  la  gouttière; 
ces  deux  ailes  sont  brisées,  c'est-à-dire  formées  de  deux  moitiés,  dont  la 
supérieure  est  mobile  sur  Tinférieure  par  les  charnières  e,  e'.  Sur  les  côtés 
un  support  D,  composé  de  plusieurs  pièces  (a,  b,  c),  est  formé  de  manière 


134  CONTENTION    MÉCANIQUE    DES    ANIMAUX. 

En  laissant  ouverles  et  élevées  les  deux  ailes,  on  a  la 
gouttière  ordinaire  pour  les  vivisections  à  pratiquer  sur 


"'fe^^ 


F.i;.  1\. 

un  chien  couché  sur  le  dos  (fig.  51)  (l).  En  rabattant 

à  pouvoir  soutenir  les  ailes  brisées  cUins  les  diverses  positions  latérales  qu'elles 
doivent  prendre.  Ici  les  ailes  sont  relevées  de  fai;on  à  former  une  gouttière 
profonde,  et  le  support  se  trouve  constitue  par  les  pièces  a  et  6;  nous  verrons 
qu'il  en  est  autrement  pour  les  autres  positions. 

A  rextrémité  A  de  la  gouttière  se  trouve  le  mors  :  il  se  compose  du  mors 
jiroprenicut  dit  («il,  petite  barre  dî  fer  qui  se  place  dans  la  gueule  de 
l'animal  ;  par  ses  extrémités  ce  mors  glisse  dans  deux  montants  verticaux 
(n,  n'),  qui  eux-mêmes  peuvent  glisser  ou  être  fixés  en  bas  dans  les  trous 
d'une  forte  plaque  de  fer  horizontale  (P,  P).  Cette  plaque  porte  à  sa  partie 
inférieure  (en  Oj  un  court  cylindre  de  métal  qui  glisse  dans  une  forte  verge 
de  fer  (S)  laquelle  relie  cet  appareil  à  la  gouttière.  Grâce  à  la  disposition 
figurée  eu  0,  tout  l'ensemble  du  mors  peut  s'incliner  à  gauche  ou  à  droite, 
selon  les  positions  latérales  que  l'on  veut  donner  à  la  tète  du  chien. 

2°  Fig.  20  B.  —  Coupe  de  la  gouttière.  Les  lettres  comme  dans  l'explication 
précédente. 

(1)  Fig.  21. —  Gouttière  disposée  exactement  comme  dans  la  figure  20  A; 
mais  elle  contient  un  chien  couché  sur  le  dos.  Même  explication  des  lettres 
de  renvoi. 

On  voit  que  les  pattes  du  chien  sont  fixées  dans  les  trous  dont  sont  percées 
les  ailes  de  la  gouttière. 

La  tète  est  fixée  par  le  mors,  lequel  est  maintenu  derrière  les  dents  canines 
jiar  la  ligature  du  museau.  A  cet  effet  une  forte  ficelle  a  été  passée  sous  1? 
museau,  puis,  aprè.s  avoir  entouré  la  mâchoire  inférieure,  a  été  croisée  sur 
elle-même  dans  la  gueule,  derrière  les  dents  canines,  et  enfin  amenée  sur 


CONTENTION   MÉCANIQUE.  135 

seulement  l'une  des  ailes,  on  a  un  appareil  (fig.  '■2'-l) 
pour  coucher  l'animal  sur  le  côté,  position  indispen- 


sable aux  opérations  qui  doivent  avoir  pour  siège  les 
parties  latérales  du  corps  (i).  Enfin,  en  rabattant  les 
deux  ailes,  on  se  trouve  (fig.  23)  en  possession  d'un 
appareil  très-commode  pour  maintenir  des  animaux 
placés  sur  le  ventre,  de  manière  à  pouvoir  agir  sur 
leur  région  dorsale  (fig.  23). 

la  partie  supérieure  du  museau.  Alors  on  a  fortement  serré  la  ficelle,  puis 
on  a  fait  avec  elle  un  ou  plusieurs  tours  sur  tout  le  museau,  toujours  derrière 
le  mors,  et  finalement  on  Fa  liée  sous  le  menton  ;  on  pourrait  aussi  aller  la 
lier  encore  derrière  la  tète. 

(1)  Fie.  a.  — Gouttière  brisée  de  façon  à  coucher  sur  le  flanc  droit  l'animal 
que  Ton  veut  opérer.  (Les  lettres  comme  précédemment  ; 

On  voit  que,  des  deuv  ailes  de  la  gouttière,  l'aile  C  est  restée  tout  entière 
relevée,  tandis  que  la  portion  supérieure  de  Tailc  C.  a  été  rabattue,  soutenue 
par  les  portions  a  et  c  des  supports  (la  partie  b  étant  renversée)  ;  celte  demi- 
aile,  ainsi  rabattue,  forme  un  plan  horizontal  sur  lequel  sont  fixés  les  quatre 
membres  de  l'animal,  tandis  que  son  corps  repose  dans  le  fond  de  la  gout- 
tière, le  dos  appuyé  contre  Taile  entièrement  dressée. 

On  voit  de  plus  que  l'appareil  qui  sert  de  frein  a  pu  subir  autour  de  raxc  S 
un  mouvement  de  rotation  d'un  quart  de  cercle,  do  telle  sorte  que  le  frein 
proprement  dit  (m)  est  devenu  vertical,  et  a  pu  suivre  le  changement  de 
position  opéré  dans  la  direction  de  rouverture  de  la  gueule. 

Notre  gouttière  brisée  est  donc  propre  à  maintenir 
l'animal  dans  toutes  les  positions  possibles,  pour  toutes  les 


'136  CONTENTION    MÉCANIQUE    DES   ANIMAUX. 

opérations  que  l'on  peut  avoir  à  pratiquer.  Cet  appareil, 
simple,  peu  coûteux,  d'un  maniement  facile,  se  répan- 
dra, nous  l'espérons,  dans  l'usage  des  laboratoires  de 
vivisections.  Ses  dimensions  sont  les  suivantes  :  lon- 
gueur r,30;  hauteur  des  panneaux  0"  17,  dont0"',08 
pour  chaque  moitié. 

Cette  goutti«''re  sert  aussi  bien  pour  le  lapin  que  pour 
le  chien  ;  pour  le  lapin,  on  rabat  les  deux  ailes  latérales 


LEveiLL£.3a. 


CftânMCfei 


Fie.  23.  —  (joiitlifTC  disposée  de  fiiron  à  coiitlier  l'niiim:>l  sur  le  veiil.e.  (Mêmes 
lettres  que  dans  la  figure  20  A  el  h.)  Même  disposition  dn  mors;  mais  on  voit  que 
la  moi;ié  supérieure  des  deux  ailes  est  rabattue  de  côté  et  en  dehors  :  à  cet  eflel 
les  deux  pièces  6  et  c  des  supports  latéraux  sout  rabattues,  et  ces  supports  ne  sont 
plus  formés  que  par  leur  portion  fixe  a. 


et  l'on  a  une  gouttière  peu  profonde,  parfaitement  apte 
à  recevoir  l'animal. 

Nous  savons  que  lorsqu'il  s'agit  d'opérer  sur  le  cou 
d'un  animal,  il  ne  suffit  pas  de  le  museler,  il  faut  en- 
core fixer  solidement  la  tête.  A  cet  effet  nous  avons 
adapté  à  notre  gouttière  brisée  un  mors  en  fer,  formé 
d'une  branche  horizontale  {m,  fig.  20  A)  de  17  cen- 
timètres de  longueur,  soutenue  par  deux  branches 
verticales  le  long  desquelles  la  première  peut  se  mouvoir 
de  façon  à  être  élevée  ou  abaissée.  On  fait  pénétrer  ce 


CONTENTION    MÉCANIQUE.  137 

mors  dans  la  gueule  de  l'animal  jusque  derrière  les  ca- 
nines, puis  on  entoure  le  museau  d'une  ficelle  que  l'on 
arrête  sur  le  mors,  comme  nous  l'avons  indiqué  précé- 
demment. De  plus,  les  branches  verticales  du  mors  pas- 


FlG.  2i.  —  Disposilion  du  mors  à  tloublo  branche  transversale  (A,  A  et  B.B)  permettant 
de  maintenir  ouverte  la  gueule  de  l'animal  installé  sur  la  gouttière  brisée,  comme  dans 
la  figure  23. 


sent  dans  une  pièce  métallique  (P,  fig.  20  A)  qui  peut 
pivoter  à  droite  ou  à  gauche  sur  un  axe  longitudinal 
(S,  fig.  20)  placé  sur  le  prolongement  de  l'arête  de  la 
gouttière.  On  peut  ainsi  incliner  la  tête  de  l'animal  à 


J8X  CONThNTlON   MÉCANIQUE   DES    ANIMAUX. 

droite  OU  à  gaucho,  selon  que  Ton  veut  agir  sur  les  par- 
ties latérales  du  cou  ou  de  la  face  (voy.  fig.  ^2  et  23). 

Pour  les  vivisections  qui  doivent  porter  dans  l'inté- 
rieur delà  gueule  de  l'animal  (section  du  nerf  lingual, 
fistules  salivaires,  etc.),  nous  employons  un  mors  qui 
diffère  du  précédent  seulement  en  ce  que  sa  branche 
horizontale  est  double,  c'est-'.-dire  formée  de  deux 
barres  (A  et  B,  fig.  24)  qui  peuvent  être  placées  à  des 
écartements  variables,  maintenant  l'une  la  mâchoire 
supérieure,  l'autre  la  mâchoire  inférieure,  comme  le 
montre  la  figure  24. 

La  fixation  des  pattes  se  fait  simplement  au  moyen 
d'une  ganse  ou  nœud  coulant  que  l'on  vient  attacher 
ensuite  sur  les  ouvertures  que  présente  la  gouttière. 

Le  chat  se  fixe  sur  cet  appareil  absolument  comme 
le  chien  ;  seulement  on  labat  la  partie  supérieure  des 


Fie.  ^5.  —  Chat  muscle  cl  placé  tians  la  poullicro  briscc  ;  on  a  soulcmciit  représenté  la 
partie  antérieure  de  l'animal,  pour  montrer  comment  la  tète  peut  être  lixée  par  le  moyen 
ilu  mors  (m)  et  d'un  lien  circulaire  qui  va  passer  finalement  derrière  le  cou. 

deux  ailes  de  façon  à  obtenir,  comme  pour  le  lapin,  une 
gouttière  peu  profonde.  Le  mors  est  appliqué  comme 


CONTENTION    MÉCANIQUE.  J  89 

|30ur  le  chien.  Il  va  sans  dire  que  Ton  musèle  aussi 
l'animal  tandis  qu'il  est  sous  l'influence  du  chloro- 
forme ;  rien  n'est  alors  plus  facile  que  de  placer  le  mors 
(fîg.  25,  m)  derrière  les  dents,  et  d'entourer  le  museau 
d'une  ficelle  que  l'on  noue  sous  la  mâchoire  infé- 
rieure, et  que  l'on  ramène  ensuite  derrière  le  cou 
pour  l'y  nouer  de  nouveau.  On  évite  ainsi  que  le  lien  ne 
glisse  sur  le  museau,  accident  qui  arriverait  facilement 
sans  cette  précaution,  vu  la  brièveté  du  museau  chez 
le  chat. 

ConleiUioii  du  lapin.  —  Quand  on  opère  sur  le  lapin, 
on  peut  souvent  se  contenter  d'un  seul  aide  pour  main- 


FlG.  20.  —  Contention  simple  du  lapin  par  les  doux  mains  d'un  seul  aide. 


tenir  cet  animal,  surtout  si  la  vivisection  porte  sur  la  ré- 
gion du  cou.  A  cet  effet  l'aide  saisit  fortement  la  tète  de 


140  CONTENTION    MÉCANIQUE    DES    ANIMAUX. 

ranimai  avec  la  main  droite,  le  pouce  appuyé  sur  la 
mâchoire  inférieure  (%.  56),  tandis  que  les  quaire 
doigts  s'appliquent  sur  la  voûte  crânienne.  De  la  main 
gauche  il  assujettit  cà  la  fois  les  quatre  membres  en  les 
portant  en  arrière  :  il  suffit  pour  cela  de  saisir  les  pattes 
de  derrière  et  l'une  des  pattes  de  devant  entre  le  pouce 
et  les  trois  derniers  doigts,  tandis  que  l'autre  patte  anté- 
rieure est  maintenue  entre  l'index  fortement  serré 
contre  le  médius.  La  figure  26  fait  bien  comprendre 
cette  disposition  et  montre  que  sur  un  lapin  ainsi 
maîtrisé  il  est  facile  d'agir  sur  le  cou  et  sur  la  région 
supérieure  du  thorax. 

Mais  il  est  en  général  plus  commode  de  se  servir  de 


Fie.  27.  —  Appareil  de  Czonnak.  —  La  figure  iiifih-ieurc  représente  un  lapin  dont  les 
mcndircs  soMt  liés  snr  la  planche  0,  0,  el  la  tète  fixée  par  lappareil  (A,  B)  de  Czermak. — 
La  figure  supérieure  donne  Ls  détails  de  cet  appareil  :  A,  tige  verticale  ;  B,  tige  hori- 
zontale inobi'e,  supportant  à  son  extrémité  C  un  mors  en  fer,  eu  forme  de  fourchette, 
avec  une  pièce  mobile  (sorte  de  mâchoire  E),  articulée  en  D,  mue  et  fixée  par  la  vis  H. 

Vappareil  de  Czermali,  lequel  immobilise  d'une  façon 


CONTENTION    MÉCAMOLE.  141 

parfaite  tout  le  lapin  et  maintient  surtout  très-bien 
la  tête.  Cet  appareil  se  compose  d'une  planche  (0,  0) 
garnie  de  trous  pour  attacher  les  membres  de  l'animal 
(6g.  27)  ;  à  une  extrémité  de  celte  planche  s'élève  une 
tige  verticale  de  fer  (A),  sur  laquelle  glisse,  de  manière 
à  pouvoir  être  arrêtée  à  différents  niveaux,  une  tige 
horizontale  dont  l'extrémité  libre  porte  l'appareil  des- 
liné  à  fixer  la  tête  de  l'animal  et  qui  mérite  spéciale- 
ment le  nom  d'appareil  de  Czermak.  Ce  n'est  autre 
chose  qu'un  mors  en  fer  placé  entre  deux  sortes  de 
mâchoires  métalliques  :  on  introduit  le  mors  derrière  les 
incisives  du  lapin,  puisa  l'aide  de  la  vis  H  on  rapproche 
les  deux  mâchoires  de  fer,  qui  serrent  étroiteinent  la 
tête  et  le  museau,  en  s'appliquant  l'une  sur  le  crâne, 
l'autre  (IL',  fig.  27)  sur  le  maxillaire  inférieur  jusque 
vers  son  angle  postérieur  et  au  delà;  la  tète  est  ainsi 
parfaitement  fixée,  et  l'appareil  qui  la  maintient  pou- 
vant osciller  sur  son  axe  transversal,  on  peut  incliner  le 
cou  de  l'animal  vers  la  droite  ou  vers  lagauche,  selon 
les  nécessités  de  l'opération. 

Animaux  divers  de  petite  taille.  —  Il  y  a  une  foule 
d'autres  animaux  de  petite  taille  sur  lesquels  ou  opère. 
Les  moyens  de  contention  sont  alors  si  faciles  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  d'en  parler:  tels  sont  la  grenouille,  les 
petits  oiseaux,  les  écureuils.  On  se  conduira  suivant  les 
instincts  des  animaux.  Dans  tous  les  cas,  ces  moyens  de 
contention  ne  peuvent  donner  lieu  à  aucune  géné- 
ralité ;  ils  seront  donc  indiqués  à  propos  des  opéra- 
lions  spéciales  dont  nous  aurons  à  traiter  ultérieure- 
ment. 


«t 


14:2  l'IlÉUENSION    LT    CONTE.NTIUN, 


PRÉHENSION    ET    CONTENTION    DES    GRA>DS    ANIMAUX. 

A  l'aide  de  l'appareil  à  viviseclion  que  j'ai  précé- 
demment décrit  dans  toutes  ses  positions,  on  peut 
maintenir  dans  toutes  les  attitudes  les  animaux  sui' 
lesquels  on  veut  opérer,  eu  réduisant  considérablement 
le  besoin  d'aides.  Mais  on  conçoit  qu'on  ne  puisse  plus 
maintenir  les  animaux  dont  la  taille  excède  les  dimen- 
sions de  l'appareil. 

Ainsi  j'ai  souvent  contenu  avec  cet  appareil  des  jeu- 
nes moutons  ou  des  chevreaux,  peut-être  mêmedse 
porcs,  tandis  qu'on  ne  peut  plus  s'en  servir  pour  les 
très-gros  moutons.  D'ailleurs,  quand  les  animaux  sont 
grands,  la  force  de  leurs  membres  ne  peut  plus  être 
maîtrisée  par  l'homme,  et  il  faut  alors  en  venir  à  des 
moyens  d'une  autre  nature  que  nous  allons  examiner. 

Les  physiologistes  n'ont  généralement  à  leur  dispo- 
sition, pour  expérimenter,  que  des  chevaux  épuisés  et 
usés  qui  sont  livrés  à  l'équarrisseur  pour  être  abattus. 
Dans  ces  conditions,  ces  animaux  sont  ordinairement 
plus  faciles  à  maintenir  et  endurent  plus  patiemment 
les  expériences  qu'on  pratique  sur  eux.  Les  vétérinaires, 
au  contraire,  ayant  affaire  à  des  chevaux  fringants  et 
vigoureux,  sont  plus  exposés  aux  blessures  causées  par 
les  emportements  de  l'animal.  Le  cheval,  par  exemple, 
peut  blesser  par  des  morsures  ou  par  la  jirojection  en 
avant  des  membres  antérieurs,  soit  isolément ,  soit 
simultanément,  ([uand  ranimai  se  cabre.  Nous  emprun- 
terons donc  aux  vétérinaires  les  appareils  nécessaires 


CONTENTION    MtCANlQUE.  148 

à  maintenir  et  à  maîtriser  les  grands  animaux.  Du  reste, 
nous  n'indiquerons  ici  que  les  dispositions  les  plus 
simples,  renvoyant  pour  plus  de  détails  aux  ouvrages 
spéciaux  de  chirurgie  vétérinaire  (1). 

Un  premier  moyen  d'assujettir  l'animal  consiste  à 
produire  ce  qu'on  appelle  une  dérivation  de  la  douleur, 
c'est-à-dire  à  produire  en  un  point  très- sensible  une 
douleur  vive  et  qui  impressionne  l'animal  au  point  de 
lui  faire  oublier  la  douleur  de  l'opération  qu'il  subit. 
L'appareil  le  plus  simple  employé  à  cet  effet  est  le  tord- 
nez  (ou  improprement  torche-nez)  :  ce  n'est  autre  chose 
qu'une  anse  de  corde  fixée  au  bout  d'un  bâton  et  dans 
laquelle  on  saisit  le  bout  du  nez  et  la  lèvre  supérieure 
du  cheval  (voy.  fig.  29).  En  tournant  alors  le  bâton  sur 
lui-même,  on  étreint  ces  parties  très-sensibles, 
et  on  les  serre  jusqu'au  degré  qu'on  juge  con- 
venable. 

On  se  sert  encore  de  morailles.  On  désiaine 
sous  ce  nom  une  sorte  de  pince  en  fer,  for- 
mant un  compas  dont  les  deux  branches  ser- 
rées l'une  contre  l'autre  peuvent  produire  une 
compression  plus  ou  moins  violente  sur  une 
partie  du  corps  saisie  entre  elles  (fig.  '^S).  Pour 
que  cet   appareil  soit  maintenu  solidement     -^'"■'aiiks. 
iserré,  l'une  des  branches  est  pourvue  à  son  extrémité 
d'une  crémaillière  sur  laquelle  vient  se  fixer  un  anneau 
ovale  porté  par   l'extrémité  de   l'autre   branche.   Lh 
figure  28  fait  comprendre  cette  disposition. 


(1)    Voyez   notamment    J.   Gourdon,  Elémenla  de  chirurgie  véiérinaire 
Paris,  1855. 


144  PUEHENSIUN    bï   CONTENTION. 

Ces  deux  exemples  suffisent  pour  nous  faire  com- 
prendre ce  que  sont  les  autres  appareils  du  même  genre, 
désignés,  par  exemple,  sous  les  noms  de  serre-oreilles, 
serre-côtes,  etc.,  et  dont  on  trouvera  la  description  dans 
les  ouvrages  spéciaux. 

Une  seconde  série  de  moyens  consiste  à  mettre  le 
cheval  dans  l'impossibilité  de  ruer  :  à  cet  effet  il  suffit 
de  fixer  Tun  des  pieds  levé  au-dessus  de  terre.  Un  aide 
vigoureux,  embrassant  d'une  main  le  paturon  du 
cheval,  peut  soulever  le  pied  en  s'attachant  de  l'autre 


FiG.  -29.  —  Cheval  auquel  ou  a  applique  le  lord-ncz  (p.  Ii3)  et  la  bricole. 


main  à  la  crinière  ou  en  prenant  point  d'appui  sur  la 
hanche  de  fanimal.  Mais  il  est  bien  plus  simple,  et  plus 
prudent  à  la  fois,  d'avoir  recours  à  un  système  de  cor- 
dages que  les  vétérinaires  désignent  sous  les  noms  de 
plate-longe,  (['entraves,  de  bricole.  La  figure  29  donne 
parfaitement  Tidée  d'un  appareil  de  ce  genre,  réduit  à 


COXÏEMION   MÉCANIQUE.  145 

sa  plus  simple  expression.  On  voit  qu'il  se  compose  sim- 
plement d'une  corde  ((/)  portant  à  son  extrémité  une 
ganse  qui  saisit  le  paturon  du  cheval  (au  pied  posté- 
rieur gauche);  l'extrémité  libre  de  la  corde  va  d'abord 
passer  entre  les  deux  avant-bras,  puis  remonte  le 
long  de  la  base  de  l'encolure,  du  côté  opposé  au  pied 
entravé,  et,  après  avoir  croisé  sur  le  garrot,  descend 
le  long  de  l'épaule  pour  venir  croiser  sur  elle-même. 
La  main  de  l'aide  tire  alors  et  soulève  ainsi  le  membre 
jusqu'à  ce  qu'il  ait  perdu  toute  possibilité  d'appui  sur 
le  sol. 

Cette  même  figure  représente  l'application  du  tord- 
nez  (Cl)',  elle  montre  aussi  le  procédé  mis  en  pratique 
par  les  vétérinaires  pour  atta- 
cher solidement  à  la  racine  de 
la  queue  {é)  une  forte  corde 
dont  l'extrémité  libre  peut  ser- 
vir à  attacher  et  à  lever  un  des 
pieds  postérieurs. 

Si  ces  movens  ne   suffisent 
pas,  il  faut  alors  abattre  l'ani- 
mal pour  le  fixer  et  lui  faire 
prendre  la  position  la  plus  com- 
mode à  l'opération.  Il  n'est  pas 
facile  de  renverser  un  cheval,  et 
il  faut   absolument   pour  cela 
avoir  recours  ta  l'un  des  appareils  mis  en  usage  par  les 
vétérinaires;  le  plus  simple  est  celui  qui  porte  le  nom 
à' entravons.  Use  compose (fig.  30)  de  fortes  courroies  de 
cuir  souple  (|ue  Ton  peut  boucler  à  chaque  paturon  du 


Fig.  30.  —  Entravons  pour 
abattre  le  clieval. 


(,t,.    liKli.wrtli. 


l'hvsi; 


1(J 


146  pRÉHENsio.x  i:t  contkxtiox. 

cheval.  Vers  le  milieu  du  bracelet  ainsi  formé,  et  à  sa 
face  externe,  est  fixé  un  anneau.  A  l'un  de  ces  anneaux, 
et  de  préférence  à  celui  du  bracelet  (ou  entravoii)  d'un 
membre  antérieur,  on  fixe  une  corde,  dont  le  bout  est 
ensuite  passé  dans  l'anneau  du  pied  postérieur  du  même 
côté,  puis  dans  l'autre  pied  postérieur,  puis  enfin  dans 
le  pied  antérieur  resté  libre.  I.es  quatre  pieds  se  trou- 
vent ainsi  pris,  et  en  tirant  sur  la  corde  on  les  rapproche 
à  volonté,  de  manière  à  faire  tomber  l'animal.  On  pro- 
duit cette  traction  avec  certains  ménagements  de  façon 
à  ne  pas  dérober  trop  brusquement  les  pieds  du  cheval, 
et  afin  que  la  chute  se  fasse  sans  une  trop  brusque 
secousse. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  des  grands  animaux 
s'applique  en  général  au  cheval  ;  mais  les  moyens  de 
contention  applicables  aux  grands  ruminants  ne  diffè- 
rent que  peu  des  précédents.  Ainsi  le  tord-nez  du  cheval 
a  ici  comme  équivalent  les  boudes  et  \espmces  des  bou- 
viers italiens,  sortes  d'anneaux  qui  passent  dans  les 
narines  des  taureaux  et  des  vaches.  Quant  aux  moyens 
de  contention  plus  solides,  on  les  applique  d'ordinaire 
sur  l'animal  resté  debout;  les  vétérinaires  eux-mêmes 
n'abattent  que  rarement  les  animaux  de  l'espèce  bovine. 
On  a  recours  de  préférence  à  un  appareil  auquel  on 
donne  le  nom  de  travail,  et  dont  la  figure  31  représente 
l'une  des  formes  les  plus  simples. 

On  voit  que  ce  travail  (fig.  31)  a  pour  parties  princi- 
pales quatre  poteaux  («,  b,  c,  d)  droits  à  leurs  parties 
inférieure  et  supérieure,  mais  concaves  en  dedans  à 
leur  partie  moyenne,  de  manière  à  comprendre,  entre 


CONTENTION  MÉCANIQUE.  1  \7 

les  deux  poteaux  en  regard  l'un  de  l'autre,  un  intervalle 
suffisant  pour  que  le  corps  d'un  bœuf  puisse  s'y  placer. 
De  plus,  les  poteaux  d"uu  côté  sont  immobiles,  d'une 
seule  pièce,  tandis  que  ceux  du  côté  opposé  peuvent  se 
mouvoir  autour  d'une  charnière  qui  leur  permet  de  se 
rabattre  sur  le  sol  afin  de  laisser  entrer  l'animal  et  de 


FiG.  31.  —  Travail  pour  contenir  le  bœuf. 


l'enfermer  ensuite  étroitement.  La  tête  est  maintenue 
à  un  poteau  {é)  par  des  cordes  qui  vont  des  cornes 
aux  chevilles  de  ce  poteau.  Quant  aux  autres  poteaux, 
ils  sont  maintenus  fermés  par  des  cordes,  ou  mieux 
encore  par  des  chevilles,  comme  le  représente  la 
figure  31  (en  à,  (/,  et  «,  c). 

Comme  détail  particulier  de  la  contention  du  cheval, 
nous  donnons  ici  une  figure  d'un  appareil  qui  permet 
de  maintenir  ouverte  la  bouche  de  cet  animal;  cjt  appa- 
reil (fig.  32)  est  pour  le  cheval  l'analogue  du  double 
mors  que  nous  avons  décrit  précédemment  pour  le 
chien  (voy.  ci-dessus  fig.  24). 


I  48  i'KlÎHENSlON    KT    CONTENTION. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  les  moyens  de 
contention  des  grands  animaux;  ce  que  nous  avons  dit 
suffira  pour  donner  une  idée  des  difficultés  à  surmonter 


Fie.  32.   —  Appai'oil  pour  écarter  les  mâchoires  du  cheval. 

et  des  procédés  mis  en  œuvre  pour  s'en  rendre  maître. 
Les  détails  dans  lesquels  nous  sommes  entré  relative- 
ment à  la  contention  des  chiens  et  des  animaux  d'un 
usage  expérimental  plus  journalier,  montrent  assez  l'im- 
portance que  nous  attachons  à  ce  sujet  :  c'est  là,  en 
effet,  un  des  moyens  indispensables  pour  arriver  à  con- 
stituer la  physiologie  expérimentale  scientifique.  Quant 
à  l'influence,  très-minime  d'ordinaire,  que  l'état  de 
contention  exerce  sur  l'organisme  animal,  nous  l'exa- 
minerons et  en  préciserons  la  valeur  après  avoir  fait 
l'élude  d'un  nouveau  système  de  moyens  de  contention, 
nous  voulons  parler  de  la  contention  physiologique,  ainsi 
nommée  par  opposition  à  la  contention  mécanique  que 
nous  venons  d'étudier. 


HUITIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  (Contention  physiologique  des  animaux.  —  Emploi  des  alcaloïdes 
de  l'opium.  —  Comment  il  faut  tenir  compte,  dans  l'interprétation  des 
expériences,  des  effets  propres  aux  agents  de  contention.  —  Emploi  de 
l'éther  et  du  chloroforme.  — •  Du  chloral.  —  Muselières  pour  l'anesthésie 
<lu  chien.  —  Éthérisation  du  lapin,  du  chat.  —  Bocal  pour  l'éthérisation 
des  animaux  de  petite  taille.  —  .\nesthésie  par  l'eau  chaude.  —  Combi- 
naison du  chloroforme  et  de  la  morphine.  —  Emploi  du  curare.  — Avantages 
••le  l'emploi  du  curare. — .\ncsthésie  par  compression  du  cerveau.  —  Appré- 
ciation générale  des  moyens  de  contention. 


Messieurs, 

Nous  donnons  le  nom  de  moyens  contentifs  physiolo- 
(jiques  aux  substances  anesthésiques  ou  stupéfiantes  que 
l'on  emploie  pour  éteindre  la  sensibilité  ou  le  mouve- 
ment chez  les  animaux  que  l'on  soumet  aux  vivi- 
sections. 

Aujourd'hui  les  moyens  de  contention  physiologique 
que  nous  possédons  et  que  nous  allons  passer  en  revue 
sont  au  nombre  de  trois  principaux,  C.e  sont  ;  1"  \ opium; 
^°  Xéther  ou  le  chloroforme^  ou  le  chloral  ;  3  "  le  curare. 
Nous  y  ajouterons  la  contention  par  la  compression  céré- 
brale, laquelle,  quoique  usitée  dans  un  petit  nombre 
de  cas  seulement,  peut  cependant  rendre  encore  de 
réels  services. 

\°  De  l'opium. —  Nous  avons  fait  ailleurs  l'histoire 
de  l'opium  et  de  ses  alcaloïdes  (i) ;  nous  ne  devons  exa- 

(1)  Voy.  Lpçons  sur  les  nnestliésiques  et  l'axpliij.rie.  Paris,  1875. 


]50  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

miner  ici  ces  composés  qu'au  point  de  vue  de  leur  em- 
ploi comme  moyens  de  contention  ;  à  ce  point  de  vue  il 
faut  renoncera  se  servir  de  l'opium  brut,  car  il  renferme 
six  alcaloïdes,  dont  les  effets  ne  sont  pas  du  même  ordre 
et  amèneraient  même  en  partie  des  résultats  opposés. 
Nous  avons  montré  en  effet  que  de  ces  six  alcaloïdes 
trois  srulemcnt  sont  hypnotiques  ou  anestbésiques,  et 
par  suite  contentifs  :  ce  sont  la  morphine,  la  narci'ine  et 
la  codéine.  Les  trois  autres  (narcotine,  papavérine,  thé- 
baïne)  ne  sont  pas  narcotiques;  ils  ont  même,  et  sur- 
tout la  thébaïne,  une  action  excitante,  convulsivante 
très-toxique.  C'est  pour  cette  raison  que  l'opium  lui- 
même,  quirenferme  cettesubstance,  estplus  toxique  que 
la  morphine  pure,  qui  cependant  est  plus  active  comme 
hypnotique. 

Nous  ferons  usage  de  la  morphine  pour  nos  expé- 
riences. Cette  préférence  nous  est  dictée  parce  que  la 
morphine  estplus  abondante  et  plus  facile  à  se  procurer 
que  tous  les  autres  alcaloïdes  de  l'opium  ;  elle  est  moins 
chère,  et  on  la  trouve  dans  le  commerce  à  l'état  de 
pureté.  La  narcéine,  qui  nous  a  donné  d'excellents  ré- 
sultats, est  au  contraire  rare  et  même  introuvable  au- 
jourd'hui, et  il  nous  a  été  impossible  de  nous  en  pro- 
curer de  bien  véritable  après  celle  qui  nous  avait  servi 
pour  nos  premières  recherches  sur  l'opium.  La  codéine 
n'a  aucun  avantage,  en  physiologie,  sur  la  morphine; 
au  contraire,  elle  agit  moins  énergiquemeut. 

Quand  nous  emploierons  la  morphine,  c'est  toujours 
de  la  morphine  à  l'état  de  sel  le  plus  usuel,  c'est-à-dire 
du  chlorhydrale.  Nous  employons  ce  sel  à  l'état   de 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  151 

solution  dans  l'eau  distillée;  exemple  :  une  solution 
renfermant  5  centigrammes  de  chlorhydrate  de  mor- 
phine pour  1  centimètre  cube  d'eau.  Voici  la  formule 
dont  nous  faisons  usage  :  nous  dissolvons  un  gramme 
de  chlorhydrate  de  morphine  dans  20  centimètres  cubes 
d'eau.  On  injecte  au  moins  1  centimètre  cube  de  la 
solution  :  en  général  de  1  à  5  selon  la  taille  et  selon 
l'âge  du  chien;  plus  l'animal  est  jeune,  plus  il  est 
sensible;  les  chiennes  sont  aussi  peut-être  plus  sensibles 
que  les  chiens.  Nous  sommes  dès  lors  en  possession  d'un 
excellent  moyen  de  contention,  dont  nous  allons  étudier 
les  effets,  les  indications,  ainsi  que  les  moyens  de  s'en 
servir. 

3Iais  ici  se  présente  une  question  générale  que  nous 
ne  pouvons  pas  tarder  plus  longtemps  à  nous  poser.  Les 
animaux  soumis  à  ces  moyens  de  contention  sont-ils  dans 
un  état  physiologique?  Les  résultats  que  nous  obtien- 
drons dans  ces  circonstances  sont-ils  légitimes  et  peu- 
vent-ils être  considérés  comme  des  résultats  normaux  ? 

Sans  doute  l'action  de  l'agent,  quel  qu'il  soit,  dont  nous 
avons  fait  usage,  cette  action,  quelle  qu'elle  soit,  s'est 
portée  sur  certains  éléments  anatomiques;  elle  a  mo- 
difié momentanément  leurspropriétés,  et  l'on  peut  dire, 
à  ce  point  de  vue,  que  l'animal  en  question  n'est  pas 
dans  mi  état  normal.  Mais  qu'est-ce  que  l'état  normal? 
Où  trouver  un  animal  qu'on  puisse  considérer  comme 
présentant  un  état  normal  typique,  idéal?  Quand  l'ani- 
mal n'est  soumis  à  l'action  d'aucun  agent,  peut-on  dire 
qu'il  est  à  l'état  normal?  Non,  sans  doute.  Si  l'on  a 
affaire  à  un  animal  à  jeun  ou  à  un  animal  en  pleine 


15:2  Contention  di:s  animaux. 

digeslion,  les  coiidilions  ne  sont  plus  les  mêmes  et 
les  résultats  seront  complètement  différents.  Si,  par 
exemple,  l'expérience  a  pour  but  d'extraire  du  sang  de 
cet  animal,  d'en  examiner  la  composition  ou  môme 
simplement  la  quantité,  lequel  de  ces  deux  animaux 
(à  jeun  ou  en  digeslion)  était  à  l'état  normal  ?  Ni  l'un 
ni  l'autre,  ou  si  l'on  veut  tous  les  deux.  C'est  que  ce  que 
l'on  appelle  l'état  normal  est  une  pure  conception  de 
l'esprit,  une  forme  typique  idéale  artificiellement  déga- 
gée des  mille  divergences  entre  lesquelles  flotte  inces- 
samment l'organisme  au  milieu  de  ses  fonctions  aller- 
natives  et  intermittentes.  Il  serait  donc  absurde  de  se 
perdre  dans  la  recherche  d'un  état  qui  nexiste  pas,  qui 
ne  saurait  exister.  Celse  avait  déjà  fait  remarquer  qu'un 
animal  sur  lequel  on  opère  n'est  jamais  à  l'élat  normal. 
Si  on  ne  le  soumet  à  aucun  agent,  mais  si  seulement 
il  se  débat,  s'agite,  il  n'est  pas  plus  à  l'état  normal  que 
s'il  est  soumis  à  un  agent  de  contention.  Celse  se  servait 
de  cet  argument  pour  cherchei-  à  démontrer  que  les 
vivisections  n'ont  aucune  rigueur,  et  par  suite  aucune 
valeur  scientifique.  Cuvier  lui-même,  pénétré  de  ce  de- 
sideratum d'un  état  normal  imaginaire  et  impossible  à 
réaliser,  Cuvier  repoussa  les  expériences  au  début  de  sa 
carrière,  et  voulait  qu'on  étudiât  la  physiologie  par 
l'anatomie  comparée,  qu'on  arrivât  à  déduire  la  fonc- 
tion de  l'organe  de  l'étude  de  son  développement  et  de 
sa  prépondérance  dans  la  série  animale. 

Nous  sommes  loin,  on  le  sait,  de  partager  cette  opi- 
nion. Nous  pensons  que  l'expérimentation,  malgré  des 
difficultés  sans  nombre,  peut  èlre  ramenée  à  des  condi- 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  \~):\ 

lions  fixes  et  exemptes  de  causes  d'erreur.  Pour  nous, 
tout  animal  est  atout  instant  dans  des  conditions  parti- 
culières qui  l'écarlent,  dans  un  sens  ou  dans  un  aulre,  du 
prétendu  état  normal;  le  tout  est  de  déterminer  exacte- 
ment ces  conditions,  de  tenir  compte  des  circonstances. 
A  l'époque  oij  nous  étudiions  le  sang  veineux  des  glandes 
et  où  nous  faisions  remarquer  que  le  sang  veineux  qui 
revient  du  rein  est  rouge  comme  du  sang  artériel,  nous 
entreprîmes  de  nombreuses  analyses  pour  déterminer 
la  quantité  d'oxygène  contenu  dans  ce  sang  des  veines 
rénales  Or,  nous  arrivâmes  parfois  à  ce  résultat  ab- 
surde, que  le  sang  qui  sort  du  rein  contiendrait  plus 
d'oxygène  que  le  sang  artériel  qui  y  arrive.  Cependant 
ce  résultat  était  positif  ;  il  ne  pouvait  être  absurde  en 
lui-même,  il  s'agissait  d'en  saisir  les  circonstances.  Une 
analyse  attentive  de  nos  expériences  nous  en  rendit 
bientôtcompte.  Nous  prenions  d'abord  le  sang  delà  veine, 
nous  l'analysions,  et  nous  laissions  par  suite  écouler  un 
certain  temps  avant  d'aller  puiser  du  sang  dans  l'artère. 
Or,  pendant  cet  intervalle,  et  par  suite  même  de  la  pre- 
mière saignée,  l'animal  s'était  épuisé,  son  sang  artériel 
était  devenu,  d'une  manière  générale,  plus  pauvre  en 
oxygène;  il  ne  pouvait  plus  à  ce  moment  être  comparé 
à  un  sang  veineux  pris  antérieurement  sur  l'animal  plein 
de  vigueur.  Il  fallait  donc  faire  simplement  que  les  cir- 
constances fussent  identiques  et  pour  la  saignée  vei- 
neuse et  pour  la  saignée  artérielle. 

Si  nous  sommes  obligés  de  tenir  compte  de  circon- 
stances aussi  délicates  sur  un  animal  qui  n'a  subi  l'ac- 
tion d'aucun  agent,  nos  expériences  seront  tout  aussi 


154  CONTENTION    DHS    ANIMAUX. 

légitimes  sur  un  animal  auquel  on  aura  administré  un 
anesthésiquy,  pourvu  que  nous  sachions  tenir  compte 
des  circonstances  nouvelles  créées  par  l'action  de  celui- 
ci.  Par  suite  de  ces  circonstances,  chacun  des  moyens  de 
contention  physiologique  aura  ses  indications  spéciales 
que,  disons-le  dès  maintenant,  nous  aurons  soin  de 
signaler  exactement.  Par  suite  encore,  aucun  de  ces 
moyens  ne  sera  à  recommander  d'une  manière  générale 
et  absolue;  chacun  aura  ses  inconvénients  et  ses  avan- 
tages dans  tel  ou  tel  cas  et  pour  telles  ou  telles  raisons 
que  nous  saurons  spéciBer.  C'est  ainsi  que  l'opium, 
arrêtant  les  sécrétions,  ne  pourra  être  mis  en  usage 
lorsqu'il  s'agira  d'étudier  les  fonctions  des  glandes;  le 
curare,  agissant  sur  le  système  nerveux,  nous  voilerait 
un  trop  grand  nombre  des  propriétés  de  ce  système  s'il 
était  mis  en  usage  comme  moyen  de  contention  lorsque 
nos  expériences  portent  sur  les  centres  ou  sur  les  par- 
ties nerveuses  périphériques.  Nous  donnerons  donc, 
pour  chacun  des  agents  en  question,  ce  qu'on  appelle 
en  thérapeutique  ses  indications  et  ses  contre-indica- 
tions. 

Emploi  de  l'opium  (morphine).  —  Le  chlorhydrate 
de  morphine  s'administre  le  plus  souvent  sous  forme 
d'injection  ;  celle-ci  peut  se  fan^e  dans  le  tissu  cellulaire 
sous-cutané,  ou  dans  la  plèvre,  ou  même  dans  le  pou- 
mon. Nous  rejetons  l'injection  dans  les  veines,  parce 
que  dans  ce  cas  on  produit  toujours  un  peu  d'agitation, 
on  amène  des  évacuations  alvines  souvent  sanguino- 
lentes, ce  qui  prouve  qu'on  produit  dans  ce  cas  une 
excitation  qui  est  tout  ii  fait  étrangère  à  la  stupéfaction 


CONTENTION   rilYSIOLOGIQlK.  155 

que  l'on  cherche  à  obtenir.  D'autre  part,  lorsque  l'in- 
jection se  fait  dans  les  veines,  l'efïetcontentif  dure  moin^ 
que  lorsque  la  pénétration  a  lieu  par  une  autre  voie  ; 
c'est  que  l'élimination  du  poison  est  alors  plus  rapide. 
La  plèvre  est  un  excellent  lieu  d'injection  ;  c'est  là  que 
Magendie  faisait  toujours  pénétrer  de  préférence  les 
agents  dont  il  voulait  étudier  l'aclion  ;  on  n'a  pour  cela 
qu'à  perforer  un  espace  intercostal  avec  le  trocart  de  la 
seringue.  L'injection  dans  le  poumon  nous  a  aussi  donné 
d'excellents  résultats;  l'agent  passe  ainsi  immédiate- 
ment dans  ie  système  artériel  et  va  tout  de  suite  impres- 
sionner les  éléments  anatomiques  sur  lesquels  il  porte 
spécialement  son  action. 

La  dose  que  nous  employons  d'ordinaire  est  de  5  cen- 
tigrammes, mais  on  peut  donner  au  chien,  sans  aucun 
danger,  une  dose  plus  forte  et  même  double  de  morphine, 
pourvu  que  ce  sel  soit  bien  pur.  L'animal  reste  encore 
sensible  :  en  touchant  la  cornée  on  provoque  l'occlusion 
des  paupières  ;  mais  il  est  très-calme  et  se  prête  sans 
réaction  aux  opérations  les  plus  délicates.  Placé  à  terre, 
le  chien  peut  encore  se  mouvoir,  marcher,  aller  se 
cachei';  placé  dans  la  gouttière  à  vivisection,  il  y  de- 
meure immobile  et  stupéfié  ;  jamais  il  ne  cherche 
à  mordre,  quelque  opération  qu'on  lui  fasse  subir;  il 
sent  la  douleur,  mais  il  a  pour  ainsi  dire  perdu  l'idée 
de  la  défense.  Aussi  ce  moyen  de  contention  est-il 
excellent  pour  les  opérations  que  l'on  doit  faire  dans  la 
cavité  buccale. 

Le  chien  est  l'animal  le  plus  facile  à  stupéfier  par  la 
morphine,  et  comme  c'est  sur  lui  que  le  physiologiste 


156  CONTENTION    DKS    ANIMAUX. 

expérimente  le  plus  souvent,  nous  avons  donc  dans  le 
principe  de  l'opium  un  des  plus  précieux  moyens  de 
contention. 

Après  les  avantages,  il  nous  faut  énumérer  les  incon- 
vénients de  l'opium. 

Jl  faut  d'abord  savoir  que  l'animal  s'habitue  singuliè- 
rement à  cet  agent  et  arrive  à  une  tolérance  très- 
grande,  et  qui,  du  reste,  n'a  rien  qui  nous  étonne  après 
les  exemples  seujblables  et  bien  connus  que  nous  présente 
l'histoire  des  mangeurs  d'opium.  Le  lendemain  du  jour 
où  un  chien  a  été  soumis  à  l'action  de  la  morphine,  il 
faut  presque  une  dose  double  pour  amener  les  mêmes 
effets  que  la  veille.  Cette  accoutumance  persiste  long- 
temps, alors  même  qu'on  interrompt  quelques  jours 
l'administration  de  l'opium  ;  il  faut  purger  les  animaux 
pour  les  soustraire  à  l'influence  de  la  morphine  absorbée 
antérieurement  et  leur  rendre  leur  sensibilité  primitive 
à  cet  aoent. 

Il  faut  encore  ne  pas  oublier  que  la  morphine  arrête 
les  sécrétions,  que  par  suite  elle  arrête  la  digestion  ;  ce 
moyen  de  contention  nest  donc  pas  à  recommander 
pour  l'étude  des  fonctions  digestives. 

Au  milieu  de  la  stupeur  produite  par  la  morphine, 
les  animaux  sont  encore  très-excitables  par  certaines 
impressions:  ils  tressaillent  vivement  quand  on  produit 
un  bruit  subit,  un  choc.  C'est  une  excitabilité  particu- 
lière qu'on  remarque  non-seulement  chez  le  chien,  mais 
encore  sur  une  grenouille  :  en  frappant  vivement  du 
pied  le  sol  du  laboratoire,  en  faisant  vibrer  par  un  choc 
brusque  la  planche  ou  la  table  sur  laquelle  repose  l'ani- 


CONTENTION  phvsiologiqll:.  157 

mal,  on  le  voit  subitement  sursauter,  pour  retomber 
aussitôt  dans  son  calme  habituel. 

La  morphine  peut  être  employée  à  peu  près  avec 
les  mêmes  avantages  sur  les  différents  mammifères; 
elle  réussit  également  sur  les  oiseaux  ;  mais  c'est  sur  le 
chien,  nous  l'avons  dit,  qu'elle  réussit  le  mieux,  et  c'est 
pour  cet  animal  qu'elle  est  surtout  indispensable. 

De  féther  et  du  chloroforme  (soit  seuls,  soit  associés 
à  l'opium).  — L'anesthésie  par  l'élher  ou  le  chloroforme 
était  inconnue  des  anciens  expérimentateurs  comme 
des  anciens  chirurgiens.  Nous  avons  fait  ailleurs  l'his- 
torique de  la  découverte  de  ces  anesthésiques;  rappe- 
lons seulement  que  ce  n'est  qu'à  partir  de  I8/18  que 
l'anesthésie  par  l'élher  est  devenue  pratique  et  d'un 
usage  assez  répandu  (d'abord  en  Amérique,  Jackson  et 
le  dentiste  Morlon)  ;  puis  est  venu  l'usage  du  chloro- 
forme (Simpson  d'Edimbourg),  sans  que  toutefois  ce 
dernier  aneslhésique  remplaçât  partout  le  premier  :  ainsi 
les  chirurgiens  de  Lyon  sont  restés  fidèles  à  l'éther,  dont 
ils  considèrent  l'usage  comme  plus  sûr  que  celui  du 
chloroforme. 

Nous  avons  commencé  nos  travaux  de  physiologie  à 
une  époque  où  l'on  n'employait  pas  les  anesthésiques; 
puis  est  veim  l'éther,  puis  le  chloroforme.  Nous  avons 
donc  pu  comparer  successivement,  au  point  de  vue  des 
vivisections,  les  inconvénients  elles  avantages  qui  résul- 
tent de  ces  diverses  manières  d'expérimenter.  Enfin 
nous  avons  combiné  le  chloroforme  avec  l'opium,  et 
nous  croyons  avoir  réalisé  ainsi  le  plus  conq3let  des 
procédés  d'aneslhésie  physiologique. 


J58  ^  CONTENTION    Dl'S    ANIMAUX. 

Le  chloroforaHi  est  un  agent  plus  actif  (|ue  l'éther, 
maison  même  temps  plus  dangereux;  il  aneslhésie  plus 
vite;  mais,  chez  certains  animaux  délicats,  il  amène  plus 
facilement  des  accidents  et  la  mort  par  syncope  ou  par 
asphyxie  (1).  Les  vétérinaires  préfèrent  généralement 
"l'usage  de  l'éther.  En  physiologie  expérimentale,  ces 
deux  agents  doivent  être  conservés,  mais  employés  l'un 
de  préférence  à  l'autre  selon  la  taille  des  animaux,  selon 
leur  susceptibilité,  et  selon  les  conditions  particulières 
que  nous  préciserons  en  temps  et  lieu.  Mais,  d'une  ma- 
nière générale,  on  peut  dire  que  l'éther  convient  pour 
les  oiseaux,  pour  les  lapins  et  pour  les  petits  animaux, 
tels  que  les  souris,  les  rais.  Le  chloroforme,  au  con- 
traire, convient  pour  les  chiens,  les  chats,  pour  les  che- 
vaux, etc.,  etc.  En  effet,  l'éther  agit  trop  lentement  sur 
ces  derniers  animaux,  et  il  ne  donne  que  rarement  des 
effets  assez  complets.  Par  contre,  le  lapin,  et  en  géné- 
ral les  rongeurs  utilisés  en  physiologie,  est  très-sensible 
au  chloroforme,  et  il  est  très-facile  de  dépasser  la  dose 
que  supportent  ces  animaux. 

On  a  beaucoup  parlé  dans  ces  derniers  temps  de 
l'emploi  du  chloral  en  chirurgie  ;  on  a  attribué  l'action 
de  cet  anesthésique,  pris  à  l'intérieur,  à  ce  qu'il  se  dé- 
composerait dans  l'organisme  et  donnerait  naissance  à 
du  chloroforme.  Le  chloral  agirait  donc,  en  dernière 
analyse,  par  le  chloroforme  qui  se  produit  grâce  au 
dédoublement  qui  a  lieu  en  présence  des  milieux  alca- 
lins. S'il  en  est  ainsi,  il  est  probable  que  le  chloral 
combiné  avec  la  morphine  devrait  produire  des  effets 

(1)  Lerom  sur  les  onestliésujues.  Paris,  1875.  —  Physiologie  générale. 


CONTKNTION    PHYSIOLOGIQUE.  150 

identiques  à  ceux  que  nous  étudierons  bientôt.  iNous 
avons  fait  de  nombreuses  expériences  dans  ce  sens  et 
jamais  nous  n'avons  obtenu  ce  résultat  :  ainsi  Texcilabi- 
lité  particulière  au  choc,  au  bruit  subit  qui  caractérise 
la  stupeur  produite  par  la  morphine,  cette  excitabilité 
n'a  jamais  disparu  par  l'administration  du  chloral.  Ce 
résultat  est  donc  contraire  à  l'hypothèse  que  le  chloral 
a^it  en  donnant  naissance  à  du  chloroforme,  car  ce  der- 
nier agent,  quand  on  le  combine  à  la  morphine,  pro- 
duit toujours  les  effets  indiqués,  de  quelque  manière 
qu'on  l'administre  à  l'animal,  aussi  bien  quand  on  l'in- 
jecte sous  la  peau  que  quand  on  le  fait  absorber  par  la 
voie  pulmonaire. 

Ainsi  le  chloral  ne  nous  sera  d'aucune  utilité  au  point 
de  vue  des  vivisections. 

Nous  ne  saurions  nous  occuper  ici  de  la  théorie  des 
anesthésiques  :  celte  question  a  été  longuement  traitée 
dans  nos  leçons  sur  les  anesthésiques.  Le  point  de  vue 
pratique  auquel  nous  nous  plaçons  ici  demande  que 
nous  examinions  plus  particulièrement  les  manœuvres 
employées  pour  produire  l'anesthésie,  c'est-à-dire  pour 
administrer  les  agents  anesthésiques. 

Pour  administrer  ces  anesthésiques  et  particulière- 
ment le  chloroforme,  nous  nous  servons,  pour  le  chien, 
d'une  muselière  en  forme  de  cône  tronqué  (fig.  33)  ; 
l'extrémité  de  cette  muselière  reçoit  une  petite  boîte 
grillée  [a),  dans  laquelle  on  place  une  éponge  (fig.  33, 
n"'  i ,  2)  imbibée  de  chloroforme.  Il  est  donc  très-facile,  en 
introduisant  ou  en  enlevant  cette  petite  boîte,  de  com- 
mencer et  d'interrompre  à  volonté  l'administration  de 


|()0  COMliiNTlOX    DES    AMMAUX. 

ranesthésique.  Au  début  de  l'anesthésie,  on  voitl'ani- 


FIG..33.  — Muselici-c  pour  raiinslliésie  du  cliicn  :  n"  1,  la  musoliorc  est  appliquée 
à  l'animal  ;  n«  2,  sou  extrôuiité  est  vue  en  coupe. 

6,  corps  de  la  museliôrn  ;  d,  proloiig:!?meut  ])ortant  le  lien  qui  sert  à  la  fixer;  a,  boîte 
doslinéo  à  recevoir  l'éponge  imbibée  de  chloroforme.  (Le  détail  de  celte  partie,  liguré^ 
à  part,  montre  que  cette  boîte  so  compose  de  doux  parties,  l'une  {a')  qui  fait  corps 
avec  la  muselière,  l'autre  (a)  mobile  et  qui  peut  être  enlevée  à  volonté 

mal  s'agiter  assez  vivement,  plus  vivement  et  plus  long- 


Fic.  3i.  —  Autres  formes  de  muselière  pour  ranosthésic  du  cliicu. 

1,  parties  en  cuir  ou  drap  épais  embrassant  exactement  la  forme  du  museau  ;  2  et  3,  parties 

métalliques,  avec  boîte  (3)  comme  ci-dessus. 

temps  qu'il  ne  le  fait  quand  il  a  déjà  été  soumis  à  l'ac- 
lion  de  la  morphine  (voy.  plus  loin). 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  161 

Il  arrive  souvent,  si  Ton  douini  tout  d'abord  une  trop 
grande  quantité  de   chloroforme,    que  l'animal    soit 


Fie.  35.  —  Application  de  cette  muselière,  et  détails  de  la  construction  de  la  boîtes 
à  chloroforme. 


comme  sidéré  par  la  trop  grande  abondance  des  vapeurs 
qu'il  respire.  On  peut  alors,  si  le  cœur  bat  encore,  et 
souvent  il  bat  d'une  façon  imperceptible,  rappeler  l'ani- 
mal à  la  vie  en  l'excitant  énergiquement,  par  exemple 
en  lui  injectant,  k  l'aide  d'une  seringue,  de  l'eau  dans 
le  nez  avec  une  certaine  violence.  On  rétablit  ainsi  les 
mouvements  respiratoires  arrêtés.  L'application  de  l'é- 
lectricité peut  aussi  rendre  alors  de  grands  services  ; 
c'est  un  moyen  auquel  les  chirurgiens  ont  recours  en 
pareil  cas  et  dont  les  expériences  de  Jobert  de  Lamballe 
ont  démontré  l'efficacité. 

Pour  chloroformer  les  grands  animaux,  on  se  sert 
d'appareils  analogues  à  celui  que  nous  venons  d'indiquer 
pour  le  chien.  Ainsi  les  vétérinaires  appliquent  sur  le 
museau  du  cheval  un  sac  qui  rappelle  tout  à  fait  la  mu- 
selière précédente  et  dont  Gourdon  nous, donne  le  des- 
sin dans  sa  Chirurgie  vétérinaire. 

CL.    BERNARD.  —   Pliysiol.   Opéf.  \\ 


162  CONTENTION    DES   ANIMAUX. 

On  peut  éthériser  des  lapins  en  injectant  sous  la  peau 
du  dos  4  ou  5  centimètres  cubes  d'éther.  L'animal  est 
éthérisé  pendant  plusieurs  heures  et  ne  meurt  pas  ordi- 
nairement à  la  suite  de  l'opération. 

Si  l'on  injecte  seulement  ^2  centimètres  cubes  d'éther, 
l'animal  n'éprouve  pas  d'effets  sensibles  d'éthérisation. 

Chez  le  chien  on  n'obtient  pas  l'éthérisation  par 
le  môme  procédé,  et  il  y  a  ensuite  une  inflammation, 
une  mortification  du  tissu  cellulaire. 

Pour  anesthésier  le  lapin ,  on  place  cet  animal  dans 
un  grand  bocal  avec  une  éponge  imbibée  de  chloro- 
forme, ou  mieux  d'éther  (fig.  36).  On  voit,  de  même 


Fig.  36.  —  Bocal  pour  anestliésiser  le  lapin  ou  le  chat. 

A,  A,  couvercle  en  bois,  perce  à  son  centre  d'un  orifice  que  ferme  la  cheville  B,  à  laquelle 
est  suspendue  une  éponge  C.  (C'est  sur  cette  éponge  qu'on  verse  l'cthcr  ou  le  chloroforme 
par  l'orifice  du  couvercle.) 

que  chez  le  chien,  se  produire  d'abord  une  grande  agi- 
tation. Il  y  a  souvent  émission  des  urines,  des  matières 
fécales,  puis  l'animal  tombe  dans  le  sommeil. 

Nous  anesthésions  les  oiseaux  en  les  plaçant  sous  une 
cloche.  Ici  il  faut  très-peu  de  chloroforme  :  le  petit 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  163 

auimal  est  bien  vite  pris  et  une  plus  grande  absorption 
de  vapeurs  deviendrait  bientôt  mortelle.  Mais  aussi 
l'animal,  remis  à  l'air  libre,  revient  bientôt  à  lui-même 
et  il  faut  le  replacer  dans  la  cloche  pour  maintenir 
l'anesthésie. 

On  peut  dire  en  général  que,  plus  i'animal  est  de 
petite  taille,  plus  vite  il  est  anesthésié,  mais  aussi  plus 
vite  il  revient  à  lui-même.  11  faut  aussi  tenir  compte  de 
l'activité  des  phénomènes  de  l'organisme  et  du  degré 
que  l'animal  occupe  dans  l'échelle  des  êtres;  a  ce  point 
de  vue  l'oiseau  présente  toutes  les  conditions  d'une  ap- 
parition et  d'une  disparition  rapide  de  l'anesthésie. 

L'anesthésie  chloroformique  peut  aussi  être  produite 
sur  les  grenouilles  ;  à  cet  effet  nous  employons  deux 
moyens  : 

1°  Nous  les  plaçons  sous  une  cloche  ou  dans  un  bocal 
au  milieu  de  vapeurs  de  chloroforme,  comme  l'oiseau 
ou  le  lapin  ; 

2°  Nous  les  plaçons  dans  de  l'eau  chloroformée,  c'est- 
à-dire  qui  contient  du  chloroforme  en  dissolution.  L'eau 
dissout,  en  effet,  une  certaine  quantité  de  chloroforme; 
quand  elle  en  est  saturée,  en  agitant  vivement  un  mé- 
lange des  deux  liquides,  on  a  môme  une  solution  trop 
concentrée  pour  servir  à  ce  genre  d'expériences,  et  l'on 
ne  s'en  sert  qu'en  la  coupant  avec  de  l'eau  ordinaire. 

On  prépare  et  on  emploie  de  même  de  l'eau  éthéri- 
sée.  On  plonge  alors  la  grenouille  dans  ces  liquides,  et 
au  bout  de  peu  d'instants  on  peut  l'en  retirer  complète- 
ment insensible. 

Nous  devons  rapprocher  de  ce  procédé  celui  dont 


164  CONTENTION'    DES    ANIMAUX. 

nous  avons  fait  usage  maintes  fois  et  qui  présente  une 
grande  simplicité  ;  nous  voulons  parler  de  l'anestliésie 
des  grenouilles  au  moyen  de  Veau  cJiaude.  En  été,  lors- 
qu'on tient  longtemps  un  de  ces  batraciens  dans  sa  main 
pour  lui  faire  subir  une  opération,  on  est  souvent 
étonné  de  voir  l'animal  devenu  immobile  et  comme 
mort  ;  il  est  simplement  anesthésié.  L'observation  de  ce 
fait  nous  a  amené  à  rechercher  l'action  de  l'immersion 
dans  l'eau  chaude,  et  nous  avons  reconnu  qu'en  plon- 
geant l'animal  dans  de  l'eau  à  35  ou  37  degrés  (au 
maximum),  on  le  voit  s'aneslhésier  absolument  comme 
s'il  avait  été  plongé  dans  de  l'eau  chloroformée.  L'im- 
mersion dans  l'eau  froide  suffit  pour  faire  disparaître 
presque  aussitôt  cette  anesthésié. 

Dans  l'action  anesthésique  du  chloroforme  ou  de 
l'éther,  ce  sont  les  nerfs  sensitifs  qui  sont  atteints,  et 
cela  depuis  leur  périphérie  jusque  vers  les  centres,  car 
c'est  là  la  marche  progressive  que  suit  l'aueslhésie.  Cet 
élément  nerveux  est  détruit  progressivement  au  point 
de  vue  de  ses  fonctions,  et  c'est  dans  le  même  ordre, 
mais  en  sens  inverse,  que  ses  propriétés  lui  reviennent, 
c'est-à-dire  d'abord  au  niveau  des  centres,  puis  succes- 
sivement vers  la  périphérie.  —  En  est-il  de  même  de 
l'aneslhésie  par  l'eau  chaude  ?  >os  expériences  nous 
permettent  d'affirmer  que  le  fait  est  le  même  dans  les 
deux  cas,  et  c'est  ce  qui  nous  autorise  à  rapprocher  celte 
anesthésié  de  celle  produite  par  le  chloroforme.  ÎSous 
avons  constaté  que,  dans  l'auesthésie  par  l'eau  chaude, 
le  système  nerveux  sensitif  se  trouve  complètement  et 
seul  détruit;  les  muscles  et  les  nerfs  moteurs  ont  con- 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQLE.  165 

serve  leurs  propriétés  et  réagissent  encore  sous  l'in- 
fluence des  excitations  expérimentales.  Si  les  mouve- 
ments réflexes  sont  impossibles,  cela  est  dû  simplement 
à  la  perte  de  la  sensibilité.  —  Nous  devions  insister  sur 
ces  faits,  puisqu'ils  différencient  complètement,  au  point 
de  vue  de  leur  mode  d'action,  les  moyens  de  contention 
que  nous  venons  d'étudier  d'avec  celui  qui  doit  nous 
occuper  maintenant,  d'avec  le  curare.  Pour  compléter 
l'analogie  entre  l'anesthésie  par  le  chloroforme  et 
l'anesthésie  par  l'eau  chaude,  indiquons  encore  qu'au 
commencement  de  l'action  de  ce  dernier  agent  on  ob- 
serve des  mouvements  d'agitation  comme  au  début  de 
l'action  des  anesthésiques  précédents. 

Enfin  remarquons  ce  fait  singulier  que  le  froid  en- 
gourdit les  animaux  à  sang  froid  ;  la  chaleur  produit  le 
même  effet  par  le  mécanisme  particulier  que  nous  ve- 
nons d'étudier.  Cette  action  analogue,  cette  propriété 
semblable  des  deux  points  extrêmes  de  la  température 
ambiante  sur  les  animaux  à  température  variable,  est 
propre  à  ces  animaux  :  on  n'observe  rien  de  ce  genre 
sur  les  animaux  à  température  constante. 

^2°  Du  chloroforme  combiné  à  la  mor/i/nne.  —  En 
combinant  l'action  du  chloroforme  à  celle  de  la  morphine 
onobtientdes  animauxbien  plus  faciles  encore  à  manier. 
La  combinaison  de  ces  deux  anesthésiques  avait  été 
faite  comme  par  hasard  sur  l'homme  par  un  chirurgien 
allemand  ;  nous  fûmes  amenés  à  diriger  nos  expériences 
dans  cette  direction  par  la  circonstance  suivante  :  Un 
chien  avait  été  chloroformé;  ou  avait  cessé  l'adminis- 
tration du  chloroforme,  et,  comme  il  sortait  du  sommeil 


^% 


100  CONTENTION    DKS    ANIMAUX. 

chloroformique,  on  lui  fit  une  injection  de  morphin«;  : 
à  notre  grand  étonnemeul  nous  vîmes  reparaître  Tanes- 
thésie  chloroformique.  Il  est  évident  que  la  morphine 
avait  mis  l'organisme  dans  des  conditions  telles,  qu'il 
était  plus  sensible  au  chloroforme  ;  ce  n'est  que  dans 
ce  sens  que  nous  pouvons  nous  expliquer  l'effet  de 
l'association  de  ces  deux  agents.  Tous  les  poisons  pro- 
duisent les  symptômes  qui  leur  sont  propres  lorsqu'ils 
se  trouvent  dans  le  sang  à  dose  suffisante  pour  agir; 
puis,  à  mesure  qu'ils  sont  éliminés,  ces  mêmes  sym- 
ptômes disparaissent  au  moment  où  ils  ne  sont  plus 
dans  le  sang  à  la  dose  active.  Mais  cette  dose  varie  avec 
les  circonstances  :  la  morphine  rend  l'organisme  plus 
sensible  au  chloroforme,  et  un  animal  qui  n'était  plus 
sensible  à  la  faible  dose  de  chloroforme  contenu  dans 
son  sang,  s'y  trouve,  dès  qu'il  a  reçu  de  l'opium,  assez 
sensible  pour  retomber  dans  l'anesthésie  dont  il  venait 
de  sortir. 

En  pratique,  nous  donnons  la  morphine  d'abord  et 
le  chloroforme  ensuite.  Si,  à  un  chien  stupéfié  par  l'in- 
jection de  morphine,  nous  faisons  respirer  les  vapeurs  du 
chloroforme,  nous  voyons  l'animal  s'agiter  un  peu,  ainsi 
du  reste  que  cela  se  produit  toutes  les  fois  qu'on  admi- 
nistre le  chloroforme  ;  mais  cette  as^itation  est  infini- 
ment  courte  :  à  peine  l'animal  a-t-il  respiré  une  quan- 
tité très-petite  des  vapeurs  de  chloroforme,  qu'il  tombe 
dans  l'anesthésie  la  plus  complète.  L'inertie  qu'il  pré- 
sente alors  est  des  })lus  frappantes;  la  stupeur  de  la 
morphine,  jointe  à  l'anesthésie  du  chloroforme,  en  fait 
une  masse  qui  ne  rappelle  plus  en  rien  l'animal  vivant: 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  167 

c'est  un  cadavre  sans  rigidité  cadavérique;  c'est  un 
corps  mou  et  sans  résistance,  un  véritable  chiffon,  sur 
lequel  on  peut  se  livrer  aux  expériences  les  plus  lon- 
gues et  les  plus  laborieuses.  Et  cependant  la  vie  se  con- 
tinue dans  cette  niasse  inerte;  la  respiration  s'effectue 
spontanément,  et  c'est  là  un  grand  avantage  sur  le  cu- 
rare que  nous  étudierons  bientôt,  qui  nous  donne  des 
animaux  également  très-maniables,  mais  qui  nous 
force  à  entretenir  chez  eux  la  respiration  artificielle. 

La  combinaison  du  chloroforme  et  de  la  morphine 
permet  la  contention  des  animaux  les  plus  rebelles  ; 
nous  en  avons  eu  un  exemple  frappant  dans  notre  la- 
boratoire :  Un  chien,  malgré  une  injection  de  morphine, 
n'avait  éprouvé  aucun  phénomène  de  somnolence  ;  il 
était  agité,  furieux  et  insaisissable  ;  l'inspiration  d'un 
peu  de  chloroforme  le  réduisit  immédiatement  à  l'état 
que  nous  avons  décrit  plus  haut.  Ainsi  un  animal  qui 
paraît  rebelle  à  l'action  de  la  "morphine,  ne  peut  échap- 
per à  celle  de  la  morphine  et  du  chloroforme  combi- 
nés. 

S'il  a  fallu  fort  peu  de  chloroforme  pour  produire 
ces  résultats  chez  un  animal  qui  a  absorbé  de  la  mor- 
phine, il  faut  dire  aussi  que  cet  état  ne  dure  que  peu 
de  temps  :  le  chien  sort  bientôt  de  cette  inertie  su- 
prême, pour  se  retrouver  seulement  dans  la  stupeur  de 
la  morphine  ;  mais  l'administration  d'une  faible  dose, 
nous  pouvons  dire  de  quelques  traces  de  vapeurs  de 
chloroforme,  suffit  pour  le  replonger  dans  l'état  que 
nous  venons  de  décrire. 

Dans  cet  état,  le  chien  est  admirablement  propre  à 


f!f 


168  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

subir  des  opérations  des  plus  délicates  et  qui  seraient 
impraticables,  ou  du  moins  fort  difficiles,  dans  toute 
autre  circonstance.  C'est  alors  surtout  qu'on  peut  prati- 
quer toutes  sortes  de  sections  sur  les  parties  profondes 
de  la  gueule,  aller  agir  sur  les  nerfs  du  goût,  sur  la 
corde  du  tympan,  en  un  mot,  se  livrer  aux  dissections 
les  plus  minutieuses  sur  les  nerfs  de  la  langue  et  de  la 
profondeur  de  l'isthme  du  gosier. 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  cet  état,  les  par- 
ticularités que  nous  avons  signalées  pour  la  morphine 
en  général  se  retrouvent  tout  entières  :  les  sécrétions 
sont  arrêtées,  la  production  de  salive  est  rare  ou  nulle  ; 
cet  état  serait  donc  mal  choisi  pour  entreprendre  des  ex- 
périences sur  la  sécrétion  salivaire,  comme  sur  toute 
autre  sécrétion  du  tube  digestif. 

3°  Du  curare  comme  moyen  de  contention.  —  Le  cu- 
rare est  aujourd'hui  employé  comme  moyen  de  conten- 
tion dans  un  grand  nombre  d'expériences  ;  il  est  peu 
d'observations  où  l'on  ne  commence  par  avertir  le  lec- 
teur que  l'on  a  agi  sur  un  chien  curarisé,  par  exemple. 

Cependant  \c  curare  est  peu  connu  de  sa  nature; 
apporté  de  l'Amérique  du  Sud,  il  est  emprunté  aux  sau- 
vages, qui  s'en  servent  comme  poison  de  flèche  pour 
la  chasse  et  pour  les  combats.  Nous  avons  retracé 
ailleurs  (1)  d'une  manière  complète  tout  ce  que  nous 
savons  de  positif  sur  cet  agent.  Nous  ne  pouvons  que 
répéter  aujourd'hui   qu'il  est   impossible  de  décider 


(1)  Claude  Bernard,  Leçons  sur  les  e/fels  des  substances  toxiques  et  médi- 
camenteuses. Paris,  [8ol.  — La  science  expérimentale  :  le  curare,  '2.^  éd'il'ww. 
Paris,  1878. 


CONTENTION   PHYSIOLOGIQUE.  169 

exaclement  de  la  nature  de  ce  poison,  que  les  sauvages 
fabriquent  en  secret,  qu'ils  échangent,  et  qui  finale- 
ment se  trouve  aujourd'hui  dans  le  commerce.  Mais 
comme  les  Indiens  paraissent  en  abandonner  peu  à  peu 
la  préparation,  il  est  à  craindre  que  la  recette  se  perde, 
et  qu'un  jour  nous  nous  voyions  privés  de  ce  précieux 
moyen  d'expérimentation  physiologique. 

En  tout  cas,  ce  produit  paraît  être  une  sorte  d'extrait 
qui,  se  desséchant,  se  présente  sous  la  forme  de  petits 
fragments  noirâtres,  comme  des  morceaux  de  jus  de 
réglisse.  I^reyer  en-  a  extrait  un  alcaloïde,  la  curarine, 
mais  cet  alcaloïde  ne  cristallise  pas,  sa  constitution 
nest  pas  bien  nette,  et  son  emploi  ne  présenterait  aucun 
avantage  sur  celui  du  curare  en  nature.  Celui-ci  donne 
avec  l'eau  une  dissolution  de  couleur  sale  ;  filtrée,  cette 
dissolution  redevient  bientôt  légèrement  trouble,  parce 
que  certaines  substances  se  précipitent  :  c'est  qu'en  eff'et 
le  curare  renferme  un  mélange  irrégulier  de  produits 
bizarres,  superstitieusement  empruntés  au  règne  animal 
et  au  rèffne  véi^étal. 

Nous  nous  servons  d'une  dissolution  renfermant 
i  centigramme  de  curare  pour  1  centimètre  cube 
d'eau. 

Il  y  a  plus  de  vingt  ans  que  nous  avons  montré  que 
le  curare  paralyse  le  mouvement  en  respectant  la  sensi- 
bilité; c'est  même  cette  expérience  qui  trancha  la  ques- 
tion si  longtemps  controversée  de  X irritabilité  hallé- 
rienne.  Le  muscle  continuant  à  être  irritable,  quoique  le 
nerf  moteur  eût  perdu  toute  excitabilité,  grâce  à  l'action 
du  curare,  jusque  vers  ses  extrémités  les  plus  périphé- 


170  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

riques,  il  est  désormais  évident  que  celle  irritabilité 
appartient  bien  en  propre  au  muscle  lui-même.  —  On 
pensa  alors  à  se  servir  du  curare  pour  enchaîner  les  ani- 
maux pendant  les  opérations  :  on  pourrait  ainsi  agir 
sur  des  animaux  dont  toutes  les  facultés  seraient  con- 
servées, moins  celles  des  nerfs  moteurs.  C'est  ce  que  l'on 
obtient  en  effet,  mais  à  des  degrés  variables,  selon  la 
dose  administrée. 

1°  Si  l'on  ne  curarise  qu'incomplètement  l'animal, 
on  voit  se  paralyser  tout  d'abord  les  nerfs  moteurs  les 
plus  volontaires,  c'est-à-dire  ceux  des  membres  et  du 
larynx  :  l'animal  tombe  sur  le  flanc,  dans  l'impossi- 
bilité d'émettre  aucun  cri;  puis  les  paupières  elles- 
mêmes  ne  peuvent  plus  se  mouvoir  sous  l'influence  des 
excitations  portées  sur  la  cornée;  le  facial  est  à  son  tour 
paralysé.  Mais  l'innervation  des  muscles  inspirateurs  et 
expirateurs  n'est  pas  interrompue,  et  la  respiration  con- 
tinue à  se  faire  spontanément.  Pour  obtenir  ce  degré 
d'intoxication,  il  faut  donner  "2  milligrammes  de  curare 
par  kilogramme  de  l'animal. 

Quand  l'animal  revient  à  lui,  les  symptômes  dispa- 
raissent dans  un  ordre  fixe  :  de  même  que  sa  paralysie 
a  débuté  par  le  train  postérieur,  puis  qu'elle  s'est  éten- 
due au  train  antérieur  et  finalement  à  la  face,  de  même 
elle  disparaît  d'abord  de  la  face,  puis  du  train  anté- 
rieur, et  occupe  en  dernier  lieu  le  train  postérieur. 
C'est  qucj  lorsqu'une  partie  est  plus  sensible  à  l'action 
d'un  agent  toxique,  elle  en  éprouve  les  effets  dès  que 
l'organisme  a  absorbé  de  cet  agent  une  quantité  suffi- 
sante pour  agir  sur  elle,  alors  que  les  autres  parties  de 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  171 

récoiiomie  n'éprouvent  encore  aucun  effet;  de  même, 
lorsque  le  poison  s'élimine,  par  un  mécanisme  sur  lequel 
nous  reviendrons,  il  peut  exercer  encore  son  action  sur 
les  parties  qui  y  sont  le  plus  sensibles,  alors  que  les 
autres  sont  déjà  revenues  à  leur  état  normal. 

2°  Sous  l'influence  d'une  dose  un  peu  plus  forte  que 
la  précédente,  on  voit  la  paralysie  s'étendre  bien  plus 
lom.  Après  la  paralysie  delà  face,  on  voit  les  mouve- 
ments de  la  respiration  cesser  à  leur  tour,  et  Fanimal 
meurt  asphyxié,  s'il  est  abandonné  dans  cet  état.  C'est 
alors  que  l'on  met  en  usage  la  respiration  artificielle  ; 
l'insufflation  régulière  de  l'air  dans  la  trachée  dilate  le 
poumon  et  la  cage  thoracique,  entretient  l'hématose, 
et  par  suite  les  battements  du  cœur  et  la  circulation. 
L'animal  vit,  quoiqu'il  présente  toutes  les  apparences 
d'un  cadavre;  toutes  ses  fonctions  continuent  à  s'exécu- 
ter, et  au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long,  selon  la 
dose  de  curare  mise  en  usage,  le  poison  étant  éliminé, 
on  voit  revenir  les  mouvements  l'espiratoires  spontanés. 
On  cesse  alors  la  respiration  artificielle,  mais  il  faut 
encore  laisser  en  place  la  sonde  introduite  dans  la  tra- 
chée, parce  que  les  muscles  du  larynx  sont  encore  para- 
lysés, ainsi  que  la  langue,  et  que,  sans  cette  précaution, 
l'animal  périrait  par  occlusion  de  l'orifice  laryngien. 

Nous  avons  donc  dans  le  curare  un  nouvel  et  pré- 
cieux moyen  de  contention  à  employer  en  physiologie. 
Nous  avons  vu  qu'on  peut  calculer  exactement  d'avance 
les  effets  que  l'on  veut  produire.  Il  faut  cependant  savoir 
que  tous  les  curares  n'ont  pas  la  même  énergie,  et  que 
l'indication  d'une  solution  titrée  d'une  manière  générale 


17^  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

manquerait  d'une  rigueur  absolue  :  quelques  tâtonne- 
ments devront  servir  à  fixer  les  idées  sur  la  force  de  tout 
nouveau  curare  mis  en  usage;  mais  on  voit  en  somme, 
par  les  deux  exemples  typiques  que  nous  avons  donnés 
plus  haut,  que,  ces  notions  une  fois  acquises,  il  est 
facile  de  manier  cet  agent  avec  une  grande  précision. 

On  peut  curariser  non-seulement  le  chien  et  le  lapin, 
mais  encore  la  grenouille  et  l'oiseau.  Les  oiseaux  sont 
singulièrement  sensibles  à  cet  agent  et  tombent  para- 
lysés immédiatement  après  l'avoir  reçu.  Ce  résultat 
devait  être  prévu,  puisque  nous  savons  que  les  sauvages 
se  servent  de  flèches  empoisonnées  de  curare  pour  la 
chasse,  et  surtout  pour  la  chasse  des  oiseaux.  Quand 
l'animal  blessé  prend  son  vol,  l'empoisonnement  n'en 
est  que  plus  rapide,  l'exercice  activant  la  circulation  et 
par  suite  l'absorption  du  poison  :  aussi  l'oiseau  ne  tarde- 
t-il  pas  à  tomber  avant  que  le  chasseur  l'ait  perdu  de 
vue.  Il  en  est  de  même  des  mammifères  :  un  sanglier 
blessé  par  une  flèche  empoisonnée  tombe  avant  d'avoir 
fait  quatre-vingts  pas. 

Le  curare  peut  être  pris,  jusqu'à  certaines  doses,  par 
les  voies  digestives,  sans  produire  aucun  des  accidents 
précédents.  Nous  avions  même  fait  autrefois  dans  ce 
sens  une  expérience  curieuse  et  démonstrative  :  un 
chien,  porteur  d'une  fistule  gastrique,  reçoit  des  ali- 
ments imprégnés  de  curare,  il  n'en  éprouve  aucun  in- 
convénient; mais  en  faisant  plonger  par  sa  fistule  un 
instrument  dans  le  contenu  stomacal,  et  en  piquant 
ensuite  un  autre  chien  avec  cet  instrument,  nous  ame- 
nions rapidement  la  mort  de  ce  dernier.  Cette  expé- 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  j  /o 

rience  prouvait  de  plus  que  le  curare  n'est  point  un 
poison  d'origine  animale,  un  venin  qui  serait  détruit  par 
les  sucs  digestifs.  Tout  porte  à  croire,  au  contraire,  que 
son  élément  essentiellement  actif  est  d'origine  végétale. 
S'il  n'agit  pas  lorsqu'il  passe  par  les  voies  digestives, 
c'est  que  dans  ce  cas  sou  absorption  est  très-lente,  si 
lente  qu'il  se  trouve  éliminé  au  fur  et  à  mesure. 

Nous  cherchons  donc,  pour  administrer  le  curare, 
une  voie  d'absorption  sûre  et  rapide  :  à  cet  effet  nous 
le  donnons  en  injection,  et,  comme  le  tissu  musculaire, 
ainsi  que  nous  le  verrons,  est  un  lieu  très-propre  à 
l'absorption,  nous  faisons  l'injection  dans  un  nniscle. 
Afin  de  nous  placer  toujours  dans  des  circonstances 
identiques,  nous  avons  l'habitude  de  faire  cette  injec- 
tion dans  les  muscles  de  la  jambe,  dans  les  gastro- 
cnémiens. 

Les  grenouilles  ainsi  empoisonnées  sont  éminemment 
aptes  à  démontrer  le  mode  d'action  du  curare.  L'animal 
semble  mort,  cependant  son  cœur  bat;  bien  plus,  l'ani- 
mal sent  toutes  les  excitations  qui  peuvent  porter  sur 
lui,  car  ses  nerfs  sensitifs  ont  conservé  toutes  leurs  fonc- 
tions, tandis  que  les  moteurs  seuls  sont  paralysés.  On 
peut  alors  démontrer  :  1"  que  les  nerfs  moteurs  étant 
paralysés,  c'est-à-dire  inexcitables,  les  muscles  n'en  ont 
pas  moins  conservé  leur  excitabilité  propre;  2"  que  si 
l'on  met  une  partie  du  corps  de  l'animal  à  l'abri  de  l'em- 
poisonnement en  y  arrêtant  la  circulation ,  des  mouve- 
ments réactionnels  pourront  se  produire  dans  cette  partie 
sous  r influence  d'excitations  portées  sur  les  régions 
empoisonnées,  ce  qui   prouve  que  le  poison  n'a  pas 


474  CONTENTION    DKS    ANIMAUX. 

atteint  les  nerfs  seiisilits.  A  cet  effet,  on  lie  l'aorte  d'une 
grenouille  de  manière  à  préserver  le  train  postérieur, 
puis  on  injecte  du  curare  sous  la  peau  du  train  anté- 
rieur. Ce  dernier  paraît  bientôt  comme  mort;  mais  si 
on  le  pique,  on  voit  que  l'exitation  est  transmise  et 
sentie,  car  elle  donne  lieu  à  des  mouvements  des  pattes 
de  derrière.  —  Cet  animal,  placé  dans  l'eau,  nage,  mais 
en  s'aidant  seulement  des  pattes  de  derrière.  Dans 
l'obscurité  il  se  dirige  vers  la  lumière,  toujours  par  le 
même  mécanisme ,  preuve  que  ,  malgré  l'action  du 
curare  sur  son  train  antérieur,  il  a  conservé  la  sensa- 
tion de  la  lumière  en  même  temps  que  son  intelligence 
et  son  instinct. 

Le  curare  présente,  sur  les  moyens  de  contention 
précédemment  étudiés,  cet  avantage  qu'avec  lui  il  n'y  a 
pas  d'accoutumance  ;  il  ne  s'emmagasine  pas  dans  l'or- 
ganisme, et  son  action  ne  s'y  accumule  pas  :  nous  avons 
déjà  vu  que,  si  l'absorption  est  très-lente,  comme  lors- 
qu'elle a  lieu  par  la  muqueuse  intestinale,  l'élimination 
qui  se  fait  au  fur  et  à  mesure  suffit  pour  rendre  impos- 
sible toute  action  toxique. 

Nous  avons  essayé  de  la  combinaison  du  curare  et 
des  autres  moyens  de  contention,  comme  nous  avions 
fait  de  la  morphine  et  du  chloroforme;  mais  ici  nous  ne 
trouvons  que  peu  ou  pas  d'avantages  à  opérer  cette  as- 
sociation. Si  à  un  animal  auquel  on  a  donné  de  la  mor- 
phine nous  injectons  du  curare,  nous  observons  chez  lui 
les  effets  bien  distincts  des  deux  agents  :  l'animal  est 
stupéfié  et  excitable  aux  bruits,  aux  chocs  brusques 
(effets  de  l'opium);  mais  en  même  temps  il  ne  peut  plus 


CONTENTION    PHYSIOLOGIQUE.  175 

se  tenir  sur  ses  pattes,  ni  marcher;  il  présente  de  petites 
contractions  musculaires  partielles,  de  légères  convul- 
sions, comme  on  en  observe  toujours  au  début  de  l'ac- 
tion du  curare.  —  Le  seul  fait  remarquable  et  peut-être 
utile,  c'est  que  l'adjonction  de  la  morphine  rend  plus 
durable  l'action  du  curare,  en  même  temps  qu'elle  en 
retarde  tout  d'abord  l'efïet;  c'est  que  la  morphine  arrête 
les  sécrétions ,  ralentit  la  circulation ,  tandis  que  le 
curare  est  diurétique  et,  par  cela  même,  hâte  lui-même 
sa  propre  élimination;  la  morphine  produit  précisément 
les  effets  inverses,  et,  par  suite,  retarde  et  prolonge  l'ac- 
tion du  curare  en  rendant  plus  lents  et  son  entrée  et 
son  départ  de  l'organisme. 

[l°  Compression  du  cerveau  comme  moyen  de  con- 
tention. —  L'état  comateux  dans  lequel  tombent  les 
blessés  lorsque  les  hémisphères  cérébraux  sont  soumis  à 
la  compression,  soit  par  un  débris  osseux,  soit  direc- 
tement par  la  main  du  chirurgien,  devait  nous  faire 
penser  ta  immobiliser  les  animaux  en  expériences  en 
agissant  mécaniquement  sur  leur  encéphale.  A  cet  effet, 
on  applique  uiie  couronne  de  trépan  sur  la  partie  supé- 
rieure de  la  voûte  crânienne.  Il  est  très-facile,  après 
avoir  fortement  saisi  le  museau  de  l'animal  pour  fixer 
la  tête,  d'appliquer  une  tréphine  sur  le  crâne,  et,  après 
quelques  mouvements  de  rotation,  d'enlever  une  cou- 
ronne osseuse.  Les  membranes  cérébrales  sont  intactes 
au-dessous  de  l'ouverture;  l'héinorrhagie  est  peu  con- 
sidérable. On  introduit  alors  une  éponge  ou  un  bouchon 
de  caoutchouc,  en  un  mot  un  corps  élastique  et  d'une 
l'ésistance  moyenne,  de  manière  à  pouvoir,  par  l'appli- 


176  CONTENTION'    DES    AMM\UX. 

cation  d'un  bandage,  maintenir  une  compression  sufti- 
sante.  L'animal  tombe  aussitôt  dans  un  état  comateux 
complet.  11  est  bon  de  pouvoir  augmenter  graduelle- 
ment la  compression,  sans  quoi  l'animal  se  réveille  et 
revient  à  lui.  Il  faut,  déplus,  avoir  soin  d'opérersur  un 
animal  à  jeun,  pour  éviter  les  vomissements  qui  accom- 
pagneraient toujours  une  semblable  opération. 

Ce  procédé  très-simple  nous  offre  un  animal  complè- 
tement immobile,  privé  de  moyens  de  défense,  et  propre 
à  toutes  les  expériences.  C'est  donc  un  procédé  dont 
on  pourra  faire  usage  lorsque  l'on  veut  opérer  sans 
donner  à  l'animal  aucune  substance  médicamenteuse 
ou  toxique. 

Appréciation  générale  des  moi/ens  de  contention.  — 
Nous  voyons,  par  les  études  qui  précèdent,  que  nous 
sommes  en  possession  d'un  certain  nombre  de  moyens 
de  contention,  entre  lesquels  nous  aurons  à  choisir, 
selon  les  circonstances.  11  nous  faut  donc  passer  en 
revue  les  raisons  qui  devront,  d'une  manière  générale, 
ççuider  notre  choix. 

Nous  avons  vu  que  chacun  des  agents  précédemment 
étudiés  agit  plus  spécialement  sur  un  système  :  la  mor- 
phine sur  le  système  nerveux  sensitif;  le  curare  sur  le 
système  nerveux  moteur;  la  compression  cérébrale  sur 
le  système  nerveux  central.  En  somme,  tous  ces  moyens 
agissent  sur  le  système  nerveux.  Nous  pouvons  donc 
déjà  poser  en  règle  générale  qu'il  ne  faudra  mettre  en 
usage  aucun  de  ces  moyens  pendant  des  expériences  sur 
les  propriétés  du  système  nerveux.  Aussi  est-il  malheu- 
reusement fort  probable  qu'il  y  aura  beaucoup  à  revenir 


APPRECIATION    DliS    MOVL.XS    DE    CONTENTION.  177 

sur  les  résultats  fournis  par  les  si  nombreuses  expé- 
riences entreprises  de  tous  côtés  sur  des  animaux  cura- 
risés.  C'est  ainsi  que  des  expérimentateurs  sont  arrivés 
à  des  résultats  inverses  en  étudiant  l'influence  du  pneu- 
mogastrique sur  le  cœur  ou  bien  celle  d'un  nerf  sur  la 
sécrétion  d'une  glande.  L'animal  ayant  été  curarisé, 
n'oublions  pas  que,  selon  la  dose,  cet  agent  produit 
des  actions  très-diverses  dans  leurs  degrés,  et  que  tel 
observateur  pourra  constater  un  arrêt  du  cœur  par 
excitation  du  pneumogastri({ue,  tandis  que  tel  autre 
n'observera  plus  cette  action  modératrice  du  nerf 
vague  :  c'est  que  ce  dernier  aura  employé  une  dose 
de  curare  sufflsante  pour  paralyser  le  pneumogas- 
trique. Les  contradictions  qui  se  sont  produites  un 
instant  entre  nos  expériences  et  celles  de  Kôlliker  n'a- 
vaient pas  d'autre  cause.  C'est  encore  ainsi  (jue  Vulpian 
niait  l'action  du  curare  sur  les  nerfs  vaso-moteurs;  il 
reconnaît  aujourd'hui  que  ces  nerfs  n'échappent  pas 
à  l'action  que  le  curare  exerce  sur  tous  les  nerfs  mo- 
teurs ;  seulement  il  faut  une  dose  plus  considérable  pour 
amener  cet  effet. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  des  divers  moyens  de 
contention  peut  à  la  rigueur  s'appliquer  en  particulier 
à  l'éther  et  au  chloroforme.  Mais  ces  deux  anesthésiques 
présentent  un  grand  avantage  :  c'est  que  leur  action  se 
dissipe  très-vile,  et  qu'au  bout  de  quelques  instants  on 
peut  agir  sur  l'animal  sans  que  l'aneslhésie  précédem- 
ment mise  à  profit  influe  en  rien  sur  la  valeur  de  l'ex- 
périence présente.  Aussi  léther  et  le  chloroforme  sont-ils 
précieux  pour  auesthésier  les  animaux  pendant  les  opé- 

CL.  BERNARD.  —  Phvsiol.  opér.  12 


178  CONTENTION    DES    ANIMAUX. 

rations  longues  et  douloureuses  qui  doivent  précéder 
d'autres  recherches  :  ainsi  ils  sont  indispensables  pour 
procéder  à  l'ouverture  du  canal  rachidien,  afin  d'étudier 
ensuite  les  propriétés  des  divers  cordons  de  la  moelle  ou 
des  racines  rachidienues.  Ni  l'opium,  ni  le  curare  ne 
pourraient  être  employés  dans  ce  cas. 

Mais  n'est-ce  que  sur  le  système  nerveux  que  ces 
séries  d'agents  portent  leur  action?  Par  l'intermédiaire 
de  ce  système  ils  agissent  aussi  sur  la  circulation  ;  il  était 
facile  de  le  prévoir,  et  nous  l'avons  déjà  indiqué;  mais 
ce  qui  pouvait  paraître  moins  probable  a  jmori^  c'est 
que  ces  agents  amènent  des  troubles  encore  plus  pro- 
fonds, encore  plus  essentiels  pour  ainsi  dire  :  ils  modifient 
la  composition  du  sang,  et  c'est  môme  sur  cette  com- 
position qu'ils  paraissent  agir  de  la  façon  la  plus  générale 
et  la  plus  constante. 

Du  reste,  presque  toutes  les  expériences  physiologiques 
amènent  des  modifications  chimiques  profondes  dans  le 
milieu  sanguin,  par  ce  seul  fait  que  l'animal  est  soumis 
à  l'expérimentation.  On  sait  en  effet  que,  chez  l'animal 
épuisé  par  la  vivisection,  l'absorption  de  l'oxygène  par 
le  sang  diminue,  les  combustions  se  ralentissent,  le  sang 
artériel  et  le  sang  veineux  ne  présentent  plus  dans  leurs 
éléments  normaux  les  mêmes  proportions  que  dans  les 
circonstances  physiologiques.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  bien 
plus  important  à  signaler,  c'est  qu'on  voit  dans  ces  cas 
apparaître  dans  le  sang  des  substances  relativement 
nouvelles.  Ainsi  le  curare  rend  les  animaux  diabétiques, 
c'est-à-dire  que  leur  sang  contient  une  proportion  de 
sucre  qu'il  ne  contenait  pas  normalement.  Il  en  est  de 


APPRÉCIATIOX  DES  MOYENS  DE  CONTENTIOX.    179 

même  du  chloroforme  ;  quoique  ici  cet  effet  soit  moins 
marqué,  on  l'avait  observé  depuis  longtemps,  et  on 
s'était  même  servi  de  ce  fait  pour  étayer  la  théorie  qui 
attribue  le  diabète  à  une  combustion  incomplète,  à  une 
sorte  d'asphyxie  :  le  chloroforme  aurait  agi  en  dimi- 
nuant la  respiration.  Mais  nous  avons  dès  longtemps 
démontré  que,  si  le  chloroforme  produit  le  diabète, 
c'est  uniquement  par  une  action  sur  le  système  ner- 
veux. 

Il  était  à  supposer  que  la  morphine  n'agirait  point  sur 
la  composition  du  sang  :  ici  encore  l'observation  directe 
est  venue  coutredire  les  hypothèses  a  priori.  Nos  plus 
récentes  expériences  nous  ont  montré  que  la  morphine 
rend  souvent  les  animaux  diabétiques,  cl  qu'en  tout  cas 
elle  augmente  toujours  fortement  la  quantité  de  sucre 
contenu  dans  le  sang. 

Bien  plus,  la  simple  compression  cérébrale  produit 
les  mêmes  effets,  et  cet  agent,  qui  par  sa  nature  toute 
mécanique,  semblait  a  priori  nous  mettre  à  l'abri  des 
troubles  produits  parles  autres  moyens  de  contention, 
nous  présente  au  même  degré  les  inconvénients  des 
divers  anesthésiques. 

Du  reste,  ce  fait  ne  doit  pas  nous  étonner,  si  nous 
tenons  compte  de  ce  que  l'observation  nous  a  appris 
depuis  longtemps  sur  l'influence  qu'exerce  la  durée  des 
expériences.  Un  animal,  placé  simplement  et  maintenu 
sur  une  gouttière,  estsingulièrement  impressionné  par  la 
longue  durée  de  cette  position  :  il  se  refroidit.  Si  nous  l'y 
plaçons  aujourd'hui  avec  une  température  de  41  degrés, 
nous  l'y  retrouverons  demain  à  31  degrés,  abaissement 


i80  CONTENTION    DES   ANIMAUX. 

considérable,  qui  correspond  souvent  à  une  modification 
profonde  du  sang,  quoique  dans  les  cas  semblables  nous 
n'ayons  que  rarement  trouvé  du  sucre  dans  l'urine 
(seulement  les  urines  étaient  devenues  acides,  ce  qui 
prouve  que  la  digestion  s'est  arrêtée).  —  L'immobilité 
ne  produit  pas  seule  cet  effet;  en  soumettant  des  ani- 
maux à  un  balancement  monotone,  à  une  sorte  de 
bercement,  on  les  refroidit  également  à  la  longue. 

Ces  quelques  considérations  nous  permettent  de  me- 
surer dans  toute  leur  étendue  les  difficultés  qui  s'atta- 
chent à  l'étude  de  la  physiologie  expérimentale.  Nous 
avons  dit  précédemment  que  ces  troubles  apportés  dans 
l'organisme,  par  le  fait  même  de  la  vivisection  ou  des 
simples  préliminaires  de  contention,  avaient  servi  de 
prétexte  aux  objections  de  toute  sorte  que  Ton  avait 
faites  de  tout  temps  aux  expériences  pratiquées  sur  les 
animaux  vivants:  nous  avons  vu  que  Celse  repoussait 
les  vivisections,  en  disant  que  la  souffrance  trouble  et 
change  complètement  les  phénomènes  ;  nous  avons  vu 
que  même  de  notre  temps  un  grand  naturaliste,  Cuvier, 
s'était  prononcé  contre  ces  expériences  en  invoquant  des 
raisons  semblables.  Mais  aujourd'hui  nous  ne  pouvons 
tenir  compte  de  ces  objections  vagues.  Du  moment  que 
des  modifications  existent  chez  le  sujet  opéré,  et  que 
nous  connaissons  exactement  ces  modifications,  nous 
n'avons  qu'à  en  tenir  compte,  dans  l'interprétation  des 
expériences,  pour  que  celles-ci  soient  légitimes.  Ces 
conditions  n'ôtent  rien  à  la  valeur  de  la  vivisection, 
elles  ne  font  qu'en  multiplier  les  difficultés;  mais,  loin 
de  nous  rebuter,   ces  difficultés  doivent  au  contraire 


AITRI'-CIAMON    DES   MJYEXS    DE    CONTEXIIOX.        181 

nous  engager  à   multiplier  nos  efforts  pour  nous  en 
rendre  maîtres. 

C'est  dans  ce  but  que  nous  n'avons  pas  craint  de  passer 
en  revue  des  circonstances  en  apparence  insignifiantes 
et  de  préciser  toutes  les  conditions  que  nous  devons  con- 
naître. Mais  cette  histoire  générale  n'est  qu'un  premier 
aperçu,  et,  entrés  dans  l'étude  de  la  véritable  physio- 
logie opératoire  appliquée  à  chaque  système  de  Torga- 
nisme,  nous  aurons  soin,  à  propos  de  chaque  expérience 
particulière,  d'indiquer  exactement  le  choix  de  l'animal 
et  les  circonstances  qui  doivent  présider  à  l'expéri- 
menlalion. 


NEUVIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  Appareils  et  iastriimciits  ci'ua  usage  général  clans  les  vivisec- 
tions. —  Scalpels,  pinces,  crochets,  scies.  —  Appareils  pour  les  injections 
—  Seringues  à  vis.  —  Perce-plèvre  de  Magendie.  —  Canules  diverses. 


Messieurs, 

De  même  que  les  anciens  anatomistes  commençaient 
toujours  leurs  éludes  par  parler  de  V administration 
anatomique,  c'est-à-dire  des  instruments  et  des  appareils 
les  plus  généraux,  de  même  que  dans  l'étude  de  la 
chirurgie  on  commence  par  s'occuper  de  l'arsenal 
chirurgical,  de  même  nous  devons  entrer  ici  dans  quel- 
ques considérations  de  ce  genre,  sans  cependant  aborder 
de  trop  près  des  détails  que  nous  réservons  pour  les 
étudier  au  fur  et  à  mesure  des  expériences  particu- 
lières. Il  est  bien  entendu  que  nous  nous  occupons  ici 
particulièrement  des  vivisections  :  c'est  là  ce  qui  consti- 
tue la  partie  spéciale  à  la  physiologie  opératoire. 

Les  instruments  essentiels  aux  vivisections  sont  de 
nature  assez  diverse,  destinés  les  uns  à  entamer  simple- 
ment les  tissus,  les  autres  à  y  faire  pénétrer,  par  une 
ouverture  plus  ou  moins  étroite,  des  substances  dont  on 
veut  étudier  l'action;  c'est  à  ces  deux  grands  groupes 
(jue  se  rapportent  les  instruments  d'un  usage  général, 
et  qui  doivent  être  connus  avant  que  nous  abordions 


INSTRUMENTATION   GÉNÉRALE.  183 

l'étude  d'opérations  particulières.  Nous  passerons  donc 
rapidement  en  revue,  d'une  part,  les  instruments  tran- 
chants ;  d'autre  part,  les  canidés  et  les  seringues  à 
injections. 

r  Instruments  tranchants.  —  Nous  ne  faisons,  en 
somme,  en  fait  de  vivisections,  que  des  opérations  sem- 
blables àcelles  quepratiquel'anatomiste;  comme  lui  nous 
disséquons,  mais  des  sujets  vivants.  Nous  nous  servons 
donc  des  mêmes  instruments  que  les  anatomistes  pour 
saisir  et  sectionner  les  parties  molles  et  pour  couper  ou 
scier  régulièrement  les  os.  Nous  avons  donc  à  étudier 
les  pinces  et  les  crochets,  les  scalpels  ou  bistouris  et  les 
ciseaux;  puis  les  scies  et  les  tenailles  incisives  ou 
ostéotomes. 

Pinces  et  crochets.  —  Pour  saisir  et  soulever  un  pli  de 
peau  ou  un  organe  plus  ou  moins  profondément  placé, 
sur  lequel  doit  porter  la  section,  on  se  sert  le  plus  gé- 
néralement de  pinces  composées  de  deux  branches,  dont 
les  extrémités  libres  sont  garnies  d'aspérités;  ces  instru- 
ments sont  trop  connus  pour  que  nous  ayons  à  nous  ar- 
rêter ici  sur  leur  description.  Les  n"'  6,  7  et  8  de  la 
tigure  37  suffisent  du  reste  pour  donner  une  idée  des 
pinces  que  nous  mettons  le  plus  souvent  en  usage  ;  le 
n-  8  est  la  pince  la  plus  ordinaire,  dite  pince  à  dissection 
ou  à  ligature;  le  n"  7  diffère  de  l'instrument  précédent 
en  ce  que  ses  mors  sont  courbés;  c'est  la  pince  courbe  ; 
enfin  le  n°  6  présente  à  son  extrémité  libre  un  genre 
particulier  d'aspérités  :  ce  sont  des  griffes,  dont  deux  ap- 
partiennent à  l'une  des  branches,  tandis  que  l'autre  n'en 
possède  qu'une;  lorsque  l'on  serre  la  pince,  cette  dernière 


184  INSTRUMENTATION'    GÉNÉRALE. 

griffe  vient  s'emboîter  entre  les  deux  premières.  C'est  ce 
qu'on  nomme  la  pince  à  griffes,  très-utile  pour  saisir 
et  maintenir  solidement  un  organe  mobile  et  qui  glisse 
facilement,  comme  par  exemple  un  tendon. 


FiG.  37.  —  Pinces,  ciseaux  et  sondes  caiinelées. 
1,  ciseaux  ordinaires;  1',  ciseaux   courbes   sur  le  plat;  2,  3,  i,  5,    diverses  formes  et 
dimensions  de  ciseaux  ;  C,  pinces  à  grilles  ;   7,  pinces  courbes  ;  8,  pinces  ordinaires 
ou  droites  ;  9,  petites  pinces  ;  10,  sonde  cannelée. 

A  côté  des  pinces  nous  devons  citer  les  crochets  ou 
érignes^  qui  servent  aussi  bien  pour  soulever  une  partie 
que  l'on  veut  couper  que  pour  écarter  les  lèvres  d'une 


INSTRUMENTATION    GÉNÉRALE.  185 

incision  cutanée,  lorsque  la  dissection  doit  se  continuer 
dans  la  profondeur.  La  figure  39  n"  1  et  i'  montre  que 
ces  instruments  se  composent  d'un  manche  en  bois,  por- 
tant une  tige  d'acier,  laquelle  se  termine  par  une  ou 
deux  griffes  (érigne  à  manche).  Nous  nous  servons 
d'ordinaire  de  crochets  à  griffes  pointues  comme  ceux 
de  la  figure  39,  n'ayant  pas  à  observer  les  ménage- 
ments qui  forcent  les  chirurgiens  à  se  servir  de  crochets 
mousses. 

Lorsque  l'on  opère  seul  ou  quel'on  n'a  pas  un  nombre 
d'aides  suffisant  pour  tenir  les  érignes,  ou  peut  se  servir 
très-utilement  d'un  crochet,  auquel  est  attaché,  par  un  fil 
solide,  un  petit  sac  contenant  quelques  balles  de  plomb 
(fig.  39,  n"  2)  ;  la  partie  que  l'on  veut  écarter  étant  saisie 
dans  le  crochet  a,  on  laisse  pendre  le  petit  sac  c,  qui  tire 
surl'érigne  par  le  fil  b,  et  la  seule  force  de  la  pesanteur 
suffit  pour  maintenir  l'écartement. 

Enfin  nous  devons  encore  indiquer  ici  la  sonde  can- 
nelée (fig.  37,  n°  10),  instrument  qui  rend  à  tout  instant 
des  services  considérables  et  qu'il  faut  avoir  toujours 
sous  la  main  quand  on  entreprend  une  vivisection.  Elle 
se  compose  essentiellement  d'une  tige  de  fer  longue  de 
15àl6  centimètres,  et  creusée  en  gouttière;  l'évasement 
cordiforme  qui  termine  une  de  ses  extrémités  n'est  pas 
d'une  grande  utilité  en  physiologie  opératoire,  mais  il  est 
cependant  à  conserver,  caril  permet  de  bien  tenirlasonde 
et  de  la  manier  avec  précision.  Nous  citons  ici  cet  ins- 
trument, parce  qu'il  sert  à  tout  instant  à  soulever  et  à 
fixer  au  dehors  d'une  plaie  un  organe  ou  une  partie 
d'organe  que  l'on  veut  sectionner  ;  il  est  encore  plus 


INSTRUMENTATION    GÉNÉRALE. 


Fie.  38.  —  Oilloroiiles  formes  de  scaliiels. 
1,  2,  3,  gros  scalpels  ou  couteaux  à  cartilages;  4  et  5,  scalpels  ordinaires  ;  6,  scal- 
pel  à    (Icnx    tranchants;  7,  8,  9,  10,  différentes  formes  do    scalpels  de  dimenbioiis 
moyennes;  11,  12,  13,  14,  petits  scalpels  pour  des  sections  délicates. 


INSTRUMENTATION   GÉNÉRALE.  187 

utile  lorsque  l'on  veut  couper  avec  soin  une  lamelle  apo- 
névrotique  ou  une  membrane  quelconque,  de  manière  à 
ménager  les  parties  sous-jacentes  ;  nous  y  reviendrons 
en  parlant  des  incisions. 

Instruments  pour  couper  les  parties  molles.  —  On  se 
sert  à  cet  effet  de  bistouris  ou  de  scalpels  ;  ces  deux 
ordres  d'instruments  tranchants  se  composent  d'une 
lame  semblable  dans  les  deux  cas  et  de  manches  diffé- 
rents :  dans  \es  scalpels^  le  manche  et  la  lame  sont  inva- 
riablement fixés  dans  la  position  de  l'instrument  ouvert  ; 
dans  les  bistouris^  au  contraire,  la  lame  est  articulée  sur 
une  châsse  formée  de  deux  jumelles  de  bois  ou  de 
corne  ;  un  mécanisme  variable,  parfois  compliqué,  per- 
met de  fixer  la  lame  tranchante  entre  les  deux  jumelles, 
c'est-à-dire  de  fermer  ou  bien  d'ouvrir  Vinstrument. 
Nous  nous  servons  peu  du  bistouri;  outre  que  cet  instru- 
ment est  plus  difficile  à  nettoyer,  le  scalpel  est  bien  plus 
sûr,  bien  préférable  comme  solidité.  Nous  avons  des 
scalpels  droits,  convexes  et  concaves,  ainsi  nommés  selon 
la  forme  de  la  lame.  La  figure  38  montre  les  principales 
variétés  le  plus  souvent  mises  en  usage  dans  les  labo- 
ratoires. On  voit  que  parmi  ces  instruments  les  uns  sont 
forts,  à  lame  épaisse  et  tranchante  d'un  seul  côté 
(n'^'  i,  2,  3,i  :  on  les  nomme  en  anatomie  couteaux  à 
cartilage;  ils  sont  nécessaires  pour  désarticuler  des  os 
et  sectionner  des  parties  très-résistantes.  Le  n°  5  repré- 
sente le  scalpel  ordinaire,  nécessaire  pour  les  dissections 
les  plus  vulgaires;  il  en  est  de  même  des  n"*  7,  8,  9  et 
iO.  Pour  des  opérations  plus  finies  et  plus  délicates,  nous 
employons  des  instruments  plus  petits,  que  l'on  tient 


188  INSTRUMENTATION    GÉNillALK. 

plus  délicalemciit  et  do  plus  près,  tels  que  les  n"'  ii, 
12,  13,  14.  Enfin  le  n"  G,  dont  la  lame  est  tranchante 
des  deux  côtes,  avec  une  extrémité  très-effilée,  sera 
employé  do  préférence  lorsqu'on  voudra,  par  une 
ponction,  pénétrer  dans  une  cavité  close. 

Les  ciseaux  représentent  en  somme  deux  lames  tran- 
chantes crois<'3es  et  tournant  sur  un  axe,  de  manière  à 
venir  se  rencontrer  par  leur  partie  affilée  et  à  couper 
ainsi  ce  qui  se  trouve  interposé  entre  les  deux  tran- 
chants. Ils  servent  à  sectionner  les  parties  molles,  sur- 
tout quand  elles  sont  minces  et  libres  par  un  bord.  11 
serait  tout  au  moins  superflu  de  s'étendre  ici  sur  la  des- 
cription des  ciseaux  de  formes  et  de  dimensions  diffé- 
rentes :  la  ligure  37  (n°'  i,  i',  5,  3,  4,  5)  donnera  une 
idée  suffisante  des  divers  instruments  de  ce  genre  que 
doit  po.sséder  un  laboratoire  de  physiologie.  Les  uns 
sont  droits,  à  extrémités  mousses;  les  autres  à  extrémités 
très-pointues;  d'autres  enfin  sont  courbés  sur  le  plat 
\\f 'V)  ou  bien  sur  le  tranchant.  De  très-forts  ciseaux 
sont  indispensables  pour  décapiter  des  grenouilles  ou  de 
petits  animaux  ;  par  contre,  une  paire  de  ciseaux  fins, 
comme  ceux  représentés  n*"  5,  sont  également  de  toute 
nécessité  pour  disséquer  et  sectionner  des  parties  déli- 
cates, comme  des  racines  nerveuses  ou  les  organes  et 
les  vaisseaux  abdominaux  d'un  petit  batracien. 

Instruments  pour  couper  les  parties  dures.  —  Pour 
sectionner  les  os,  nous  nous  servons  ou  des  scies  ou  des 
tenailles  incisives  ;  souvent  ces  deux  ordres  d'instru- 
ments sont  mis  à  la  fois  et  successivement  en  usage, 
comme  lorsqu'il  s'agit  de  mettre  à  nu  les  organes 
nerveux  centiaux  et  poiu'  les  autopsies. 


Fie.  39.  —  Scies,  crochets  et  crigiios. 
1,  crochet  ou  érignc  à  manche  (avec  double  griffe);  1',  le  même  avec  simple  griffu  (le 
manche  n'est  pas  représente)  ;  2,  crochet  avec  fil  et  petit  sac  pesant  (voy.  page  185)  ; 
3,  scie  ordinaire;  3',  détail  de  l'articulation  de  la  lame;  4,  scie  à  manche,  dont  la 
lame  a  est  soutenue  par  le  montant  mobile  b. 


190  INSTRUMENTATION    GÉNliRALE. 

Les  scies  sont  de  deux  ordres  :  i"  la  plus  simple  est 
ce  que  l'on  nomme  la  scie  à  main  (fig.  39,  n"  4),  faite  à 
peu  près  comme  un  couteau  plat  ;  la  lame  {a)  est  sou- 
tenue du  côté  du  dos  par  un  montant  [b)  que  l'on  peut 
soulever  quand  on  est  assez  avancé  dans  la  section  d'un 
os  pour  que  la  lame  y  pénètre  tout  entière.  Les  autres 
scies,  plus  fortes  et  plus  volumineuses,  se  composent 
d'une  lame  mobile  (n"  3)  que  l'on  place  dans  une  mon- 
ture métallique  en  arc  ;  la  lame  représente  alors  comme 
la  corde  de  cet  arc,  et,  quand  elle  a  été  mise  en  place  et 
fixée  par  chacune  de  ses  extrémités  (voy.  3'),  elle  peut 
être  tendue  au  moyen  d'un  pas  de  vis  placé  à  Textrémité 
la  plus  voisine  du  manche. 

Les  pinces  incisives  ou  ostéotomes  que  nous  employons 
sont  les  mêmes  (}ue  celles  mises  en  usage 
en  chirurgie  ,  et  que  Liston ,  Colombat , 
Manec  ont  imaginées  pour  couper  les  pha- 
langes, les  côtes  et  même  des  portions  d'os 
plus  volumineux.  La  figure  40  représente  la 
forme  des  instruments  de  ce  genre;  celui-ci 
peut  servir  encore  pour  couper  les  aiguilles 
et  les  épingles  lorsqu'on  pratique  certaines 
sutures  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

2°  Instruments  pour  pratiquer  les  injec- 
tions. —  Les  injections  constituent  en  phy- 
siologie un  des  moyens  les  plus  avantageux 
pour  introduire  dans  l'organisme  des  sub- 
stances dont  on  veut  étudier  l'action.  Pour 
FiG.  40.       obtenir  l'absorplion  d'une  substance  mise  en 

Pince  incisive 

onosuoiome.    expériencc,  il  faut  absolument  renoncer  en 


INSTRUMENIATIOX    GÉNÉRALE.  191 

physiologie  à  Tabsorplion  intestinale  sur  laquelle  on  ne 
peut  compter,  et  qui  ne  se  fait  pas  dans  les  mêmes 
conditions  chez  les  différents  animaux.  Que  l'on  fasse 
ingérer  par  exemple  une  grande  quantité  de  sucre 
à  un  chien  et  à  un  lapin  :  le  sucre  ne  tardera  pas  à 
apparaître  dans  les  urines  du  premier,  mais  celles  du 
second  n'en  contiendront  pas.  C'est  que  chez  le  lapin 
le  sucre  a  été  très-lentement  absorbé  par  la  surface 
intestinale  et  ne  s'est  pas  trouvé  dans  le  sang  en  quantité 
suffisante  pour  produire  la  glycémie  qui  doit  précéder 
toute  glycosurie. 

En  médecine  même,  il  y  aurait  tout  avantage  à  re- 
noncer dans  certains  cas  à  l'absor- 
ption intestinale ,  pour  recourir  à 
l'injection  sous-culanée ,  qui  pré- 
sente tant  de  sûreté  et  de  précision. 
Nous  avons  donc  grand  intérêt  à 
indiquer  d'une  manière  générale 
les  instruments  indispensables  à  l'ap- 
plication d'une  méthode  qui  doit 
constituer  la  principale  sinon  l'u- 
nique voie  de  l'introduction  expéri- 
mentale des  substances  dans  l'orga- 
nisme (fig.  41). 

Magendie  s'était  déjà  beaucoup 
occupé  des  injections  expérimen- 
tales ;  il  les  faisait  soit  dans  les 
veines,  soit  dans  la  plèvre.  Nous 
possédons,  encore  au  Collège  de 
France  tous  les  instruments  qu'il   mettait  en  usage  à 


Fig.  41.  —  Seriiiguo  avec 
perce-plèvre,  de  Magen- 
die. 

A,  A,  extrémité  du  corps 
de  la  scriiig'uc  ;  B,  son 
l'oljinet  ;  C,  sa  canule, 
sur  la'iucllc  on  adapte 
le  petit  (0,  D)  ou  le 
grand  (0' ,  D')  perce- 
plèvre. 


102  IXSTRUMEXÏATIOX    GÉNÉRALE. 

cet  iiû'ei  :  il  avait,  par  exemple,  fait  constriiire  ce  qu'il 
appelait  son  perce-p/èvre ,  et  qui  n'était  autre  chose 
(ju'un  tube  en  acier,  tranchant  et  taillé  en  biseau  à  son 
extrémité. 

Aujourd'hui  nous  faisons  en  général,  à  peu  de  chose 
près,  comme  lui;  cependant  nous  choisissons  plus  rare- 
ment la  plèvre  comme  lieu  de  l'injection  ;  ce  procédé 
est  trop  peu  physiologique,  trop  brutal  :  il  est  difficile 
de  pénétrer  dans  la  plèvre  sans  blesser  le  poumon,  puis 
on  a  souvent  des  hémorrhagies  dans  la  cavité  pleurale. 
Les  instruments  qui  nous  servent  sont  aussi  un  peu  plus 
délicats  :  ce  sont  des  seringues  analogues  à  celles  con- 
nues sous  le  nom  de  seringues  de  Pravaz^  mais  dont  le 
piston  est  mu  par  un  mouvement  de  vis;  c'est  pourquoi 
je  n'emploierai  pas  ici  l'expression  de  seringue  de 
Pravaz,  mais  celle  de  sennrjue  à  vis^  qui  est  plus 
sinqile  et  {\m  en  exprime  l'état.  D'ailleurs,  la  seringue 
de  Pravaz  avait  un  trocarl,  ce  qui  était  mal  commode; 
c'est  moi  qui  ai  inventé  la  seringue  piquante  [i). 

On  peut  aussi  doser  avec  unebienplusgrande  exactitude 
la  quantité  de  substance  que  l'on  injecte  :  tel  est  le  but 
que  cherchait  Pravaz,  et  il  avait  besoin,  en  effet,  d'une 
grande  exactitude  dans  les  injections  qu'il  faisait  au 
milieu  des  poches  anévrysmales  pour  en  amener  l'obli- 
tération par  coagulation.  Tout  le  monde  connaît  la 
manœuvre  de  la  seringue  de  Pravaz  et  par  suite  celle 
de  la  seringue  à  vis  :  on  se  sert  de  la  canule,  mun'e 


(1)  Pour  riiistorique  des  seringues,  voyez  le  tome  I"  de  mes  Leçons  de 
physiologie  expérimentale.  Paris,  1855,  p.  :221,  oii  j'ai  fait  jfigurer  une  se- 
ringue avfC  un  bout  piquait  et  une  tige  graduée. 


INSTRUMENTATION    GÉNÉRALE.  193 

de  son  mandrin,  comme  d'un  trocart;  celui-ci  étant 


•>-     6 


S'    S>       ^o      J^     f^     -^3     y4    jJ'    jff 


Fie.  42.  —  Seringue  avec  ses  diverses  canules. 

1,  ensemble  de  la  seringue,  avec  coupe  théorique  ;  2,  disposition  du  piston  et  du  pas  de 
vis  de  sa  lige  ;  3,  armature  de  la  seringue  ;  5,  calibre  et  graduation  du  tube  de  verre 
ijui  forme  le  corps  de  la  seringue;  5  à  10,  canules  à  bouts  mousses;  11  et  12,  cahulcs 
piquantes;  13  et  14,  canules  piquantes  à  ouverture  latérale;  15  et  IC,  petites  canules 
minces. 


CL.  BER.NARD   —  Phvsiol.  opér. 


13 


194  INSTRUMENTATION    GÉNÉRALE. 

introduit  dans  la  cavité  où  doit  pénétrer  l'injection,  on 
retire  le  mandrin,  on  visse  la  seringue  sur  la  canule  et 
l'on  procède  lentement  à  l'injection.  Nous  avons,  pour 
notre  usage,  substitué  à  la  canule,  ou  plutôt  au  trocart 
de  Pravaz,  une  simple  canule  d'acier  analogue  à  celle 
de  Mascendie  :  on  abréiçe  ainsi  les  manœuvres.  Nous  nous 
servons  aussi  de  canules  percées  sur  le  côté  (fig.  42, 
en  11,  15,  18). 


DIXIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  Opérations  d'un  usage  général  dang  les  viviscclioiis.  —  Des  inci- 
sions (maniement  du  scalpel,  des  ciseaux,  etc.).  —  Des  sutures.  —  Manuel 
opératoire  des  injections.  —  Injections  hypodermiques.  —  Injections  sous- 
cutanées  de  gaz.  —  Quelques  considérations  générales  sur  les  résultats 
obtenus  par  les  injections  sous-cutanées. 


Messieurs, 

Connaissant  les  instruments  que  nous  aurons  à  mettre 
en  usage  dans  ,1a  plupart  des  vivisections ,  nous  nous 
proposons  de  donner  dans  cette  leçon  quelques  indica- 
tions générales  sur  la  manière  de  s'en  servir.  C'est  ainsi 
que  nous  indiquerons  rapidement  les  différentes  ma- 
nières de  tenir  le  scalpel  :  ces  détails,  en  apparence  insi- 
gnifiants, ne  sont  pas  sans  importance,  car  s'il  s'agit 
de  faire  une  légère  incision  à  un  organe  délicat,  par 
exemple  à  un  vaisseau  dans  lequel  on  doit  introduire 
une  canule,  et  que  l'on  manie  le  scalpel  comme  s'il 
s'agissait  de  développer  plus  de  force  que  d'adresse,  on 
s'expose  presque  à  coup  sûr  à  dépasser  le  but  que  l'on 
se  propose,  et  par  suite  à  manquer  l'opération,  à  sacri- 
fier inutilement  l'animal.  Il  est  bon  de  connaître  ces 
règles  et  de  s'habituer  à  agir  régulièrement.  Nous  indi- 
querons ensuite  rapidement  les  di //éventes  espèces  d'in- 
cisions que  l'on  peut  pratiquer,  incisions  qui  sont  toutes 


196  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

justifiées  d'une  manière  générale  par  le  but  que  l'on  se 
propose  d'atteindre.  Après  avoir  coupé,  il  faut  souvent 
recoudre,  réunir  les  parties;  nous  dirons  donc  quelques 
mots  des  sutures.  Enfin  nous  préciserons  les  manœuvres 
opératoires  applicables  aux  injections  les  plus  générales, 
c'est-à-dire  aux  injections  sous-cutanées. 

>*'ous  compléterons  ces  études  par  quelques  règles 
générales  relatives  à  des  questions  opératoires  qui  sont 
du  ressort  d'un  grand  nombre  de  vivisections  ou  d'expé- 
riences ;  c'est  ainsi  que  nous  indiquerons  les  procédés 
les  plus  avantageux  pour  sacrifier  un  animal  chez  lequel 
on  a  à  rechercher  les  modifications  des  organes  internes  ; 
nous  nous  arrêterons  quehjues  instants  sur  ces  autopsies 
pratiquées  sur  l'animal  sacrifié,  et  dont  les  éléments 
anatomiques  sont  encore  vivants.  Toute  une  série  d'ap- 
pareils est  nécessaire  pour  étudier  les  modifications 
dynamiques  que  présentent  ces  tissus;  c'est  surtout 
l'électricité  qui  sert  de  réactif  dans  ces  circonstances, 
de  sorte  que  nous  indiquerons  les  appareils  électriques 
qui  nous  sont  les  plus  usuels. 

Enfin ,  chez  un  animal  réduit  à  l'état  de  cadavre 
apparent,  soit  par  la  section  du  bulbe,  soit  par  l'ab- 
sorption du  curare,  on  peut  encore  entretenir  la  vie  en 
rétablissant  artificiellement  les  mouvements  respira- 
toires, et  par  suite  l'hématose,  puisque  la  circulation 
persiste  dans  ces  cas.  L'élude  de  la  respiration  artifi- 
cielle devra  donc  suivre  et  terminer  ces  détails  sur  les 
manœuvres  opératoires  d'un  usage  général. 

A.  Maniement  du  scalpel.  —  Sans  insister  ici  sur  le 
maniement  de  ces  instruments  classiques,  nous  ne  pou- 


INCISIONS.  197 

vous  cependant  nous  dispenser  d'indiquer  comment  il 
faut  tenir  le  scalpel  :  inutile  de  dire  que  cet  instrument 
doit  être  tenu  solidement,  ici  encore  plus  que  dans  les 
dissections  simples,  puisque  nous  avons  affaire  à  des 
sujets  qui  peuvent  remuer  et  nous  déranger  brusque- 
ment ;  mais,  de  quelque  manière  qu'on  manie  le  scalpel, 
ses  positions  peuvent  se  réduire  à  trois. 

i°  On  le  tient  comme  un  couteau  à  découper  (fîg.  43), 
c'est-à-dire  le  manche  en  plein  dans  la  paume  de  la 


Fie.  43.  —  Scalpel  tenu  comme  un  couteau  à  découper. 


main,  l'index  appliqué  sur  la  partie  dorsale  de  la  lame. 
C'est  la  position  prise  pour  développer  beaucoup  de 
force ,  pour  appuyer  avec  énergie.  On  peut  varier 
cette  position  en  tournant  le  tranchant  en  haut;  alors 
l'index  vient  appuyer  un  peu  plus  en  arrière,  vers  la 
jonction  du  manche  et  de  la  lame  :  c'est  ainsi  qu'on 


198  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

tient  l'instrumont  pour  couper  un  pli  fait  à  la  peau 
(fig.  44). 


FiG.  44.  —  Anlro  position  «Ui  scalpt-l  tenu  comme  un  ooulcau  à  découper. 
Incision  de  dedans  en  dehors. 

2°  On  le  tient  comme  une  plume  à  écrire  (fig.  45). 
Ce!te  position  présente  encore  une  certaine  solidité; 


Fie.  45.  —  Scalpel  tenu  comme  une  plume  à  écrire. 

mais  elle  est  surtout  utile  par  sa  légèreté  :  c'est  ainsi 
que  l'on  dissèque  une  artère,  un  nerf,  et  en  général  les 


INCISIONS.  199 

organes  délicats.  On  varie  cette  position  en  tournant  eu 
haut  le  tranchant  de  la  lame,  et  c'est  ainsi  qu'on  opère 
pour  percer  une  cavité,  pour  traverser  la  paroi  d'un 
viscère,  d'un  réservoir  ou  d'un  canal  (fig.  46). 


FiG.  46.  —  Autre  position  du  scalpel  tenu  comme  une  plume  à  écrire 

3°  Enfin  on  le  tient  comme  un  archet  (fig.  47)  :  c'est 


KiG.  47.  —  Scalpel  tenu  comme  un  archet. 

la  position  qui  donne  le  plus  de  légèreté  et  de  délicatesse 


200  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

au  mouvement.  C'est  ainsi  que  l'on  coupe  des  parties 
délicates  sur  un  organe  à  ménager;  c'est  ainsi  que  l'on 
sectionne  un  reste  d'aponévrose  sur  un  organe  déjà 
dénudé.  On  peut  porter  la  lame  en  avant  ou  en  arrière, 
de  façon  à  inciser  en  ramenant  vers  soi  (fig.  48). 


FiG.  48.  —  Autre  position  du  scalpel  tenu  comme  un  archet. 
Incision  (a)  sur  la  sonde  cannelée  d'une  aponévrose  (6), 


B.  Incisions.  —  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  longue- 
ment sur  les  incisions  et  les  différentes  formes  que  l'on 
peut  leur  donner  :  les  chirurgiens,  dans  leurs  traités  de 
médecine  opératoire,  décrivent  des  incisions  simples  et 
des  incisions  composées  en  T,  en  V,  en  croix,  en  crois- 
sant, en  quadrilatère.  Nous  insisterons  seulement  sur 
la  distinction  des  incisions  selon  qu'elles  se  pratiquent 
de  dehors  en  dedans  ou  de  dedans  en  dehors. 

Les  incisions  de  dehors  en  dedans  se  pratiquent  de 
préférence  avec  les  scalpels  à  tranchant  plus  ou  moins 
convexe  :  c'est  d'ordinaire  le  tégument  externe,  ou 
l'enveloppe,  ou  les  membranes  superficielles  que  l'on 
incise  ainsi;   à  cet  effet,  la  peau,   par  exemple,  est 


INCISIONS.  201 

tendue  entre    les  indicateurs    et    les  autres  doi^-ts 
ou  bien   on   la  fait  soulever  par  les  deux  mains  d'un 
aide  en  un   pli  que  l'on    divise  perpendiculairement 
(%•  49). 

Les  incisions  de  dedans  en  dehors  se  pratiquent  avec 
ou  sans  conducteur.  Si  l'on  ne  se  sert  point  d'un  con- 
ducteur, on  se  contente  (fig.  46)  d'enfoncer  plus  ou 
moins  perpendiculairement  le  scalpel  au  travers  des 
téguments,  puis  on  l'in- 
cline sous  un  angle  d'en- 
viron 45  degrés  ;  pressant 
alors  sur  l'instrument  en 
le  ramenant  à  soi,  on 
donne  à  l'incision  la  lon- 
gueur voulue  et  on  la  ter- 
mine nettement  en  rele- 
vant la  lame  à  angle 
droit.  On  peut  encore 
enfoncer ,     comme     le 

montre  la  figure  44,  la  lame  de  part  en  part  au  travers 
d'un  pli  cutané,  et  faire  ensuite  agir  le  tranchant  soit  de 
manière  à  tailler  un  lambeau,  soit  de  façon  à  pratiquer 
un  trajet  analogue  à  celui  que  les  chirurgiens  ou  les 
vétérinaires  mettent  en  usage  pour  passer  un  séton.  Si 
l'on  se  sert  d'un  conducteur,  c'est-à-dire  de  la  sonde 
cannelée  (fig.  37,  n°  10),  on  introduit  l'extrémité  de 
celle-ci  (a,  fig.  48)  au-dessous  de  la  portion  de  tégu- 
ment ou  de  la  lamelle  aponévrotique  que  l'on  veut 
diviser  {b,  fig.  48),  puis  on  porte  la  pointe  du  bistouri 
sur  la  cannelure,  et,  après  avoir  incliné  la  lame  en  la 


Fig.  49.  —  Inci<ion  do  dcliors  en  dedans. 


202  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

rapprochant  de  la  sonde,  on  la  fait  glisser  sur  celle-ci, 
de  telle  sorte  qu'elle  divise  les  parties  qu'elle  soulève. 

C.  Sutures.  —  Les  su- 
tures ne  méritent  guère 
de  fixer  longtemps  notre 
attention  :  nous  em- 
ployons généralement  la 
suture  à  surjet  ou  à  points 
entrecoupés.  Mais  nous 
devons  déclarer  tout  de 
suite  qu'il  est  rare  que 
les  sutures  réussissent, 
en  physiologie  opératoire, 
pour  obtenir  une  réu- 
nion par  première  inten- 
tion; nous  n'avons,  du 
reste,  que  rarement  oc- 
casion de  désirer  une 
réunion  de  ce  genre. 

L'instrumentatiou  né- 
cessaire pour  faire  une 
suture  quelconque  se 
compose  :  i"  de  fils  de 
lin,  de  soie,  ou  de  fils 
métalliques  ;  2"  d'ai- 
guilles de  formes  diverses, 
les  unes  droites,  les  autres 
courbes  (fig.  50,  3),  mais 
toujours  bien  effilées  et  tranchantes  à  leur  extrémité, 
car  les  téguments  des  animaux,  encore  plus  que  ceux  de 


Fig.  50. 


Aiiriiill 


^'A  iiorlc-;ugui)li.'. 

1,  portc-aiguillc  (ou  pinces  à   manche)  droit  ; 

2,  porte-aiguille   à   bec  ;    2'   détails  de  la 
face  interne    des  mors   du  porte-aiguille; 

3,  aiguilles  droites  et  courbées. 


SUTURES.  ^03 

rhomme,  sont  très-difficiles  à  traverser.  Aussi  se  sert- 
on  parfois,  pour  diriger  les  aiguilles  avec  force  et  préci- 
sion, d'un  instrument  appelé  porte-aiguille,  c'est-à-dire 
d'une  sorte  de  pince  à  manche  (fig.  50).  L'extrémité  des 
mors  de  la  pince  porte  à  sa  face  interne  (fig.  50,  n°  2') 
des  rainures  qui  permettent  d'y  fixer  une  aiguille  ou 
une  épingle  dans  diverses  positions  ;  les  mors  sont  tenus 
rapprochés  par  un  coulant  que  l'on  voit  dans  les  n"*  j 
et  "1  de  la  figure  50. 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'indiquer  ici  les  petites  ma- 
nœuvres élémentaires  qui  servent  à  affronter  les  lèvres 
d'une  solution  de  continuité  et  à  les  transpercer  avec 
l'aiguille;  nous  parlerons  seulement  de  la  disposition 
définitive  des  fils.  Ou  divise  sous  ce  rapport  les  sutures 
en  plusieurs  espèces  : 

i"  Dans  la  suture  entortillée  on  se  sert  d'ais:uilles 


'l'll'!:'!Ii]l;'ii';'l!'':i'!l'--l' 


Fig.  51.  —  Suture  enlorlillijo. 


Fig.  52.  —  Suture  entortillée  (avec  ao   de  chiffre. 


droites  ou  de  fortes  épingles  qu'on  laisse  en  place , 
après  en  avoir  transpercé  les  deux  lèvres  de  la 
plaie;  un  fil  est  alors  jeté  en  anse  sur  les  deux  extré- 


204  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

mités  libres  de  chaque  épingle  :  on  fait  faire  un  cer- 
tain nombre  de  tours  à  celte  anse,  et  l'on  fait  même 
passer  le  fil  d'une  épingle  à  l'autre, 
en  croisant  ses  deux  chefs,  comme  le 
représente  la  figure  51.  On  peut  en- 
core, au  lieu  d'une  anse  simple,  faire 
décrire  au  fil  une  anse  double,  c'est- 
à-dire  un  a:  de  chiffre,  comme  le 
montre  la  figure  52. 

2"   La   suture  à  points  séparés  est 
formée  de  fils  distincts  et  noués  isolé- 
ment (fig.  53)  ;  c'est  la  forme  la  plus 
simple  et  d'où  dérivent  les  suivantes. 

3"  La  suture  enchevAllée  se  fait  comme  la  précédente  ; 
mais  chaque  fil  est  double,  de  manière  qu'on  engage 
un  petit  rouleau  de  diachylon  dans  l'anse  qu'il  forme 


Fig.  53. 

Suture  à  points 

sépares. 


Fig.  54.  —  Suture  enchevillcc. 


Fig.  55.  —  Suture  en  surji'l. 


sur  l'un  des  côtés  de  l'incision;  on  noue  de  même  les 
extrémités  libres  de  chaque  fil  sur  un  petit  rouleau 
semblable.  La  figure  54  montre  la  disposition  qui  résulte 


SUTURES.  205 

de  cet  arrangement,  et  fait  comprendre  comment  la 
présence  de  ces  petits  rouleaux  de  diachylon  ou  de  bois 
permet  d'affronter  exactement  les  bords  de  la  plaie 
dans  toute  son  étendue. 

La  suture  à  point  continu  ou  en  surjet  se  fait  avec  un 
seul  fil  passé  dans  une  seule  aiguille,  au  moyen  de 
laquelle  on  traverse  à  des  intervalles  égaux  les  deux 
bords  de  la  plaie,  de  manière  à  faire  décrire  au  fil  une 
sorte  de  spirale  autour  de  l'incision  (voy.  fig.  55).  On 
noue  le  fil  à  chacune  des  extrémités  de  la  suture. 

La  suture  à  points  passés  ou  en  zigzag  diffère  peu  de 
la  précédente;  seulement,  au  lieu  de  se  contenter  d'un 


m.. 


FiG.  56.  —  Suture  à  points  passés. 


■■u;ij|jii[iiii!iiiiii*' 


FiG.  57.  —  Suture  à  points  passés 
(pour  une  incision  cruciale). 


point  fait  alternativement  de  chaque  côté  de  la  solution 
de  continuité,  après  avoir  traversé  une  des  lèvres  de  la 
plaie,  on  reporte  l'aiguille  à  quelques  millimètres  de 
distance  du  point  où  elle  vient  de  sortir  et  du  même 
côté,  puis  on  fait  un  nouveau  point  de  suture,  mais 
en  sens  inverse  du  précédent,  c'est-à-dire  de  gauche 
à  droite ,  si  celui-ci  avait  été  de  droite  à  gauche 
(voy.  fig.  56). 


"206  OPÉllVTFONS    fTÉXÉRALES. 

Enfin  on  peut  ôisposer,  comme  le  montre  la  figure  57, 
la  suture  k  points  passés  de  manière  à  rapprocher  à  la 
fois  les  quatre  lèvres  ilune  double  incision,  d'une  inci- 
sion cruciale. 

Manuel  opératoire  des  mjections  sous-cutanées.  —  Les 
mêmes  instruments  servent  aussi  bien  pour  les  injec- 
tions sous-cutanées  que  pour  les  injections  dans  les 
veines.  Nous  ne  dirons  ici  que  quelques  mots  des 
injections  sous-cutanées,  qui  constituent  une  méthode 
générale  pour  introduire  des  substances  dans  l'orga- 
nisme. L'étude  des  injections  intraveineuses  demande 
des  détails  spéciaux  qui  seront  donnés  dans  le  chapitre 
consacré  à  l'appareil  circulatoire. 

La  seule  raison  qui  nous  fait  étudier  ici  les  injections 
sous-cutanées  se  trouve  dans  leur  emploi  plus  général  ; 
car,  du  reste,  les  injections  sous-culanées.  comme  les 
injections  intravasculaires,  font  pénétrer  dans  le  sang 
les  substances  que  le  torrent  circulatoire  va  ensuite  porter 
vers  les  éléments  anatomiques  sur  lesquels  elles  exercent 
leur  action.  En  effet,  hàtons-nous  de  le  dire,  rien  n'agit 
sur  l'homme,  sur  le  chat,  sur  tel  ou  tel  animal.  Mais  telle 
substance  agit  sur  tel  élément  anatomique  de  Thomme 
ou  du  chat,  et  cette  action  peut  produire  consécutive- 
ment un  trouble  plus  ou  moins  général,  mais  toujours 
secondaire,  de  l'organisme.  Le  curare  agit  sur  le  nerf 
moteur;  l'oxyde  de  carbone  agit  sur  le  globule  rouge. 
C'est  toujours  le  sang  qui  nous  sert  de  véhicule  pour 
aller  atteindre  l'élément  qui  est  du  ressort  de  Tagent 
mis  eu  expérience;  mais,  en  dernière  analyse,  c'est  sur 
cet  élément  particulier  que  nous  expérimentons.  Au>,si 


INJECTIONS   SOUS-CUTANÉES.  207 

avons-nous  depuis  longtemps  distingué  pour  les  ani- 
maux deux  milieux ,  auxquels  ils  empruntent  leurs  con- 
ditions dexistence  :  un  inilieu  extérieur  et  un  milieu 
intérieur  (le  sang'.  Le  premier  est  celui  oîi  vit  l'être 
total  :  le  second  est  celui  où  vivent  les  éléments  anato- 
miques.  C'est  par  l'intermédiaire  de  ce  milieu  que  nous 
faisons  arriver  vers  ces  éléments  les  substances  dont 
nous  voulons  déterminer  l'action. 

Les  opérations  par  lesquelles  nous  injectons  ces  sub- 
stances au  niveau  de  la  peau,  c'est-à-dire  au  niveau 
des  fines  racines  de  l'appareil  circulatoire,  peuvent  se 
diviser  en  trois  classes,  formant  trois  méthodes  bien 
distinctes  :  la  méthode  épidermique^  Vemlermique  et 
\  hypodermique . 

\'  Méthode  épidernàque.  —  La  méthode  épider- 
mique,  par  laquelle  on  cherche  à  faire  pénétrer  des 
substances  en  les  déposant  simplement  à  la  surface  de 
la  peau,  ne  nous  offre  que  peu  de  considérations  inté- 
ressantes à  notre  point  de  vue.  On  pourrait  croire  que 
c'est  un  mode  de  pénétration  normal,  physiologique; 
mais  en  réalité  cette  pénétration  n'a  rien  de  physiolo- 
gique, puisque  l'absorption  pure  et  simple  par  la  peau, 
pendant  un  bain  par  exemple,  est  des  plus  contestables: 
elle  est  en  tout  cas  si  faible,  qu'elle  demeure  toujours 
insignifiante.  On  sait  seulement  qu'on  peut  arriver  à  ce 
mode  d'absorption,  soit  en  dégraissant  préalablement  la 
peau,  soit  au  contraire  en  incorporant  les  substances 
à  absorber  avec  des  matières  grasses  dont  on  enduit  le 
tégument  ;  encore  dans  ce  cas,  pour  obtenir  un  résultat 
satisfaisant,  doit-on  avoir  recours  à  des  frictions,  c'est- 


208  0P1•RATI0^S   GliNÉRALES. 

à-dire  à  une  action  mécanique.  Chez  les  grenouilles, 
l'absorplion  cutanée  (épidermique)  est  très-active. 

2"  Méthode  endermique.  —  Par  ce  procédé  on  porte 
en  réalité  les  substances  dans  les  couches  profondes  de 
l'épiderme.  C'est  ce  que  l'on  connaît  sous  le  nom  d'ùiocu- 
lation.  On  applique,  par  exemple,  la  substance  en  ques- 
tion sur  le  corps  muqueux  de  l'épiderme,  mis  à  nu  par 
un  vésicatoire;  ou  bien  on  va  la  porter  jusque  sous 
l'épiderme,  au  contact  des  papilles  dermiques,  comme 
dans  l'inoculation  proprement  dite.  C'est  le  procédé 
employé  en  médecine  pour  la  vaccination  et  même  par- 
fois pour  l'introduction  de  médicaments.  Quelques  mé- 
decins ont  môme  tenté  d'ériger  ce  procédé  en  méthode 
générale  :  on  scariflait  la  peau  et  appliquait  sur  ces 
légères  blessures  la  substance  médicamenteuse  incor- 
porée dans  une  pâte.  En  thérapeutique,  ce  procédé  est 
infidèle  et  a  dû  être  abandonné  ;  mais  pour  la  vaccine 
et  Vinoculation  de  divers  virus,  c'est  la  méthode  ender- 
mique qui  est  essentiellement  mise  en  usage. 

\J instrumentation  de  la  méthode  endermique  est  fort 

simple  :  elle  se  réduit  à  la  lancette  à  vaccin  (fig.  58), 

munie,  on  le  sait,  d'une  petite  rainure 

\  destinée  à  recevoir  le  virus.  Mais  on  peut 

aussi  se  servir  avec  avantage  d'une  fine 
"iiiffli®^      seringue  avec  laquelle  on  peut  pousser 
Fig.  58.  exactcmeut  et  complètement  une  goutte 

Lancette  à  vaccin. 

du  virus,  ou  même  une  fraction  de 
goutte.  C'est  avec  une  fine  seringue  que  Chauveau  a  fait 
ses  expériences  si  précises  et  si  délicates  sur  l'inocu- 
lation du  vaccin. 


IVJECTIOXS   SOUS-CUTANÉES.  209 

Au  point  de  vue  des  résultats  expérimentaux,  la  mé- 
thode endermique  est  très-intéressante,  surtout  d'après 
les  observations  fournies  par  les  expériences  de  Chau- 
veau.  Ce  physiologiste  a  montré  qu'il  y  a  dans  ces  cir- 
constances à  la  fois  absorption  et  action  locale.  Nous 
avons  déjà  insisté  sur  ce  fait  que  chaque  substance  agit 
sur  un  élément  anatomique  vers  lequel  elle  est  portée 
par  le  sang  ;  mais  si  on  l'injecte  directement  au  contact 
de  cet  élément  anatomique,  il  y  aura  nécessairement 
action  immédiate  sur  celui-ci,  action  locale;  puis  la 
partie  absorbée,  portée  vers  les  éléments  du  même  genre 
dans  les  différentes  parties  du  corps,  amènera  une  action 
générale.  C'est  ce  qui  arrive  en  effet  :  quand  on  inocule 
le  vaccin,  il  se  produit  d'abord,  comme  effet  local,  une 
pustule  unique  dans  le  point  où  a  été  déposé  le  virus  ; 
si  l'on  introduit  directement  celui-ci  dans  le  sang,  on  n'a 
pas  d'effet  local,  mais  une  éruption  générale  magni- 
fique. Ces  faits  ont  permis  à  Chauveau  d'expliquer 
comment  une  action  locale,  après  inoculation,  rend  tout 
l'organisme  réfractaire  et  lui  donne  finalement  l'inno- 
cuité recherchée  dans  la  vaccination  :  c'est  que  par  la 
méthode  hypodermique,  en  introduisant  le  virus  au 
contact  de  l'épiderme  et  du  derme,  on  obtient  à  la  fois 
les  effets  locaux  et  les  effets  généraux;  la  pustule  locale 
se  développe  la  première  et  se  montre  en  pleine  évolu- 
tion dès  le  cinquième  jour;  l'infection  générale  suit  son 
cours,  et  devrait  donner  naissance  à  une  éruption  géné- 
rale vers  le  dixième  jour  ;  mais  à  ce  moment  le  sujet  y 
est  rendu  réfractaire  par  l'évolution  de  la  pustule  locale. 
Mais  si  l'on  a  arrêté  le  travail  de  celle-ci;  si,   par 

CL.  BERNARD.  —  Plijsiol.  opér.  14 


"110  OPÉRATIONS  GÉNÉRALES. 

exemple,  on  la  cautérisée  vers  le  troisième  jour,  rien 
n'empêche  la  marche  de  l'infection  générale,  qui  alors 
parvient  à  se  manifester,  vers  le  dixième  jour,  par  une 
éruption  de  toute  la  surface  cutanée.  Cet  exemple  nous 
montre  une  fois  de  plus  combien  il  est  important  de 
bien  déterminer  sur  quel  élément  agit  telle  ou  telle 
substance,  afin  d'être  à  même  de  disposer  des  circon- 
stances qui  nous  permettront  de  provoquer  plus  rapi- 
dement cette  action,  en  la  portant  directement  sur  Félé- 
ment  en  question. 

Méthode  hypodermique.  —  La  méthode  hypoder- 
mique, ou  sous-cutanée  proprement  dite,  est  pour  nous 
la  plus  importante  :  elle  est  pour  ainsi  dire  connue  de 
toute  antiquité  par  les  physiologistes;  ce  n'est  qu'en 
médecine  que  son  application  générale  est  toute  ré- 
cente, et  constitue  un  précieux  progrès,  qui  demande- 
rait d'être  encore  plus  étendu;  car  la  thérapeutique,  dis- 
posant de  médicaments  parfaitement  purs,  serait  assurée 
alors  d'obtenir  l'absorption  avec  une  régularité  constante 
et  absolue. 

Ces  injections  se  font  dans  le  tissu  cellulaire  sous- 
cutané.  ?sous  ne  pouvons  aller  plus  loin  sans  nous 
demander  ce  que  c'est  que  ce  tissu  cellulaire  sous-cutané. 
Comme  on  l'avait  depuis  longtemps  soupçonné,  et  comme 
les  recherches  récentes  de  l'histologie  tendent  à  le  dé- 
montrer, ce  tissu  peut  être  identifié  aux  cavités  séreuses  : 
injecter  dans  les  mailles  du  tissu  cellulaire,  c'est  faire 
identiquement  ce  que  faisait  Magendie  quand  il  injectait 
dans  la  cavité  pleurale  (voy.  p.  191).  Chez  la  grenouille 
même  (fig.  59),  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  forme 


INJECTIONS   SOUS-CUTANÉES.  ^H 

de  vastes  cavités  séreuses  (dites  sacs  lymphatiques)  ;  du 
reste,  Ranviera  démontré  la  parenté  des  cavités  séreuses 
et  des  mailles  du  tissu  cellulaire,  qui  communiquent  avec 
les  origines  des  lymphatiques.  Aussi  ce  tissu  absorbe-t-il 


FiG.  59.  -  Disposition  des  sacs  lymphatiques  de  la  grenouille.  (Cette  figure  montre 
en  même  temps  la  disposition  à  donner  au  mésentère  de  la  grenouille  pour  y  observer  au 
microscope  la  circulation  capillaire.) 

A,  A  lame  de  liége  percée  de  l'ouverture  0  ;  B,  morceau  de  liège  placé  sur  le  côté  de 
cette  ouverture  opposé  au  corps  de  b  grenouille,  pour  établir  le  niveau:  p.  épin-le 
fixant  dans  ce  liège  l'anse  intestinale  sortie  de  l'abdomen  de  l'animal  ;  a.  a',  sacs  lym- 
phatiques (dorsal  et  ventral);  b,  b'.  .iem  (latéraux) ;  c.c.c.  cloisons  incoraplètes'qui 
séparent  ces  sacs.  -  i,  colonne  vertébrale  et  muscles  ;  2,  masse  intestinale. 

très-facilement  tes  liquides,  comme  les  gaz,  surtout 
lorsqu'il  est  très-làche,  très-souple,  comme  celui  du 
lapin.  Car  le  tissu  cellulaire  n'est  pas  partout  le  même 
chez  un  même  animal,  ni  identique  chez  les  animaux  les 
plus  voisins  :  il  est  très-serré  chez  le  chien.  Dupuyiren, 
frappé  de  la  forme  serrée  du  tissu  cellulaire  du  périnée 
de  l'homme,  disait  familièrement  que  c'était  là  du  tissu 
cellulaire  du  chien.  Chez  le  porc  et  chez  les  animaux 
pourvus  de  lard,  c'est-à-dire  d'un  pannicule  adipeux 
très-épais,  l'absorption  sous-culanée  est  très-difficile  à 
obtenir  ;  c'est  ce  qui  explique  que  ces  animaux,  comme 
par  exemple  le  hérisson,  aient  été  considérés  comme 


212  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

réfractaires  à  certains  virus,  à  la  morsure  des  animaux 
venimeux,  àraciile  prussique,  etc.  Ils  n'y  sont  pas  plus 
réfractaires  que  le  chien  ;  mais  ces  agents,  introduits 
sous  la  peau,  sont  trop  lentement  absorbés  pour  par- 
venir à  produire  des  effets  toxiques,  car  ils  sont  éliminés 
à  mesure. 

Il  faut  donc  ici,  de  même  que  pour  toutes  les  autres 
opérations,  tenir  compte  des  particularités  propres  aux 
animaux  en  expérience  :  il  faut  savoir  choisir  les  sujets 
favorables^  et,  sur  un  même  sujet,  les  régions  les  plus 
avantageuses  ;  savoir  tantôt  porter  sa  préférence  sur 
le  tissu  cellulaire,  tantôt  sur  la  plèvre,  tantôt  sur  la 
cavité  périlonéale;  savoir  que,  de  même  que  pour  la 
peau,  un  péritoine  très-chargé  de  graisse  est  fort  peu 
propre  cà  l'absorption,  etc. 

Nous  devons  de  plus  ne  pas  oublier  que  les  animaux 
présentent  une  aptitude  bien  différente  à  l'absorption 
selon  qu'ils  sont  à  jeun  ou  en  digestion  :  cela  se  conçoit 
facilement,  puisque,  en  dernière  anaryse,  l'absorption 
se  réduit  à  un  phénomène  d'osmose,  et  qu'après  une 
copieuse  digestion  l'organisme,  loin  d'être  favorable  à 
l'osmose,  présente  plutôt  des  phénomènes  généraux 
d'exosmose  :  les  plèvres  et  les  cavités  séreuses,  d'ordi- 
naire sèches  ou  à  peine  humides,  présentent  toujours  en 
ce  moment  une  certaine  quantité  de  liquide;  toutes  les 
exsudations,  toutes  les  sécrétions,  se  font  plus  abon- 
damment. 

Nous  faisons  donc  en  général  nos  injections  :  sur  le 
lapin,  dans  une  région  quelconque  du  tégument,  mais 
de  préférence  sur  le  ventre,  où  la  peau  présente  la  plus 


INJECTIONS    SUUS-CUTANÉES.  213 

gTande  laxilé;  sur  le  chien,  nous  choisissons  le  pli  de 
l'aine  ou  de  l'aisselle  ;  sur  la  grenouille,  nous  nous 
adressons  aux  sacs  lymphatiques  sous-cutanés,  etc.,  etc. 

Malgré  les  rapports  intimes  des  mailles  du  tissu  cel- 
lulaire avec  le  système  lymphatique,  c'est  surtout  par 
les  fines  ramifications  d'origine  des  veines  que  se  fait 
l'absorption  des  substances  injectées  :  on  sait  que  Ma- 
gendie  s'est  attaché  à  démontrer  le  rôle  prépondérant 
du  système  veineux  dans  l'absorption  des  substances 
toxiques  ;  la  rapidité  de  l'empoisonnement  rendrait  du 
reste  la  plupart  du  temps  inadmissible  l'hypothèse  de  la 
pénétration  du  poison  par  les  voies  lymphatiques,  où 
la  circulation  est  si  lente. 

Du  reste,  nous  pouvons  pratiquer  nos  injections  dans 
d'autres  tissus  cellulaires  que  celui  qui  double  la  peau, 
par  exemple  dans  celui  qui  remplit  les  interstices  des 
organes,  dans  celui  qui  sépare  les  éléments  anatomiques 
d'un  tissu  plus  complexe.  Quand,  par  exemple,  nous 
faisons  une  injection  dans  un  muscle,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut  pour  le  curare  (voy.  p.  174),  ce 
n'est  pas  la  fibre  musculaire  qui  absorbe,  mais  le  tissu 
cellulaire  interfibrillaire.  Dans  ces  cas,  nous  pouvons 
avoir  à  la  fois,  comme  pour  le  vaccin,  une  action  locale 
et  une  action  générale.  Ainsi  le  curare  injecté  dans  un 
muscle  produit  une  action  locale  très-rapide  et  très- 
énergique  sur  le  nerf  moteur  de  ce  muscle;  puis,  porté 
vers  les  autres  éléments  moteurs  par  le  torrent  circu- 
latoire, il  produit  plus  lentement,  et  à  un  degré  moins 
prononcé,  son  action  générale. 

Dans  l'absorption  hypodermique,  il  y  a  deux  actes  : 


"IIÂ  OPÉRATIONS    Gl-NÉRALES. 

celui  par  lequel  la  substance  pénètre  clans  le  sang,  et 
celui  par  lequel  elle  est  entraînée  dans  le  torrent  circu- 
latoire. Ce  double  travail  nous  permet  de  régulariser 
artificiellement  l'absorption.  Si,  par  exemple,  une  dose 
trop  forte  de  poison  a  été  injectée  sous  la  peau  d'un 
membre,  nous  pouvons  arrêter  sa  trop  rapide  diffusion 
dans  l'organisme  en  liant  la  racine  du  membre  de  façon 
à  comprimer  les  veines  ;  le  poison  passe  alors  très- 
lentement  dans  le  reste  du  corps,  et  en  serrant  et  relâ- 
chant alternativement  la  ligature,  nous  pouvons  mo- 
dérer l'absorption  de  manière  à  sauver  l'animal,  en  lui 
permettant  d'éliminer  au  fur  et  à  mesure  une  quantité 
de  substance  toxique  qui,  si  elle  avait  brutalement 
envahi  tout  le  système  circulatoire,  aurait  amené  fata- 
lement la  mort.  Nous  avons  surtout  montré  ce  fait 
à  propos  de  l'absorption  du  curare. 

U instrumentation  nécessaire  aux  injections  hypoder- 
miques, et  dont  nous  avons  déjà  dit  quelques  mots 
d'une  manière  générale,  se  compose  essentiellement 
d'une  seringue  graduée.  Dès  longtemps  nous  nous 
servions  d'une  seringue  avec  graduations  marquées  sur 
la  tige  du  piston  ;  aujourd'hui  nous  préférons  la  se- 
ringue ta  vis,  parce  que  le  mouvement  qu'elle  présente 
est  une  chose  qui  se  gradue  tout  à  fait  mathématique- 
ment (voy.  fig.  42).  Du  reste,  au  moyen  d'une  petite 
pièce  intermédiaire,  d'un  écrou  que  Fou  visse  ou  dé- 
visse, on  peut  rendre  au  piston  sa  liberté,  et  pousser 
alors  une  injection  tout  d'un  trait  et  plus  ou  moins 
vite,,  si  les  circonstances  exigent  moins  de  précision  que 
de  rapidité. 


INJECTIONS    SOUS-CUTANKES.  ^15 

Il  est  difficile  de  tenir  toujours  ses  seringues  en  état; 
les  pistons  se  sèchent  et  ne  fonctionnent  bientôt  plus. 
On  a  donc  songé  à  remplacer  le  corps  de  la  seringue  par 
une  forte  vessie  ou  poire  de  caoutchouc,  et  à  construire 
ainsi  un  appareil  qui  représente  en  grand  ce  que  tout 
le  monde  connaît  sous  le  nom  de  compte  gouttes  :  c'est 
ce  qu'on  a  appelé  la  seringue  de  Bourguignon.  Mais  il 
ne  faut  pas  se  faire  illusion  à  ce  sujet  :  la  poire  de 
caoutchouc,  par  un  long  repos,  se  sèche,  se  durcit  et 
s'abîme  comme  le  cuir  des  pistons.  Ici  la  perfection  est 
pour  ainsi  dire  impossible  ;  il  faut  y  suppléer  par  une 
surveillance  attentive,  une  revue  fréquente  des  instru- 
ments. 


Fie.  CO.  —  Injeclion  hypodermique  {manuel  opératoire). 

'/,  eaimlo  enfoncée  à  moitié  dans  un  tissu  cellulaire  lâche;  d,  canule  enfoncée  profondément 

dans  un  tissu  cellulaire  serré. 


Le  manuel  opératoire  d'une  injection  hypodermique 
n'est  pas  très-compliqué.  On  commence  par  saisir  la 


•216  OPÉRATIONS   GÉNÉRALES. 

peau  en  y  forinaiil  un  gros  }Dli,  afin  de  l'écarter  des 
parties  profondes  sous-jacentes  (fig.  60)  ;  puis,  tenant 
l'instrument  comme  une  plume  à  écrire,  on  l'intro- 
duit dans  le  tissu  cellulaire,  où  l'on  peut  dès  lors  faire 
mouvoir  son  extrémité  libre  comme  dans  une  cavité 
séreuse  (fig.  60,  b).  Cette  manœuvre  est  très-facile 
chez  le  lapin,  dont  la  peau  est  si  lâche;  elle  l'est 
moins  chez  le  chien,  et  nous  en  avons  déjà  dit  la 
raison.  On  peut  alors  enfoncer  plus  ou  moins  la  canule 
(fig.  60,  d). 

Les  substances  que  l'on  injecte  peuvent  être  déserts, 
des  liquides^  ou  même  des  solides  (finement  divisés  et 
en  suspension  dans  l'eau). 

Supposons  qu'on  veuille  injecter  un  gaz,  par  exemple 
simplement  de  Xai)\  et  c'est  là  une  expérience  qui  ne 
manque  pas  d'intérêt.  On  fait  à  la  peau  une  piqûre  très- 
oblique,  afin  qu'en  retirant  la  canule,  Tair  ne  puisse  pas 
s'échapper,  et  afin  aussi  que  le  tissu  cellulaire  soit  tra- 
versé obliquement,  ce  qui  permet  une  plus  grande  dif- 
fusion du  gaz  (fig.  60,  b).  A  mesure  que  l'on  injecte 
l'air,  on  voit  l'animal  se  distendre  :  il  se  forme,  par 
exemple  sur  le  dos,  une  grande  poche,  circonscrite  vers 
la  racine  des  membres,  car  à  ce  niveau  se  trouvent  des 
cloisons  qui  empêchent  la  communication  entre  les 
espaces  sous-cutanés,  absolument  comme  pour  les  sacs 
lymphatiques  de  la  grenouille.  L'animal  n'est  nullement 
gêné  par  ce  ballonnement  :  il  paraît  plus  volumineux, 
plus  fort,  et  l'on  sait  du  reste  que  des  artifices  de  ce 
genre  sont  parfois  mis  frauduleusement  en  pratique 
pour  donner  aux  animaux  l'apparence  factice  de  l'em- 


INJECTIONS   SOUS-CUTANÉES.  217 

boupoint.  Si  l'injection  est  faite  sur  un  lapin  (fig.  61), 
il  suffira  de  se  servir  de  la  seringue  ou  de  la  vessie;  pour 
le  chien,  vu  la  résistance  du  tissu  cellulaire,  nous  serons 
obligé  d'avoir  recours  à  un  soufflet. 


Cl  -r 


ï-     5  .2 


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-  il 


"S4^ 


Lorsque  nous  expérimentons  avec  un  gaz  autre  que 
l'air,  nous  nous  servons  d'une  vessie  remplie  de  ce 


^18  OPÉRATIONS    GÉNÉRALES. 

gaz,  et  d'une  petite  pompe  (B,  fig.  61),  qui  puise  le 
gaz  dans  cette  vessie ,  et  le  refoule  dans  le  tissu 
cellulaire  sous -cutané  de  l'animal  en  expérience 
(voy.  fig.  61). 

Par  une  sorte  d'échange  respiratoire  sous-cutané, 
l'animal  absorbera  de  ces  gaz  ce  qui  est  absorbable. 
Ainsi  l'acide  carbonique  disparaît  en  moins  d'une  demi- 
heure  ;  il  passe  dans  les  veines,  puis  il  est  exhalé  au 
niveau  du  poumon.  L'oxygène  est  plus  lentement  ab- 
sorbé. L'azote  l'est  très-peu  et  reste  très-longtemps  sous 
la  peau  ;  de  sorte  que,  quelques  jours  après  une  injection 
d'air,  on  ne  trouve  plus  que  de  l'azote  renfermé  dans 
une  cavité  sous-cutanée,  qui  représente  une  véritable 
poche  séreuse  accidentelle. 

Nous  avons  dit  que  l'acide  carbonique  absorbé  e>t 
exhalé  au  niveau  du  poumon.  Ce  fait  est  général,  et 
nous  explique  pourquoi  les  gaz  sont  rarement  toxiques 
en  injection  sous-cutanée  :  après  les  avoir  absorbés  par 
les  veines,  l'organisme  s'en  débarrasse  par  la  surface 
pulmonaire.  Cependant  il  faut  tenir  compte  des  doses. 
Une  très -faible  quantité  d'hydrogène  sulfuré  respirée 
par  le  poumon  est  fatalement  toxique  ;  la  même  quan- 
tité ou  une  quantité  plus  considérable  introduite  sous 
la  peau  ne  produit  aucun  effet,  parce  qu'elle  s'élimine 
dans  l'air  expiré,  ainsi  qu'on  peut  le  constater  avec  un 
papier  mouillé  d'acétate  de  plomb  et  que  Ton  tient  près 
des  narines  de  l'animal.  Mais  si  l'on  injecte  sous  la 
peau  une  quantité  très- considérable  d'hydrogène  sul- 
furé, l'air  pulmonaire  en  est  saturé  au  point  que  l'ani- 
mal se  trouve  dans  les  mêmes  conditions  que  s'il  res- 


INJLCTIONS    SOUS-CU  TAN  l'Es.  '21 9 

pirait  au  milieu  de  ce  gaz;  il  devra  donc  périr,  el  c'est 
ce  qu'on  observe  toutes  les  fois  que  sur  un  lapin,  par 
exemple,  on  injecte  plus  de  5  centimètres  cubes  de  gaz 
hydrogène  sulfuré. 

Les  injections  sous- cutanées  de  liquides  sont  très- 
intéressantes  pour  l'étude  de  l'élimination  des  substances 
toxiques  et  médicamenteuses.  A  cet  effet,  on  place,  par 
exemple,  une  canule  dans  l'uretère  mis  à  nu,  de  façon 
à  recueillir  l'urine  goutte  à  goutte  ;  2  centigrammes  de 
cyanure  jaune  sont  injectés  sous  la  peau.  Il  suffit  de 
quelques  minutes  pour  voir  apparaître  ce  sel  dans  l'u- 
rine, c'est-à-dire  pour  que  l'adjonction  d'un  sel  fer- 
rique  y  donne  naissance  à  du  bleu  de  Prusse.  Mais  ce 
sel  n'apparaît  pas  dans  la  salive.  Si  au  contraire  on 
injecte  sous  la  peau  del'iodure  de  potassium,  on  le  voit 
apparaître  à  la  fois  dans  l'urine  et  dans  la  salive. 

Mais  les  injections  sous-cutanées  sont  surtout  utiles 
pour  étudier  la  manière  et  le  temps  au  bout  duquel  les 
substances  introduites  sont  absorbées.  C'est  par  cette 
méthode  que  l'on  a  déterminé  la  durée  de  l'absorption 
du  virus  de  la  rage,  absorption  si  rapide,  d'après  des 
expériences  récentes,  que  cinq  minutes  après  la  morsure 
la  cautérisation  de  la  plaie  ne  serait  plus  d'aucune 
utilité.  Enfin  c'est  encore  ta  l'emploi  de  cette  méthode 
que  sont  dus  les  résultats  si  importants  obtenus  par 
Chauveau  au  sujet  de  l'infection  et  de  l'éruption  géné- 
rale après  inoculation  (ci-dessus,  page  209).  Nous  voyons 
donc  que  la  physiologie  a  beaucoup  obtenu  de  l'em- 
ploi des  injections  liquides  sous-cutanées,  et  qu'elle  peut 
encore  beaucoup  espérer  de  cette  méthode. 


ONZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Des  autopsies  en  plivsiologic  expérimentale.  —  Procédés  pour 
sacrifier  les  animaux  (injections  veineuses  d'air,  acide  prussique,  section 
(lu  bulbe).  —  Emploi  de  la  respiration  artificiello.  —  Appareils  pour  la 
respiration  artificielle.  —  Appareils  divers  que  l'expérimentateur  doit  tou- 
jours avoir  tout  préparés  sous  la  main.  —  Balance,  microscope,  pompe 
à  mercure,  appareils  enregistreurs.  —  Appareils  électriques. 


Messieurs, 

La  question  des  autopsies  est  aussi  importante  en 
physiologie  qu'en  médecine  clinique  :  dans  l'un  comme 
dans  l'antre  cas,  nous  allons  à  la  recherche  des  lésions; 
seulement,  en  physiologie  ces  lésions  ont  été  produites 
par  nos  divers  moyens  d'actions  expérimentales.  La  plu- 
part du  temps  nous  nous  proposons  de  vérifier  l'état 
des  organes  internes  d'un  animal  mis  en  expérience 
et  encore  vivant  :  il  faut  donc  le  sacrifier^  et  nous 
pouvons  à  cet  effet  disposer  de  plusieurs  moyens  entre 
lesquels  il  s'agit  de  fixer  notre  choix. 

Autrefois  on  sacrifiait  les  animaux  par  asphyxie,  par 
strangulation  :  on  les  pendait. 

Ou  bien  encore  on  introduisait  de  l'air  dans  les 
veines  :  la  mort,  dans  ce  cas,  est  le  plus  souvent  fou- 
droyante. Mais,  comme  l'ont  montré  quelques  expé- 
riences récentes,  l'air  dans  les  veines  ne  tue  pas  tou- 
jours, et  surtout  ne  tue  pas  toujours  aussi  rapidement. 
Déjà  Amussat  avait  tenté  en  vain  de  tuer  des  chevaux 


DES   AUTOPSIES.  2^21 

par  rintroduction  de  l'air  dans  les  veines.  Il  y  a  dans  ces 
phénomènes  des  conditions  particulières  que  M'M.  Muron 
et  Laborde  ont  cherché  à  préciser  :  ils  ont  montré  que 
souvent  l'air  pouvait  passer  du  cœur  droit  dans  le 
gauche,  et  que  finalement  l'animal  périssait  par  la  pré- 
sence de  l'air  dans  le  système  artériel  général,  tandis 
que  Magendie,  qui  employait  souvent  ce  moyen,  pensait 
que  l'air  tue  en  arrêtant  la  circulation  dans  les  capil- 
laires pulmonaires.  L'injection  d'air  dans  les  veines 
n'est  donc  pas  un  excellent  moyen  pour  produire  à  coup 
sûr  une  mort  instantanée  des  animaux  que  l'on  veut 
sacrifier. 

On  peut  encore  sacrifier  les  animaux  en  les  empoi- 
sonnant avec  de  \ acide  prussique.  Cet  agent ,  qu'em- 
ployait très-souvent  Magendie,  est  singulièrement  actif: 
une  goutte  d'acide  prussique  déposée  sur  la  caroncule 
lacrymale  du  cheval  le  foudroie  instantanément;  mais 
il  faut  avoir  un  produit  très-pur.  On  conçoit  alors  com- 
bien cet  agent  est  dangereux  à  manier;  même  celui  du 
commerce,  qui  renferme  seulement  un  quart  d'acide 
prussique,  ne  doit  être  mis  en  usage  qu'avec  les  plus 
grandes  précautions. 

C'est  en  présence  de  ces  divers  inconvénients  que  nous 
avons  essayé  de  l'empoisonnement  par  un  cyanure^  et 
en  particulier  par  le  cyanure  de  mercure.  On  injecte  ce 
sel  sous  la  peau  ou  dans  la  trachée  ;  c'est  par  la  trachée, 
c'est-à-dire  dans  le  poumon,  qu'il  agit  le  mieux.  C'est 
en  effet  au  niveau  du  poumon  seulement  que  le  cyanure 
de  mercure,  même  injecté  dans  le  sang,  donne  naissance 
à  l'acide  prussique.  Le  sang,  étant  alcalin,  ne  peut  être 


222  DES    AUTOPSIES. 

le  lieu  de  cette  décomposition,  qui  demande  un  milieu 
acide. 

La  section  du  bulbe  est  encore  un  moyen  très-pratique 
de  sacrifier  les  animaux.  Il  était  connu  de  Galien  ;  il 
est  mis  en  usage  aujourd'hui  par 
tous  les  équarrisseurs  :  c'est  ce 
qu'ils  appellent  énerver  un  animal. 
Pour  sectionner  le  bulbe  rachidien 
d'un  chien,  on  saisit  de  la  main 
gauche  le  museau  de  l'animal,  dont 
on  fixe  ainsi  solidement  la  tête.  La 
main  droite  tient  un  fort  scalpel  ou 
un  perforateur,  et,  après  avoir  re- 
connu la  bosse  occipitale,  plonge 
l'instrument  à  1  ou  2  centimètres 
en  arrière,  en  le  dirigeant  oblique- 
ment en  avant,  comme  si  l'on  vou- 
lait le  faire  venir  ressortir  par  le 
nez.  On  procède  de  la  même  ma- 
nière pour  sacrifier  un  lapin    (fig.   62). 

On  pourrait,  avant  de  sacrifier  l'animal,  le  soumettre 
à  Xanesthésie.  Mais  nous  devons  faire  remarquer  que, 
dans  ce  cas,  tous  les  moyens  précédemment  indiqués 
n'agiraient  pas  toujours  aussi  sûrement.  Le  cyanure  de 
mercure  resterait  sans  effet  :  ce  ne  serait  qu'au  moment 
où  l'animal  se  réveille,  qu'il  succomberait  à  l'empoi- 
sonnement par  l'acide  cyanhydrique.  Ce  fait  avait  déjà 
été  signalé  par  Thenard;  nous  aurons  plus  tard  à  en 
étudier  la  cause  et  à  en  donner  la  théorie. 

L'animal  étant  sacrifié,  il  faut,  en  règle  générale, 


KiG.  62.  —  Iiistrunieiit  pour 
la  section  Jii  hulhc  ra- 
chidien. 


RESPIRATION    ARTIFICIELLK.  ^^3 

procéder  k  son  autopsie  immédiatement  après  la  mort. 
On  incise  le  tronc  sur  la  ligne  médiane,  afin  d'éviter  les 
grosses  artères ,  qui  donneraient  encore  des  flots  de  sang. 
On  pourrait,  pour  la  perfection  des  autopsies  de  ce 
genre,  prendre  avantageusement  leçon  des  équarris- 
seurs,  qui  arrivent  à  une  grande  perfection.  Tout  le 
monde  connaît  l'histoire  de  cette  équarrisseuse  citée 
par  Magendie,  qui  mettait  une  robe  blanche  et  arrivait 
à  dépecer  un  cheval  sans  se  faire  une  seule  tache  de 
sang.  Si  nous  nous  permettons  de  citer  ces  exemples, 
c'est  pour  rappeler  qu'il  faut  de  l'élégance  dans  tout 
ce  que  l'on  fait,  en  physiologie  comme  ailleurs.  Les 
chirurgiens  n'ont-ils  pas  pour  devise  :  Tatô,  citù  et  ju- 

cundè  ? 

Respiration  artificielle.  —  Appareils  électriques,  etc. 
—  Nous  devons  enfin,  avant  d'aborder  l'étude  expéri- 
mentale de  chaque  système,  donner  quelques  indica- 
tions sur  un  certain  nombre  d'appareils  qui  sont  d'un 
usage  général,  et  qui  trouvent  plus  spécialement  leur 
application  au  moment  des  autopsies  que  nous  venons 
de  décrire.  Si  nous  considérons,  par  exemple,  l'animal 
auquel  on  vient  de  sectionner  le  bulbe,  nous  pouvons  le 
regarder  comme  mort,  et  cependant  aucun  de  ses  élé- 
ments anatomiques  n'a  encore  cessé  de  fonctionner; 
bien  plus,  sa  circulation  elle-même  peut  encore  se  faire 
sous  l'impulsion  du  cœur  :  il  n'y  a  que  le  mécanisme 
respiratoire  de  rompu  ;  et  si  nous  pratiquons  une  respi- 
ration artificielle,  nous  pouvons  maintenir  ce  cadavre 
apparent  dans  un  état  de  vie  réelle,  et  étudier  encore 
sur  lui  tous  les  phénomènes  de  la  circulation  sanguine, 


224  DES    AUTOPSIES. 

de  l'innervation  réflexe,  de  la  contractilité  musculaire, 
des  diverses  sécrétions  glandulaires,  etc.  La  respiration 
artificielle  est  donc  un   moyen   général   d'étude   qu 
nous  facilitera  cette  sorte  d'autopsie  de  l'animal  vivant. 

Mais  les  phénomènes  que  nous  devons  étudier  dans 
ce  cadavre  dont  toutes  les  parties  sont  vivantes,  les  phé- 
nomènes propres  à  chaque  tissu,  à  chaque  élément 
anatomique,  nous  sont  révélés  ou  rendus  plus  évidents 
par  un  certain  nombre  d'appareils,  dont  les  uns  pré- 
sentent des  indications  toutes  spéciales,  dont  les  autres 
sont  d'un  usage  général.  Il  est  donc  des  instruments 
qui  doivent  être  toujours  prêts  ;  ce  sont  ceux  surtout 
qui  servent  à  constater,  à  préciser,  à  mesurer  un 
phénomène  :  tels  sont  les  piles  électriques^  les  appareils 
enregistreurs^  etc.  Si  tous  les  instruments  de  ce  genre 
ne  sont  pas  toujours  prêts  à  entrer  en  usage,  il  arrive 
qu'au  milieu  d'une  expérience  se  présente  un  phéno- 
mène inattendu,  précieux  à  analyser,  et  que,  pendant 
le  temps  qu'exige  la  mise  en  état  dés  appareils,  le 
phénomène  a  déjà  disparu,  sans  que  souvent  nous 
puissions  le  faire  renaître. 

Souvent,  ayant  à  choisir  entre  deux  appareils  aussi 
avantageux  sous  la  plupart  des  rapports,  nous  fixerons 
notre  choix  sur  celui  qui  nous  paraîtra  moins  sujet 
à  se  détériorer,  plus  apte  à  être  maintenu  toujours 
en  état.  Pour  le  moment,  nous  plaçant  au  point  de 
vue  le  plus  général,  nous  donnerons  seulement  quelques 
indications  sur  les  appareils  électriques  les  plus  usuels. 

i"  Respiration  artificielle.  —  La  respiration  artificielle 
consiste  simplement  à  introduire  de  l'air  dans  le  pou- 


RESPIRATION    ARTIFICIELLE.  ^25 

mon  de  l'animal,  d'une  manière  rhythmique  imitant  au- 
tant que  possible  l'intervalle  qui  sépare  normalement 
deux  inspirations.  On  se  sert  à  cet 
effet  d'un  soufflet  (fig.  63)  mis  en 
communication  avec  les  voies  pul- 
monaires, soit  par  un  embout  de 
forme  convenable  pour  embrasser  le 
museau  de  l'animal,  soit,  plus  sou- 
vent, par  une  sonde  laryngienne, 
soit  mieux  encore  par  une  forte  ca- 
nule introduite  directement  dans  la 
trachée  de  l'animal  mise  à  nu  et 
ouverte  au-dessous  du  larynx.  Un 
tube  de  cao:;Lchouc  relie  la  canule 
trachéenne  à  la  tuyère  du  soufflet.  On 
pratique  à  ce  tube ,  avec  des  ciseaux, 
une  petite  incision  en  V  qui  permet  la 
sortie  de  l'air  insufflé,  c'est-à-dire 
l'expiration,  pendant  que  le  soufflet 
aspire  l'air  extérieur.  On  peut  à  la 
rigueur  se  dispenser  de  cette  inci- 
sion si  l'on  met  en  usage  un  soufflet 
muni  d'un  petit  appareil  spécial  : 
celui-ci  consiste  en  une  soupape 
(soupape  de  Marcel)  fermée  par  un 
ressort,  s'ouvrant  de  dedans  en  dehors,  dont  le  bouchon 
conique  (S',  flg.  63)  se  prolonge  à  l'intérieur  du  soufflet 
en  une  tige  assez  longue.  Les  deux  parois,  en  se  rap- 
prochant, poussent  cette  tige  et  ouvrent  la  soupape. 
C'est  ce  qui  se  produit  à  la  fin  de  l'insufflation  :  si  alors 


FiG.  03.  —  Soufflet  pour  la 
respiration  arlificielle. 

S,  soupape  pour  l'entrée  de 
l'air;  S',  soupape  pour  la 
sortie  de  l'air  en  excès. 
(On  peut  régler  le  mo- 
ment où  doit  s'ouvrir  cette 
soupape,  dite  soupape  de 
Marcel.) 


CL.  BERNARD.  —  PhjsioL  opér. 


15 


^56        APPAREILS  d'un  USAGE  GÉNÉRAL. 

on  continue  à  rapprocher  les  branches  du  souftlet,  la 
soupape  s'ouvre  et  l'élasticité  des  poumons  déplace  l'air, 
qui  s'échappe  ;  l'expiration  se  produit. 

Pour  que  les  mouvements  du  soufflet  se  produisent 
d'une  manière  rhythmique,  il  y  a  tout  avantage  à  rem- 
placer la  main  d'un  aide  par  une  machine  représentant 
une  source  régulière  et  suffisante  de  force  et  par  suite 
de  travail  mécanique.  On  peut  utiliser  à  cet  effet  la 
force  d'un  poids  qui  par  sa  chute  met  en  mouvement 
un  mécanisme  analogue  à  celui  d'une  horloge  ou  d'un 
tourne-broche  :  telle  est  la  machine  de  Schwann 
(fig.  64). 

L'appareil  de  Schwann  (fig.  64)  est  formé  par  un 
appareil  d'horlogerie  mis  en  mouvement  par  un  res- 
sort, La  figure  64  (n"*  i  et  2)  donne  tous  les  détails  de 
sa  construction  ;  quoique  un  peu  compliqué,  cet  appa- 
reil peut  être  décrit  comme  type. 

i°  L'appareil  moteur  se  compose  d'une  caisse  A 
(fig.  64,  n''  i)  renfermant  le  mécanisme  d'horlogerie; 
cette  caisse  est  en  laiton  ;  elle  a  un  diamètre  de  26,2  cen- 
timètres sur  17,5  de  profondeur.  La  coupe  horizontale 
(fig.  64,  n"  2)  donne  les  détails  de  son  contenu  (voyez 
l'explication  de  la  figure). 

2"  Le  soufflet  B  est  fixé  sur  la  planche  qui  supporte 
tout  l'appareil  et  communique,  par  un  excentrique,  avec 
l'axe  g  ;  mais  on  peut  le  placer  aussi  sur  l'axe  /,  si  l'on 
veut  avoir  un  mouvement  trois  fois  plus  lent.  Il  suffit, 
du  reste,  en  général,  de  régler  la  vitesse  par  le  volant 
n  —  (voyez  l'explication  de  la  figure).  On  règle  la  pro- 
fondeur de  la  respiration  par  l'excentrique  de  l'axe'//. 


'>i  ^  ^  s  '"^ 


FiG.  G4.  —  Appareil  ilu  Schwann  iio;ir  la  respiralioti  arlificicllo. 

1,  vue  générale  de  l'appareil  ;  2,  coupe  liorizonlale  de  la  caisse  A,  montrant  les  détails  du 
mécanisme  moteur  :  —  a,  barillet  du  ressort;  l'axe  du  ressort  traverse  d'un  côte  le  fond 

.  de  la  boîte  (en  m)  et  de  l'autre  côté  une  plaque  en  laiton  formant  la  moitié  d'un  dia- 
phragme (c),  au  milieu  de  la  caisse.  Ce  res-ort  agit  au  moyen  d'une  chaîne  articulé i' 
en  acier  (d),  sur  la  fusée  (6)  ;  celle-ci  communique  le  mouvement  à  son  axe  (e),  et 
successivement,  par  des  rouages  engrenés,  aux  autres  axes  f,  g,  h,i;  —  k  est  un  petit 
levier  servant  à  arrêter  le  mouvement  ;  l  est  un  appareil  pour  monter  le  ressort  par  la 
fusée  ;  m  sert  à  lui  donurr  la  tension.  —  Un  volant  In,  fig.  1)  est  appliqué  sur  le  dernier 
mobile  ((). 


228  APPARtiLS  d'un  usage  général. 

Un  tube  en  T  (C,  fig.  64,  n°  1)  renferme  les  deux 
soupapes  d'entrée  et  de  sortie.  L'air  entre  par  le  robi- 
net F.  Celui-ci  a  trois  ouvertures  :  une  antérieure  qui 
s'ouvre  librement  à  l'extérieur,  une  postérieure  garnie 
d'un  flacon  tubulé  pour  recevoir  du  chloroforme  sur  de 
l'étoupe,  et  une  troisième  traversant  l'axe  du  cône  du 
robinet,  ouverture  qui  conduit  l'air,  par  un  tuyau  en 
gomme  élastique,  dans  le  tube  C.  Le  cône  du  robinet 
est  traversé  d'avant  en  arrière,  de  manière  qu'on  peut 
aspirer  l'air  libre  ou  l'air  chloroformé. 

D  est  un  tube  en  argent  destiné  à  être  lié,  par  son 
bout  antérieur  ou  droit,  dans  la  trachée  de  l'animal  ; 
il  en  faut  donc  de  divers  calibres  ;  les  deux  extrémités 
postérieures  ou  gauches  (dans  la  figure)  communiquent 
par  de  longs  tubes  en  caoutchouc,  entre  lesquels  se 
trouve  la  tête  de  l'animal,  avec  le  tube  G  et  le  robinet  E  ; 
la  quatrième  ouverture  (la  verticale)  du  tube  mul- 
tiple D  sert  à  permettre  la  respiration  naturelle  de 
l'animal  avant  le  jeu  du  soufflet.  Le  robinet  E  sert  pour 
la  sortie  de  l'air  expiré.  On  l'ouvre  assez  pour  que  l'air 
vicié  soit  sorti  des  poumons  quand  le  nouvel  air  arrive. 

Cet  appareil  fonctionne  avec  régularité  pendant  en- 
viron un  quart  d'heure. 

Nous  nous  sommes  servis,  pendant  quelque  temps, 
au  laboratoire  du  Coflége  de  France,  d'un  appareil 
analogue  :  le  ressort  était  remplacé  |par  un  poids;  la 
chaîne  et  la  fusée  étaient  donc  superflues,  mais  il  fallait 
une  table-support  toute  particulière  et  une  installation 
gênante  pour  donner  une  course  suffisante  au  poids 
moteur. 


RIiSl'IRATIOX    ARTIFlClliLLE.  229 

L'insuffisance  de  sa  force  motrice  et  le  peu  déclarée 
de  son  mouvement  nous  l'ont  fait  bientôt  abandonner. 
Nous  préférons  faire  usage  de  la  pression  très  considé- 
rable de  l'eau  fournie  par  le  robinet  du  laboratoire  ; 
cette  pression  vient  agir,  comme  la  force  d'expansion 
de  la  vapeur  d'eau,  sur  une  petite  machine  qui  fonc- 
tionne exactement  comme  une  machine  à  vapeur.  Nous 
avons  ainsi  un  mouvement  de  force  suffisante  et  d'une 
durée  indéfinie,  de  telle  sorte  que  nous  ne  sommes  plus 
interrompus  dans  une  expérience  par  la  nécessité  de 
remonter  l'appareil. 

Les  laboratoires  d'Allemagne  ont  en  général  à  leur 
disposition  une  machine  à  vapeur  qui  leur  fournit  la 
force  motrice  nécessaire  pour  une  foule  de  travaux,  et 
entre  autres  pour  opérer  une  ou  plusieurs  respirations 
artificielles  à  la  fois. 

Appareils  divers.  —  Nous  terminerons  en  citant  seu- 
lement quehjues  appareils  et  quelques  réactifs  qui  sont 
d'un  usage  trop  général  pour  que  le  physiologiste  ne  les 
ait  pas  toujours  tout  prêts  sous  la  main. 

Telle  est  la  balance  qui  servira  à  peser  les  animaux 
mis  en  expérience.  A  une  époque  où  les  recherches 
tendent  à  se  faire  avec  tant  de  précision,  où  l'on  expé- 
rimente avec  des  doses  exactes  de  poisons  ou  de  médi- 
caments, où  l'on  rapporte  même  nombre  de  données, 
par  exemple  le  résidu  solide  de  certaines  excrétions, 
à  l'unité  de  poids  de  l'animal,  il  est  important  de 
trouver  immédiatement  dans  l'exposé  d'une  expérience 
des  renseignements  précis  sur  la  force,  la  taille,  les  con- 
ditions particulières  de  l'animal  ;  de  tous  ces  rensei- 


^280  APPAREILS    d'un    USAGE    GÉNÉRAL. 

gnemenls,  celui  qui  se  rapporte  au  poids  est  le  plus 
précieux.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  qu'il  faut 
noter  également  si  l'animal  est  à  jeun  ou  en  digestion. 
En  un  mot,  avant  tout,  après  avoir  fait  tous  ses  efforts 
pour  obtenir  une  grande  précision  dans  la  dose  des 
agents  chimiques ,  dans  la  force  des  agents  méca- 
niques, etc.,  que  Ton  applique  au  sujet  en  expérience, 
i!  faut  s'attacher  à  déterminer  avec  une  égale  précision 
toutes  les  conditions  que  présente  ce  sujet. 

Est-il  besoin  d'insister  sur  la  nécessité  d'avoir  tou- 
jours sous  la  main  les  réactifs  chimiques  les  plus  utiles 
en  physiologie?  N'a-t-on  pas  à  chaque  instant  à  recher- 
cher la  réaction  acide  ou  alcaline  d'un  liquide  ou  d'un 
tissu  (muscle,  par  exemple)?  Les  réactifs  qui  nous  décèlent 
la  présence  du  sucre  ne  sont  pas  moins  indispensables, 
car  on  sait  do  quelle  importance  est  la  recherche  de  ce 
principe  dans  le  sang  ou  dans  l'urine. 

Enfin,  le  microscope  doit  toujours  être  sous  la  main 
du  physiologiste,  et,  aujourd'hui  que  nous  portons  si 
attentivement  nos  recherches  sur  les  phénomènes  que 
présentent  les  éléments  anatomiques  eux-mêmes,  il  ne 
suffit  pas  du  microscope,  mais  il  faut  y  joindre  les  appa- 
reils qui  nous  permettent  d'étudier  avec  lui  les  éléments 
anatomiques  dans  leur  état  de  vie,  c'est-à-dire  le  plus 
souvent  dans  leur  état  de  mouvement  (cils  vibra- 
tiles,  etc.)  ;  nous  voulons  parler  des  chambres  chaudes 
et  chambres  humides  (fig.  65). 

Une  lame  de  verre  un  peu  grande  et  polie  {d)  porte 
l'objet  à  la  manière  ordinaire.  Un  anneau  en  verre 
également  poli  entoure,  à  une  certaine  distance,  l'objet, 


POMPE   A   MERCURt:.  "IM 

et  sou  bord  inférieur  [a)  repose  sur  la  lame  qui  sup- 
porte la  préparation.  On  attache  aussi  solidement  que 
possible  une  espèce  de  bourse  {b)  en  caoutchouc  très- 
mince  à  la  partie  supérieure  de  l'anneau.  L'ouverture 
de  cette  bourse  (c),   entourée  d'un  petit  cordon   en 


FiG.  05.  —  Chambre   Imiuiilo. 


caoutchouc,  contient  f'anueau  ou  le  tube  du  microscope. 
Pour  maintenir  saturé  d'humidité  l'intérieur  de  cette 
chambre  ainsi  isolée,  on  place  en  dedans  de  l'anneau  en 
verre  deux  bandelettes  de  moelle  de  sureau  ou  de  papier 
buvard  imprégnées  d'eau;  on  enveloppe,  en  outre, 
extérieurement  le  bord  inférieur  de  l'anneau  avec  des 
bourrelets  de  papier  buvard  préalablement  mouillés. 
Pompe  à  mercure.  —  La  pompe  ou  machine pneiima- 
ùque  à  mercure  est  un  appareil  d'un  usage  général 
pour  l'extraction  des  gaz  ;  elle  est  indispensable  pour 
toutes  les  recherches  sur  les  gaz  du  sang.  Cette  ma- 
chine est  construite  d'après  le  même  principe  que  le 
baromètre.  Elle  se  compose  en  effet  d'un  tube  de 
verre  (fig.  66)  d'environ  1  mètre  de  hauteur,  placé 
verticalement  contre  une  planche  ou  support;  le  tube 
se  continue  à  sa  partie  inférieure  avec  un  fort  tube  de 
caoutchouc  (I,  ûg.  ^i^),  lequel  aboutit  d'autre  part  au 


^235  APPAREILS    d'un    USAGE    GÉ.VÉRM.. 

fond  d'une  cuvelle  (B)  de  forme  sphérique  qui  s'ouvre  à 
l'air  libre.  Cette  cuvette  peut  être  élevée  ou  abaissée  à 
différents  niveaux  le  long  de  la  planche  qui  supporte 
le  tube  barométrique.  L'autre  extrémité  de  ce  tube 
(l'extrémité  supérieure)  présente  un  renflement  (A)  qui 
forme  une  chambre  barométrique  assez  considérable. 
Enfin  le  sommet  de  cette  chambre  barométrique  est 
muni  d'un  robinet  à  trois  voies  (D),  qui  permet  d'éta- 
blir en  ce  point  une  fermeture  complète,  ou  de  faire 
communiquer  la  chambre  barométrique  avec  un  tube 
horizontal  ou  avec  un  tube  vertical.  Ce  dernier  tube 
est  entouié  d'un  entonnoir  de  verre.  Cette  partie  de 
l'appareil  porte  une  petite  cuve  à  mercure  (R)  qui  sert 
à  recueillir  les  gaz  dégagés  par  le  vide  qu'on  a  pro- 
duit. A  la  partie  inférieure  du  tube  barométrique  on 
a  fixé  un  long  tube  de  caoutchouc  (I)  à  parois  épaisses, 
qui  s'attache  d'autre  part  à  la  partie  inférieure  de  la 
cuvette  B  pleine  de  mercure.  Ce  tube  de  caoutchouc 
rend  la  cuvette  mobile  et  permet  de  l'élever  jusqu'au 
niveau  de  la  cuve  R. 

Cette  courte  description,  que  complète  la  figure  66, 
suffit  pour  nous  faire  comprendre  la  manœuvre  de  cet 
appareil.  Supposons  la  cuvette  placée  à  un  niveau  infé- 
rieur et  remplie  de  mercure.  Si  on  élève  cette  cuvette, 
le  mercure  monte  dans  le  tube  barométrique,  et  si  le 
robinet  est  tourné  de  façon  à  permettre  à  l'air  de  s'é- 
chapper par  le  tube  vertical,  le  mercure  monte  jusqu'au 
niveau  oii  a  été  élevée  la  cuvette,  en  vertu  du  principe 
des  vases  communicants  ;  on  peut  ainsi  chasser  tout 
l'air,  et  si  alors  on  ferme  le  robinet  à  trois  voies,  on  se 


PCMPE    A   MERCURE.  233 

trouve  en  présence  d'un  véritable  baromètre,  c'est- 
à-dire  qu'en  abaissant  la  cuvette  on  produit  le  vide 


FlG    60   -    Pompe  à  luercurc. 


barométrique  dans  la  chambre  supérieure  du  tube.  Si 
alors  on  met,  par  le  jeu  du  robinet  à  trois  voies  et  par 


234  APPAREILS   d'un    USAGE    GÉNÉRAL. 

le  tube  horizontal,  la  chambre  barométrique  en  com- 
munication avec  un  ballon  contenant  le  liquide  dont  on 
veut  extraire  les  gaz,  il  est  évident  que  ces  gaz  seront 
aspirés  avec  une  grande  force  dans  la  chambre  baro- 
métrique. On  fermera  alors  le  robinet  à  trois  voies,  et, 
en  remontant  la  cuvette,  on  comprimera  fortement  dans 
cette  chambre  les  gaz  qui  y  ont  été  introduits;  mais  en 
tournant  le  robinet  de  manière  à  laisser  passer  ces  gaz 
par  le  tube  vertical  (E),  il  sera  facile  de  les  recueillir 
dans  une  éprouvelte  pleine  de  mercure  et  renversée  sur 
l'extrémité  de  ce  tube,  dans  l'entonnoir  (R)  également 
rempli  de  mercure.  En  renouvelant  un  certain  nombre 
de  fois  cette  série  de  manœuvres,  on  arrivera  bientôt  à 
extraire  tous  les  gaz  dissous  dans  le  liquide  en  ques- 
tion et  à  les  recueilhr  dans  l'éprouvette  disposée  à  cet 
effet. 

Appareil  enregistreur.  —  L'appareil  enregistreur 
(fig.  67)  se  compose  en  principe  d'une  surface  enduite 
de  noir  de  fumée  et  mue  d'un  mouvement  uniforme.  Un 
léger  levier  ou  style  écrivant,  qui  est  mis  en  mouvement 
par  Tacte  mécanique  que  l'on  veut  étudier  (contraction 
d'un  muscle,  pulsation  d'une  artère,  etc.),  vient  par  son 
extrémité  effilée  frôler  contre  cette  surface  et  y  laisser  un 
sillon  dont  les  élévations  et  les  abaissements  marquent 
les  différentes  phases  du  phénomène  enregistré. 

Marey,  qui  a  répandu  et  porté  à  un  si  haut  degré  de 
perfection  l'usage  de  la  méthode  graphique,  a  tracé 
l'histoire  des  premiers  essais  suivis  dans  cette  voie.  On 
s'est  successivement  servi  de  disques  tournants  ou  d'une 
l)laque  de  verre  qu'un  petit  chariot  faisait  cheminer  sur 


APPAREILS    ENREGISTREURS. 


^35 


une  voie  horizontale.  L'appareil  le  plus  usité  et  le  plus 
commode  est  le  cylindre  enregistreur  (AE,  fig.  67)  avec 
lequel  on  inscrit  des  courbes  sur  un  papier  de  façon  à 
pouvoir  conserver  ensuite  ces  tracés. 

Le  cylindre  enregistreur  est  un  cylindre  métallique 
monté  sur  un  appareil  d'horlogerie  muni  d'un  régula- 
teur Foucault.   Ce  cylindre  peut  recevoir  différentes 


Fig.  67.  —  Appareil  enrogislreuF. 
L'appareil  représente  ici  comme  type  est  disposé  de  manière  à  enregistrer  simultanément 

les  contractions  de  l'oreillette,  colles  du  ventricule,  et  enfin  le  choc  du  cceur. 
lo,  levier  traçant  les  mouvements  de  l'oreillette  ;  Iv,  levier  traçant  les  mouvements  du 
ventricule;  le,  levier  enregistrant  le  choc  du  cœur;  to,  tv,  te,  tubes  de  l'oreillette, 
du  ventricule,  du  choc. 


vitesses,  selon  l'axe  auquel  il  emprunte  son  mouvement. 
Dans  tous  les  cas  il  tourne  avec  une  uniformité  à  peu 
près  parfaite.  Dans  les  expériences  sur  la  circulation, 
par  exemple,  on  choisit  d'ordinaire  l'axe  qui  donne  un 
tour  par  minute. 


286  APPAREILS    d'un    usage    GÉMLRAL. 

Pour  préparer  le  cylindie  à  recevoir  le  graphique, 
on  l'entoure  d'une  feuille  de  papier  glacé,  sur  laquelle 
on  dépose  ensuite  une  couche  uniforme  de  noir  de 
fumée.  A  cet  effet,  on  place  l'appareil  de  telle  sorte  que 
le  cylindre  soit  horizontal,  puis  on  le  fait  tourner  tandis 
que  l'on  promène  au-dessous  de  lui  la  flamme  d'une 
bougie  fumeuse  ou  d'une  petite  lampe  à  huile.  Avec  un 
peu  d'habitude,  on  arrive  facilement  à  accomplir  cette 
opération  d'une  manière  régulière  et  sans  brûler  le 
papier;  la  conductibilité  du  métal  dont  est  fait  le  cy- 
lindre est  une  condition  qui  permet  en  effet  au  papier 
de  ne  pas  s'échauffer  assez  pour  se  carboniser.  Il  en 
résulte  que  le  moindre  frottement  détachera  le  noir  de 
fumée  et  laissera  à  nu  le  papier  blanc. 

On  place  alors  la  pointe  du  levier  en  contact  avec  la 
surface  du  cylindre  que  l'on  met  en  mouvement. 

Quant  au  levier,  il  est  fait  de  bois  léger  et  flexible; 
il  est  mis  en  mouvement  de  diverses  manières  :  soit 
directement  par  Tacte  mécanique  que  l'on  étudie,  soit 
indirectement.  Comme  exemple  du  premier  mode,  nous 
pouvons  citer  le  cas  où  l'on  étudie  le  raccourcissement, 
les  secousses,  d'un  muscle  qui  se  contracte  :  on  se  con- 
tente alors  de  rattacher  avec  un  fil  le  tendon  du  muscle 
à  un  point  du  levier  voisin  de  sa  base.  Dans  le  second 
cas,  on  transmet  le  mouvement  à  distance  au  moyen  de 
tubes  à  air  [ta,  tv,  te,  fig.  67).  Le  principe  de  cette  trans- 
mission est  fort  simple  :  «  Soit  (fig.  68)  deux  ampoules  de 
caoutchouc  A  et  B  pleines  d'air  et  reliées  entre  elles  par 
un  long  tube  de  caoutchouc.  Si  l'on  comprime  l'am- 
poule B ,  une  |)artie  de  l'air  qu'elle  renferme  est  expulsée 


APPAREILS    ENREGISTREURS.  537 

par  le  tube  et  passe  dans  l'ampoule  A  qui  se  gonfle.  Si 
la  pression  cesse,  l'air  repasse  en  B  et  l'ampoule  A  se 
dégonfle.  Admettons  que  l'ampoule  B  soit  introduite,  par 
exemple,  dans  un  ventricule  du  cœur,  et  que  l'ampoule  A 
soit  placée  sous  le  levier  écrivant  :  les  contractions  (sys- 
toles) de  la  poche  musculaire  cardiaque  seront  signalées 
par  l'élévation  du  levier,  et  les  repos  du  cœur,  les  dia- 
stoles, par  l'abaissement  du  môme  levier.  »  (Murey.) 


FiG.  68.  —  Tube  avec  ses  deux  ampoules. 

Des  deux  ampoules  A  et  B,  l'une,  celle  qui,  dans 
l'exemple  précédent,  était  introduite  dans  le  cœur,  peut 
recevoir  le  nom  d'ampoule  exploratrice  :  selon  la  diver- 
sité des  phénomènes  qu'elle  est  appelée  à  explorer,  cette 
ampoule  reçoit  diverses  dispositions  que  nous  signale- 
rons en  temps  et  lieu  ;  mais  l'autre  ampoule,  celle  qui 
doit  soulever  le  levier,  ou  ampoule   terminale ,  peut 


Tambour  à  levier. 


recevoir  une  disposition  définitive  et  constante ,  que 
Marey  a  réalisée  sous  la  forme  de  tambour  à  levier.  Cet 
appareil  est  constitué  «  par  une  caisse  métallique  plate  T 


238  APPAREILS    d'un    USAGE   GÉNÉRAL. 

(fig.  69)  que  ferme  supérieurement  une  membrane 
élastique.  Dans  la  caisse  s'ouvre  un  tube  qui  la  relie 
à  l'ampoule  initiale  (ou  exploratrice).  Un  disque  repose 
sur  la  membrane  et  supporte  une  arête  sur  laquelle  est 
posé  le  levier.  Chaque  fois  que  l'air  est  foulé  dans  la 
caisse,  la  membrane  se  soulève  et  communique  son 
mouvement  au  levier  /,  /,  dont  l'extrémité  p,  disposée 
en  plume,  écrit  sur  le  papier.  Toutes  les  pièces  de  ce 
petit  appareil  sont  mobiles  et  peuvent  être  déplacées  à 
l'aide  des  écrousou  vis  de  rappel  (E,  e,  r),  ce  qui  permet 
de  régler  à  volonté  l'amplitude  des  mouvements  du 
levier  ainsi  que  la  position  de  la  plume.  »  (Marey.) 

Ajoutons  enfln  que,  lorsqu'on  a  obtenu  sur  le  papier 
qui  recouvre  le  cylindre  un  tracé  ou  une  série  de  tracés, 
rien  n'est  plus  facile  que  de  conserver  indéfiniment  ces 
graphiques.  A  cet  effet,  on  détache  le  papier  et  on  le 
plonge  dans  une  cuvette  de  photographe  contenant  un 
bain  de  vernis  blanc  étendu  de  trois  fois  son  poids  d'al- 
cool. Le  papier  retiré  sèche  en  quelques  minutes  :  le 
graphique  esi  fixé  et  demeure  indélébile. 

Appareils  électriques.  —  Comme  sources  d'électricité, 
nous  employons  le  plus  ordinairement  des  piles  dont  le 
courant  vient  agir  dans  un  appareil  à  induction.  Ce  sont 
donc  les  courants  dinduction  qui  nous  servent  de  pré- 
férence. 

Les  piles  les  plus  utiles  dans  un  laboratoire  de  phy- 
siologie sontlay;e7e  de  Greaet  et  la  pile  au  bisulfate  de 
mercure  (qui  fait  partie  de  l'appareil  bien  connu  de 
Gaiffe). 

La  pile  de  Grenet  (fig.  70)  se  compose  d'un  grand 


APPAREILS    ÉLECTRIQUES.  239 

flacon  (B,  fig.  70)  rempli  d'une  dissolution  de  bichro- 
mate de  potasse  dans  Tacicie  sulfurique  et  dans  l'eau 
(100  d'eau,  5  de  bichromate  et  10  d'acide  sulfurique 
monohydraté).  On  ne  remplit  de  ce  liquide  que  la 
moitié  inférieure,  la  plus  large  du  flacon.  Du  couvercle 
du  flacon  partent  deux  lames 
de  charbon  de  cornue  qui  plon- 
gent dans  le  liquide  d'une  façon 
permanente.  D'autre  part,  une 
lame  de  zinc  amalgamé  est 
soutenue  par  une  tige  de  cuivre 
qui  traverse  le  couvercle  et 
peut  être  abaissée  ou  élevée 
à  volonté.  On  peut  donc  im- 
merger la  lame  de  zinc  seule- 
ment au  moment  où  l'on  veut 
que  la  pile  fonctionne.  Cet  ap- 
pareil a  l'avantage  de  ne  pas 
produire  de  vapeurs  nitreuses  et  de  pouvoir  suffire  pour 
un  grand  nombre  d'expériences;  mais  le  courant  qu'il 
fournit  est  loin  d'être  parfaitement  constant. 

L'appareil  d'induction  qui  nous  sert  habituellement 
est  celui  de  Du  Bois-Reymond  (fig.  71).  Il  n'y  a  pas  lieu 
de  nous  arrêter  ici  sur  la  disposition  que  présentent  dans 
cet  appareil  la  bobine  inductrice  (B)  et  la  bobine  in- 
duite (B').  Ce  sont  là  des  notions  que  vous  trouverez 
dans  tous  les  traités  de  physique.  Je  vous  ferai  seule- 
ment remarquer  que  la  bobine  induite  est  portée  par 
un  chariot  qu'on  peut  à  volonté  rapprocher  ou  éloigner 
de  la  bobine  inductrice,  en  le  faisant  glisser  dans  une 


Fig.  70.  —  Piln  de  GrciU't. 


240 


APPAREILS  D  UN  USAGE  GÉNÉRAL. 


coulisse  pratiquée  dans  l'épaisseur  de  la  planche  (H  H) 
qui  supporte  tout  l'appareil  ;  de  chaque  côté  de  la  cou- 


Fie.  71.  —  Apiiareil  volta-faraJiii.ni'  de  Du  Bois-Kryiiioml. 
\,  \',  bornes  deslinécs  à  recevoir  les  ti's  de  la  pile  et  en  coramiiiiiuatioii  avec  les  exlré- 
~  mités  du  circuit  inducteur;  B,  bobine  recouverte  du  lil  inducteur;  C,  faisceau  de  fil 
de  fer  remplissant  l'axe  évidé  de  la  bobine  H  ;  B',  bobine  recouverte  ilu  circuit 
induit;  D,  petilélectro-aimant  l'n  fer  à  cheval,  autour  duquel  est  enroulée  une  pai'tie 
du  ni  inducteur;  E,  marteau  du  tremblcur  de  Neef;  I,  borne  de  dériviition  placée  sur 
le  trajet  du  circuit  inducteur  et  permettant  avec  sa  congénère,  située  vis-.î-vis,  de 
recueillir  l'extra-courant  ;  v,  vis  dont  la  pointe  est  en  contact  avec  le  manche  du 
tremblcur  et  sert  h  fermer  le  circuit  inducteur,  en  même  temps  qu'elle  permet  de 
régler  la  rapidité  des  intermittences. 

lisse,  une  échelle  divisée  permet  de  mesurer  la  distance 
du  circuit  induit  au  circuit  inducteur,  c'est-à-dire  qu'elle 
permet,  dans  des  expériences  différentes,  d'agir  à  peu 
près  dans  les  mêmes  conditions  d'intensité  du  courant. 


TROISIÈME  PARTIE 

PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  DE   L'APPAREIL  CIRCULATOIRE  SANGUIN 

ET    LYMPHATIQUE.    —    SYSTÈME    CAPILLAIRE.    —    ABSORPTION    DES 

POISONS  COMME  MOYENS    D'ANALYSE  PHYSIOLOGIQUE. 


DOUZIÈME  LEÇOxX 

Sommaire  :  Physiologie  opératoire  de  Vappareil  de  la  circulation.  —  Topo- 
graphie générale  du  système  vasculaire  sanguin  et  lymphatique.  —  Dispo- 
sition des  gros  vaisseaux  chez  le  chien,  chez  le  lapin.  —  Divers  modes 
d'origine  des  branches  de  là  crosse  de  l'aorte.  —  Système  lymphatique.  — 
Anatomie  topographique  des  vaisseaux  du  cou  et  du  pli  de  l'aine  chez  le 
chien  et  le  lapin.  —  Manuel  opératoire  général  des  vivisections  portant 
sur  ces  vaisseaux.  —  Manuel  opératoire  des  injections  à  pratiquer  sur  ces 
vaisseaux. —  Injections  intra-artérieUes  et  intra-veineuses.  —  Importance 
de  l'étude  des  sangs  veineux.  —  Cathétérisme  du  cœur  et  des  gros  vais- 
seaux. —  Classification  des  phénomènes  de  la  vie  en  phénomènes  phy- 
siques, phénomènes  chimiques  et  phénomènes  dits  physiologiques.  — 
Valeur  de  cette  dernière  catégorie.  —  Problèmes  que  se  posent  la  physiologie 
et  la  pathologie  générales.  —  Importance  de  l'étude  du  sang  à  ce  point 
de  vue. 

Messieurs  , 

Nous  commencerons  par  l'appareil  circulatoire  Tétude 
des  opérations  spécialement  applicables  à  la  physiologie 
des  divers  systèmes.  Ce  choix  n'est  pas  indifférent.  Dans 
l'exposé  de  presque  toutes  les  sciences,  on  suit  un  ordre 
régulier  et  nécessaire,  imposé  par  la  nature  même  des 
choses,  et  c'est  ainsi  qu'en  chimie  on  commence  par  les 

CL.  BERNARD.  —  Phvsiol.  opér.  16 


^24*2  APPAREIL    CIRCLLATOIRE. 

corps  simples,  par  l'oxygène  qui  entre  dans  le  plus  grand 
nombre  des  combinaisons,  pour  étudier  ensuite  des  corps 
de  plus  en  plus  composés,  des  acides,  des  bases,  des 
sels.  Il  semblerait  peut-être  au  premier  abord  qu'il  n'en 
est  pas  de  même  de  la  physiologie  ;  que  les  fonctions 
de  l'organisme  s'enchaînent  les  unes  aux  autres  de  façon 
à  former  une  sorte  de  cercle  qu'il  faut  artificiellement 
briser  pour  commencer  l'étude  par  un  point  que  Ton 
pourrait  croire  indifférent.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi, 
ou  du  moins  il  ne  peut  plus  en  être  ainsi  dans  l'état 
actuel  de  nos  connaissances. 

Nous  avons  en  effet  aujourd'hui  la  notion  non-seule- 
ment des  organes  et  des  tissus,  mais  encore  celle  des 
éléments  anatomiques ,  et  nous  savons  que,  de  même 
que  l'organisme  entier  vit  dans  un  milieu  extérieur 
qui  est  l'air  ou  l'eau,  de  même  les  éléments  anato- 
miques vivent  dans  un  milieu  intérieur  qui  est  le  sang. 
La  physiologie ,  la  pathologie ,  la  thérapeutique  elle- 
même  sont  dominées  par  cette  notion.  C'est  dans  le 
sang  que  la  médecine  moderne  cherche  et  doit  chercher 
l'explication  de  la  plupart  des  phénomènes  qu'elle  ob- 
serve. 

C'est  donc  par  le  sang  que  nous  commencerons  le 
plus  légitimement  nos  recherches,  d'autant  plus  que 
cette  étude,  par  ses  divisions  naturelles,  nous  présentera 
comme  un  type  de  l'ordre  que  nous  devrons  suivre  à 
propos  de  tous  les  autres  systèmes. 

Nous  trouverons  en  effet  d'abord  dans  l'anatomie  les 
données  nécessaires  pour  localiser  les  phénomènes  que 
nous  avons  à  étudier  ;  puis  la  physique  et  la  chimie 


NOTIONS   ANATOMIQUES.  243 

nous  serviront  à  expliquer  ces  phénomènes,  tels  que 
les  différences  de  température  que  présente  le  sang 
d'une  région  à  une  autre,  ou  les  modifications  qu'il  subit 
dans  sa  composition  en  traversant  tel  ou  tel  viscère. 
Enfin,  l'histologie  nous  amènera  à  porter  ces  localisa- 
tions anatomiques  et  ces  explications  physico-chimiques 
jusque  sur  certains  éléments  même  du  sang,  jusqu'aux 
globules  rouges,  et  nous  trouverons  dans  l'hématine 
qui  les  compose  des  propriétés  qui  nous  ren(Jront 
compte  des  phénomènes  les  plus  intimes  de  l'absorp- 
tJon  de  l'oxygène  et  du  mécanisme  de  certaines  intoxi- 
cations. 

Nous  étudierons  donc,  parmi  les  opérations  qui  se 
pratiquent  sur  l'appareil  circulatoire,  celles  qui  sont 
mdiquées  par  les  dispositions  anatomiques  de  cet  appa- 
reil :  telles  sont  les  injections  intra- veineuses  ou  intra- 
artérielles;  telles  sont  les  applications  de  sondes  qui 
nous  permettent  d'aller  puiser  le  sang  à  te  ou  tel  niveau, 
et  de  déterminer,  par  un  cathétérisme  particuher,  la 
température  des  diverses  régions  de  l'arbre  artériel' ou 
veineux.  On  peut  établir  ainsi  une  sorte  de  climatologie 
du  milieu  dans  lequel  vivent  les  éléments  anatomiques. 
Les  notions  anatomiques  nous  seront  également  très- 
précieuses  pour  arriver,  par  le  cathétérisme,  jusqu'à 
l'organe  central  de  la  circulation,  jusqu'au  cœur. 

D'une  manière  toute  spéciale,  nous  traiterons  de  la 
circulation  capillaire,  des  circulations  locales,  ce  qui 
nous  amènera  à  nous  occuper  des  expériences  relatives 
à  rabsoiT)lion  en  général,  car  c'est  un  phénomène  qui  a 
son  siège  dans  le  réseau  capillaire  des  organes,  et  parti- 


244  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

ciilièrement  dans  le  tissu  cellulaire  qui  les  sépare  el  les 
unit  en  même  temps. 

TOPOGRAPHIE    GÉNÉRALE    DU     SYSTÈME    VASCULAIRE    SANGUIN 
ET    LYMPHATIQUE. 

Il  ne  peut  entrer  dans  notre  plan  de  donner  une 
description,  même  sommaire,  de  l'appareil  circula- 
toire. Nous  rappellerons  seulement  son  type  général, 
pour  nous  borner  ensuite  à  quelques  indications  spé- 
ciales sur  les  dispositions  particulières  qu'il  présente 
chez  les  animaux  qui  sont  le  plus  souvent  l'objet  de  nos 
vivisections. 

Rappelons  donc  que,  chez  l'homme,  le  ventricule 
droit  donne  naissance  à  un  gros  vaisseau  (aorte),  dont 
les  ramifications  (artères)  s'étendent  dans  toutes  les 
parties  du  corps  pour  y  porter  le  sang  rouge,  ou  sang 
artériel. 

Que,   d'autre  part,   l'oreillette   droite  reçoit  deux 
veines,  les  veines  caves^  qui  apportent  tout  le  sang  qui 
•iservi  à  la  nutrition  {sang  veineux  ou  sang  noir). 

Cet  ensemble  (artères  et  veines),  réuni  par  les  capil- 
laires généraux,  forme  ce  que  l'on  appelle  le  cercle  de 
la  grande  circulation  :  c'est  sur  ce  cercle,  généralement 
accessible  à  nos  investigations  directes,  que  portent  le 
plus  souvent  nos  expériences,  tant  sur  les  artères  que 
sur  les  veines  ou  les  capillaires. 

Mais  pour  aller  de  l'oreillette  droite  vers  le  ventricule 
gauche,  le  sang  parcourt  un  cercle  analogue  au  précé- 
dent :  car  il  est  formé  d'une  artère  (artère  pulmonaire) 


TOPOGRAPHIE  GÉNÉRALE.  245 

qui  le  conduit  vers  le  poumon,  d'un  système  de  caj3il- 
laires  (capillaires  pulmonaires)  qui  le  met  à  même  d'ac- 
complir ses  échanges  avec  l'air  extérieur,  et  enfin  d'un 
ensemble  de  veines  (veines  pulmonaires)  qui  le  rap- 
portent à  l'oreillette  et  par  suite  au  ventricule  gauche. 
Ce  second  cercle  est  moins  accessible  à  nos  moyens 
d'expérience  ;  mais  il  est  très-important  d'insister  ici 
sur  son  interposition  entre  les  veines  et  les  artères  du 
système  général,  car  nous  serons  ainsi  bien  fixés  sur  ce 
fait  capital  que  toute  substance,  introduite  dans  une 
veine,  va  passer  par  les  capillaires  pulmonaires  avant 
de  pénétrer  dans  le  sang  artériel,  dans  le  véritable  mi- 
lieu intérieur.  Nous  comprendrons  ainsi  que  si  cette 
substance  est  un  gaz,  elle  pourra  s'éliminer  au  niveau 
du  poumon,  et  par  suite  n'exercer  en  définitive  aucune 
action  sur  les  éléments  anatomiques,  puisqu'elle  ne  sera 
pas  parvenue  jusqu'à  eux. 

Les  modes  de  division  des  artères,  les  modes  de  con- 
vergence des  veines  sont  tout  à  fait  analogues  chez 
l'homme  et  chez  les  mammifères  sur  lesquels  portent 
nos  expériences.  Les  figures  72-73  et  78-79  montrent  la 
disposition  générale  des  gros  troncs  veineux  et  artériels 
chez  le  chien  et  chez  le  lapin.  Les  particularités  que 
présentent  ces  animaux  seront  indiquées  avec  soin  à 
propos  d'opérations  particulières  pour  lesquelles  leur 
connaissance  est  indispensable;  nous  nous  contenterons 
de  fixer  ici  quelques  notions  d'un  usage  plus  général, 
qui  ne  pourraient  trouver  place  à  propos  de  telle  ou 
telle  expérience,  et  qui  nous  permettront  enfin  d'é- 
tendre, avec  connaissance  de  cause,  nos  investigations 


LCvSiLLE  .oi-L.  c.yEnHonofm.ic 

l'iG.  75.  —  Disposition  de  l'ensemble  des  gros  vaisseaux 
chez  le  chien. 
G,  le  cœur;  I,  V,  veine  cave  inférieure;    c,  ;■,   vaisseaux  cruraux; 
b,  ft,  vaisseaux  axillaires  ;  J,  veine  jug^ulaire  (externe);  S,  veine  cave 
supérieure;   A,   crosse  de   l'aorte;  A',  aorte  abdominale;   R,  les 
rcuis  ;  C,  C,  arlèrcs  carotides  de  chaque  côte  de  la  trachée. 


FiG.  73.  —  Parties  centrale^ 
des  gros  troncs  artériels  el 
veineux  du  chien. 

0  et  V,  oreillette  et  ventri- 
cule droits  ;  V,  veine  cavi 
inférieure  ;  S ,  veine  cave 
supérieure  ;  Z,  grande  veine 
azygos  ;  m ,  veines  mam- 
maires ;  h,  veines  sous- 
clavières;  Jet  J',  jugulaire: 
externes  ;  0'  et  i"*,  oreil- 
lette et  ventricule  gauches  ; 
A,  crosse  de  l'aorte  ;  A' 
aorte  abdominale;  1,  sou? 
clavière  gauche  ;  2,  caro- 
tide gauche  ;  3,  carotide 
droite  ;  4,  sous-clavièie 
droite. 


TOPOGRAPHIE  GÉNÉRALE.  247 

sur  un  plus  grand  nombre  d'animaux  :  nous  voulons 
parler  de  la  disposition  des  gros  troncs  artériels  qui 
partent  de  la  crosse  de  l'aorte  pour  se  distribuer  aux 
membres  antérieurs,  au  cou  et  à  la  tête  (fig."^73).  Il 
était  nécessaire  de  rapprocher  les  descriptions  de  ces 
parties  chez  les  divers  animaux,  car  les  différents  types 
qu'elles  offrent  présentent  entre  eux  des  analogies  et  des 
transitions  faciles  à  saisir. 

Ainsi,  chez  quelques  animaux  peu  nombreux,  tels  que 
la  taupe  et  la  chauve-souris,  on  voit  se  détacher  de  la 
crosse  de  l'aorte  deux  troncs  brachio-céphaliques  symé- 
triques, qui  se  divisent  bientôt  symétriquement  en  sous- 
clavières  et  carotides  (fig.  74). 

c  (1. 


l-fi..  "1.  —    Tniîpp.  Cliaii\c-sotirij 


I'k,.  75.  —  lloniiiii-.  Ca  Im-. 


Chez  l'homme,  on  voit  le  tronc  brachio-céphalique 
droit  se  conserver;  mais  le  gauche  se  dédouble  de  telle 
sorte  que  la  sous-clavière  et  la  carotide  de  ce  côté 
naissent  isolément,  c'est-à-dire  directement,  de  l'aorte 
(fig.  75). 


248  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

Si  nous  examinons  les  mêmes  vaisseaux  sur  le  chat 
ou  le  chien  (fig.  76),  nous  trouvons  que  la  carotide 
gauche  est  venue  prendre  naissance  sur  le  tronc  brachio- 
céphalique  droit,  qui  devient  ainsi  générateur  de  trois 
grosses  artères,  tandis  que  la  sous-clavière  gauche  est 
seule  à  naître  directement  de  l'aorte. 

Enfin,  comme  dernier  terme  de  cette  tendance  à  la 
fusion  en  un  seul  tronc,  nous  trouvons  la  disposition 
que  représente  la  figure  77  et  qui  est  celle  du  cheval 


Cv      ,r' 


FlG.  "G.  —  Chien  et  Ciiat.  Porc.  FiG.  77.  —  Cheval.  Mouton  (1). 

et  du  mouton.  Ici  la  sous-clavière  gauche  elle-même 
naît  d'un  tronc  commun  à  toutes  les  artères  de  la  région 
antérieure  du  corps.  Ce  tronc  porte  le  nom  à' aorte  anté- 
rieure :  il  se  divise  en  deux  branches  qui  constituent 


(l)Daiis  toutes  ces  figures,  A,  A,  désigne  la  crosse  de  Taorte  ;  S,  la  sous- 
clavière  droite  ;  S',  la  sous-clavière  gauche  ;  G  et  C,  les  carotides  primitives 
droite  et  gauche;  B  ou  B,  B,  le  ou  les  troncsbrachio-céphaliques  ;  A",  raorte 
antérieure,  quand  elle  existe  (cheval). 


TOPOGRAPHIE  GÉNÉRALE.  249 

les  troncs  brachiaux  ou  artères  axillaires  :  le  tronc  bra- 
chial droit  est  un  peu  plus  fort  que  le  gauche,  parce 
qu'il  fournit  les  artères  de  la  tête.  Celles-ci  naissent,  en 
effet,  à  très-peu  de  distance  de  son  origine,  par  un  tronc 
commun,  le  tronc  céphalique^  qui,  vers  l'entrée  de  la 
poitrine,  se  bifurque  en  deux  carotides  primitives. 

Les  oiseaux  présentent  un  type  particulier  dans  la 
disposition  de  cet  appareil  aortique.  L'aorte,  presque 
aussitôt  après  sa  naissance,  se  divise  en  trois  grosses 
branches.  Celle  de  droite  se  recourbe  pour  former  la 
véritable  aorte  postérieure  ou  descendante  ;  la  branche 
moyenne  constitue  la  sous-clavière  droite  et  la  branche 
i^auche  la  sous-clavière  sfauche.  De  chacune  de  ces  deux 
sous-clavières  part  une  grosse  branche  qui  se  divise  plus 
tard  en  carotide  primitive  et  en  vertébrale.  Notons  encore 
que  les  axillaires,  comme  les  sous-clavières  auxquelles 
elles  succèdent,  présentent  chez  les  oiseaux  un  volume 
relativement  très-considérable,  disposition  en  rapport 
avec  le  développement  et  l'importance  des  membres 
thoraciques,  c'est-à-dire  des  ailes,  appareil  capital  pour 
la  locomotion  de  l'oiseau. 

Les  particularités  importantes  à  connaître  dans  la 
disposition  des  gros  troncs  veineux  seront  indiquées  à 
propos  de  l'étude  plus  spéciale  de  certaines  régions. 
Cependant  nous  devons  indiquer  en  deux  mots,  ren- 
voyant pour  plus  de  détails  aux  figures  72-73  et  78-79, 
la  disposition  des  gros  troncs  veineux  du  cœur  droit 
chez  le  chien  et  chez  le  lapin. 

Chez  le  chien  il  y  a  une  veine  cave  supérieure  et  une 
veine   cave  inférieure  ;  comme  chez  l'homme,  cette 


^50  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

dernière  résulte  de  la  confluence  de  deux  troncs  brachio- 
céphaliques. 

Chez  le  lapin,  au  contraire,  les  deux  troncs  bràchio- 
céphaliques  veineux  ne  se  réunissent  pas  en  une  veine 
cave  supérieure  unique,  ils  vont  seulement  s'aboucher 
simultanément  dans  l'oreillette  droite;  de  sorte  qu'on 
peut  dire  que  le  lapin  présente  deux  veines  caves  supé- 
rieures (fig.  78  et  79). 

Le  système  lymphatique  est  très-important,  non-seu- 
lement par  lui-même,  mais  par  ses  rapports  avec  le 
système  sanguin.  S'il  est  difficile  de  résoudre,  au  point 
de  vue  anatomique,  la  question  de  savoir  si  les  vais- 
seaux lymphatiques  communiquent,  à  leur  origine,  avec 
les  vaisseaux  sanguins,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'au 
point  de  vue  physiologique,  c'est-à-dire  au  point  de  vue 
de  la  pénétration  et  du  transport  des  substances,  les 
vaisseaux  lymphatiques  peuvent  être  considérés  comme 
faisant  suite  au  système  artériel,  aussi  bien  que  les  vais- 
seaux veineux.  Tout  porte  cependant  à  croire  que  ce 
passage  ne  se  fait  pas  directement,  mais  succède  à  une 
extravasation  de  la  partie  liquide  du  sang  dans  les  la- 
cunes interorganiques,  dans  lesquelles  ce  liquide  serait 
ensuite  pompé  par  les  radicules  lymphatiques. 

Chez  les  mammifères,  le  système  lymphatique  a  été 
divisé,  au  point  de  vue  physiologique,  en  deux  parties  : 
d'une  part,  les  vaisseaux  lymphatiques  généraux,  qui 
ramènent  vers  le  cœur  la  lymphe  des  diverses  parties 
du  corps;  d'autre  part,  les  lymphatiques  de  l'intestin 
grêle,  dont  le  contenu  est,  à  certaine  période  de  la  di- 


TOPOGRAPHIE  GÉNÉRALE.  251 

gestion,  formé  par  un  liquide  blanc  et  laiteux,  le  chyle  : 


l'iG.  'H. — Parlies  centrale; 
des  gros  troncs  artériels  cl 
veineux  du  lapin. 

U  et  V,  oreillette  et  ventri- 
cule droits  ;  I,  veine  cave 
inférieure  ;  S  ,  veine  cave 
supérieure  droite;  a,  grande 
veine  azygos  ;  i  et  i',  vei- 
nes jugulaires  droite  et 
gauche  :  cette  dernière, 
après  avoir  reçu  la  sous- 
clavicre  correspondante,  va 
se  jeter  directement  dans 
l'oreillette.  (  Il  y  a  donc 
deux  longs  troncs  bracliio- 
céphaliques  veineux,  et,  à 
proprement  parler,  pas  de 
veine  cave  supérieure.) 

A,  crosse  de  l'aorlc  ;  A', 
aorte  abdoniioale  ;  C  ,  C, 
rarotidcs  ;  b  ,  b',  artères 
sous-clavières. 


i.p.Kor.ci:eu.sc 


FiG.  79.  —  Disposition  de  ruiiseniblc  des  gros  troncs  arté- 
riels et  veineux  chez  le  lapin.  (Lettres  comme  dans  la 
ligure  72  ci-dessus,  page  246). 


d'où  le  nom  de  chylifères  ou  vaisseaux  lactés  Aowwék  ces 


^52  APPPAREIL    CIRCULATOIRE. 

canaux.  Or,  les  chylifères  n'existent  pas  chez  les  oiseaux, 
même  chez  ceux  qui  sont  exclusivement  carnassiers  ;  il 
en  est  de  même  pour  les  batraciens,  les  reptiles.  Nous 
tenons  à  rappeler  ces  faits  anatomiques,  et  nous  y  insis- 
tons, après  avoir  mis  en  œuvre  tous  les  moyens  possi- 
bles pour  faire  apparaître  dm  chylifères  chez  les  oi- 
seaux sans  jamais  y  réussir.  Nous  avions,  par  exemple, 
observé  que  deTéther  tenant  de  la  graisse  en  dissolution, 
et  injecté  dans  le  tube  digestif,  est  un  moyen  excellent 
de  faire  presque  instantanément  apparaître  des  chyli- 
fères pleins  de  leur  contenu  blanc  et  laiteux  caractéris- 
tique ;  or  ce  procédé,  qui  nous  a  toujours  réussi  chez  le 
chien,  le  chat,  et  même  chez  le  lapin,  ne  nous  a  jamais 
donné  aucun  résultat  chez  les  oiseaux. 

Il  est  encore  quelques  dispositions  particuhères  aux 
vertébrés  à  sang  froid  que  nous  devons  signaler  ici.  De 
même  que  chez  l'anguille  on  observe  un  cœur  acces- 
soire placé  sur  le  trajet  de  la  veine  caudale,  de  même 
chez  les  batraciens  on  trouve  de  nombreux  cœurs  lym- 
phatiques périphériques.  Chez  la  grenouille  il  en  existe 
deux  paires  :  l'une  est  située  dans  la  région  pelvienne 
dorsale,  de  chaque  côté  de  la  pointe  de  l'os  sacrum  ; 
l'autre  est  placée  vers  la  partie  dorsale  de  l'origine  des 
membres  antérieurs.  Ces  cœurs  accessoires  sont  très- 
intéressants  à  étudier  :  ce  sont  de  petites  cavités  con- 
tractiles, pourvues  de  fibres  musculaires  striées,  et  qui, 
grâce  aux  nombreux  éléments  élastiques  qu'elles  ren- 
ferment, agissent  alternativement  comme  pompe  aspi- 
rante et  foulante.  Ces  cœurs  battent  sans  aucune  espèce 
de  synchronisme  ni  entre  eux  ni  avec  le  cœur  sanguin, 


TOPOGRAPHIE  GÉNÉRALE.  253 

organe  principal  de  la  circulation.  Ils  ne  réagissent  pas 
de  la  même  manière  que  ce  dernier  aux  agents  toxiques: 
ainsi  le  curare,  qui  n'arrête  pas  le  cœur  sanguin  thora- 
cique,  paralyse  rapidement  les  cœurs  lymphatiques. 
Nous  reviendrons  ultérieurement  sur  ces  particularités 
dont  nous  ne  saurions  développer  ici  l'étude. 

Quant  à  l'appareil  lymphatique  des  mammifères  sur 
lesquels  portent  le  plus  souvent  nos  expériences,  il  rap- 
pelle, par  ses  dispositions  générales,  celui  de  l'homme. 
Un  canal  thoracique  et  une  grande  veine  lymphatique  en 
sont  les  deux  troncs  principaux.  Chez  le  chien,  le  ré- 
servoir de  Pecquet  est  considérable,  de  forme  ovoïde, 
et  remonte  jusque  entre  les  piliers  du  diaphragme.  Le 
canal  thoracique,  qui  lui  fait  suite  va  s'ouvrir,  dans  la 
sous-clavière  ou  à  l'extrémité  de  la  jugulaire  gauche, 
après  avoir  reçu  les  afférents  de  la  moitié  gauche  de  la 
tète  et  du  membre  thoracique  correspondant;  mais 
dans  ce  trajet,  et  surtout  vers  sa  terminaison,  il  se  di- 
vise souvent  en  plusieurs  branches,  qui  se  réunissent  de 
nouveau  :  ces  branches  s'anastomosent  plusieurs  fois 
entre  elles  de  manière  à  former  des  plexus.  Parfois  il 
vient  aboutir  au  système  veineux  par  des  insertions 
multiples  diversement  disposées. — Ces  irrégularités  dans 
l'insertion  du  canal  thoracique  sont  encore  plus  fré- 
quentes chez  le  bœuf  :  on  voit  souvent  chez  cet  animal 
le  canal,  simple  à  son  origine  et  dans  la  plus  grande  par- 
tie de  son  étendue,  se  bifurquer  dans  le  tiers  supérieur 
du  thorax;  de  ces  deux  branches,  l'une  passe  alors  à 
droite  de  l'œsophage  et  de  la  trachée,  tandis  que  l'autre 
se  porte  à  gauche  de  ces  parties,  en  suivant  la  direction 


254  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

ordinaire,  et,  à  l'entrée  du  thorax,  elles  se  terminent, 
soit  séparément,  chacune  dans  l'angle  de  réunion  de  la 
jugulaire  et  de  l'axillaire  correspondante,  soit  ensem- 
ble au  môme  point,  c'est-à-dire  au  golfe  des  deux  jugu- 
laires (Colin).  —  Le  canal  thoracique  présente  des  va- 
riétés du  même  genre  chez  le  cheval  et  chez  les  solipèdes 
en  général. 

La  grande  veine  lymphatique  reçoit  les  vaisseaux 
lymphatiques  de  la  moitié  droite  de  la  poitrine,  du 
membre  antérieur  droit,  et  de  la  moitié  droite  de  la  tète 
et  du  cou.  Ce  tronc  va  s'ouvrir  dans  la  sous-clavière 
droite  ;  quelquefois  une  ou  deux  des  branches  qui  con- 
courent à  le  former,  décrivent  des  circonvolutions  au- 
tour du  tronc  veineux  sous-clavier  avant  de  rejoindre 
les  autres.  Enfin,  chez  le  cheval,  il  n'est  pas  rare  de 
voir  ce  tronc  lymphatique  s'anastomoser  avec  le  canal 
thoracique  par  des  branches  collatérales  volumineuses,. 
puis  se  réunir  avec  lui,  de  telle  sorte  que  les  deux  vais- 
seaux s'insèrent  ensemble  par  un  orifice  simple  au- 
dessus  du  confluent  des  jugulaires  (Cohn). 

Vaisseaux  du  cou  et  du  pli  de  l'aine,  —  Opérations 
quon  y  pratique.  — Il  est  deux  régions  que  nous  devons 
plus  particulièrement  étudier  :  le  cou  et  le  pli  de  raine. 
C'est  là  en  effet  que  nous  agissons  le  plus  souvent  sur  les 
parties  périphériques  de  l'appareil  circulatoire,  soit 
pour  puiser  du  sang  dans  une  artère,  soit  pour  injecter 
un  poison  dans  une  artère  ou  dans  une  veine,  soit  enfin 
pour  apphquersur  ces  vaisseaux  les  divers  instruments 
que  la  physiologie  emprunte  à  la  physique  afin  de  déter- 
miner les  conditions  mécaniques  de  la  circulation. 


INJECTIONS    INTR A- VEINEUSES.  255 

Nous  nous  occuperons  ici  du  procédé  opératoire  né- 
cessaire pour  découvrir  des  vaisseaux,  pour  y  pratiquer 
des  injections,  et  plus  spécialement  des  injections  intra- 
veineuses. Nous  compléterons  donc  ainsi  l'étude  des 
moyens  les  plus  efficaces  d'introduction  de  substances 
étrangères  dans  l'organisme,  puisque  nous  avons  pré- 
cédemment étudié  les  injections  faites  sous  la  peau  ou 
dans  les  cavités  séreuses  (voy.  ci-dessus,  p.  215). 

L'injection  intra-veineuse  supprime  toute  question 
d'absorption  ;  par  cette  méthode,  nous  pénétrons  direc- 
tement dans  le  système  sanguin,  dans  le  milieu  inté- 
rieur, qui  va  aussitôt  porter  les  substances  actives  sur 
les  tissus,  c'est-à-dire  sur  les  éléments  anatomiques. 

L'injection  intra-veineuse  a  été  pratiquée  même  chez 
l'homme  :  Magendie  injecta  de  l'eau  dans  les  veines 
d'un  sujet  atteint  d'hydrophobie;  le  malade  fut  calmé, 
mais  n'en  succomba  pas  moins  bientôt  après.  Depuis 
lors  plusieurs  médecins,  et  entre  autres  Lorain,  ont  in- 
jecté de  l'eau  à  des  cholériques,  et  le  succès  a  couronné 
cette  tentative.  Lorain  a  réussi  en  faisant  cette  injection 
dans  la  dernière  période  du  choléra,  alors  que  le  cœur 
bat  à  vide,  les  veines  étant  pleines  d'un  sang  poisseux 
et  épais,  tandis  que  les  artères  ne  contiennent  plus  rien. 

Les  injections  intra-veineuses,  au  point  de  vue  des 
expériences  physiologiques,  se  font  dans  un  grand  nom- 
bre de  circonstances  :  elles  peuvent  du  reste  se  prati- 
quer dans  toutes  les  veines  des  animaux;  mais  on  choisit 
d'ordinaire  les  veines  les  plus  faciles  à  atteindre,  c'est- 
à-dire  les  veiîies  du  cou  et  les  veines  du  membre  posté- 
rieur. 


256  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

11  nous  faut  donc  donner  ici  quelques  rapides  indica- 
tions sur  la  disposition  anatomique  du  système  veineux, 


VLOKuRQKSH-SS 


l'"iG.  80.  —  Veines  du  cou  chez  le  chien. 
C,  cœur  (oreillette  droite)  ;  T,  T,  trachée  ;  A,  aorte  (la  crosse  de  l'aorte  est  vue  par  son 

bord  droit,  de  sorte  qu'on  n'aperçoit  pas  l'enserable  de  sa  courbe)  ;  S,  S,  artères  sous- 

clavières  ;  C,  C,  artères  carotides. 
V,  veine  cave  supe'ricure  ;    1,  1',  veines  sous-clavières  ;  2,  3,  et  2',  3,  veines  jugulaires 

externes  (en  dedans  desquelles  on  aperçoit  les  jugulaires  internes,   sous  forme  d'un 

vaisseau  très-grêle;  on  voit  notamment  la  jugulaire  interne  gauche  se  jeter  en  2  dans 

lu  jugulaire  externe). 

afin  de  bien  savoir  dans  quelles  conditions  nous  nous 
plaçons  en  agissant  sur  tel  ou  tel  vaisseau,  et  d'être  à 
même  de  retrouver  et  de  découvrir  en  toute  sûreté  le 
vaisseau  auquel  nous  voulons  nous  adresser. 
Chez  le  chien,  comme  chez  l'homme,  le  système  vei- 


INJECTIONS   INTRA-VELNEUSES.  257 

lieux  du  COU  se  compose  de  veines  superGcielles  et  de 
veines  profondes;  mais  ces  vaisseaux  présentent  chez  le 
chien,  quant  à  leur  volume,  une  disposition  inverse  : 
tandis  que  la  veine  profonde,  \^  juçjulaire  interne^  est 
la  plus  volumineuse  chez  l'homme,  c'est  la  jugulaire 


FiG.  81.  —  Cavité  crânienne  du  chien  ouverte  par  le  côté  droit  pour  montrer  la  disposi- 
tion dos  sinus  veineux  (a,  h,  c)  et  leur  coutluencc  vers  le  pressoir  d'Hcrophile,  en  c, 
au  niveau  duquel  doivent  être  faites  les  ouvertures  pour  puiser  le  sang  veineux  céré- 
bral, comme  le  montre  la  ligure  suivant:^. 

externe  qui,  chez  le  chien,  présente  le  volume  le  plus 
considérable,  l'interne  étant  réduite  à  un  mince  filet 
veineux  qui  accompagne  la  carotide.  Cette  différence 
s'explique  facilement  si  l'on  tient  compte  des  régions 
d'où  viennent  ces  vaisseaux.  Chez  le  chien,  la  face  est 
très-déve'.oppée  relativement  au  cerveau  :  de  là  la  pré- 
dominance de  la  veine  qui  résume  la  circulation  externe 
de  la  tête.  Le  volume  considérable  de  la  masse  encépha- 
lique, chez  l'homme,  nous  rend  compte  des  dimensions 

CL.  BEKNARD.  —  Plivsiol.  opér.  17 


258  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

de  la  veine  qui  en  ramène  presque  tout  le  sang,  des  di- 
mensions de- la  jugulaire  interne  qui,  chez  le  chien,  ne 
vient  pas  même  du  cerveau  et  ne  remonte  pas  plus 
loin  que  la  base  du  crâne.  Ce  fait  est  intéressant  à 
connaître  en  physiologie;  car  il  nous  montre  que  tout 
le  sang  veineux  des  organes  cérébraux  revient  au  cœur 
par  le  système  des  veines  rachidiennes  (fig.  81),  et  que 


C^CSSAT 


Fie.  82.  —  Instrumcnlation  et  manuel  opératoire  pour  puiser  le  san^  veineux  cérébral. 
a,  trocart  tenu  solidement  et  de  manière  à  en  diriger  sûrement  la  pointe  selon  une  ligne 
qui,  passant  par  la  protubérance  occipitale  externe,  irait  ressortir  un  peu  au-dessus  du 
niveau  des  deux  yeux  ;  b,  canule  mise  en  place,  et  par  laquelle  le  sang  s'écoule  dans  le 
vase  c.  Le  chien  est  ici  maintenu  ainsi  qu'il  a  été  indiqué  précédemment  ^page  223) 
pour  la  section  du  bulbe,  opération  dont  le  manuel  opératoire  est  très-analogue  à  celle 
dont  il  s'agit  ici. 


ce  serait  une  grande  erreur,  voulant  analyser  le  sang 
veineux  qui  a  baigné  la  masse  encéphalique,  que  de 
s'adresser  au  contenu  de  la  veine  jugulaire  interne. 
C'est  au  niveau  du  torcular,  ou  pressoir  d'Hérophile, 
qu'il  faudrait,  dansce  cas,  puiser  le  sang  (fig.  81  et  82). 


INJECTIONS    INTR A- VEINEUSES.  259 

Ainsi,  lorsque  nous  parlerons  de  la  jugulaire  du 
chien^  il  sera  bien  entendu  que  nous  parlons  de  la  ju- 
gulaire externe^  la  veine  d'élection  pour  les  injections 
faites  au  niveau  du  cou. 

Les  jugulaires  de  chaque  côté  viennent  se  réunir, 
comme  chez  l'homme,  pour  former  une  seule  veine 
cave  supérieure  (voy.  fig.  80),  qui,  chez  les  animaux, 
prend  plus  ordinairement  le  nom  de  veine  cave  anté- 
rieure. Telle  est  la  disposition  que  présentent  le  chien, 
le  cheval,  la  vache,  etc. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  chez  le  lapin^  ainsi  que 
je  vous  l'ai  déjà  indiqué  (fig.  78  et  79).  Ici  il  n'y  a  pas 
une,  mais  deux  veines  caves  antérieures  :  les  veines  des 
deux  moitiés  latérales  de  la  partie  antérieure  du  corps  ne 
se  fusionnant  pas  en  un  tronc  unique,  on  trouve  deux 
troncs  brachio-céphaliques  (fig.  78),  dont  le  droit  re- 
présente la  veine  cave  antérieure  des  autres  animaux, 
et  otfre  en  effet  la  même  disposition,  tandis  que  le 
gauche  présente  ceci  de  remarquable  qu'il  descend  à 
gauche  du  cœur,  contourne  sa  face  postérieure  pour 
venir  s'ouvrir  isolément  dans  l'oreillette.  Ainsi,  chez 
le  lapin,  si  l'on  injecte  deux  substances  différentes  dans 
chacune  des  jugulaires  droite  et  gauche,  ces  deux  sub- 
stances ne  se  trouveront  en  présence  l'une  de  l'autre 
qu'au  niveau  du  cœur. 

Pour  découvrir  la  jugulaire  externe  du  chien  (fig.  83) 
on  n'a  qu'à  inciser  la  peau  et  le  peaucier.  Cette  veine 
naît  par  deux  branches  principales  entre  lesquelles  se 
trouve  la  glande  sous-maxillaire  ;  elle  descend  ensuite  en 
croisant  très-obliquement  le  sterno-mastoïdien  :  on  pra- 


260  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

tique  donc  l'incision  sur  une  ligne  qui  de  l'angle  de  la 


FiG.  83.  —  Manuel  opôraloire  de  la  mise  à  nu  de  la  veine  jugulaire  exlerne. 
La  figure  placée  à  gauche  montre  un  chien  fixé  dans  la  gouttière  à  opération  :  le  trajet  et 
l'origine  de  la  jugulaire  externe  sont  indiqués  par  des  lignes  ponctuées.  —  La  figure  placée 
à  droite  montre  les  couches  successivement  divisées  pour  arriver  sur  la  veine  :  a,  peau; 
b,  lihrcs  du  muscle  peaucier  ;  c,  lamelles  de  tissu  cellulo-adipeux  ;  d,  la  vei  ne  jugulaire 
externe. 

mâchoire  descend  vers  le  milieu  de  l'espace  qui  sépare 


liNJECTION'S   INTRA-VEINEUSES.  561 

le  sternum  d'avec  l'articulation  de  l'épaule.  Il  suffit  sou- 
vent d'un  seul  coup  de  scalpel  pour  inciserions  les  tissus 
qui  se  séparent  de  la  veine,  mais  en  règle'  générale  il 
vaut  mieux  agir  avec  précaution  et  diviser  successivement 
toutes  les  couches  dont  la  figure  83  montre  la  superpo- 
sition, c'est-à-dire  la  peau  («),  le  muscle  peaussier  (b),  et 
une  légère  lamelle  de  tissu  cellulo-adipeux  (c).  Si  l'on 
veut  être  très-prudent,  on  peut  diviser  cette  dernière 
couche  avec  des  ciseaux,  après  l'avoir  soulevée  en  un 
pli  conique  à  l'aide  de  pinces,  comme  le  montre  la 
Ogure  84.  Dans  ce  cas  on  est  parfaitement  sûr  de  ne  pae 


k;.  81. —  Section  de    la  lamelle  de  tissu  cellulo-adipciix  qui  rccoiivre  le  vaisseau. 

léser  le  vaisseau  ;  c'est  là,  disons-le  une  fois  pour  toutes, 
une  précaution  qui  doit  surtout  être  observée  quand  on 
met  à  nu  une  artère. 

Quand  la  veine  jugulaire  est  mise  à  nu,  on  l'isole  du 
tissu  cellulaire,  et  l'on  passe  au-dessous  d'elle  un  double 


262  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

fil  (fiyj.  85)  :  le  fil  supérieur  sert  à  lier  la  partie  périphé- 
rique de  la  veine  afin  d 'empêcher  l'afflux  du  sang  ;  le  fil 
inférieur  sert  à  lier  la  veine  sur  la  canule  avec  laquelle 
on  pratique  l'injection.  A  cet  effet,  on  place  d'abord  sur 
la  partie  inférieure  de  la  veine  une  serre-fine  qui  fait 
ofûce  de  ligature  provisoire  et  empêche  l'introduction  de 
l'air. 

Les  figures  85  et  86  montrent  comment  s'accom- 


FiG.  85.  —  Isolcniont  l'u  vaisseau  et  passage  d'un  double  fil. 

(',  e,  érignes  écartant  les  deux  ilcvres  de  la  lamelle  cellulo-graisseuse  précédemment 
divisée  [a,  a)  ;  v,  vaisseau  ;  p,  pince  courbe  pour  passer  le  fil  f- 


plissent  ces  diverses  opérations.  Dans  la  figure  85,  une 
pince  courbe  esl  passée  sous  le  vaisseau  pendant  que  deux 
érignes  [c,  e)  maintiennent  écartées  leslèvres  de  l'incision 
de  l'aponévrose  (a,  a)  ;  une  pince  saisit  l'anse  de  fil  {[).  — 
Dans  la  figure  86  (n"  i),  le  fil  supérieur  a  été  lié,  et, 
tandis  que  la  veine  se  gonfle  dans  toute  la  partie  située 


INJECTIONS    INTRA-YEINEUSES.  263 

au-dessus  (en  il) ,  elle  s'est  afFaissée  dans  toute  la  partie 
au  dessous  (ene). 


11  s'agit  alors  de  pratiquer  l'injection  dans  cette  veine  ; 
on  y  introduit  à  cet  effet  une  canule.  Pour  cela  on  sou- 


264  APPAREIL    CIUCLLATOIKE. 

lève  sur  l'index  de  la  inain  gauche  la  porlion  de  veine 
qui  est  vide,  et  avec  de  fins  ciseaux  on  pratique  sur  la 
paroi  vasculaire  une  incision  oblique  (fig.  86,  n"  2). 
Introduisant  alors  dans  la  lumière  du  vaisseau  l'une  des 
pointes  des  ciseaux,  pointe  qui  est  boutonnée  précisément 
pour  pouvoir  être  introduite  sans  éraillure  des  tuniques 
vasculaires,  on  incise  de  nouveau  la  paroi  vasculaire 
parallèlement  à  l'axe  du  vaisseau  (fig.  86,  n°  2'.): 
il  en  résulte  une  incision  à  trois  branches,  ayant  la  forme 
d'un  fer  de  flèche  et  très-propre  à  laisser  pénétrer  avec 
facilité  l'extrémilé  d'une  canule,  comme  le  montre  le 
numéro  3  de  la  figure  86.  C'est  alors  que  l'anse  de  fil 
restée  libre  est  utilisée  {h,  h)  pour  fixer  fortement  en  i 
la  paroi  vasculaire  sur  la  canule  qui  y  est  engagée. 
Si  l'injection  était  faite  avec  une  petite  seringue  à  ca- 


rie. 87, —  Injection  intra-veineusc  avec  une  seringue  à  petite  canule  acére'e  (a). 

nule  acérée,  comme  celles  que  nous  avons  décrites  à 


INJECTIONS    INTRA-VEINEUSES.  265 

propos  des  injections  sous-cutanées  (p.  215),  on  pourrait 
simplifier  beaucoup  ces  diverses  opérations.  Alors,  après 
avoir  mis  la  veine  à  nu,  on  se  contente  de  la  comprimer 
en  un  point  avec  un  doigt  (le  médius  par  exemple,  fig.  87), 
afin  de  la  faire  se  gonfler  au-dessus  de  ce  point;  com- 
primant alors  avec  Tindex  un  peu  au-dessus  de  l'endroit 
où  est  appliqué  le  médius,  on  fait  saillir  une  portion  {a) 
de  vaisseau,  portion  très-gonflée  de  sang  et  dans  laquelle 
il  est  très-facile  d'introduire  pai-  ponction  directe  la  ca- 
nule acérée  (fig.  87). 

C'est  ainsi  que  l'on  peut  pratiquer  les  injections  les 
plus  variées,  sur  lesquelles  nous  aurons  à  nous  expliquer 
longuement  par  la  suite.  Si,  par  exemple,  nous  choisis- 
sons comme  expérience  type  une  injection  A'hydrogène 
sulfuré,  après  les  manœuvres  précédentes,  nous  injec- 
terons une  solution  de  gaz  avec  une  grande  lenteur  ; 
poussée  trop  vite,  une  injection,  ne  fût-elle  composée  que 
d'eau  pure,  pourrait  tuer  subitement  l'animal.  Si  la  len- 
teur de  l'injection  est  suffisante,  on  voit  à  peine  noircir 
le  papier  d'acétate  de  plomb  placé  sous  le  nez  de  l'animal 
au  contact  de  l'air  expiré  ;  si  l'on  pousse  un  peu  plus 
rapidement,  le  papier  noircit  très-vite  et  très-fort.  C'est 
que  l'hydrogène  sulfuré,  pénétrant  très-lentement,  est 
détruit  avant  d'arriver  au  poumon  ;  mais  s'il  pénètre 
en  plus  grande  abondance,  il  arrive  jus(|u'à  la  surface 
pulmonaire  où  il  est  exhalé  ;  enfin,  s'il  y  en  a  un  grand 
excès,  l'air  du  poumon  en  est  saturé,  l'animal  le  respire, 
et  il  meurt  cette  fois  empoisonné  par  ce  gaz,  ou  du  moins 
il  présente  dans  tous  les  cas  les  symptômes  de  Tempoi- 
sonnement.  Ainsi  cet  exemple  est  excellent  pour  montrer 


266  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

que,  dans  les  expéneuces  de  ce  genre,  tout,  même  la 
mort  de  l'animal,  dépend  de  la  vitesse  et  de  la  régularité 
avec  laquelle  est  pratiquée  l'injection. 

On  peut  aussi  expérimenter  en  injectant  dans  le  sang 
veineux  un  gaz  à  l'état  de  gaz  libre,  pourvu  que  ce  gaz 
soit  soluble  dans  le  sang:  ainsi  on  n'injectera  ni  de 
l'azote,  ni  de  l'air  ordinaire  ;  mais  on  pourra  injecter 
des  quantités  énormes  àlnjdrogène  sulfuré  ou  d'ack/e 
carbonique  à  l'état  de  gaz. 

Nous  avons  pris  comme  type  l'opération  pratiquée  sur 
la  veine  jugulaire  d'un  chien,  elle  se  fait  de  même  sur 
le  lapin.  La  figure  88  montre  que  chez  cet  animal  la 


Fie.  88.  —  Veine  jugulaire  du  lapin  :  tlireclion  de  l'incision  (o,  b)  par  laquelle 
'on  arrive  sur  cette  veine. 


direction  de  la  veine  est  la  même,  et  que,  par  suite, 
celle  de  l'incision  doit  être  semblable. 

Les  opérations  faites  sur  la  veine  jugulaire  doivent 
être  rapprochées  ici  de  celles  que  nous  faisons  sur  le 
vaisseau  artériel  du  cou^  sur  la  carotide.  Cette  artère  est 


INJECTIONS    INTR A-VEINEUSES.  267 

profondément  située  sur  les  côtés  de  la  trachée,  accom- 
pagnée par  le  pneumogastrique,  avec  lequel  le  grand 
sympathique  se  trouve  confondu  (chez  le  chien)  ;  nous 
avons  déjà  dit  que  sa  veine  satellite,  la  jugulaire  interne, 
est  très- petite. 

Les  carotides  naissent  de  la  crosse  de  l'aorte,  mais 
cette  origine  ne  présente  pas  chez  le  chien  les  mêmes 
dispositions  que  chez  l'homme.  Rappelons  que  chez  le 
chien,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  vu  page  248,  on  trouve 
à  droite  un  tronc  unique  pour  la  sous-clavière  droite, 
la  carotide  droite  et  la  carotide  gauche;  puis  à  gauche, 
un  tronc  isolé  qui  est  la  sous-clavière  gauche.  Cette  artère 
(la  carotide)  a  pour  direction  celle  d'une  ligne  qui  de 
l'angle  de  la  mâchoire  se  porterait  vers  la  partie  externe 
du  sternum.  Elle  forme  donc,  avec  la  direction  précé- 
demment indiquée  de  la  jugulaire  externe,  les  deux  côtés 
d'un  triangle  qui  aurait  pour  base  la  moitié  de  l'espace 
qui  sépare  le  sternum  de  l'articulation  de  l'épaule. 

On  peut  mettre  l'artère  à  nu  en  pratiquant  une  incision 
d'après  la  direction  que  nous  venons  d'indiquer;  mais  ce 
procédé  est  assez  délicat,  car  il  nous  force  de  contourner 
ou  de  couper  le  sterno-masloïdien  ;  il  est  aussi  très-peu 
avantageux,  car  il  ne  nous  donne  accès  que  sur  un  seul 
vaisseau,  sur  la  carotide  elle-même. 

Il  est  un  autre  procédé  d'incision  qui  nous  permet 
d'atteindre  à  la  fois  tous  les  organes  importants  du  cou, 
y  compris  la  carotide  :  il  consiste  à  couper  verticalement 
sur  la  ligne  médiane,  sur  le  raphé  du  cou,  en  prenant  la 
saillie  de  la  trachée  comme  guide.  Une  fois  la  trachée  à 
nu,  on  n'a  qu'à  détacher  le  tissu  cellulaire  qui  se  trouve 


568  AITAIUJL    CiRClLATOlUli. 

sur  ses  côtés,  et  Ton  arrive  aussitôt  sur  tous  les  organes 
importants  de  la  région  cervicale  antéro-latérale.  C'est 
ainsi  qu'on  nrrive  sur  la  carotide.  On  agit  alors  sur  ce 
vaisseau  à  peu  près  comme  sur  la  veine:  on  l'isole,  ou 
place  une  serre-fine  sur  sa  partie  centrale,  on  saisit  le 
vaisseau  sur  le  doigt,  on  l'incise  avec  des  ciseaux,  d'abord 
en  bec  de  flûte,  puis  parallèlement  à  l'axe  du  canal,  et 
enfin  on  y  introduit  un  petit  tube  ou  une  canule  sur 
laquelle  on  le  lie  avec  les  fils  préalablement  passés  au- 
dessous  de  lui. 

On  peut  alors  pratiquer  une  injection,  mais  le  plus 
souvent  l'opération  que  nous  venons  de  décrire  a  un 
autre  but  :  c'est  de  tirer  du  sang  que  l'on  veut  analyser; 
ou  plus  souvent  encore  d'étudier  certains  phénomènes 
mécaniques  de  la  circulation.  Ainsi,  par  l'incision  que 
nous  avons  pratiquée,  nous  pouvons  introduire  tous  les 
instruments  employés  pour  expérimenter  sur  la  pres- 
sion, sur  la  vitesse,  sur  les  pulsations  de  la  colonne  san- 
guine artérielle.  Quand  ces  expériences  sont  terminées, 
on  retire  les  instruments  et  l'on  fait  une  ligature  sur  le 
vaisseau. 

Nous  l'avons  dit,  on  préfère  généralement  les  veines 
aux  artères  pour  pratiquer  les  injections  vasculaires. 
Cependant  nous  savons  que  les  substances  injectées  n'a- 
gissent que  lorsqu'elles  sont  parvenues  dans  le  système 
artériel,  pour  être  portées  par  lui  vers  les  éléments 
anatomiques.  Il  n'est  donc,  en  somme,  rien  de  plus  ra- 
tionnel que  de  pratiquer  des  injections  dans  les  vaisseaux 
à  sang  rouge;  et  c'est  ce  que  l'on  iiiit,  en  effet,  dans 
certains  buts  spéciaux.  Ainsi,  nous  avons  déjà  dit  que  le 


INJECTIONS    INTRA-VEINELSES.  269 

prussiale  de  potasse  est  éliminé  par  les  reins  et  par  l'es- 
tomac, mais  peu  ou  pas  par  la  salive.  11  est  cependant 
à  supposer  qu'il  passerait  par  la  salive  si  Ton  en  injec- 
tait beaucoup  plus;  mais  on  ne  peut  forcer  la  dose  dans 
le  sang  veineux,  car  une  injection  de  plus  de  1  gramme 
tuerait  l'animal.  Est-ce  à  dire  que  nous  ne  puissions 
faire  arriver  une  grande  quantité  de  cette  substance  au 
niveau  de  la  glande  sans  empoisonner  tout  l'organisme? 
Nullement;  et  c'est  ce  que  nous  obtenons  précisément  en 
dirigeant  spécialement  l'injection  vers  un  département 
sansfuin,  vers  celui  de  la  2:lande  sous-maxillaire,  eu 
injectant  dans  l'artère  de  cette  glande  une  quantité 
de  prussiate  très-considérable  pour  cet  organe,  mais  re- 
lativement insignifiante  lorsqu'elle  est  répandue  dans 
tout  l'organisme. 

Nous  obtenons  les  mêmes  résultats  pour  le  curare. 
Certains  nerfs,  par  exemple  ceux  de  la  glande  sous- 
maxillaire  ,  résistent  fort  longtemps  à  l'action  de  ce 
poison  ;  mais  en  faisant  directement  l'injection  dans  les 
artères  de  cette  région,  nous  portons  une  dose  relative- 
ment énorme  de  curare  sur  les  parties  périphériques  de 
ces  nerfs,  et  nous  les  frappons  directement. 

Nous  voyons  donc  que  les  injections  dans  le  système 
artériel  sont  un  précieux  moyen  d'agir  dans  des  circon- 
stances particulières.  Il  va  sans  dire  que  dans  ce  cas  on 
pousse  toujours  l'injection  versla  périphérie.  Cependant, 
dans  des  circonstances  spéciales  et  sur  lesquelles  nous 
reviendrons  plus  tard,  on  pousse  même  l'injection  arté- 
rielle de  la  périphérie  au  centre.  Nous  ne  voulons 
indiquer  ici   que  les  grandes   précautions  qu'il  faut 


570  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

prendre,  dans  ces  cas,  de  pousser  l'injection  avec  lenteur, 
si  Ton  ne  veut  voir  l'animal  succomber  subitement  par 
apoplexie  du  cœur.  C'est  que  l'injection  trop  brusque  et 
trop  considérable  produit  un  reflux  qui  tient  les  valvules 
sio^moïdes  baissées,  et  amène  dans  les  artères  coronaires 
une  pression  qui  produit  des  ruptures  et  des  hémorrha- 
gies  au  milieu  des  fibres  musculaires  du  cœur. 

yaisseaux  du  pli  de  Vaine.  —  Les  vaisseaux  nous 
présentent,  au  pli  de  l'aine,  exactement  les  mêmes  dis- 
positions chez  l'homme  et  les  animaux.  Nous  ne  nous 
arrêterons  donc  pas  sur  l'anatomie  de  cette  région 
(voy.  fig.  89),  ni  sur  les  procédés  opératoires  employés 
pour  aller  à  la  recherche  des  vaisseaux.  On  pratique, 
comme  pour  le  cou,  une  incision  longitudinale;  on  dé- 
nude les  vaisseaux,  on  les  isole  avec  une  sonde  cannelée, 
et  Ton  passe  au-dessous  d'eux  une  double  anse  de  fil. 

On  peut  alors  pratiquer  sur  la  veine  crurale  les 
mêmes  injections  que  sur  la  jugulaire.  Ici  on  n'a  plus  à 
craindre  l'introduction  de  l'air  dans  les  veines.  Nous 
avons  ainsi  maintes  fois  injecté  diverses  substances  dans 
la  veine,  chez  des  animaux  immobilisés  par  le  curare, 
afin  de  pouvoir  placer  plus  commodément  des  canules 
dans  les  canaux  des  glandes  (sous -maxillaire,  rein, 
pancréas,  etc.)  au  niveau  desquelles  nous  voulions 
étudier  l'élimination  du  poison,  du  prussiate  de  potasse 
par  exemple.  Si  l'injection  de  ce  sel  est  trop  concentrée, 
l'animal  succombe  ;  mais  même  les  cas  de  ce  genre  sont 
très-instructifs.  Ils  nouspermettent  de  voir  que  le  sang 
jaillit  encore  de  l'artère,  quoique  le  cœur  soit  arrêté  : 
c'est  que  la  respiration  artificielle,  les  mouvements  du 


INJECTIONS    INTRA-VELNEUSES.  '271 

poumon,  entretiennent  encore  un  très-léger  degré  de 
circulation,  vu  les  compressions  et  les  dilatations  suc- 
cessives de  la  cage  thoracique.  Ils  nous  montrent,  de 


FiG.  89.  —  Pli  ^\e  l'aine  chez  le  chien. 

a,  veine  criu'alc  ;  b,  arlcre  crurale;  c,  nerf  crural;  tl,  peau  et  lèvres  de  l'incision, 
e,  apone'vrose  crurale  el  'gaine  des  vaisseaux  incisés  ;  f,  f,  muscles  adducteurs  ; 
fl,  le  couturier;  h,  h,  fil  passé  au-dessous  de  la  partie  supérieure  (centrale)  de  la 
veine  ;  h',  h',  fil  passé  au-dessous  de  sa  partie  périphérique. 

plus,  que  ce  sang  sortant  des  artères  est  encore  rouge, 
et  que  celui  des  veines  est  noir  ;  tandis  que,  en  général, 
chez  tous  les  animaux  qui  viennent  de  succomber,  le 
sang  est  noir  dans  tous  les  vaisseaux  et  dans  toutes  les 


275  APPAREIL    CIRCLL.STOIRK. 

cavités  du  cœur.  Ici,  au  contraire,  nous  trouvons  du  sang 
noir  dans  le  cœur  droit  et  du  rouge  dans  le  gauche. 
C'est  qu'ici  la  mort  est  arrivée  par  un  mécanisme  parti- 
culier, par  l'arrêt  du  cœur,  et  que  les  mouvements  du 
poumon  se  sont  continués  après  cet  arrêt.  Nous  avons 
autrefois  indiqué  cette  présence  d'un  sang  noir  dans  le 
cœur  droit  et  rouge  dans  le  cœur  gauche,  comme  le 
caractère  le  plus  frappant  de  la  mort  par  les  poisons  du 
cœur  ;  c'est  alors  le  cœur  qui  meurt  le  premier,  et  la 
respiration  continue  encore  quelques  instants. 

\J artère  crurale,  mise  à  nu  par  la  même  opération  que 
la  veine,  peut  nous  servir  à  des  expériences  analogues  à 
celles  dont  nous  avons  parlé  pour  la  carotide  :  on  peut 
y  puiser  du  sang  ou  y  diriger  des  injections  qui  seront 
poussées  vers  le  bout  périphérique.  Ces  injections  dans 
le  bout  périphérique  se  font  ici  plus  fréquemment  ;  elles 
ont  un  but  particulier:  c'est  de  faire  pénétrer  dans  l'ar- 
tère des  substances  solidifiables  ou  de  petits  corps 
(poudre  de  lycopode)  qui  iront  oblitérer  toutes  les  arté- 
rioles.  On  pourra  alors  étudier  parfaitement  quels  sont, 
sur  les  muscles,  sur  les  nerfs  du  membre,  les  effets  de 
la  suppression  complète  de  la  circulation  ;  une  ligature 
sur  le  tronc  principal  ne  donnerait  pas  une  suppression 
absolue  de  la  circulation,  qui  dans  ce  cas  se  rétablit  très- 
vite  ettrès-compléteraent  par  les  vaisseaux  collatéraux. 
On  peut  aussi  injecter  de  l'air  pour  obtenir  cet  effet  : 
l'oblitération  est  si  bien  effectuée  alors,  que  dans  des  cas 
semblables  Magendie  a  souvent  produit  la  gangrène  du 
membre;  mais  nous  avons  déjà  parlé  des  expériences 
récentesquiontmontré  que  parfois  l'air  peut  franchir  les 


SANG   VEINEUX.  273 

capillaires  et  arriver  sans  obstacle  jusque  dans  les  veines  ; 
il  passe  alors,  sans  doute,  par  les  capillaires  qui  ontleplus 
gros  calibre.  En  tout  cas,  l'air  n'est  pas  un  moyen  bien 
sûr  d'arrêter  la  circulation . 

Si  nous  considérons  d'une  manière  plus  générale  les 
expériences  que  nous  pouvons  entreprendre  sur  le  sys- 
tème vasculaire,  nous  voyons  qu'elles  sont  propres  à 
l'étude  des  phénomènes  physiques,  chimiques  et  phy- 
siologiques, dont  le  sang  est  le  siège.  L'étude  des p/ié- 
/lomèties  chimiques  est  destinée  à  nous  donner  une  con- 
naissance parfaite  du  sang.  Si  l'on  se  pénètre  bien  de  la 
difficulté  et  de  l'importance  de  cette  étude,  des  procédés 
qu'elle  exige,  on  verra  qu'elle  est  très-complexe  :  on 
verra  d'abord  qu'il  ne  faudrait  pas  dire  le  sang^  comme 
si  ce  liquide  était  toujours  le  même,  mais  les  sangs;  car, 
outre  que  l'on  confondait  autrefois  le  sang  artériel  et  le 
sang  veineux  que  nous  distinguons,  on  sait  de  plus  au- 
jourd'hui qu'il  faut  distinguer  tous  les  sangs  veineux  les 
uns  des  autres,  car  celui  qui  vient  du  rein  ne  ressemble 
à  celui  de  la  rate,  pas  plus  que  ce  dernier  ne  ressemble 
à  celui  du  foie. 

C'est doncle  sang  veineux  qui  nous  présente  le  plus 
grand  intérêt  au  point  de  vue  de  l'analyse  chimique,  et 
sa  composition  sera  le  principal  point  de  départ  de  toute 
étude  sur  les  phénomènes  qui  se  passent  dans  les  or- 
ganes qu'il  vient  de  traverser,  sur  les  fonctions  du  foie, 
de  la  rate,  etc.  A  ce  point  de  vue  le  sang  artériel  n'est 
que  le  sang  veineux  du  poumon,  et  nous  présente  le  ré- 
sultat de  l'acte  d'hématose  accompli  dans  ce  viscère.  — 
Il  faudra  donc  étudier  le  sang  qui  revient  de  tous  les 

CL.  BERNARD.  —  Phjsiol.  opér.  18 


^74  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

viscères,  car  nous  nous  trouverons  ainsi  souvent  en  face 
de  phénomènes  tout  à  fait  inattendus.  Qui  aurait  pu 
prévoir,  par  exemple,  (tue  le  sang  de  la  veine  rénale  ne 
contiendrait  pas  de  fibrine?  —  Et  non-seulement  il 
nous  faudra  étudier  le  sang  veineux  de  tous  les  organes, 
mais  il  nous  faudra  encore  l'étudier  aux  divers  mo- 
ments de  l'organe,  lors  de  son  activité  et  lors  de  son 
repos. 

Les  procédés  qui  nous  permettent  cette  élude  sont 
ceux  qui  nous  mettent  à  même  d'aller  prendre  le  sang 
qui  sort  des  organes,  soit  en  mettant  ceux-ci  à  nu,  soit 
en  pénétrant  dans  leurs  veines  par  un  vérital)le  culhé- 
térismc  :  ce  dernier  procédé  est  de  beaucoup  préférable, 
puisqu'il  ne  change  en  rien  les  conditions  ordinaires  des 
organes.  Il  faut  donc  arriver,  en  partant  du  cou  ou  du 
pli  de  l'aine,  à  aller  faire  le  cathétérisme  de  tout  le 
système  veineux.  Ce  sont  les  expériences  de  ce  genre 
que  nous  allons  passer  en  revue.  On  voit  qu'elles  s'a- 
dressent surtout  aux  parties  les  plus  internes  :  telles  sont 
les  expériences  qui  ont  pour  but  les  phénomènes  chi- 
miques. Nous  venons  que  celles  qui  s'adressent  aux 
phénomènes  physiques  et  mécaniques  portent  sur  des 
parties  bien  plus  superficielles  de  l'appareil  circula- 
toire. 

Indication  générale  des  opérations  qui  se  pratiquent 
mr  le  cœur.  —  Le  rôle  prépondérant  du  cœur  daitô  la 
circulation  a  porté  naturellement  sur  lui  les  efforts  des 
expérimentateurs.  On  a  cherché  à  le  voir  en  fonction  ; 
mais  la  chose  n'est  pas  facile  :  situé  dans  la  poitrine, 
entre  les  deux  poumons,  il  ne  peut  être  mis  à  nu  sans 


CATHÉTÉRISME    DU    COEUR.  ^275 

que  cette  opération  cause  immédiatement  la  mort,  si 
elle  n'est  faite  dans  des  circonstances  spéciales  et  sur 
des  sujets  particuliers.  Ainsi,  en  usant  de  la  respiration 
urtificielle,  des  commissions  de  savants  ont  pu  porter 
leur  examen  sur  le  cœur  à  découvert.  C'est  qu'il  s'agit 
en  effet,  avant  tout,  de  ne  pas  troubler  la  respiration  : 
chez  les  oiseaux,  la  chose  est  relativement  facile,  car  le 
rôle  des  poumons  et  celui  de  la  cavité  Ihoracique  ne 
sont  pas  tels  que  chez  les  mammifères,  et  l'on  peut  ou- 
vrir avec  moins  de  danger  cette  dernière;  mais  la  petite  ' 
taille  des  oiseaux,  la  petitesse  de  leur  cœur,  sont  au- 
tant de  conditions  qui  rendent  ces  expériences  peu  pro- 
fitables. 

On  a  donc  cherché  d'autres  procédés  pour  étudier  ce 
viscère  chez  les  mammifères;  ici,  comme  dans  presque 
toutes  les  recherches  de  ce  genre,  ces  procédés  sont 
calqués  sur  des  cas  accidentellement  produits.  C'est 
ainsi  que  la  fistule  gastrique  qui  était  restée  à  un  Ca- 
nadien après  une  blessure  produite  par  un  coup  de  feu, 
et  qui  fut  si  bien  étudiée  par  Williams  Beaumont,  adonné 
l'idée  des  fistules  gastriques  chez  les  animaux.  C'est 
précisément  ainsi  que  l'idée  de  mettre  le  cœur  à  nu  a 
été  inspirée,  entre  autres,  parles  observations  que  Hering 
a  pu  faire  sur  un  jeune  veau  qui  était  né  avec  une 
ectopie  du  cœur:  le  sternum  était  absent;  le  cœur,  dé- 
pourvu de  péricarde,  battait  à  nu  sous  une  mince  mem- 
brane transparente  qui  fermait  seule  à  ce  niveau  la 
cavité  pectorale ,  ou  plutôt  l'espace  médiastin  auté- 
lieur. 

On  a  donc  cherché  à  réaliser  artificiellement  des  cas 


;276  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

de  ce  genre.  A  cet  effet  on  ne  peut  pas  s'adresser  indif- 
féremment à  tous  les  animaux.  Ainsi  le  chien  est  très- 
peu  favorable  :  son  cœur  est  mobile  dans  la  poitrine  et 
très-difficile  à  atteindre;  de  plus,  il  n'y  a  pas  chez  lui 
de  véritable  cavité  médiaslhie,  de  sorte  qu'il  est  impos- 
sible de  mettre  le  cœur  à  nu  sans  ouvrir  les  cavités  pleu- 
rales. —  !l  n'en  est  pas  de  même  pour  le  lapin.  Ici  la 
cavité  médiastine  est  parfaitement  indépendante  :  on 
peut  donc,  en  enlevant  a^ec  soin  une  partie  du  sternum, 
en  liant  au  fur  et  à  mesure  les  artérioles  qui  donnent, 
on  peut  pénétrer  dans  cette  cavité ,  en  respectant  les 
deux  plèvres.  On  voit  alors,  à  travers  la  plèvre,  le  pou- 
mon s'avancer  en  se  dilatant  à  chaque  inspiration  ;  si 
l'on  coupe  les  pneumogastriques,  on  peut  assister  à  la 
production  de  l'emphysème  que  l'on  observe  dansées 
cas.  Mais  cette  fenêtre  permet  surtout  de  bien  observe/ 
le  cœur:  on  peut  voir  comment  fonctionnent  les  valvules 
sigmoïdes,  et  combien  sont  erronées  les  idées  théoriques 
que  l'on  se  forme  à  priori  à  ce  sujet.  On  voit  en  effet 
que  l'origine  de  l'aorte,  au  niveau  de  ces  valvules,  pré- 
sente trois  renflements  ou  sinus  ;  de  telle  sorte  que  les 
valvules,  lorsqu'elles  se  redressent,  ne  viennent  jamais 
s'accoler  exactement  aux  parois  artérielles  :  elles  ne 
peuvent  donc  pas  empêcher  à  ce  moment  (systole  ven- 
triculaire)  le  sang  de  pénétrer  dans  les  artères  coro- 
naires ou  cardiaques  qui  naissent  à  ce  niveau.  Si  l'on 
injecte  un  liquide  dans  l'artère  carotide  de  la  périphé- 
rie au  centre,  c'est-à-dire  vers  le  cœur,  on  voit  le  ven- 
tricule, impuissant  à  se  vider,  se  distendre  considé- 
rablement ;  en  même  temps  les  artères  coronaires  se 


CATUÉTÉRISME    DU    COEUR.  '^17 

confient,  et  la  pression  y  devient  si  forte  qu'il  s'y  pro- 
duit des  ruptures  et  des  hémorrhagies. 

Mais  le  point  de  vue  qui  nous  intéresse  le  plus  est 
l'étude  du  cœur  par  le  cathétérisme,  c'est-à-dire  par 
l'introduction,  dans  les  gros  vaisseaux,  de  sondes  que 
l'on  fait  pénétrer  jusque  vers  l'organe  central  de  la 
circulation.  Tout  le  monde  connaît  les  belles  expériences 
par  lesquelles  Chauveau  et  Marey  ont  pu  déterminer, 
en  introduisant  des  sondes  dans  les  oreillettes  et  les 
ventricules,  les  pressions  que  développent  ces  cavités 
lors  de  leur  contraction,  et  établir  avec  précision  le 
syncbronisme  de  ces  contractions.  Ce  sont  là  des  types 
d'opérations  de  cathétérisme  du  cœur. 

Cathétérisme  du  cœur.  —  Pour  arriver  au  cœur  nous 
avons  plusieurs  routes  :  d'abord  nous  pouvons  aller  dans 
le  cœur  droit  ou  dans  le  cœur  gauche. 

Il  est  très-facile  d'arriver  dans  le  cœur  droit  (fig.  90, 
.1,  K).  A  cet  effet,  on  fait  pénétrer  une  sonde  dans  la 
veine  jugulaire,  et  l'on  arrive  directement  au  cœur, 
puisque  la  veine  cave  supérieure  n'a  pas  de  valvule. 
Du  reste,  la  valvule  de  la  cave  inférieure  n'est  pas  un 
obstacle  sérieux,  et  en  poussant  un  peu  plus  loin  la 
sonde,  on  peut  aller  dans  la  veine  cave  inférieure. 

Il  est  plus  difficile  de  pénétrer  dans  le  cœur  gauche. 
On  s'adresse  à  cet  effet  à  la  carotide,  et  l'on  pénètre  par 
elle  jusqu'à  l'origine  de  l'aorte  ;  mais  ici  on  rencontre  les 
valvules  sigmoïdes  qui  ne  sont  jamais  complètement  ou- 
vertes, même  au  milieu  de  la  systole,  ainsi  que  nous  le 
disions  précédemment.  Il  faut  donc  quelques  tâtonne- 
ments et  un  hasard  favorable  pour  franchir  cet  obstacle 


^278 


APPAREIL   CIRCULATOIRE. 


l''iG.  90.  —   Ensemble  dos  voies  par  lesquelles  on  peut   pratiquer  le  calliéte'risme  du 

cœur  et  des  ffros  vaisseaux   (du  cou).   Le   thorax  du  chien   est  ouvert  pour  montrer 

le  cœur  et  les  vaisseaux.  V.  ventricule  droit;    0  D,  oreillette  droite;   D,  diaphragme; 

C  I,    veine  cave  inférieure;   K,    valvule  d'Eustache;    D  V    veine  cave    supérieure; 

J,   J,    les   veines  jug'ulaircs;    A  0,   aorte    :     en  1    sous-clavièrc  gauche;   2,   carotide 

gauche;  3.  carotide  droite;  T,  trachée. 
Cathétérisme  du  cœur  droit.    —  La  sonde,   introduite   dans  la  jugulaire  droite,  est 

représentée  par  un  double  trait  pointillé. 
CathétMsme  du  cœur  gauche.  —  La  sonde,  S  B,  inlrodiiile  dans  la  carotide  gauche  (C). 

suit  ce  vaisseau  (voy.  en  2)  jusque  dans  la  partie  ascendante  de  la  crosse  de  l'aorte, 

et  jnsque  dans  le  ventricule  gauche. 
Cathéicrisme  de  l'aorte.  —  -La  sonde,  S  A,  introduite  dans  la  carotide  droite  (C),  suit 

ce  vaisseau  (voy.  en  3)  jusque  dans  l'aorle  Ihoraciquc  et  abdominale  (AO,  A  0). 


CVIUÉTÉRISMli   Dl    COEUR.  279 

sans  le  déchirer.  Dans  ce  cas  il  faut  s'adresser  de  préfé- 
rence à  la  carotide  gauche  (6g.  90,  en  C  et  2),  et  cou- 
cher le  chien  du  côté  droit  (nous  avons  toujours  en 
vue  le  cathétérisme  du  cœur  sur  cet  animal). 

Nous  insisterons  surtout  sur  le  cathétérisme  du  cœur 
droit,  et  nous  prendrons  comme  type  de  procédé  opéra- 
toire l'exécution  de  cette  expérience  sur  le  chien.  Chez 
cet  animal  le  cœur  est  très-mobile.  Si  l'on  couche  le  chien 
sur  le  dos,  le  cœur  se  place  trop  en  arrière,  ou  plutôt  en 
bas  vers  la  colonne  vertébrale,  pour  qu'il  soit  facile  de 
l'atteindre  ;  il  faut  donc  coucher  l'animal  sur  le  flanc,  et  de 
préférence  sur  le  côté  gauche  (fig.  92).  On  introduit 
dans  la  jugulaire  une  bougie  ou  bien  une  s^nwh'  de 
plomb^  instiument  auquel 
on  peut  donner  la  courbure 
que  l'on  veut,  et  qui  ne 
déchire  jamais  les  vais- 
seaux. On  choisit  celte 
sonde  à  peu  près  du  calibre 
de  la  veine,  afin  qu'elle  y 
entre  à  frottement  doux,  et 
pour  éviter  encore  mieux 
les  pertes  de  sang,  on  serre 
très-légèrement  avec  une 
ligature  les  parois  de  la 
veine  sur  la  sonde.  On  pousse  alors  doucement  cet 
instrument  vers  le  cœur,  en  le  dirigeant  en  avant  et 
à  gauche,  de  façon  à  ne  pas  faire  fausse  route  dans  les 
veines  mammaires  ou  dans  l'azygos  (voy.  fig.  92). 
On  a  eu  soin  de  courber  légèrement  le  bec  de  la  sonde. 


FiG.  91. 


Mise  à  nu  de   la  veiii' 
jugulai  rc 


280  APPAREII.    CIRCULATOIRE. 

et  quand  on  arrive  au  niveau  du  cœur,  en  dirigeant  ce 
bec  en  dedans,  c'est-à-dire  vers  la  ligne  médiane,  on 
pénètre  aussitôt  dans  l'oreillette. 

Cathétmsme  des  gros  vaisseaux.  —  Il  est  important 


non-seulement  de  pénétrer  dans  le  cœur,  mais  encore 
d'aller  puiser  du  sang  dans  les  différents  points  des  gros 


CATHÉTÉRlSMli    DES    VAISSEAUX.  281 

troncs  artériels  et  veineux:  à  cet  effet,  il  est  peu  pratique 
d'ouvrir  l'aninial  pour  faire  directement  une  saignée  sur 
ces  points  de  l'arbre  circulatoire,  ce  procédé  trouble  trop 
l'organisme,  et  serait  du  reste  sans  valeur  pour  l'étude 
de  la  température  dans  les  divers  segments  de  l'appareil 
de  la  circulation.  Il  vaut  donc  infiniment  mieux  faire 
pénétrer  dans  cet  appareil  des  sondes  diverses,  de  nature 
variée,  selon  le  but  que  l'on  se  propose  (recherches  chi- 
miques ou  thermométriques),  et  parvenir  à  se  promener 
pour  ainsi  dire  et  à  stationner  avec  ces  appareils  dans 
tel  ou  tel  point  précis  de  la  cavité  vasculaire. 

Les  procédés  mis  en  pratique  à  cet  effet  dérivent 
directement  de  ceux  que  nous  venons  de  décrire  à  propos 
ducathétérismeducœur.  EnefFet,  on  introduit  la  sonde 
par  la  veine  jugulaire,  comme  pour  le  cathétérisme  de 
l'oreillette  droite  ;  au  lieu  de  tourner  le  bec  de  la  sonde 
en  dedans,  on  le  dirige  en  dehors  ou  directement  en  bas, 
et  l'on  pénètre  dans  la  veine  cave  inférieure.  Ce  trajet  est 
parfois  très-utile  à  parcourir  :  il  nous  permet  ainsi  de 
descendre  dans  la  veine  cave  inférieure  jusqu'au  niveau 
des  veines  rénales,  et  même  jusqu'au  niveau  des  iliaques. 
C'est  ainsi  que  nous  parvenons  à  nous  procurer  le  sang 
veineux  qui  sortdes  organescorrespondants,  et  nousavons 
déjà  dit  combien  étaient  précieuses  les  recherches  de  ce 
genre.  On  peut  aussi  remplacer  la  sonde  par  des  aiguilles 
thernio  électriques,  et  aller  ainsi  prendre  la  tempéra- 
ture du  sang  sur  les  divers  points  du  tronc  veineux, 
au  niveau  de  l'abouchement  des  principales  veines 
viscérales  (voy.  fîg.  93). 

On  peut  encore,  pour  opérer  ces  divers  cathétérismes, 


^8"2  APPAKLIL    CIRCULATOIRE. 

prendre  une  voie  directement  inverse,  c'est-à-dire  re- 
monter de  bas  en  haut  ou  d'arrière  en  avant  des  veines 
iliaques  dans  la  veine  cave  inférieure,  et  de  là  dans  le 


cœur  et  même  dans  la  veine  cave  supérieure,  jusqu'au 
niveau  des  veines  jugulaires,  où  l'on  peut  sentir  le  bec 
de  la  sonde  venir  faire  saillie.  Â  cet  effet,  on  pénètre  par 


CATHÉTÉRISME    DliS    VAISSEAUX.  283 

a   veine  crurale  droite  (fig.  94)  ou  gauche.  On  s'a- 


FlC.  94.  —  Catliétérismc  simiilUiné  dos  gros  vaisseaux  ai-ti;i-iels  el  voincux  (vciiio 
caves  el  aorlej,  par  la  veine  et  l'arlèrc  crurale  droite,  au  moyen  de  sondes  ren- 
fermant de  longues  aiguilles  therino-électriques.  —  Disposiiions  générales  de  l'expé- 
rience—A  gauche  de  l'animal  fixé  dans  la  gouttière  sont  représentés  le  commutateur 
électrique  et  le  galvanomètre,  dont  les  déviations  indiquent  les  dilTércnces  de  tem- 
pérature des  milieux  (sang  artériel  el  sang  veineux)  dans  lesquels  sont  plongées  les 
deux  sondes  tliermo-électriques. 

dresse  en  général  de  préférence  à  la  veine  crurale 


*284  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

gauche,  de  manière  qu'en  suivant  l'iliaque  on  arrive 
clans  la  veine  cave  inférieure  sans  avoir  de  courbure 
trop  prononcée  à  décrire.  Arrivé  dans  la  veine  cave,  on 
peut  pousser  la  sonde  plus  ou  moins  loin,  et  puiser  du 
sang,  par  exemple,  au-dessus  ou  au-dessous  de  la  veine 
rénale,  de  façon  à  constater  les  différences  du  sang  vei- 
neux avant  et  après  l'abouchement  de  ces  veines.  —  On 
peut  enfin  pousser  jusque  vers  le  cœur.  —  Dans  cette 
opération  du  cathétérisme  des  veines  caves  de  bas  en 
liant,  on  est  souvent  arrêté  dans  les  ampoules  placées 
sur  la  cave  inférieure,  au  niveau  de  l'abouchement  des 
sus-hépatiques.  Mais  comme  ces  ampoules  sont  situées 
sur  la  paroi  gauche  de  la  veine,  on  les  évite  plus  sûre- 
ment en  pénétrant  dans  le  système  veineux  par  la  veine 
crurale  du  côté  gauche. 

Au  contraire,  lorsqu'on  veut  pénétrer  par  en  bas 
(artère  crurale)  dans  le  tronc  artériel  (aorte),  il  est  pré- 
férable de  s'adresser  à  l'artère  crurale  droite  (fig.  9-2). 
Il  est  facile  de  comprendre,  d'après  la  disposition  géné- 
rale des  vaisseaux,  que  la  sonde  pénétrant  par  ce  C(jté 
a  une  courbure  moins  prononcée  à  décrire  pour  arriver 
dans  l'aorte  et  la  parcourir. 

Xous  avons  donc  deux  voies  pour  arriver  jusqu'au 
cœur  et  pour  tirer  du  sang  des  oreillettes.  Quand  la 
sonde  est  arrivée  dans  le  cœur  droit,  et  que  l'on  ouvre 
son  extrémité  libre,  le  sang  jaillit  avec  pulsations  sous 
l'influence  des  contractions  cardiaques.  Si  la  sonde  a  été 
introduite  par  la  jugulaire,  elle  jouit  de  plus  de  liberté 
de  mouvement,  et  on  la  voit,  dès  qu'on  est  arrivé  dans 
le  cœur,  battrecomme  raiguille-munied'un  petit  drapeau 


CATHÉTÉRISME    DES    VAISSEAUX.  285 

que  l'on  enfonce  souvent  à  travers  les  parois  thoraciques 
jusque  dans  le  cœur  pour  en  montrer  les  battements. 
Mais  à  mesure  que  Ton  tire  du  sang  du  cœur,  on  voit 


FiG.  '^5.  —  Embouchures  des  veines  caves  dans  le  tuiiir. 
(Lettre»  comme  dans  les  figures  90  et  92.) 

celui-ci  précipiter  ses  battements;  c'est  que  le  cœur  a  le 
sentiment  qu'il  se  vide,  et  nous  connaissons  parfaite- 
ment aujourd'hui  les  nerfs  sensibles  du  cœur. 

En  somme,  toutes  les  expériences  que  nous  venons 
d'étudier  sur  l'arbre  circulatoire  sont  essentiellement 
propres  à  fixer  nos  notions  topographiques  sur  la  dis- 
position de  cet  arbre.  Nous  avons  appris  à  le  parcourir 
dans  tous  les  sens;  à  y  injecter  des  substances  de  façon 
à  les  répandre  dans  tout  l'organisme ,  ou  à  les  faire 
parvenir  plus  particulièrement  dans  tel  ou  tel  départe- 


•286  APPAREIL   CIRCULATOIRK. 

ment.  Nous  avons  appris  à  aller,  par  contre,  puiser  le 
sang  veineux  au  niveau  de  tel  organe,  ou  à  prendre  le 
sansj  veineux  scénéral  au  niveau  du  cœur  droit.  Mais  ces 
expériences  sont  loin  de  nous  suffire  ;  elles  ne  donne- 
raient qu'une  faible  idée  de  ce  que  l'on  peut  entrepren- 
dre sur  le  système  circulatoire.  Nous  ne  saurions  ce- 
pendant, pour  le  moment,  entrer  dans  le  détail  de  ces 
nombreux  procédés  expérimentaux,  souvent  d'une  im- 
portance secondaire.  En  étudiant  l'état  du  sang  au  point 
de  vue  de  sa  teneur  en  sucre  (1)  ;  en  étudiant,  à  propos 
de  la  chaleur  animale,  la  températuredu  sang  desdiverses 
veines  et  artères,  nous  avons  donné  des  expériences 
qui  montreront  combien,  dans  certaines  limites,  nous 
savons  nous  rendre  maîtres  des  phénomènes  qui  se  pas- 
sent dans  les  corps  vivants,  pour  diriger  sur  eux  nos 
investigations,  connue  nous  le  faisons  en  physique  et  en 
chimie  à  l'égard  des  corps  minéraux  et  des  phénomènes 
auxquels  ils  donnent  lieu. 

Tous  les  phénomènes  de  la  vie  peuvent  se  grouper 
sous  trois  chefs  :  les  phénomènes  physiques,  les  phéno- 
mènes chimiques,  et  enfin  ceux  que  nous  nppelons /;/zé- 
nomènes  physiologiques.  Mais  il  ne  faut  pas  nous  trom- 
per sur  la  valeur  de  ce  mot  :  il  ne  fait  en  réalité  que 
cacher  notre  ignorance,  et  nous  sommes  persuadé  que 
petit  à  petit  on  parviendra  à  faire  rentrer  les  phéno- 
mènes dits  physiologiques  (ou  vitaux)  dans  la  classe  des 
j)hénomènes  physiques  ou  des  phénomènes  chimiques. 

(I)  Voy.  Le  diabète  et  la  glijcogenèse.  Paris,  1877,  p.   134. 


CONTRACTILITÉ    DES    VAISSEAUX.  ^1X7 

Quoi  qu'il  en  soit,  iguorant  les  pliéiiomènes  physiologi- 
([ues  quant  à  leur  essence,  nous  devons  nous  attacher 
d'autant  plus  à  les  étudier  dans  leurs  manifestations. 

C'est  pour  répondre  d'une  manière  précise  aux  plus 
importantes  des  questions  qui  se  posent  relativement  à 
ces  divers  ordres  de  phénomènes,  que  nous  allons  es- 
sayer de  poser  quelques  expériences  types,  notamment 
sur  la  circulation  capillaire  et  sur  les  poisons. 

Il  est,  par  exemple,  à  propos  de  l'appareil  circula- 
toire, une  question  capitale  et  longtemps  controversée  : 
on  sait  que  le  cœur  se  contracte  et  préside  ainsi  à  la 
circulation;  mais  qu'en  est-il  des  vaisseaux?  sont-ils  de 
purs  tuyaux  remplissant  le  rôle  uniquement  mécanique 
de  conduits,  ou  bien  jouissent-  ils  aussi  de  la  propriété 
fie  modifier  leur  calibre,  de  se  contracter  et  de  réagir 
ainsi  sur  leur  contenu?  On  a  bien  longtemps  discuté 
cette  question  ;  chacun  apportait  des  arguments  et  non 
des  démonstrations,  et  l'opinion  des  physiologistes  oscil- 
lait tous  les  jours  vers  les  argumentations  les  plus  liril- 
lantes  qui  se  produisaient.  Magendie  et  Poiseuille  ne 
voyaient  dans  les  vaisseaux  que  de  simples  tubes  iden- 
tiques à  ceux  dont  on  ferait  usage  dans  un  appareil  de 
physique.  Mais  aujourd'hui  nous  avons  une  expérience 
qui  tranche  la  question,  et  ne  permettra  plus  désormais 
aucune  discussion  à  ce  sujet.  Nous  voulons  parler  de  la 
section  du  grand  sympathique. 

Vous  savez  en  effet  que  si  l'on  prend  un  lapin,  que 
l'on  découvre  le  cordon  cervical  du  sympathique  et 
4lu"on  le  sectionne,  on  voit  immédialement  se  dilater  les 
vaisseaux  de  l'oreille  du  môme  coté  :  cette  hypeihénn'e 


HSS  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

est  accompagnée  d'une  augmentation  très-sensible  de 
température  :  en  même  temps  on  voit  que  les  petits  vais- 
seaux sont  tellement  dilatés,  que  le  sang  passe  dans  les 
veines  en  conservant  la  couleur  du  sang  artériel.  —  Si 
maintenant  nous  prenons  le  bout  périphérique  de  ce 
sympathique  sectionné  et  que  nous  le  galvanisions, 
nous  voyons  aussitôt  les  vaisseaux  diminuer  de  volume, 
loreille  pâlir,  la  température  diminuer.  Si  l'on  coupe 
le  bout  de  l'oreille  du  lapin,  le  sang  coule  par  gouttes 
nombreuses  après  la  section  du  sympathique  ;  dès  que 
l'on  galvanise  le  filet  nerveux,  les  gouttes  deviennent 
plus  rares  et  l'hémorrhagie  finit  même  par  s'arrêter 
complètement.  H  y  a  donc  des  nerfs  qui  président  au 
resserrement  et  à  la  dilatation  des  parois  vasculaires; 
il  y  a  des  vaso-moteurs  :  les  parois  des  artères  sont  con- 
tractiles. 

Mais  c'est  surtout  l'élude  de  la  circulation  capillaire 
qui  nous  amènera  à  discuter  les  questions  les  plus  essen- 
tielles, celles  qui  ont  trait  au  problème  intime  de  la 
physiologie  générale,  à  la  vie  des  tissus  et  des  éléments 
anatomiques. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  de  même  que  la  chimie  ne 
s'arrête  pas  à  préciser  les  propriétés  d'un  corps  plus  ou 
moins  complexe,  et  qu'elle  décompose  ce  corps  en  ses 
éléments  ou  corps  simples,  de  même  la  physiologie  ne 
s'arrête  pas  aux  propriétés  des  organes  ou  des  tissus  ; 
elle  pousse  plus  loin  l'analyse  physiologique  et  descend 
dans  la  profondeur  des  tissus  jusqu'à  Y  élément  anato- 
mique.  De  plus,  chose  très-importante,  ell-?  étudie  cet 
élément  non-seulement  à  l'état  achevé,  parfait,  adulte, 


EMPLOI    DES    POISONS.  289 

si  nous  pouvons  ainsi  nous  exprimer,  mais  elle  veut  en- 
core en  connaître  l'évolution.  Pour  ne  citer  qu'un  exem- 
ple de  l'importance  de  ce  dernier  point  de  vue,  je  vous 
rappellerai  que  la  connaissance  plus  précise  de  l'évolution 
des  éléments  anatomiques  a  permis  d'abandonner  en 
pathologie  la  théorie  de  l'hétéromorphisme,  en  mon- 
trant que  les  tissus  normaux  et  anormaux  ne  sont  que 
des  modalités  d'une  même  loi. 

Le  problème  de  la  physiologie  et  de  la  pathologie  gé- 
nérales est  ainsi  posé  ;  il  a  pour  objet  les  parties  les  plus 
intimes  et  les  plus  essentielles  des  organes,  les  éléments 
des  tissus. 

Le  jour  où  tous  les  éléments  anatomiques  seront  par- 
faitement connus,  et  dans  leur  évolution,  et  dans  leurs 
formes,  et  dans  leurs  propriétés  physiologiques,  et  enfin 
dans  les  actions  que  peuvent  avoir  sur  eux  les  différents 
agents  physiques,  toxiques,  médicamenteux,  etc.,  ce 
jour-là,  et  ce  jour-là  seulement,  la  médecine  scienti- 
fique sera  fondée. 

En  effet,  dans  tout  état  pathologique,  c'est  toujours 
spécialement  l'un  des  éléments  anatomiques  du  corps 
qui  est  atteint  :  c'est  le  trouble  de  cet  élément  particu- 
lier qui  amène  consécutivement  le  trouble  général  de 
l'organisme. 

Danstoul  empoisonnement,  par  exemple,  et  j'ai  rendu 
la  chose  évidente,  surtout  par  l'étude  de  l'action  du 
curare  et  de  l'oxyde  de  carbone,  ce  n'est  pas  l'organisme 
entier,  ce  n'est  pas  le  sujet,  l'individu  qui  est  empoi- 
sonné, c'est  tel  élément  anatomique  :  ici  le  globule  rouge 
du  sang,  là  le  nerf  moteur,  qui  est  primitivement  at- 

CL.  BERNARD.  —  Physiol.   opcr.  19 


290  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

teint,  et  la  suppression  de  la  fonction  spéciale  dévolue 
en  propre  à  cet  élément  amène  le  trouble  ou  l'arrêt  de 
la  vie  de  lensemble.  Il  en  est  de  même  pour  les  actions 
thérapeutiques;  car  les  agents  thérapeutiques  ne  sont 
en  définitive  que  des  agents  toxiques  employés  à  des 
doses  différentes. 

Or  la  circulation  est  au  premier  titre  la  fonction  qui 
s'exerce  pour  tous  les  éléments  anatomiques  vraiment 
actifs,  qui  est  commune  à  eux  tous  ;  qui,  par  des  mé- 
canismes divers  et  en  apparence  opposés,  établit  à  la 
fois  leur  indépendance  et  leur  solidarité.  Le  sang  ou  le 
plasma  sanguin^  que  nous  avons  appelé  le  milieu  inté- 
rieur, est  à  la  fois  la  source  et  le  résultat  des  phéno- 
mènes vitaux;  il  est  indispensable  à  tous  les  éléments 
anatomiques,  auxquels  il  est  porté  par  le  mécanisme  de 
la  circulation.  C'est  lui  qui  amène  au  contact  de  ces 
éléments  anatomiques  les  matériaux  fournis  par  l'ali- 
mentation, et  tous  les  éléments  empruntés  à  l'extérieur, 
aussi  bien  les  principes  utiles  que  ceux  qui  sont  nuisi- 
bles, aussi  bien  les  aliments  que  les  substances  toxiques. 

En  un  mot,  c'est  l'étude  du  sang  et  de  la  circulation 
([ui  nous  permettra  d'aborder  les  notions  les  plus  gé- 
nérales relativement  aux  conditions  de  milieu  dans  les- 
quelles s'exerce  la  vie  des  cellules  et  des  éléments  ana- 
tomiques. 

Nous  aborderons  cette  étude  au  point  de  vue  critique 
que  je  vous  ai  précédemment  indiqué  :  nous  aurons 
donc  à  la  fois  à  faire  l'histoire  de  la  science,  à  répéter 
de  nombreuses  expériences  et  à  en  instituer  de  nou- 
velles. 


TREIZIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  Élude  expérimentale  de  l'appareil  circuliitoire.  —  Anatomie  et 
pliysiologie.  —  Les  analogies  anatomiques  ne  peuvent  suppléer  à  l'expéri- 
mentation physiologique.  —  Revue  historique  des  faits  et  des  théories 
relatives  à  la  circulation.  —  Nouvelles  lumières  apportées  par  la  chimie 
moderne.  —  Les  phénomènes  chimiques,  comme  les  phénomènes  méca- 
niijues  de  l'organisme,  doivent  être  étudiés  directement  par  l'expérimen- 
tation, et  non  déduits  par  analogie  des  faits  semblables  empruntés  à  la 
mécanique  pure.  '■ —  En  chimie,  comme  en  mécanique,  les  procédés  de 
l'oiganisme  lui  sont  particulier.s. 


Messieurs, 

Nous  sommes  arrivés,  dans  la  dernière  leçon,  en  vous 
indiquant  incidemment  le  point  de  vue  auquel  la  phy- 
siologie doit  se  placer  aujourd'hui,  à  cette  conclusion 
que  nos  études  devaient,  pour  revêtir  définitivement  un 
caractère  scientifique,  descendre  jusque  dans  les  élé- 
ments anatomiques  des  organes  et  des  tissus.  Nous 
avons  insisté  sur  l'importance  des  investigations  histo- 
logiques. 

Mais  il  nous  faut  compléter  notre  pensée  et  eu  écar- 
ter une  interprétation  trop  étroite:  si  les  progrès  de  la 
physiologie  ne  sont  désormais  possibles  qu'avec  la  con- 
naissance des  éléments  anatomiques,  ce  n'est  pas  à  dire 
qu'il  suffise  d'étudier  la  forme,  la  disposition,  la  structure 
de  ces  éléments;  il  faut  encore  leur  applique)-  directe- 
ment la  méthode  expérimentale  pour  en  étudier  les  pro- 


292  APPAREIL    CIKCULATOIRE. 

priétés  ;  il  faut,  comme  pour  les  organes,  non-seulement 
étudier  les  phénomènes  dont  ils  sont  spécialement  le 
siège,  mais  encore  provoquer  ces  phénomènes,  modi- 
fier les  conditions  d'observation  ;  eu  un  mot,  expéri- 
menter. 

Se  contenter  d'étudier  les  caractères  morphologiques 
d'un  élément,  ce  serait  faire  de  l'anatomie  pure;  et 
attendre  de  cette  observation  des  renseignements  sur  les 
propriétés  de  ces  mêmes  éléments,  ce  serait  se  bercer 
d'une  illusion  qui  a  du  reste  longleuips  régné  dans  la 
science,  alors  que  l'on  pensait  trouver  dans  la  structure 
d'un  organe  des  notions  suffisantes  pour  en  déduire 
les  fonctions. 

Beaucoup  d'anatomistes,  etCuvier  lui-même,  ont  cru 
que  les  notions  anatomiques  pouvaient  suppléer  à  l'ex- 
périmentation physiologique,  et  que  de  l'analogie  de 
structure  on  pouvait  conclure  à  la  similitude  de  fonction. 
Cependant  rien  n'est  moins  exact,  et  les  exemples 
abondent  pour  vous  montrer  les  nombreuses  erreurs 
auxquelles  peut  donner  lieu  une  semblable  doctrine. 

Nous  prendrons  des  exemples  au  hasard,  en  quelque 
sorte,  parmi  les  travaux  physiologiques  exécutés  dans 
mon  laboratoire  par  mes  aides  et  collaborateurs  ou  par 
moi-même. 

Depuis  Borelli,  on  dit  que  la  vessie  natatoire  des  pois- 
sons sert  à  permettre  au  poisson  de  changer  de  volume 
et  de  densité,  suivant  les  diverses  profondeurs  où  il  se 
trouve.  Or,  comme  la  vessie  natatoire  de  certains  pois- 
sons est  un  organe  dont  les  parois  renferment  des  fibres 
musculaires,  rien  de  pins  logique  que  de  supposer  à 


HISTORIQUE    ET    CRITIQUE.  293 

priori  que  cet  organe  se  contractei'a  pour  agir  sur  les 
gaz  qu'il  reuferme,  et  qu'ainsi  l'animal  pourra  par  lui- 
même  régler  les  conditions  hydrostatiques  de  son  équi- 
libre dans  l'eau.  C'est  à  cette  opinion  déduite  de  l'ana- 
tomie  que  se  sont  arrêtés  Geoffroy  Saint-Hilaire,  Cuvier 
et  d'autres  non  moins  illustres.  Et  cependant  la  physio- 
logie expérimentale  est  venue  contredire  cette  hypothèse. 
M.  A.  Moreau,  qui  a  entrepris  des  expériences  d'une 
grande  rigueursurle  rôle  de  la  vessie  natatoire,  a  mon- 
tré que  le  poisson  est  musciilairement  passif  quanta  la 
pression  qui  modifie  le  volume  de  sa  vessie  natatoire, 
et  qu'il  en  change  le  volume  par  un  mécanisme  tout 
à  fait  différent  de  celui  qu'on  avait  supposé  :  par  une 
exhalation  ou  une  absorption  de  gaz,  et  non  par  un  phé- 
nomène de  contraction  musculaire.  L'anatomie  n'eût 
certes  jamais  fait  soupçonner  cette  exhalation  de  gaz  qui 
change  de  volume  et  de  nature  dans  la  vessie  natatoire 
suivant  des  lois  qu'on  peut  fixer  et  déterminer  d'avance. 
Ce  sont  là  des  faits  du  plus  haut  intérêt  pour  la  physio- 
logie et  qui  sont  dus  exclusivement  aux  investigations 
expérimentales  directes. 

L'histologie  elle-même,  aussi  bien  que  l'anatomie, 
doit  être  subordonnée  à  l'expérimentation  ;  elle  doit  de- 
venir expérimentale,  sans  quoi  les  notions  qu'elle  fournit 
sont  fatalement  condamnées  à  demeurer  stériles  et  erro- 
nées. Je  vous  rappellerai,  à  ce  propos,  l'exemple  des 
glandes  salivaires  et  du  pancréas.  Est-il  deux  organes 
qui  présentent  plus  d'analogie  au  point  de  vue  de  leur 
structure  et  de  la  morphologie  des  éléments  qui  les 
constituent?  On  en  avait  conclu  que  les  liquides  sécrétés 


"2H4  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

étaient  identiques.  Mes  expériences  sont  venues  prouver 
que  c'étail  là  une  erreur  profonde.  Vous  savez  combien 
diffèrent  les  propriétés  des  liquides  sécrétés  par  les 
glandes  buccales  et  par  la  glande  abdominale,  et  com- 
bien la  physiologie  serait  en  retard  si,  se  contentant  des 
données  anatomiques,  elle  n'avait  pas  cherché  à  en  vé- 
rifier les  conclusions  par  des  expériences  qui  ont  donné 
le  plus  éclatant  démenti  à  la  prétendue  identité  de 
fonctions. 

Supposons  maintenant  un  organe  sur  les  fonctions 
duquel  la  physiologie  expérimentale  n'aura  encore  donné 
aucune  notion  :  dans  ce  cas  l'anatomie,  quelque  précises 
que  soient  ses  connaissances,  sera  impuissante  à  nous 
fournir  le  moindre  renseignement  sur  les  usages  de 
l'organe  en  question. 

Cette  supposition  n'est  pas  une  assertion  gratuite.  Dans 
l'état  actuel  de  la  science,  il  n'est  encore  que  trop  d'or- 
ganes pour  lesquels  elle  se  vérifie.  L'anatomie  des- 
criptive, l'histologie  du  corps  thyroïde,  la  connaissance 
de  ses  vaisseaux  sanguins  et  lymphatiques  ne  sont-elles 
pas  aussi  complètes  que  pour  d'autres  organes?  N'en 
est-il  pas  de  même  pour  le  thymus,  pour  les  capsules 
surrénales?  Et  cependant  nous  ne  savons  absolument 
rien  sur  les  usages  de  ces  organes;  nous  n'avons  pas 
même  idée  de  l'utilité  et  de  l'importance  qu'ils  peuvent 
avoir,  parce  que  l'expérimentation  ne  nous  a  rien  dit 
à  leur  égard  et  que  l'anatomie  à  elle  seule  reste  absolu- 
ment muette. 

.Tamais  l'analomie  des  cellules  du  foie  n'aurait  fait 


HISTORIQUE    ET    CRITIQUE.  "1^)0 

soupçonner  que  cet  organe  fabrique  incessamment  du 
sucre  qu'il  déverse  dans  le  sang. 

De  même  la  rate  a  été  longtemps  étudiée  en  vain 
par  les  anatomistes,  quoique  la  structure  en  soit  réel- 
lement aussi  bien  connue  que  celle  d'une  glande 
quelconque.  Quant  aux  usages,  l'expérimentation  seule 
pouvait  les  faire  connaître.  L'extirpation  n'avait  pu 
démontrer  qu'un  fait  :  que  la  rate  peut  être  suppri- 
mée sans  amener  nécessairement  la  mort.  Toutefois 
cela  ne  prouverait  pas  que  sa  fonction  est  nulle.  Tl 
y  a  quelques  années,  je  fis  l'observation  que  le  sang  des 
veines  de  la  rate  présente  des  alternatives  de  couleur 
comme  celui  des  glandes  quisécrètent.  Tout  récemment, 
M.  Picard  a  ici  trouvé  un  fait  important,  c'est  que, 
dans  des  conditions  données,  la  rate  est  l'organe  de  tout 
le  corps  qui  renferme  les  proportions  les  plus  considé- 
rables de  fer  dans  son  tissu.  Ce  fait  n'aurait  jamais  pu 
être  découvert  par  l'anatomie.  D'autre  part,  abordant 
directement  létude  de  la  rate  par  la  méthode  expéri- 
jiientale,  MM.  Picard  et  Malassez  sont  entrés  dans  la 
voie  véritable  qui  pourra  fournir  des  faits  positifs  relati- 
vement au  rôle  de  ce  viscère  considéré  commjB  organe 
formateur  des  globules  sanguins.  C'est  doncseulement 
quand  l'expérimentation  aura  précisé  le  sens  du  phéno- 
mène que  l'histologie  interviendra  à  son  tour  pour  en 
préciser  le  siège  et  contribuer  à  élucider  le  mécanisme 
de  la  fonction. 

Il  est  tout  un  ordre  de  faits  des  plus  importants  sur 
lesquels  l'anatomie  et  l'histologie  ne  sauraient  rien  nous 
apprendre  :  je  veux  parler  des  actions  toxiques  et  médi- 


^9(1  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

camenteuses,  qui  sont  an  fond  toute  la  médecine.  Com- 
ment pourrions-nous,  par  exemple,  déduire  l'action  de 
la  strychnine  de  l'anatomie  de  la  moelle  épinière,  celle 
du  curare  de  la  structure  des  nerfs,  celle  de  l'oxyde  de 
carbone  de  l'histologie  du  globule  sanguin?  L'expéri- 
mentation seule  nous  a  appris  tous  ces  faits,  et  sans  elle 
nous  ne  les  aurions  jamais  connus. 

En  résumé,  c'est  la  physiologie  expérimentale  ou  l'ex- 
périmentation qui  nous  permet  d'observer  les  phéno- 
mènesde  la  vie  etqui  détermine  la  nature  des  fonctions; 
l'anatomie  en  localise  le  siège.  De  même  dans  les  études 
microscopiques  une  part  égale  doit  revenir  à  l'expéri- 
mentation dans  l'observation  des  propriétés  des  tissus  et 
de  leurs  éléments.  L'histologie  proprement  dite  nous 
donne  les  notions  indispensables  sur  la  localisation  de 
ces  propriétés.  En  un  mot,  l'expérimentation  ouvre  tou- 
jours la  voie,  elle  indique  la  nature  des  phénomènes  ; 
puis  l'histologie  vient  en  montrer  le  substratum  ligure, 
lélément  anatomique  avec  son  évolution  et  ses  altéra- 
tions, dont  l'étude  est  si  importante  au  point  de  vue 
pathologique. 

Cette  marche  est  la  marche  naturelle  ;  on  doit  toujours 
débuter  par  l'étude  expérimentale  sur  le  vivant,  et 
non  anatomiquement  par  le  cadavre.  C'est  ainsi  que. 
sans  s'en  rendre  compte,  l'esprit  humain  a  procédé. 
L'étude  de  la  circulation,  dont  nous  allons  nous  occu- 
per, nous  en  présentera  précisément  un  des  exemples 
les  plus  éclatants.  Tout  ce  que  nous  savons  de  cette 
fonction  nous  a  été  appris  par  l'observation  et  par 
lexpérimentation,  qui  n'est  que  celle-ci  poussée  plus 


HISTORIQUE    ET    CRITIQUE.  297 

loin.  Nous  verrons  en  outre  combien  l'erreur  est  facile 
quand  on  veut  déduire  les  fonctions  d'un  organe  d'après 
les  simples  faits  anatomiques  constatés  sur  les  cadavres. 

Nous  voyons  en  effet  Érasistrale  ouvrir  pour  la  pre- 
mière fois  un  cadavre.  Il  trouve  de  gros  canaux,  les 
artères,  parcourant  tout  le  corps  ;  il  les  ouvre  et  les  trouve 
vides;  les  veines  au  contraire  sont  pleines  de  sang  :  il  en 
conclut  que  ce  liquide  n'est  contenu  que  dans  ces  der- 
niers vaisseaux  et  que  les  artères  ne  conduisent  que  de 
l'air.  Que  d'hypothèses  alors  pour  se  rendre  compte  de 
l'arrivée  de  l'air  dans  ces  vaisseaux  !  Que  de  dépenses 
d'imagination  pour  construire  un  système  d'après  lequel 
l'air  des  artères  vient  de  l'arbre  respiratoire,  d'où  le  nom 
de  trachée-artère  donné  au  conduit  principal  du  poumon  ! 
El  cependant  il  eût  suffi  d'opérer  sur  un  animal  vivant 
pour  voir  un  torrent  de  sang  rouge  couler  dans  les 
artères,  qui  ne  se  vident  qu'après  la  mort  en  vertu  de 
leur  élasticité. 

Cette  expérience  si  simple,  si  élémentaire,  il  faut 
arriver  jusqu'à  Galien  pour  la  voir  réalisée.  Mais  Galien 
ne  se  contenta  pas  non  plus  d'observer  un  fait,  il  voulut 
établir  tout  un  système;  et  alors  il  suppléa  par  des  hypo- 
thèses et  par  des  déductions  anatomiques  à  ce  qu'il 
n'avait  pas  pu  demander  à  l'expérimentation.  11  arriva 
ainsi  à  construire  un  système  qui  n'était  que  le  fruit  de 
son  imagination,  au  lieu  d'être  l'expression  de  l'expé- 
rience qu'il  avait  abandonnée  bien  vite.  Pour  lui,  le 
sang  des  artères  est  un  sang  particulier,  très-subtil,  émi- 
nemment propre  à  exciter  la  vie  des  organes  auxquels  il 
porte  les  esprits  vitaux  :  c'est  un  sang  qui  provient,  par 


^Î9S>  APPAREIL    CIRCILATOIRE. 

tîltratioii  à  travers  la  paroi  ventriculaire,  du  sang  plus 
grossier  destiné  simplement  à  la  nutrition  des  organes, 
et  qui,  se  formant  au  niveau  du  foie,  se  répand  de  là, 
par  les  veines  caves  supérieure  et  inférieure,  vers  les 
parties  correspondantes  du  corps. 

Cette  doctrine  ou  ce  système,  fruit  de  mille  hypo- 
thèses, reposait  sur  un  fait  que  rien  ne  venait  confirmer. 
<ialien  supposait,  avons-nous  dit,  la  filtration  du  sang 
veineux  à  travers  la  paroi  ventriculaire:  il  y  aurait  donc 
eu  des  trous  dans  cette  paroi.  Galien  n'avait  pu  les  voir, 
mais  il  les  supposait.  Pendant  des  siècles  on  les  chercha 
en  vain;  mais  si  l'on  ne  put  les  apercevoir,  la  confiance 
dans  la  parole  du  maître  était  si  grande,  que  nul  nosa  les 
nier.  Du  n"  siècle,  époque  où  vécut  Galien,  jusqu'au 
XVI*  siècle,  époque  de  Vésale,  la  paroi  interventriculaire 
fut  perforée,  mais  de  trous  invisibles.  Vésale  le  premier 
nia  cette  disposition:  c'était  rendre  inadmissible  le  sys- 
tème de  Galien;  on  aima  donc  mieux  croire  à  une 
supposition  contraire  à  toute  vérification  anatomique 
que  d'abandonner  une  théorie  si  ancienne,  consacrée 
partant  de  maîtres.  Mais  bientôt  les  travaux  de  Césalpin, 
de  Colombo,  de  Fabrice  d'Acquapeudente  qui  découvrit 
les  valvules  des  veines,  enfin  ceux  de  Michel  Servet  et 
de  Harvey,  vinrent  établir  des  faits  expérimentaux  posi- 
tifs, devant  lesquels  le  système  de  Galien  ne  pouvait  plus 
tenir:  la  circulation,  le  grand  mécanisme  du  transport 
du  sang  dans  le  poumon  d'une  part,  et  dans  le  reste  de 
l'économie,  en  un  mot  la  grande  et  la  petite  circulation 
étaient  désormais  connues.  De  faits  en  faits  on  était 
parvenu  à  renverser  toutes  les  hypothèses  et  à  les  rem- 


HISTORIQUE   ET    CRITIQUE.  299 

placer  par  des  notions  tirées  directement  de  l'observa- 
tion sur  l'animal  vivant. 

Pour  achever  cette  rapide  esquisse  historique,  que  je 
ne  vous  ai  retracée  que  pour  en  dégager,  à  notre  point 
de  vue,  renseignement  philosophique  qu'elle  renferme, 
je  vous  rappellerai  la  découverte  des  vaisseaux  chyli- 
fères,  puis  des  lymphatiques  généraux  :  Aselli  et  Pecquet, 
en  montrant  que  les  matériaux  absorbés  dans  l'intestin 
passent  par  le  canal  Ihoracique  sans  entrer  dans  le  foie, 
dépossédèrent  définitivement  ce  dernier  organe  du  rôle 
supérieur  que  lui  avait  attribué  Galien  dans  la  fornia- 
tion  du  sang. 

La  découverte  de  la  circulation  tant  lymphatique  que 
sanguine  faisait  faire  un  pas  immense  à  la  physiologie. 
Et  cependant  aujourd'hui  ce  progrès  paraît  peu  de 
choses  quand  on  a  égard  à  ce  que  la  science  de  l'orga- 
nisme animal  devait  faire  pour  entrer  dans  sa  véritable 
voie,  pour  arriver  à  découvrir  et  à  étudier,  dans  le  sang 
ses  éléments  essentiels,  les  globules,  et  dans  les  tissus 
<iu'il  va  baigner  les  éléments  anatomiques  autour  des- 
quels il  circule.  Et  ce  n'était  encore  rien  que  la  décou- 
verte de  ces  divers  éléments  anatomiques  du  sang  et  des 
tissus  :  leur  connaissance  nous  permettait  d'y  localiser 
bientôt  les  phénomènes  de  la  vie;  mais  ces  phénomènes 
il  les  fallait  connaître,  et  pour  cela  il  fallait  que  les 
sciences  accessoires,  la  physique,  la  chimie,  fussent 
prêtes  à  nous  fournir  et  les  notions  et  les  instrumenta- 
tions indispensables  aux  recherches  de  ce  genre  :  il 
fallait  que  la  physique  et  la  chimie  fussent  en  état  de 
MOUS  expliquer  ces  phénomènes. 


800  APPARlîlL    CIRCULATOIRE. 

Cette  hiuiière  indispensable  à  la  physiologie,  c'est  à 
Lavoisier  que  nous  la  devons  ;  devant  ses  découvertes 
s'évanouirent  les  derniers  restes  des  théories  vitalistes  : 
plus  de  chaleur  innée,  plus  d'hypothèses  vagues,  plus  de 
pétitions  de  principes,  mais  des  notions  exactes  sur  les 
forces  physiques  et  chimiques,  sur  les  phénomènes  de 
la  combustion,  et  par  suite  sur  les  combustions  orga- 
niques, sources  de  la  chaleur  et  du  mouvement. 

Mais  la  chimie  minérale  cadavérique,  si  j'ose  ainsi 
dire,  ne  peut  pas  non  plus  être  appliquée  directement  à 
la  physiologie  ;  il  ne  suffit  pas  de  savoir  que  telle  trans- 
formation passe  par  telles  et  telles  phases,  dans  les  expé- 
riences de  chimie  hors  du  corps  vivant,  pour  en  pouvoir 
induire  qu'une  transformation,  identique  du  reste  quant 
aux  résultats,  se  fait  au  sein  de  l'organisme.  C'est  dans 
ce  sens  qu'on  peut  dire  que  toute  grande  découverte,  lors- 
qu'on en  pousse  trop  loin  les  applications,  lorsqu'on 
veut  en  étendre  d'une  manière  trop  absolue  les  consé- 
quences, porte  en  elle  une  source  d'erreur.  L'œuvre  de 
Lavoisier  et  de  ses  successeurs  n'échappa  point  à  cette 
loi  fatale,  quoique,  hâtons-nous  de  le  dire,  dans  une 
faible  proportion.  Après  avoir  montré  l'identité  des  phé- 
nomènes physiques  et  chimiques  de  la  matière  inorga- 
nique et  des  phénomènes  qui  se  passent  dans  les  êtres 
vivants;  après  avoir  montré  que  dans  les  deux  cas  les 
résultats  sont  les  mômes,  qu'il  s'agisse  de  production  de 
chaleur,  de  forces,  de  décomposition  ou  de  formation, 
les  chimistes  voulurent  conclure  à  Xideiitité  des  pro- 
cédés. 

C'est  dans  cette  hypothèse  que  l'école  de  Lavoisier 


HISTORIQUE    ET    CRITIQUE.  301 

dépassa  ce  que  permettait  de  conclure  logiquement  l'ob- 
servation des  faits  :  elle  substitua  à  des  notions  absentes 
des  théories  que  l'expérimentation  devait  de  nos  jours 
renverser. 

En  effet,  il  me  serait  facile  de  vous  montrer  par  de 
nombreux  exemples  que,  si  les  résultats  chimiques  sont 
les  mêmes,  les  procédés  diffèrent  complètement  pour  les 
actions  qui  se  passent  au  sein  de  l'organisme  et  pour 
celles  que  le  chimiste  provoque  artificiellement,  m 
cilro^  dans  son  laboratoire.  Je  pourrais  dire  même  qu'on 
ne  connaît  pas  aujourd'hui  un  seul  cas  où  les  choses  se 
passent  d'une  manière  identique.  Sans  doute  l'amidon 
est  transformé  par  l'organisme  et  par  le  chimiste  en  un 
dérivé  qui  est  absolument  le  même  dans  les  deux  cas; 
mais  de  ce  que  le  chimiste  se  sert  pour  arriver  à  ce  ré- 
sultat de  l'ébuUition  dans  les  acides,  en  peut-on  con- 
clure que  l'appareil  digestif  procède  de  même?  Nulle- 
ment; car  l'organisme  emploie  à  cet  effet  des  ferments 
liarticuliersdont  nous  n'avons  pu  avoir  idée  qu'en  allant 
directement  étudier  le  fait  physiologique  à  l'aide  des 
expériences  et  des  vivisections. 

Cet  exemple  choisi  entre  mille  nous  montre  la  diffé- 
rence des  procédés  chimiques.  Il  en  est  de  même  pour 
les  procédés  physiques  ou  mécaniques,  et  ici  nous  n'au- 
i"Oi]s  pas  à  sortir  du  sujet  que  nous  devons  traiter  spé- 
cialement, de  la  circulation.  Sans  doute  le  mouvement 
du  sang  est  produit  par  un  appareil  mécanique  dont  les 
effets  sont  en  tout  analogues  à  ceux  d'une  pompe  aspi- 
rante et  foulante.  Mais  avant  qu'ils  se  fassent  sentir  au 
niveau  des  tissus  et  de  leurs  éléments  anatomiques,  ces 


802  APPAREIL    CIRCULAÏOIUE. 

effets  sont  singulièrement  modifiés  par  des  conditions 
nouvelles,  dont  l'organisme  seul  offre  l'exemple.  Nous 
voulons  parler  des  conditions  qui,  sous  l'intluence  ner- 
veuse, font  varier  du  simple  au  double  la  quantité 
de  sang  qui  parcourt  un  organe,  selon  que  celui-ci  est 
à  l'état  de  repos  ou  de  fonctionnement. 

Aussi  les  expériences  qui  ont  porté  sur  les  vaisseaux 
sanguins,  en  ne  voyant  dans  ceux-ci  que  des  tubes 
inertes,  comparables  à  des  tubes  de  verre,  ces  expé- 
riences sont-elles  à  peu  près  non  avenues  aujourd'hui, 
car  elles  ont  complètement  laissé  de  côté  le  point  de  vue 
le  plus  intéressant  de  la  question,  le  procédé  particulier 
de  l'organisme.  Le  caractère  particulier  de  ces  procédés 
est  essentiellement  marqué  par  leurs  rapports  avec  le 
système  nerveux,  tant  pour  l'exemple  emprunté  plus 
haut  aux  phénomènes  de  transformations  digestives  que 
pour  l'exemple  actuel  de  la  circulation,  car  c'est  le  sys- 
tème nerveux  qui  fait  sécréter  les  glandes  comme  il  fait 
se  contracter  les  petits  vaisseaux. 

Je  m'arrête  dans  ces  généralités.  Nous  reviendrons 
sur  ce  sujet  dans  la  prochaine  leçon,  et  nous  entrerons 
amsi  directement  dans  fétude  critique  de  la  physiologie 
expérimentale  de  la  circulation. 


QUATORZIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  circulatoire.  —  Un  appareil 
circulatoire  n'est  qu'un  appareil  de  perfectionnement.  —  Apparition  de  cet 
appareil  chez  l'embryon.  —  Sa  forme  chez  les  animaux  supérieurs.  — 
Différentes  parties  dont  il  se  compose  chez  les  animaux  supérieurs.  — 
Importance  des  vaisseaux  capillaires.  —  Diverses  expériences  pour  montrer 
que  tous  les  phénomènes  essentiels  de  la  nutrition  se  passent  au  niveau  des 
capillaires. 

Élude  du  système  capillaire.  —  Système  lacunaire  des  animaux  inférieurs.  — 
Sphincters  prélacunaires  de  quelques  articulés  ;  leur  analogie  avec  l'en- 
semble formé  i)ar  les  parois  musculaires  des  artérioles  des  animaux  supé- 
rieurs. —  Capillaires  sanguins  et  capillaires  lymphatiques.  —  Développe- 
ment et  disposition  des  réseaux  capillaires;  ils  sont  indépendants  du  restr 
de  l'appareil  circulatoire,  aussi  bien  au  point  de  vue  de  leur  genèse  qu'au 
point  de  vue  de  leurs  fonctions. 


Messieurs, 

La  vie  réside  exclusivement  dans  les  éléments  orga- 
niques du  corps;  tout  le  reste  n'est  que  mécanisme.  Les 
organes  réunis  ne  sont  que  des  appareils  construits  en 
vue  de  la  conservation  des  propriétés  vitales  élémen- 
taires. 

Avant  d'aborder  l'étude  de  l'appareil  de  la  circula- 
tion, nous  devons  donc  nous  demander  quels  sont  les 
rapports  généraux  des  divers  appareils  de  l'organisme 
avec  les  éléments  des  tissus,  avec  les  cellules  organiques. 
Ces  ensembles  d'organes,  qu'on  appelle  des  appareils 
anatomiques,  sont  indispensables  au  jeu  de  l'organisme, 
mais  non  à  la  vie  elle-même.  Ils  ne  représentent  que 


804  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

de  simples  mécanismes  de  perfectionnement,  rendus 
nécessaires  par  la  complication  des  amas  considérables 
d'éléments  anatomiqiies  qui  constituent  un  organisme 
plus  ou  moins  supérieur. 

Ces  appareils  d'organes,  disons-nous,  sont  utiles,  mais 
non  indispensables  à  la  vie  des  cellules.  En  effet,  on 
conçoit  et  l'on  observe  des  cellules  vivant  isolément  dans 
le  milieu  extérieur,  par  exemple  les  animaux  mono- 
cellulaires. La  cellule  reçoit  ainsi  directement  les  exci- 
tations cosmiques,  qui  la  font  agir,  car  cette  cellule, 
inerte  elle-même  en  tant  que  matière,  ne  jouit  d'au- 
cune spontanéité  et  ne  manifeste  ses  propriétés  que 
sous  l'influence  d'une  excitation  extérieure.  Cette  néces- 
sité pour  l'élément  anatomique  de  recevoir  du  milieu 
dans  lequel  il  vit  les  excitations  qui  mettent  en  jeu  ses 
propriétés,  cette  nécessité  est  un  fait  fondamental  en 
physiologie  et  en  pathologie. 

Mais  dès  que  d'une  simple  cellule,  comme  celle  qui 
compose  à  elle  seule  le  corps  d'une  amibe,  d'un  infu- 
soire,  nous  passons  à  un  organisme  composé  d'une  réu- 
nion d'innombrables  cellules  ou  éléments  anatomiques, 
nous  comprenons  qu'un  système  circulatoire,  un  système 
nerveux,  etc.,  deviennent  nécessaires;  car  comment  les 
éléments  placés  dans  la  profondeur,  loin  du  milieu  exté- 
rieur, pourraient-ils  en  recevoir  les  excitations?  il  faut 
des  appareils  qui  se  chargent  de  recueillir  ces  excitations 
et  de  les  leur  transmettre, 

C'est  ainsi  que  l'appareil  circulatoire  devient  néces- 
saire, et  c'est  lui,  c'est-à-dire  le  sang,  qui,  se  chargeant 
des  principes  nutritifs  ou  respiratoires,  va  les  porter  vers 


SON'  perfectio\xemi:nt  dans  l'échelle  animale,     805 

les  éléments  anatom'ques,  pour  lesquels  il  devient,  je 
le  répèle ,  le  véritable  milieu  intérieur.  Pour  constater 
celte  apparition  graduelle  des  divers  systèmes,  et  notam- 
ment du  système  circulatoire,  à  mesure  que  l'organisme 
se  complique  et  représente  un  agrégat  plus  considérable 
de  cellules,  nous  n'avons  pas  besoin  de  parcourir 
l'échelle  animale  ;  il  nous  suffit  de  nous  adresser  à  un 
même  individu,  mais  en  le  considérant  dès  les  premières 
périodes,  au  début  de  son  développement.  Si  nous  obser- 
vons ce  qui  se  passe  lors  de  la  formation  du  blasto- 
derme du  poulet,  par  exemple,  nous  voyons  que  dès 
que  cette  membrane,  cet  amas  formé  de  cellules  primi- 
tivement identiques,  a  atteint  un  développement  assez 
considérable  pour  que  les  éléments  situés  loin  de  la  sur- 
face ne  puissent  plus  que  difficilement  se  mettre  en  rap- 
port avec  les  milieux  nutritifs,  nous  voyons  qu'aussitôt 
se  forme  un  système  d'irrigation  destiné  à  rendre  ces 
échanges  possibles. 

Aussi  l'appareil  circulatoire,  qui  en  somme  n'est 
qu'un  système  d'irrigation,  présente-t-il ,  chez  les  di- 
verses classes  du  règne  animal,  tous  les  degrés  de  per- 
fectionnement les  plus  variés,  correspondant  aux  degrés 
de  complication  de  ces  organismes  dans  l'échelle  zoo- 
logique. 

Chez  quelques  animaux  inférieurs,  par  exemple  chez 
les  acalèphes,  l'appareil  digestif  et  l'appareil  circulatoire 
ne  semblent  former  qu'un  seul  et  même  système  gaslro- 
vasculaire.  Chez  les  sertulariens,  une  cavité  cylindrique 
occupe  toute  la  longueur  du  corps  et  communique  libre- 
ment au  dehors  par  la  bouche  :  l'eau  de  mer  pénètre 

CL.  BERNARD.  —  PliysioL  opér.  20 


306  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

dans  cette  cavité  et  y  porte  les  gaz  de  la  respiration  en 
même  temps  que  des  matières  alimentaires  qui  parais- 
sent y  être  digérées,  car  elles  s'y  réduisent  en  particules 
plus  ténues,  et  le  liquide  nourricier  ainsi  constitué  est 
at^ité  par  des  mouvements  rapides.  Dans  un  type  ani- 
mal un  peu  plus  élevé,  chez  les  acalèphes,  ce  système 
cavitaire  présente  déjà  une  division  du  travail  quant 
aux  fonctions  digestives  et  irrigatoires.  Une  portion  ves- 
tibulaire  et  centrale  de  l'appareil  devient  plus  spéciale- 
ment chargée  de  l'élaboration  des  matières  alimentaires 
et  constitue  un  estomac  bien  délimité,  tandis  que  la 
portion  périphérique  devient  inapte  à  recevoir  des  ma- 
tières solides  d'un  volume  un  peu  considérable  et  ne 
laisse  passer  que  les  liquides  plus  ou  moins  nourriciers 
qui  ont  été  préparés  dans  la  cavité  digestive. 

Quelque  grandes  que  soient  les  complications  et  les 
divisions  du  travail  que  nous  offrent  ensuite  les  appa- 
reils digestifs  et  circulatoires  chez  les  êtres  placés  au 
sommet  de  l'échelle  animale,  ces  appareils  ne  nous 
représentent  toujours  qu'un  mécanisme  destiné  à  servir 
d'intermédiaire  entre  les  éléments  anatomiques  et  le 
milieu  extérieur,  mécanisme  dont  le  fonctionnement, 
en  raison  même  de  son  perfectionnement,  devient  indis- 
pensable, mais  qui  néanmoins,  nous  le  répétons,  ne  pré- 
sente rien  d'essentiel  dans  les  phénomènes  de  la  vie  :  les 
éléments  anatomiques,  par  leurs  propriétés,  sont  seuls 
le  siège  de  ces  phénomènes  essentiels. 

Il  est  donc  facile  de  comprendre  que,  lorsque  par 
exemple  un  individu  meurt  à  la  suite  d'une  maladie 
présentant  une  lésion  localisée  dans  le  tube  digestif  ou 


S0\   RÔLE    GÉNÉRAL.  307 

dans  le  cœur,  organe  central  de  la  circulation,  ce  n'est 
pas,  en  dernière  analyse,  la  maladie  du  cœur  ou  de 
l'intestin  qui  a  constitué  la  mort  ;  mais  c'est  que  le 
trouble  de  ces  fonctions,  en  dérangeant  le  mécanisme 
vital,  a  enlevé  aux  éléments  des  tissus  de  l'organisme 
les  seuls  moyens  réguliers  par  lesquels  ils  pussent  com- 
muniquer avec  l'extérieur  et  en  recevoir  les  excitants, 
par  suite  ces  éléments  se  sont  trouvés  dans  l'impossibi- 
lité de  manifester  leurs  propriétés ,  et  bientôt  ils  ont 
succombé  :  en  réalité,  c'est  seulement  la  mort  de  ces 
parties  élémentaires,  de  ces  cellules,  qui  constitue  la 
mort  de  l'organisme  général. 

Au  point  où  en  est  arrivé  aujourd'hui  la  science,  il 
n'est  pas  inutile  de  bien  flxer  les  idées  à  ce  sujet  et  de 
montrer  combien  nous  sommes  loin  des  idées  anciennes 
qui  plaçaient  par  exemple  l'àme,  ou  un  principe  spécial 
de  la  vie,  dans  le  sang,  et  qui,  dans  un  animal  qui  meurt 
par  hémorrhagie,  ne  voulaient  voir  qu'un  corps  d'où  le 
principe  de  la  vie  s'était  échappé  en  même  temps  que 
le  liquide  sanguin. 

Non  :  de  même  qu'il  n'y  a  que  les  éléments  anato- 
miques  qui  vivent  dans  l'organisme  de  tout  animal,  de 
même  il  n'y  a  que  les  éléments  anatomiques  qui  meu- 
rent. Mais  les  vies  partielles  des  diverses  espèces  de  cel- 
lules qui  constituent  un  organisme  sont  si  intimement 
liées  les  unes  aux  autres  et  tellement  solidan^es  entre 
elles,  qu'il  suffit  qu'une  de  ces  espèces  succombe  pour 
disloquer  le  mécanisme  vital  et  pour  qu'aussitôt  dispa- 
raisse l'admirable  haroionie  qui  constituait  la  vie  de 
l'animal  entier. 


308  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

Ces  considérations  générales  nous  dispenseront  d'en- 
trer dans  le  détail  des  divers  mécanismes  circulatoires 
que  nous  présentent  les  différentes  classes  d'animaux. 
Elles  nous  permettent  d'aborder  directement  la  circu- 
lation chez  les  vertébrés  et  chez  l'homme,  dont  nous 
devons  plus  particulièrement  nous  occuper,  car  nous  ne 
saurions  oublier  le  but  spécial  de  ces  leçons. 

Si  nous  jetons  un  premier  coup  d'œil  sur  l'appareil 
circulatoire  de  ces  animaux  supérieurs,  nous  le  voyons 
composé  de  parties  diverses,  que  l'on  peut  ranger  en 
quatre  divisions  distinctes  : 

1"  Le  cœur.  Organe  central,  il  joue  le  rôle  d'une 
pompe  aspirante  et  foulante  ;  il  représente  essentielle- 
ment l'appareil  moteur  du  système  d'irrigation. 

•2°  Les  artères.  Parties  du  cœur,  et  se  distribuant 
dans  toutes  les  portions  du  corps,  elles  représentent  des 
canaux  de  distribution. 

3°  Les  veines  et  les  lymphatiques.  Nous  pouvons  rap- 
procher l'un  de  l'autre  ces  deux  ordres  de  canaux, 
puisque  tous  deux  ils  servent  à  ramener  vers  le  cœur 
les  hquides  qui  ont  baigné  les  tissus. 

/i"  Les  capillaires.  C'est  au  niveau  de  ceux-ci  que  le 
sang  arrive  jusqu'au  contact  plus  ou  moins  immédiat  des 
éléments  anatomiques. 

Si  l'on  se  demande  par  lequel  de  ces  organes  ou  de 
ces  ensembles  de  vaisseaux  on  doit  commencer  l'étude 
de  Tappareil  circulatoire,  le  choix  paraît  au  premier 
abord  assez  embarrassant.  Nous  pourrions  légitimement, 
ainsi  que  le  font  la  plupart  des  traités  de  physiologie, 
débuter  par  l'étude  des  fonctions  du  cœur,  puisque  cet 


CAPILLAIRES.  309 

organe  est  comme  le  centre,  duquel  rayonnent  toutes 
les  autres  parties.  D'autre  part,  les  artères,  par  la  sim- 
plicité de  leurs  fonctions  au  point  de  vue  purement 
mécanique ,  nous  offriraient  certains  avantages  pour 
pénétrer  ensuite  dans  l'analyse  de  fonctionnements  plus 
compliqués.  Enfin,  si  nous  prenions  pour  base  de  notre 
plan  l'ordre  du  développement,  c'est  par  les  veines  que 
nous  commencerions,  car  ces  vaisseaux  sont  les  pre- 
miers ù  apparaître  dans  l'aire  vasculaire  de  l'embryon; 
mais  il  faut  remarquer  qu'alors  ces  canaux  veineux  ne 
sont  encore  que  de  purs  caiialicules  capillaires,  de  sorte 
que  l'on  peut  dire  que  les  capillaires  sont  les  premiers 
à  se  montrer  dans  l'organisme  en  voie  de  formation. 

Nous  commencerons  donc  par  l'étude  du  système 
capillaire,  et  cela  non-seulement  en  raison  du  fait  em- 
bryologique que  nous  venons  d'invoquer,  mais  encore 
et  surtout  parce  que  cet  ordre  concorde  parfaitement 
avec  le  point  de  vue  auquel  nous  nous  sommes  placés, 
avec  les  idées  générales  sur  lesquelles  nous  nous  sommes 
arrêtés  précédemment  :  c'est  qu'en  effet  le  système  ca- 
pillaire est  le  seul  qui  présente  des  rapports  immédiats 
avec  les  éléments  des  tissus,  le  seul  qui  nous  amène  à 
assister  aux  phénomènes  intimes  de  la  vie  des  cellules. 
Si  vous  me  permettez  une  comparaison  vulgaire,  mais 
bien  propre  à  rendre  ma  pensée,  je  dirai  que  les  gros 
vaisseaux,  les  artères,  les  veines,  ne  sont  que  les  rues 
qui  nous  permettent  de  parcourir  une  ville,  mais  qu'avec 
les  capillaires  nous  pénétrons  dans  les  maisons,  où  nous 
pouvons  observer  directement  la  vie,  les  occupations,  les 
mœurs  des  habitants. 


310  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

Ainsi,  quand  on  introduit  une  substance  toxique  ou 
médicamenteuse  dans  l'arbre  circulatoire,  cette  sub- 
stance restera  sans  effet  tant  qu'elle  ne  circulera  que 
dans  les  veines  ou  les  artères;  elle  ne  commencera  à 
manifester  son  action  que  lorsqu'elle  arrivera  dans  les 
capillaires,  et  dans  les  capillaires  baignant  les  éléments 
anatomiques  sur  lesquels  elle  agit  spécialement  :  les 
capillaires  des  masses  nerveuses  grises  centrales,  par 
exemple,  pour  la  strychnine;  les  capillaires  du  muscle 
ou  des  terminaisons  périphériques  des  nerfs  moteurs 
pour  le  curare. 

Ce  ne  sont  pas  là  de  pures  vues  de  l'esprit,  de  pures 
absti-actions  théoriques,  car  il  est  telle  condition  anato- 
mique  grâce  à  laquelle  la  substance  toxique  en  question 
peut,  après  avoir  parcouru  des  artères  et  des  veines, 
rencontrer  sur  son  chemin,  avant  d'arriver  aux  capil- 
laires au  niveau  desquels  elle  doit  spécialement  agir, 
rencontrer  comme  une  porte  d'échappement  par  la- 
quelle elle  sera  éliminée.  Dans  ce  cas  elle  aura  traversé 
une  partie  plus  ou  moins  grande  de  l'organisme,  par- 
couru une  étendue  plus  ou  moins  considérable  du  cercle 
de  la  circulation,  sans  avoir  produit  le  moindre  trouble. 
J'ai  bien  souvent  montré  danslecoursde  nos  expériences 
qu'un  cas  tout  semblable  se  présentait  pour  le  gaz  hy- 
drogène sulfuré,  lorsque  ce  poison  était  absorbé  par  les 
veines  :  après  avoir  passé  par  le  système  veineux,  avoir 
traversé  le  cœur  droit,  puis  suivi  les  artères  pulmonaires, 
ce  gaz,  arrivé  au  niveau  des  capillaires  du  poumon, 
s'échappe,  et  l'on  peut  constater  son  exhalation  en 
voyant  noircir  un  papier  à  l'acétate  de  plomb  placé  au 


CAPILLAIRES.  311 

devant  du  nez  et  de  la  bouche  de  Tanimal.  Or,  si  l'ab- 
sorption n'a  pas  été  très-considérable,  si  tout  le  gaz  ab- 
sorbé a  le  temps  de  s'exhaler  au  niveau  de  la  surface 
pulmonaire  sans  être  entraîné  dans  les  veines  pulmo- 
naires, l'organisme  n'éprouve  aucun  effet  du  poison,  car 
celui-ci  n'est  pas  parvenu  jusqu'aux  capillaires  de  la 
grande  circulation,  c'est-à-dire  jusqu'aux  éléments  des 
tissus. 

Cette  nécessité  que  le  poison  arrive,  pour  produire 
son  action,  au  niveau  même  des  capillaires  qui  baignent 
les  éléments  organiques  d'un  tissu  particulier,  cette  né- 
cessité d'une  localisation  parfaite  est  surtout  évidente 
pour  le  curare  par  exemple  ;  car  il  faut  ici  que  cet  agent 
vienne  au  contact  non  pas  des  nerfs  moteurs  en  général, 
mais  uniquement  de  leur  extrémité  terminale  dans  les 
muscles.  Au  contact  des  tubes  nerveux  moteurs,  ou  des 
tubes  sensitifs,  ou  des  cellules  nerveuses  centrales,  cet 
agent  reste  comme  non  avenu  et  sans  action.  Mais,  au 
niveau  des  terminaisons  périphériques  motrices,  il  agit 
de  quelque  manière  qu'il  y  soit  porté,  soit  par  les  capil- 
laires sanguins,  soit  par  une  injection  directe  dans 
l'épaisseur  des  muscles;  alors  l'action  est  purement 
locale  et  ne  se  fait  sentir  que  sur  les  nerfs  du  muscle  en 
question,  à  moins  qu'on  n'y  ait  fait  pénétrer  une  quan- 
tité de  substance  assez  considérable  pour  se  diffuser 
dans  l'organisme,  être  entraînée  par  les  veines  et  finale- 
m.ent  amenée  dans  les  capillaires  qui  baignent  les  extré- 
mités des  autres  nerfs  moteurs. 

Je  tenais  à  vous  rappeler  ces  faits  de  localisation  de 
l'action  d'une  substance  qu'on  injecte  directement  sur 


31^  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

le  point  où  elle  doit  agir,  parce  que  ces  résullals  ont  une 
grande  importance  en  thérapeutique. 

Tous  ces  faits  font  ressortir  T importance  et  le  rôle 
prépondérant  que  jouent  les  capillaires  comparé  au 
simple  rôle  de  tubes  de  conduction  dévolu  aux  artères 
et  aux  veines.  En  constatant  l'uniformité  de  la  circula- 
tion dans  ces  gros  vaisseaux,  en  voyant  que  les  substances 
qu'ils  peuvent  contenir  sont  sans  effet,  tant  qu'elles  ne 
parviennent  pas  au  niveau  des  capillaires,  on  comprend 
l'influence  relativement  restreinte  que  la  découverte  de 
Harvey  a  exercée  sur  la  médecine;  car  cette  découverte 
ne  nous  a  fait  connaître  que  les  phénomènes  qui  se 
passent  dans  les  gros  vaisseaux,  c'est-à-dire  la  circu- 
lation g(Miérale,  et  non  la  circulation  capillaire,  qui  est 
la  seule  efficace  et  importante. 

Mais  l'étude  des  capillaires,  l'étude  expérimentale  des 
différences  d'activité  de  leur  circulation,  selon  que  l'or- 
gane qu'ils  baignent  est  en  fonction  ou  au  repos,  nous 
montre  que  la  circulation  générale  n'est  que  la  source 
d'une  série  de  circulations  locales  bien  plus  importantes 
à  connaître  et  bien  plus  délicates  à  étudier. 

Jusque  dans  ces  derniers  temps,  ces  modes  de  circu- 
lations locales  ont  été  ignorés  ;  ils  n'étaient  même  pas 
soupçonnés,  et  les  physiologistes  s'éloignaient  de  plus  en 
plus  du  chemin  qui  devait  mener  à  cette  découverte, 
car  ils  s'obstinaient  à  identifier  tous  les  conduits  san- 
guins, les  capillaires  comme  les  veines  et  les  artères, 
à  des  canaux  toujours  semblables  à  eux-mêmes,  à  des 
tubes  inertes,  comme  des  tubes  de  verre  ou  de  caout- 
chouc. 


CAPILLAIRES.  813 

iXous  avons  déjà  fait  prévoir  qu'il  n'eu  est  rien. 
Je  vous  ai  déjà  dit  qu'à  côté  et  au  delà  de  la  circu- 
lation générale ,  qui  se  produit  selon  les  procédés 
mécaniques  ordinaires,  il  y  a  des  circulations  locales 
auxquelles  l'influence  du  système  nerveux  imprime 
un  cachet  tout  particulier,  en  modifiant  singulière- 
ment les  procèdes  mécaniques ,  en  produisant  des 
variations  énormes,  comme  celles  qu'on  observe  dans 
une  glande,  selon  qu'elle  est  à  l'état  de  fonction  ou 
de  repos. 

C'est  donc  dans  le  système  capillaire  que  se  trouve 
pour  nous  tout  l'intérêt  de  l'élude  physiologique  de  la 
circulai  ion  :  c'est  en  étudiant  ce  système  que  nous  ver- 
rons chaque  espèce  de  cellule  vivre  à  sa  manière,  em- 
prunter au  sang  ses  aliments  et  les  transformer  pour 
donner  naissance  à  ses  produits  chimiques,  à  ses  résultats 
mécaniques  spéciaux  ;  c'est  là  que  nous  verrons  le  muscle 
produire  la  chaleur  et  l'effet  mécanique  connu  sous  le 
nom  de  contraction,  la  glande  salivaire  donner  naissance 
à  sa  sécrétion  spéciale,  et,  en  un  mot,  chaque  élément 
anatomique,  tout  en  empruntantses  matériaux  à  un  mi- 
lieu comnmn  à. tous,  le  sang,  donner  naissance  à  des 
produits  spéciaux  et  caractéristiques.  C'est  donc  par  le 
système  capillaire  que  nous  commencerons  Télude  de 
l'appareil  de  la  circulation. 

Nous  devons  chercher  d'abord  comment  le  système 
capillaire  est  constitué  au  point  de  vue  anatomique  ;  car, 
si  j'ai  insisté  précédemment  sur  ce  fait,  que  l'anatomie 
est  insuffisante  à  nous  révéler  les  phénomènes  physiolo- 
giques, je  n'ai  pas  moins  insisté  sur  cet  autre  point, 


314  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

qu'elle  est  indispensable  et  qu'elle  doit  prêtera  la  phy- 
sioloL^ie  un  constant  appui. 

Ilarvey,  par  la  découverte  de  la  circulation  générale, 
nous  a  fait  connaître  l'appareil  centripète  et  centrifuge, 
le  mécanisme  qui  apporte  le  sang  artériel  vers  les  capil- 
laires, et  qui  ramène  au  cœur  et  au  poumon  le  sang  vei- 
neux; mais  l'appareil  intermédiaire,  le  système  capil- 
laire, n'a  été  connu  que  plus  tard,  lorsque  les  injections 
fines  et  l'usage  du  microscope  permirent  de  suivre  les 
fines  ramifications  des  vaisseaux  jusque  dans  l'intimité 
des  tissus,  et  encore  la  véritable  signification  du  système 
capillaire  n'a-t-elle  été  bien  comprise  que  lorsque  les 
notions  fournies  par  l'anatoniie  comparée  et  par  l'expé- 
rimentation ont  permis  de  se  rendre  compte  de  ses  fonc- 
tions, en  les  analysant  dans  les  formes  les  plus  simples 
et  les  plus  élémentaires. 

C'est  qu'en  effet  ce  système  circulatoire  intermédiaire, 
considéî'é  comme  système  formé  par  de  véritables  vais- 
seaux bien  délimités,  n'existe  que  chez  les  animaux  supé- 
rieurs, chez  les  vertébrés.  Dans  la  plus  grande  partie  des 
invertébrés,  par  exemple  chez  les  insectes,  au  lieu  de 
véritables  capillaires,  nous  ne  trouvons  que  des  espaces 
interorganiques.  Un  grand  vaisseau  dorsal  représente  la 
partie  centrale,  seule  bien  localisée  de  l'appareil  circu- 
latoire; c'est  une  sorte  de  cœur  dont  les  contractions 
lancent  le  sang  dans  les  lacunes  interstitielles. 

Une  disposition  bien  intéressante  nous  est  présentée 
par  certains  crustacés:  elle  a  été  observée  par  M.  Gerbe 
sur  les  jihi/Uosomes  ou  larves  de  langoustes.  Chez  ces 
animaux,  le  système  circulatoire  est  constitué  comme 


AKTÉRIOLES    tT    CAPILLAIRES.  315 

chez  les  insectes  :  le  vaisseau  dorsal  représente  à  la  fois  le 
cœur  et  Taorte,  on  vaisseau  général  de  distribution; 
mais  aux  points  où  ce  vaisseau  général  s'ouvre  par  quel- 
ques courtes  ramifications  dans  les  espaces  lacunaires, 
on  trouve  de  petits  anneaux  musculaires,  de  véritables 
sphincters  vasculaires  qui,  circonscrivant  ces  bouches 
béantes,  pourraient,  selon  leur  état  de  contraction  ou  de 
relâchement,  intercepter  ou  permettre  l'afflux  du  liquide 
sanguin  dans  les  lacunes  interorganiques. 

Cette  disposition  si  simple  nous  représente,  sous  une 
forme  pour  ainsi  dire  schématique,  ce  que  nous  rencon- 
trons chez  les  animaux  supérieurs,  où  les  parois  presque 
uniquement  umsculaires  des  petites  artères  forment  au 
niveau  de  la  zone  de  transition,  entre  le  système  artériel 
et  le  système  capillaire  proprement  dit,  une  sorte  de 
sphincter  diffus,  peimetlez- moi  cette  expression  ;  sphinc- 
ter qui  règle  l'apport  du  sang  des  artères  dans  les  capil- 
laires. Gel  appareil  régulateur  est  soumis  à  l'influence 
du  système  nerveux,  et  c'est  là  précisément  ce  qui  fait 
que  la  circulation,  envisagée  au  point  de  vue  de  ses  rap- 
ports avec  les  éléments  des  tissus  au  niveau  des  capil- 
laires, échappe  à  une  analyse  mécanique  simple,  et  pré- 
sente ces  procédés  particuliers  que  nous  avons  regardés 
précédemment  comme  caractéristiques  des  actes  essen- 
tiellement organiques. 

Si  les  animaux  supérieurs,  les  vertébrés  en  particu- 
lier, présentent  de  vrais  capillaires,  ce  n'est  pas  à  dire 
qu'on  ne  puisse  constater  chez  eux  des  systèmes  lacu- 
naires comparables  à  ceux  des  invertébrés:  le  cœur  de  la 
grenouille,  de  la  tortue,  par  exemple,  d'après  les  re- 


316  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

cherches  de  Hyrtl,  ne  présente  pas  de  vaisseaux  coro- 
naires sanguins;  la  nutrition  de  ses  éléments  musculaires 
se  fait  par  une  véritable  imbibition  interstitielle,  et  le 
liquide  sanguin  les  baigne  sans  être  contenu  dans 
des  canaux  à  parois  spéciales. 

Quant  aux  vrais  capillaires  sanguins,  tels  que  nous  les 
rencontrons  dans  les  tissus  de  Thomme,  ils  font  toujours 
suite  aux  artères,  dont  ils  constituent  la  continuation 
fort  modifiée  du  reste. 

En  effet,  si  l'on  observe  la  structure  des  vaisseaux 
sanguins  depuis  leur  origine  au  niveau  du  cœur  jusqu'à 
leurs  fines  ramifications  dans  les  tissus,  on  voit  que  ces 
canaux,  au  point  de  vue  de  la  nature  de  leurs  parois, 
peuvent  se  diviser  en  trois  grandes  catégories  qui  se 
succèdent  régulièrement  depuis  le  centre  jusqu'à  la 
périphérie. 

Nous  avons  en  premier  lieu  l'aorte  et  les  grosses 
artères,  qui  sont  caractérisées  par  l'abondance  du  tissu 
élastique  contenu  dans  leur  tunique  moyenne  :  ce  tissu 
est  ici  à  son  summum  de  développement;  aussi  ces 
vaisseaux  sont-ils  tout  à  fait  comparables  à  des  tubes 
de  caoutchouc  :  l'élasticité  est  leur  propriété  dominante, 
ou  pour  ainsi  dire  leur  seule  propriété. 

Viennent  ensuite  les  petites  artères,  dans  lesquelles  le 
tissu  élastique  est  remplacé  par  le  tissu  musculaire  à 
fibres  lisses  (ou  fibres-cellules);  dans  les  artérioles  des 
organes,  on  peut  considérer  le  canal  vasculaire  comme 
creusé  dans  un  cylindre  musculaire  :  la  contraclilité  est 
la  propriété  dominante  de  ces  vaisseaux. 

Enfin,  arrivé  au  niveau  des  capillaires  proprement 


ARTÉRIOLES    ET   CAPILLAIRES.  317 

dits,  on  voit  que  tous  les  éléaients  précédents  dispa- 
raissent :  plus  de  tunique  élastique,  plus  de  tunique  mus- 
culaire; car  les  tuniques  moyenne  et  externe  du  vais- 
seau ont  en  quelque  sorte  cessé  d'exister.  Il  ne  reste 
plus  pour  constituer  le  capillaire  que  la  tunique  interne 
de  l'artère,  membrane  formée  de  minces  cellules  épithé- 
liales  juxtaposées.  Aussi  ces  petits  vaisseaux  ont-ils  pour 
propiiété  essentielle  de  permettre  le  contact  entre  le  san»; 
et  les  éléments  anatomiques.  C'est  pour  cela  que,  par 
leurs  nombreuses  anastomoses,  ils  forment  des  mailles 
dans  lesquelles  sont  placés  ces  éléments  anatomiques. 
Nous  voyons  que,  par  exemple,  dans  le  foie,  chaque 
maille  ne  contient  que  deux  ou  trois  cellules  hépatiques; 
que,  dans  le  muscle,  chaque  fibi'e  musculaire  est  placée 
dans  une  sorte  de  cage  ou  treillis  formé  par  des  capil- 
laires sanguins  anastomosés,  etc. 

Chose  bien  remarquable  et  qui  ne  doit  déjà  plus  vous 
surprendre  après  ce  que  nous  avons  vu  précédemment, 
la  forme  de  ces  réseaux  capillaires  varie  selon  chaque 
organe,  chaque  tissu,  et  présente  dans  chacun  d'eux  un 
aspect  caractéristique.  On  peut,  sur  une  préparation 
microscopique  qui  n'a  conservé  de  visible  que  les  mailles 
des  capillaires  d'une  région,  reconnaître  si  ces  mailles 
entouraient  des  muscles,  des  culs-de-sac  glandulaires, 
des  papilles  dermiques,  des  cellules  pulmonaires,  etc. 
Un  aspect  aussi  caractéristique  doit  évidemment  être  en 
rapport  avec  les  propriétés  mêmes  des  éléments  de  tissu, 
et  c'est  en  effet  ce  que  je  vous  ai  déjà  fait  prévoir  dans 
la  série  des  considérations  exposées  dans  la  dernière 
leçon. 


318  APPAREIL    CIRCLLATOIRE. 

Les  capillaires  des  vertébrés  contiennent  du  sang 
rouse:  les  lacunes  des  invertébrés  contiennent  et  don- 
nent  passage  à  du  sang  blanc. 

D'après  ces  différences  du  contenu,  quelle  compa- 
raison, quelle  analogie  pouvons-nous  chercher  à  étabhr 
entre  ces  deux  systèmes  de  circulalion  élémentaire? 

Dirons-nous  que  les  lacunes  des  invertébrés  corres- 
pondent aux  espaces  lymphatiques  des  vertébrés,  de 
sorte  que  les  premiers  n'auraient  en  réalité  qu'un  sys- 
tème lymphatique  et  pas  de  véritable  système  sanguin  ? 
Considérerons-nous  les  vertébrés  comme  possédant  seuls 
des  capillaires  ou  espaces  sanguins,  quelle  qu'en  soit, 
du  reste,  la  nature  au  point  de  vue  des  parois? 

Si,  comme  nous  devons  le  faire,  en  effet,  nous  ne  nous 
attachons  qu'au  contenu  de  ces  vaisseaux  ou  espaces, 
nous  n'avons  pas  à  nous  inquiéter  de  ces  diverses  ques- 
tions ni  à  établir  ces  distinctions  artificielles.  Pour  nous, 
la  lymphe  et  le  sang  sont  une  seule  et  même  chose:  la 
lymphe  est  du  sang  moins  les  globules  rouges;  mais 
au  point  de  vue  de  la  nutrition,  au  point  de  vue  du  milieu 
intérieur,  nous  n'avons  à  tenir  compte  que  du  plasma  : 
le  globule  rouge  n'est  lui-même  qu'un  élément  anato- 
mique  particulier  qui  vit  dans  ce  plasma,  avec  cette  seule 
particularité  qu'il  s'y  meut,  qu'il  y  circule  pour  remplir 
des  fonctions  spéciales. 

Ainsi,  puisque  le  plasma  est  le  véritable  milieu  inté- 
rieur, et  que  ce  plasma  circule  aussi  bien  dans  les  lym- 
phatiques que  dans  les  vaisseaux  sanguins,  et  dans  les 
lacunes  des  invertébrés  aussi  bien  que  dans  les  capil- 
laires de  l'homme,  nous  n'avons  pas  à  nous  demander 


CAPILLAIRES    ET    LACUNES    INTEROUGAMQUES.  'M  9 

si  les  invertébrés  ne  possèdent  qu'un  système  lympha- 
tique. A  ce  conqjte,  il  faudrait,  d'autre  part,  dire  que 
toute  une  classe  nombi'euse  de  vertébrés  possède  à  peine 
un  système  lymphatique,  puisque,  chez  les  oiseaux,  les 
vaisseaux  de  ce  genre  sont  extrêmement  rares  ou  ne 
sont  représentés  que  par  des  canaux  très-courts  et  dif- 
ficiles à  constater. 

Le  plasma  et  les  globules  blancs  qu'il  renferme,  aussi 
bien  le  plasma  sanguin  que  le  plasma  lymphatique, 
traversent  très-facilement,  comme  l'ont  démontré  les 
recherches  récentes,  les  parois  des  capillaires  pour  se 
répandre  dans  les  interstices  des  éléments  organiques. 
Nous  voyons  donc  combien  il  serait  artificiel,  au  point 
de  vue  physiologique,  de  vouloir  chercher  une  distinc- 
tion absolue  entre  le  contenu  des  capillaires  sanguins  et 
celui  des  capillaires  lymphatiques,  aussi  bien  qu'entre 
les  divers  capillaires  des  vertébrés  et  les  lacunes  des 
invertébrés. 

Ce  sont  les  espaces  organiques  situés  entre  les  élé- 
ments anatomiques  qui,  ainsi  imbibés  par  le  plasma, 
sont  le  siège  des  phénomènes  de  la  nutrition  :  c'est  dans 
ces  espaces  que  le  système  lymphatique  vient  puiser  son 
contenu,  ainsi  que  Tout  démontré  les  recherches  de 
M.  Ranvier  sur  le  tissu  conjonctif  et  l'origine  des  lym- 
phatiques. Ces  rapports  restent  les  mêmes,  quelles  que 
soient  les  dimensions  de  ces  espaces  lacunaires,  qu'ils 
soient  représentés  par  des  gaines  lymphatiques^  par  les 
mailles  du  tissu  conjonctif  ou  par  les  grandes  cavités 
séreuses.  En  effet,  les  recherches  récentes  ont  démontré 
à  la  fois,  et  la  communication  directe  des  capillaires 


320  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

lymphatiques  avec  les  cavités,  telles  que  celles  du  péri- 
toine, de  la  plèvre,  et  le  fait  que  ces  cavités,  en  raison 
même  de  leur  mode  de  production,  n'élaient,  en  somme, 
que  de  vastes  mailles  du  tissu  conjonctif  très-dilalées  et 
fusionnées.  J'ai  montré  et  nous  verrons,  en  effet,  qu'en 
injectant  un  gaz  peu  soluble  (azote,  hydrogène)  dans  le 
tissu  cellulaire  sous-cutané,  chez  un  lapin  par  exemple, 
nous  déterminons  dans  ce  tissu  la  formation  d'une  vasle 
cavité  qui  présente  bientôt  tous  les  caractères  d'une 
véritable  séreuse. 

Après  avoir  établi  ces  rapports  intimes  entre  les  ca- 
pillaires ei  les  lacunes  interorganiques,  revenons  aux 
capillaires  sanguins  proprement  dits.  En  les  examinant 
au  fur  et  à  mesure  de  leur  formation,  nous  voyons  que 
cet  appareil  se  constitue  successivement  dans  les  régions 
où  son  rôle  devient  indispensable,  vu  l'activité  des 
échanges  nutritifs  qui  se  produisent  en  ces  régions. 
Ainsi,  si  l'on  observe  un  embryon  de  poisson,  dont  le 
corps  est  assez  transparent  pour  se  prêter  à  toutes  les 
études  de  ce  genre,  on  voit  que  les  capillaires  sanguins 
se  développent  d'abord  sur  la  vésicule  ombilicale,  dont 
le  contenu  doit  être  résorbé  pour  fournir  les  matériaux 
de  nutrition  à  l'embryon.  Dans  le  corps,  il  n'y  a  en  ce 
moment  aucune  formation  de  circulation  capillaire. 
Plus  tard,  lorsque  les  échanges  respiratoires  vont  se 
localiser,  au  niveau  des  branchies,  on  voit  les  vaisseaux 
branchiaux  se  modifier  :  ils  représentaient  d'abord  des 
troncs  sanguins  relativement  volumineux,  conduisant 
directement  le  sang,  venu  du  cœur,  jusque  dans  l'aorte, 
oià  la  pulsation  cardiaque  se  transmettait  visiblement. 


capillaires;  leur  foRiMatio.v.  3''21 

Mais  lorsque  va  commencer  la  fonction  branchiale,  on 
voit  des  capillaires  se  développer  sur  le  trajet  des  vais- 
seaux branciiiaux,  se  substituer  à  eux,  de  telle  sorte  que 
le  sang,  parti  du  cœur,  traversant,  avant  d'arriver  dans 
les  artères  à  sang  rouge,  un  réseau  capillaire,  ne  pré- 
sente plus  dans  l'aorte  les  pulsations  que  l'on  pouvait 
observer  chez  l'embryon. 

Les  capillaires  se  forment  donc  là  où  leur  présence 
est  devenue  nécessaire  pour  les  échanges  nutritifs  ou 
respiratoires,  et  leur  présence  amène  les  plus  grands 
changements  dans  les  conditions  purement  mécaniques 
de  la  circulation  générale. 

Quant  au  mode  même  de  formation  des  vaisseaux 
capillaires,  il  a  été  mis  en  lumière,  notamment  par 
des  recherches  de  M.  Ranvier  ;  ces  recherches  ont 
appris  que  les  capillaires,  dont  nous  venons  de  faire 
ressortir  l'indépendance  relative  au  point  de  vue  fonc- 
tionnel, se  forment  également  d'une  manière  tout  à 
fait  indépendante.  Chaque  organe  forme  sa  circulation 
capillaire,  car  cette  circulation  doit  lui  être  propre, 
doit  être  constituée  d'après  un  type  qui  n'appartient 
qu'à  lui.  Observant,  en  effet,  le  développement  des  capil- 
laires d^ns  le  grand  épiploon  du  jeune  lapin,  M.  Ranvier 
a  remarqué,  sur  les  points  qui  vont  se  vasculariser,  un 
aspect  qui  leur  a  fait  donner  le  nom  de  taches  lai- 
teuses. Ces  taches  renferment  des  cellules  particulières 
nommées  cellules  vaso-formatrices ,  qui  présentent  des 
ramifications  anastomosées  et  canaliculées,  dont  l'en- 
semble représente  parfaitement  un  réseau  capillaire, 

GL.    BERNARD.   —    l'iivsiol.    Opér.  21 


S'i'i  APPARlilL    CIROLLAIOIRE. 

mais  vide,  sans  aucun  contenu  sanguin  (1).  Une  arlé- 
i-iole  voisine,  par  les  progrès  de  son  développement, 
lequel  se  fiiit  selon  un  mode  que  nous  n'avons  pas  à 
préciser  ici,  arrive-i-elie  jusqu'à  la  tache  laiteuse,  elle 
s'abouche  dans  le  réseau  des  cellules  vaso-lormatrices, 
et  dès  lors  le  réseau  capillaire  existe  avec  son  contenu 
sanguin.  Vous  voyez  donc  que  les  systèmes capdlaires  se 
forment  indépendamment  des  artérioles  dont  ils  doivent 
ensuite  recevoir  le  sang,  et  cela  aux  dépens  de  cellules 
à  ramifications  nombreuses  et  anastomosées,  cellules 
dont  une  seule  peut  souvent,  par  ses  expansions,  co!i- 
stituer  un  réseau  capillaire  d'une  assez  grande  étendue. 
Je  n'insisterai  pas  davantage  sur  ces  faits  délicats 
d'embryologie  et  d'histologie;  il  me  suffit,  et  ce  sera 
pour  aujourd'hui  notre  conclusion,  de  vous  avoir  mon- 
tré que  l'étude  de  la  formation  des  capillaires  nous  fait 
voir  dans  ce  système  une  indépendance  et  une  auto- 
o'énie  qui  confirment  l'indépendance  et  l'autogénie  que 
nous  avons  constatées  en  lui  au  point  de  vue  fonction- 
nel ;  il  est  donc  bien  évident  que  la  partie  la  plus  im- 
portante de  l'appareil  circulatoire  est  représentée  par 
les  réseaux  capillaires,  et  nous  aurons  d'autant  plus 
d'intérêt  à  insister  sur  son  étude,  que  c'est,  ainsi  que 
je  vous  l'ai  déjà  dit,  de  toutes  les  parties  celle  dont  la 
physiologie  a  été  connue  le  plus  tardivement,  et  celle 
dont  la  connaissance  est  la  plus  importante,  non-seule- 
ment pour  la  physiologie,  mais  encore  pour  la  médecine 
proprement  dite. 

(1)  Ranvier,  Du  développetnetd  et  de  l'accroissement  des  vaisseaux  sanguins 
{Arch.  de  physiol,  1874,  p.  129). 


QUINZIÈME  LEÇON 


■Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  lappareil  circulatoire.  —  Importance 
des  expériences  faites  sur  le  système  capillaire.  —  Les  capillaires  sont  par 
excellence  les  agents  de  l'absorption.  —  Absorption  par  les  surfaces  externes 
et  internes.  —  Des  injections  locales  à  effets  locaux.  —  Expériences  prou- 
vant qu'on  peut  produire  à  part  l'elTet  local  et  l'effet  général.  — Différentes 
phases  à  considérer  dans  l'absorption. 

^'capillaires  sanguins  et  lymphatiques.  —  Idées  anciennes  sur  les  voies  de 
l'absorption.  —  Découverte  des  vaisseaux  lymphatiques.  —  Expériences 
de  Magendie.  —  Expériences  nouvelles.  —  Les  veines  sont  les  organes 
l''s  plus  essentiels  de  l'absorption. 


Messieurs, 

D'après  ce  que  nous  avons  vu  précédemment  sur  les 
origines  et  les  fonctions  du  système  capillaire,  il  est  facile 
de  comprendre  que  ce  système  est  le  siège  essentiel  des 
phénomènes  de  nutrition,  d'absorption,  de  sécrétion,  etc. 
C'est  donc  à  ce  niveau  qu'il  faut  chercher  à  étudier  les 
actes  intimes  de  la  vie. 

Parmi  ces  actes,  celui  qui  doit  nous  arrêter  tout  d'a- 
bord est  celui  de  Yabsorplion^  par  lequel  les  matériaux 
de  la  nutrition,  les  substances  toxiques  aussi  bien  que 
les  substances  médicamenteuses,  sont  introduites  dans 
l'organisme.  r4'est  au  contact  des  capillaires  pulmo- 
naires qu'est  absorbé  l'oxygène  destiné  à  aller  entretenir 
les  combustions  dans  tous  les  tissus;  c'est  au  niveau 
des  capillaires  du  canal  intestinal  que  sont  absorbées  les 


:i^4  APPAREll.    CIRCULATOIRE. 

substances  alimentaires,  principaux  matériaux  de  ces 
combuslions. 

Mais  ces  exemples  ne  nous  donnent  qu'une  faible  idée 
de  l'étendue  de  l'absorption,  que  nous  devons  diviser, 
dès  maintenant,  en  absorption  externe  et  absorption 
interne. 

V absorption  externe  est  celle  qui  s'exerce  sur  les  sur- 
faces communiquant  librement  avec  l'extérieur:  le  type 
serait  fourni  par  la  surface  cutanée.  Mais  si,  cbez  cer- 
tains animaux,  la  peau  est  très- absorbante,  cbez  d'autres 
animaux  et  chez  l'homme,  la  texture  de  son  épithélium 
atténue  ou  éteint  celle  fonction;  l'absorption  quia  lieu 
sur  les  membranes  muqueuses  digesiive,  pulmonaire  et 
autres  surfaces  muqueuses,  rentre  également  dans  la 
classe  des  absorptions  externes. 

Vabsorption  interne  a  lieu  par  les  surfaces  des  cavités 
closes,  telles  que  celles  des  grandes  séreuses  péritonéales, 
pleurales,  etc.  ;  dans  celte  classe  rentre  l'absorption  qui 
se  produit  dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  et  inter- 
stitiel, car  nous  avons  vu  que  les  mailles  de  ce  tissu 
peuvent  être,  au  point  de  vue  anatomique,  regardées 
comme  les  analogues  des  cavités  séreuses.  Des  expé- 
riences physiologiques,  que  nous  reproduirons  bientôt 
devant  vous,  vous  déuionlreront  également  les  ressem- 
blances entre  l'absorption  par  les  surfaces  périlonéales 
et  pleurales  et  l'absorption  par  les  mailles  du  tissu  cellu- 
laire sous-culané  ou  inlersliliel. 

Nous  verrons  en  outre  que  l'absorption  qui  a  lieu  dans 
les  cellules  pulmonaires  ou  dans  les  culs-de-sac  glandu- 
laires se  rapproche  par  beaucoup  de  caractères  de  l'ab- 


capillaires;  absorption.  325 

sorption  interne.  Magendie  (1)  considérait  le  poumon  ou 
plutôt  chaque  lobule  pulmonaire  comme  une  sorte  de 
masse  spongieuse  formée  par  du  tissu  cellulaire,  dans 
laquelle  chaque  bronche  s'ouvrait  et  se  terminait  brus- 
quement sans  qu'il  fût  possible  de  suivre  au  delà  la  mem- 
brane muqueuse  qui  la  tapissait.  M.  Alph.  Milne  Edwards 
a  suivi  la  continuation  des  sacs  pulmonaires  des  oiseaux 
avec  le  tissu  cellulaire  sous-  cutané.  M.  Ranvier  a  con- 
staté la  naissance  de  lymphatiques  dans  les  alvéoles  pul- 
monaires. Autrefois,  j'ai  vu,  de  mon  côté,  que  les  sub- 
stances injectées  dans  les  conduits  glandulaires  sont 
rapidement  absorbées  et  passent  facilement  dans  les 
vaisseaux  et  jusque  dans  les  ganglions  lymphatiques. 
■  Danslesdiverses  régions  du  corps,  Tabsorption,  qu'elle 
soit  interne  ou  externe,  varie  quant  à  sa  rapidité,  selon 
des  conditions  qu'il  faudra  préciser.  Mais  la  première 
condition  à  remplir,  celle  dont  la  réalisation  assure  seule 
une  absorption  rapide  et  par  suite  efficace,  c'est  que  la 
substance  dont  on  veut  produire  l'absorption  soit  placée 
dans  un  contact  aussi  immédiat  que  possible  avec  les 
vaisseaux  capillaires. 

Cette  seule  donnée  suffît  pour  nous  rendre  compte  de 
la  lenteur  ou  même  de  l'absence  presque  complète  d'ab- 
iiorption  au  niveau  de  certaines  surfaces,  quand  cette 
condition  ne  peut  pas  être  remplie.  Ainsi  la  peau  pré- 
sente, entre  le  réseau  capillaire  et  les  substances  qui 
peuvent  être  déposées  à  sa  surface,  une  épaisse  couche 
de  cellules,  dont  les  plus  superficielles  sont  cornées  et 

il/  M  i.:.'.;inlif.',  ./o«//if//  il''  /iliijsioloiji'',  18:21,  t.  I,  p.  7S. 


S'i6  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

pénétrées  d'un  enduit  graisseux.  Aussi  discute-t-on  en- 
core aujourd'hui  sur  la  question  de  savoir  si  la  peau 
de  l'homme  absorbe;  et  si  celte  absorption  a  lieu,  elle 
est  si  peu  considérable,  si  peu  efflcace  au  point  de  vue 
thérapeutique,  que  dès  longtemps  les  médecins  ont  pris 
l'habitude  de  se  débarrasser  delà  couche  cornée épider- 
mique,  pour  mettre  les  substances  actives  plus  directe- 
ment en  contact  avec  les  capillaires  qui  constituent  une 
surface  absorbante.  Telle  est  la  méthode  endermique,  que 
nous  voyons  mettre  en  usage  lorsque,  par  exemple,  on 
soulève  l'épiderme  à  l'aine  d'un  vésicatoire,  dans  l'in- 
tention de  déposer  des  substances  médicamenteuses  sur 
la  surface  ainsi  mise  à  nu. 

Si  le  rôle  de  la  couche  épidermique  est  important"  à 
considérer  au  point  de  vue  de  l'absorption  par  la  peau^ 
celui  des  couches  épithéliales  ne  Test  pas  moins  au  point 
de  vue  de  l'absorption  par  la  surface  intestinale  ou  par 
d'autres  membranes  muqueuses.  Dans  l'estomac,  l'in- 
testin grêle  et  le  gros  intestin,  l'absorption  présente  des 
différences  qui  tiennent  à  la  diversité  dans  les  épithé- 
liums  dont  ces  surfaces  sont  recouvertes.  Ainsi  le  recou- 
vrement épithélial,  par  ce  fait  même  qu'il  est  placé 
entre  la  surface  extérieure  et  les  réseaux  capillaires,  est 
la  cause,  selon  sa  nature,  de  la  plus  ou  moins  grande 
rapidité  de  l'absorption. 

Parmi  les  surfaces  extérieures  oîi  l'absorption  se  pro- 
duit avec  le  plus  d'activité,  je  vous  ai  cité  la  surface  pul- 
monaire et  les  surfaces  des  conduits  glandulaires:  j'ai 
souvent  expérimenté  en  injectant  de  l'iodure  de  potas- 
sium dans  un  conduit  salivaire  du  côté  gauche,  je  re- 


capillaires;  absorption.  S'il 

trouvais  presque  immédiatement  ce  sel  dans  la  salive 
du  côté  droit. 

Au  uiveau  des  surfaces  séreuses,  l'absorption  est  très- 
rapide:  frappé  de  ce  fait,  Magendie  avait  choisi  la  cavité 
l)leurale,  et  y  injectait  les  solutions  toxiques  au  moyen 
diine  petite  canule,  qu'il  nommait  perce-plèvre,  et  qui 
n'est  autre  chose  qu'une  canule  à  extrémité  tranchante 
et  plus  ou  moins  oblique  (voy.  ci-dessus,  p.  191,  fig.  41). 
On  a  reconnu  également  au  tissu  cellulaire  la  propriété 
d  absorber  tout  aussi  sûrement  et  aussi  rapidement  que 
la  surface  séreuse  de  la  plèvre  ou  du  péritoine  :  aussi  la 
médecine  a-t-elle  pu  largement  mettre  à  profit  cette 
voie  d'introduction  des  substances  médicamenteuses,  et 
vous  savez  avec  quel  succès  la  méthode  des  injections 
hypodermiques  est  appliquée  et  tend  aujourd'hui  à  se 
généraliser. 

En  physiologie  expérimentale,  le  tissu  cellulaire  est 
devenu  notre  lieu  d'élection  pour  les  injections  de  sub- 
stances toxiques.  Si  Ton  a  soin,  de  plus,  de  n'employer 
que  des  substances  très-pures,  cristallisables,  des  alca- 
loïdes ou  plutôt  des  sels  de  ces  alcaloïdes,  au  lieu  de  se 
servir  de  ces  préparations  mal  définies,  impures,  et  dif- 
ficilement dosables,  que  Ton  désigne  sous  le  nom  d'ex- 
traits, de  teintures,  on  peut  considérer  qu'on  a  réalisé 
les  conditions  les  plusindispensablcspour  une  absorption 
sûre,  rapide,  telle  qu'on  en  puisse  exactement  com- 
parer tous  les  cas  dans  des  séries  d'expériences. 

Nous  venons  de  parler  du  tissu  cellulaire  sous-cutané; 
mais  les  injections  peuvent  se  pratiquer  dans  tous  les 
tissus  cellulaires,  quels  que  soient  les  éléments  anato- 


"^"28  APPARKIL    CIRCULATOIRE. 

iniques  auxquels  ce  tissu  est  interposé.  Il  y  a  déjà  long- 
temps que  Fontana  avait  remarqué  la  régularité  des 
effets  obtenus  par  l'injection  du  curare  dans  la  masse 
d'un  muscle.  Or,  en  injectant  un  liquide  dans  un  muscle, 
on  l'injfîcle  en  réalité  dans  le  tissu  cellulaire  qui  sépare 
les  éléments  contratiles  proprement  dits.  C'est  toujours 
un  réseau  capillaire  identique  qui  absorbe;  il  n'est  donc 
pas  étonnant  que  les  expériences  soient  exactement  com- 
parables dans  tous  ces  cas,  car  le  réseau  capillaire  du 
môme  tissu  cellulaire  a  toujours  la  même  disposition: 
c'est  toujours  aux  mêmes  racines  de  l'arbre  vasculaire 
«jue  l'on  s'adresse.  Sous  ce  rapport,  le  réseau  capillaire 
du  muscle  étant  un  de  ceux  qui  se  présentent  comme 
le  plus  identique  à  lui-même  dans  les  diverses  régions 
du  corps,  c'estauxinjeclionsdans  l'épaisseur  d'un  muscle 
donné  que  nous  déviions  accorder  la  préférence,  lorsque 
nous  voudrons  réunir  toutes  les  conditions  possibles 
d'exactitude. 

En  résumé,  nous  pouvons,  d'une  manière  générale, 
injecter  dans  tous  les  organes,  dans  tous  les  tissus,  puis- 
que tous  renferment  du  tissu  cellulaire  et  des  réseaux 
capillaires  interposés  à  leurs  éléments  propres. 

Dans  toutes  ces  formes  dinjeclion,  il  y  a  toujours 
deux  effets  bien  distincts  à  observer:  l'un  local,  se  pro- 
duisant dans  l'organe,  dans  le  tissu  même  où  la  sub- 
stance injectée  s'est  trouvée  par  cela  même  en  contact 
avec  les  éléments  anatomiques  sur  lesquels  elle  peut 
agir  ;  Vauirefjcnéra/,  qui  se  produit  lorsque  la  substance, 
puisée  })ar  le  sang  dans  le  lieu  de  l'injection,  a  été  por- 
tée par  lui  vers  d'autres  éléments  anatomiques  de  même 


capillaires;  absorption.  :\'il{) 

nature  ou  de  nature  différente.  Toute  substance  est 
susceptible  de  donner  ces  deux  effets,  d'une  manière 
plus  ou  moins  distincte,  cest-à-dire  avec  plus  ou  moins 
d'intervalle  entre  les  deux,  selon  la  rapidité  de  son  ab- 
sorption et  selon  son  mode  particulier  d'action.  Les  deux 
effets  peuvent  donc  être  simultanés  ou  successifs. 

Du  reste,  l'action  générale  elle-même  n'est  que  le 
résultat  d'un  ensemble  d'actions  locales  portant  toujours 
sur  une  espèce  particulière  d'éléments  anatomiques. 
Ainsi  les  convulsions  générales  que  produit  la  strychnine 
résultent  de  l'action  de  ce  poison  sur  une  seule  espèce 
d  éléments,  sur  les  cellules  nerveuses  de  la  substance 
grise  centrale.  Je  vous  ai  déjà  montré  que  Taclion  du 
curare  se  localise  au  contraire  sur  les  extrémités  péri- 
phériques des  nerfs  moteurs. 

C'est  précisément  avec  le  curare  qu'il  nous  est  possible 
de  réaliser  la  localisation  exacte  de  l'action  toxique  sur 
m\  certain  département,  sur  un  certain  groupe  pris  dans 
l'ensemble  des  éléments  sur  lesquels  il  peut  agir,  par 
exemple  sur  les  nerfs  moteurs  d'un  seul  muscle.  Il  faut 
pour  cela  injecter  dansée  mu?cle  une  quantité  de  curare 
suffisante  pour  agir  sur  place  sur  les  extrémités  ner- 
veuses motrices  avec  lesquelles  il  est  aussitôt  en  contact, 
mais  insuffisante  pour  pouvoir,  une  fois  absorbée  et  di- 
luée dans  le  sang,  aller  agir  sur  les  autres  nerfs  moteurs 
de  l'ensemble  de  l'organisme.  Dans  ce  cas,  par  un 
calcul  exact  de  la  dose,  nous  avons  pu  produire  l'effet 
local,  sans  donner  lieu  à  l'effet  général  ;  mais  ce  n'est  pas 
là,  vous  le  voyez  bien,  une  exception  à  la  règle  que 
nous  venons  de  poser  ;  ce  n'est  (qu'une  question  de  dose. 


.SSO  APPAREIL    CIRCLLATOlRt. 

II  y  aurait  donc,  au  point  de  vue  des  applications  pa- 
thologiques, un  gi-and  avantage  à  bien  connaître  les 
actions  élémentaires  des  substances  toxiques  et  médica- 
menteuse^,  car  nous  pourrions  ainsi  porter  directement 
ces  asents  sur  les  éléments  qu'ils  doivent  influencer  : 
l'effet  cherché  serait  obtenu  d'une  manière  bien  plus 
certaine,  Itien  plus  précise,  et  nous  pourrions  ainsi  uti- 
liser localement,  en  médecine,  des  poisons  qui  ne  sont 
redoutables  que  lorsqu'ils  agissent  sur  l'ensemble  do 
l'économie. 

Pour  nous  en  tenir  à  la  physiologie  expérimentale, 
nous  trouvons  dans  celte  méthode  les  moyens  de  résou- 
dre des  questions  qui  semblent  au  premier  abord  inso- 
lubles. Je  ne  vous  en  citerai  qu'un  exemple  démonstra- 
tif, dans  lequel  vous  verrez  qu'on  peut  agir  sur  un  seul 
organe  par  tin  empoisonnement  forcé,  sans  agir  sur  le 
reste  de  l'oraranisme. 

Quand  on  injecte  du  cyanoferrure  de  potassium,  par 
exemple,  dans  le  sang  d'un  animal,  on  ne  peut  parve- 
nir à  voir  ce  sel  s'éliminer  par  la  salive;  et  si  l'on 
cherche  à  introduire  ce  composé  en  quantité  notable,  de 
manière  à  forcer  l'élimination,  l'animal  meurt,  car  le 
cyanoferrure  de  potassium  devient  alors  toxique.  Que 
conclure  de  cette  expérience  négative?  L'explication 
qui  vient  le  plus  naturellement  à  l'esprit,  c'est  que  le 
cyanoferrure  n'a  pas  été  introduit  dans  l'organisme  en 
quantité  suffisante  pour  apparaître  dans  la  salive  :  cette 
idée  est  très-plausible;  mais  comment  en  démontrer  la 
réalité,  puisque  l'animal  meurt  si  l'on  force  la  dose,  et 
qu  ici  l'effet  général,  par  la  rapidité  de  son  apparition. 


capillaires;  absorption.  331 

nous  met  dans  l'impossibilité  d'observer  l'effet  local  que 
nous  recherchons? 

Eh  bien  !  nous  allons  supprimer  l'effet  général.  Nous 
allons  injecter,  dans  un  rameau  de  l'artère  même  d'une 
glande  salivaire,  une  forte  solution  de  ferrocyanure  de 
potassium  :  la  glande  sera  abondamment  baignée  par  ce 
sel.  mais  celui-ci,  pompé  et  dilué  ensuite  dans  la  masse 
totale  du  sang,  sera  en  trop  faible  proportion  pour  agir 
sur  l'organisme  entier,  pour  tuer  l'animal.  Nous  suppri- 
merons donc  l'etfet  général  pour  exagérer  l'effet  local, 
et  nous  verrons  celui-ci  se  produire  aussitôt,  c'est-à-dire 
que  le  sel  en  question  apparaîtra  dans  le  produit  de  la 
sécrétion  de  la  glande  mise  en  expérience.  Aucun  doute 
ne  sera  plus  possible  sur  le  rôle  éliminateur  de  la  salive 
relativement  au  ferrocyanure  de  potasse. 

Ne  pensez-vous  pas  que  cet  exemple,  emprunté  à  nos 
expériences  de  laboratoire,  peut  être  bien  instructif 
pour  le  médecin  ?  Ne  pourra-t-on  pas  agir  de  même  sur 
l'homme  avec  le  curare,  par  exemple?  En  introduisant 
directement  ce  poison  dans  un  muscle  convulsionné,  on 
ramènera  celui-ci  au  repos,  sans  produire  aucun  acci- 
dent d'empoisonnement,  puisque  la  dose,  suffisante  pour 
le  lieu  de  Tinjection,  sera  comme  nulle  pour  toute  ac- 
tion générale,  pour  toute  action  toxique  sur  l'organisme 
entier. 

Nous  devons  maintenant  pénétrer  plus  profondément 
dans  l'analyse  des  actes  intimes  de  l'absorption.  En  con- 
sidérant la  substance  depuis  le  moment  où  elle  est  dé- 
posée au  contact  des  capillaires,  jusqu'au  moment  où 
elle  agit  sur  les  éléments  des  tissus,  nous  voyons  qu'il 


.S3*^  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

y  a  trois  faits  essentiels  à  étudier  dans  ces  phénomènes 
de  transport  et  surtout  de  pénétration. 

D'abord  la  substance  pénètre  dans  le  sangj  puis  elle 
est  transportée  par  celui-ci  dans  tous  les  points  de  l'éco- 
nonjie;  et  enfin  elle  est  reçue  par  ce  transport  au  contact 
de  l'élément  sur  lequel  elle  peut  agir,  pénètre  celui-ci 
et  fait  sentir  son  action. 

Il  est  facile  de  comprendre  qu'entre  ces  trois  actes, 
termes  successifs  de  l'absorption,  c'est-à-dire  entre  le 
fait  de  pénétration  dans  le  sang  et  le  fait  de  la  pénétra- 
tion dans  les  éléments  anatomiques,  il  peut  et  doit  se 
passer  un  certain  temps.  Cet  intervalle  est  du  non-seu- 
lement au  temps  consacré  au  transport  de  la  substance 
par  le  torrent  circulatoire,  mais  encore  à  ce  que  la 
substance,  pour  arriver  au  contact  immédiat  des  élé- 
ments des  tissus,  doit  sortir  des  capillaires  et  se  mêler  au 
liquide  interstitiel,  au  plasma  qui  baigne  plus  immé- 
diatement ces  éléments.  Or,  l'analyse  exacte  de  ces 
diverses  phases  du  phénomène  nous  révèle  une  série  de 
faits  dont  il  faut  savoir  tenir  rigoureusement  compte. 

Ces  divers  actes  sont  successifs;  mais  quand  l'un  a 
f;essé,  l'autre  continue  encore  :  ainsi  on  peut  arrêter  la 
pénétration  de  la  substance  dans  le  sang  sans  arrêter  im- 
médiatement son  action.  En  etTet,  si  à  ce  moment  le 
transport  dans  le  sang  a  eu  lieu,  si  la  pénétration  dans 
l'élément  a  commencé,  et  si  l'elTet  toxique  s'est  déjà 
montré,  on  le  voit  continuer  en  augmentant  pendant 
quelques  instants.  Il  ne  suffit  donc  pas,  pour  borner  à 
un  certain  degré  une  action  toxique,  d'arrêter  la  péné- 
tration du  poison  dans  le  sang  au  moment  même  où  se 


VOIES    UE    L  AIJSORPTION.  333 

montrent  les  symptômes  qu'on  ne  voudrait  pas  dépasser. 
Dans  ce  cas  on  irait  au  delà  du  but  que  l'on  veut  at- 
teindre, parce  qu'en  supprimant  la  pénétration  dans  le 
sang,  on  n'arrête  pas  la  pénétration  dans  l'élément  ana- 
tomique  ;  il  y  a  continuation  d'action  de  toute  la  dose  de 
poison  que  lesangcontient  et  qui  n'est  pas  encore  arrivée 
au  niveau  des  capillaires  dans  l'intimité  des  tissus. 

Il  est  encore  toute  une  série  de  questions,  relativement 
secondaires,  qui  ont  été  plus  spécialement  étudiées  par 
les  physiciens:  telles  que  la  nature  chimique  de  la  sub- 
stance et  son  influence  sur  la  rapidité  de  l'absorption,  de 
la  circulation,  de  l'endosmose  et  de  Texosmose. 

La  question  de  savoir  si  l'absorption  se  fait  par  les 
voies  sanguines  ou  lymphatiques  a  passionné  les  anciens 
physiologistes,  et  aujourd'hui  encore  cette  discussion 
semble  réveiller  les  controverses  qui  se  produisirent  à 
l'époque  des  découvertes  de  Harvey,  d'Aselli  et  de 
Pecquei. 

Galien  et  ses  disciples,  cest-à-dire  tous  les  médecins 
et  tous  les  physiologistes  des  siècles  antérieurs  à  la  décou- 
verte du  système  vasculaire  lymphatique,  ne  pouvaient 
concevoir  l'absorption  que  par  le  système  veineux,  puis- 
qu'ils ne  connaissaient  pas  d'autres  vaisseaux  à  circu- 
lation centripète,  c'est-à-dire  capables  de  puiser  les 
liquides  interstitiels  et  de  les  ramener  vers  le  cœur.  Aussi, 
notamment  à  propos  de  l'absorption  intestinale,  Galien 
avait-il  fait  de  l'appareil  veineux,  c'est-à-dire  de  la  veine 
porte,  la  voie  essentielle  d'introduction  des  substances 
dans  Forganisme.  Tous  les  produits  de  l'absorption  arri- 
vaient ainsi  au  niveau  du  foie,  où  se  faisait  unecoction, 


.S34  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

OU,  pour  nous  servir  îles  expressions  modernes,  une 
transformation,  qui  donnait  naissance  au  liquide  san- 
guin apte  à  aller  entretenir  la  vie  et  la  nutrition  des  di- 
verses parties  du  corps.  Il  ne  faut  pas  oublier,  en  etfet, 
qu'aux  yeux  de  Galien,  si  la  veine  porte  était  un  vais- 
seau afférent  au  foie,  toutes  les  autres  veines  rayonnaient 
de  cet  organe  central.  Le  foie  était  le  grand  fabricatein- 
du  sang. 

Ces  idées  furent  professées  jusqu'à  l'époque  de  la  dé- 
monstration de  la  circulation  du  sang  par  Harvey; 
encore  faut-il  ajouter  que,  si  la  découverte  de  Harvey 
renversa  les  idées  galéniques  au  point  de  vue  de  la 
circulation  veineuse,  et  enleva  au  foie  le  rôle  de  centre 
d'irradiation  du  torrent  sanguin,  pour  placer  ce  centre 
dans  le  cœur,  cette  découverte  ne  changea  en  rien 
les  idées  reçues  sur  le  rôle  du  parenchyme  hépa- 
tique comme  organe  formateur  du  sang,  à  l'aide 
des  matériaux  premiers  qui  lui  étaient  amenés  par 
la  veine  porte-  Bien  plus,  la  découverte  des  vais- 
seaux chylifères  par  Aselli  parut  pour  un  instant  confir- 
mer les  vues  hypothétiques  de  la  vieille  école,  puisque 
ces  vaisseaux  n'avaient  pas  été  poursuivis  au  delà  du 
niveau  du  foie,  dans  lequel  ils  semblaient  aboutir.  Les 
chylifères  d'Âselli  ne  représentaient  encore,  aux  yeux 
des  physiologistes  de  l'époque,  qu'une  seconde  voie,  ap- 
portant, parallèlement  à  la  veine  porte,  les  matériaux  de 
la  digestion  dans  la  glande  hépatique. 

Mais  la  découverte  de  Pecquet,  qui  fit  connaître  le 
canal  thoracique,  changea  complètement  la  face  des 
choses:  dès  lors  on  vit  qu'une  grande  partie  des  su!>- 


VOIES    im    L  ABSORPTION.  885' 

stances  transformées  par  la  digestion  étaient  absorbées 
par  des  vaisseaux  tout  différents  des  veines  et  arrivaient 
jusqu'au  cœur  sans  traverser  le  foie.  Dès  ce  jour,  le  rôle 
du  foie  devint  secondaire,  et  l'étude  de  l'absorption  dut 
porter  et  sur  les  veines  et  sur  les  lymphatiques;  dès  ce 
jour,  la  question  qui  doit  actuellement  nous  occuper  était 
nettement  posée:  auquel  des  deux  systèmes,  veineux  ou 
lymphatique,  sont  dus  plus  spécialement  les  phénomènes 
d'absorption? 

Dans  le  premier  enthousiasme  qui  suivit  la  décou- 
verte du  système  lymphatique,  le  problème  fut  brusque- 
ment et  catégoriquement  tranché:  on  déposséda  entière- 
ment le  système  veineux  pour  ne  plus  considérer  que  le 
système  lymphatique;  et  Bichat,  plus  tard,  prit  comme 
synonymes  les  expressions  de  système  lymphatique  et  de 
système  absorbant. 

Mais  jusque-lô,  en  dehors  des  simples  faits  anato- 
miques  connus  avec  précision,  la  recherche  physiolo- 
gique, l'expérimentation,  n'était  pas  venue  fournir  ses 
données  à  la  solution  du  problème.  Dès  qu'elle  aborda 
la  question,  il  fallut  compter  avec  des  faits  exactement 
déterminés,  et  la  question  subit  de  nouveau  un  renver- 
sement complet.  C'est  à  Magendie  que  sont  dues  les 
premières  recherches  sur  ce  sujet,  et  ses  expériences, 
aujourd'hui  encore,  ont  cojiservé  toute  leur  importance. 

S'adressant  d'abord  à  l'absorption  intestinale,  Ma- 
gendie montra  qu'en  détruisant  tous  les  vaisseaux  chyli- 
fères,  l'absorption  continuait  cependant,  et  que  dans  ce 
c*is  elle  ne  pouvait  être  due  qu'aux  veines,  aux  rameaux 
d'origine  de  la  veine  porte.  Portant  ensuite  l'expérience 


S.SO  AFl'ARtlI.   CIRCULATOIRE 

sur  l'absorption  interslitielle,  sur  celle  qui  se  produit 
dansle  tissu  cellulaire  du  menibred' un  chien  par  exemple, 
il  opéra  de  la  manière  suivante:  toutes  les  parties  molles 
du  membre  postérieur  furent  coupées  au  niveau  de  sa 
racine,  moins  lartère  et  la  veine  crurales,  qui  furent 
conservées  avec  soin  ;  de  l'extrait  alcoolique  de  noix  vo- 
mique  dissous  dans  l'eau  fut  ensuite  injecté  dans  la 
patte,  qui  n'avait  plus  conservé  de  rapport  avec  l'orga- 
nisme de  l'animal  que  par  les  troncs  artériel  et  veineux  ; 
au  bout  de  trois  ou  quatre  minutes,  les  convulsions  écla- 
taient dans  tout  le  corps,  et  l'animal  succombait  à  Tem- 
poisonnement. 

On  objecta  à  Magendie  que  les  parois  artérielles  et 
veineuses  pouvaient  contenir  des  vaisseaux  lymphatiques 
absorbants.  Magendie  répondit  en  répétant  son  expé- 
rience, avec  cette  modification  que  les  vaisseaux  eux- 
mêmes  furent  coupés  et  remplacés,  sur  une  certaine 
étendue,  par  des  tuyaux  de  plume  d'oie:  dans  ce  cas  la 
colonne  sanguine  représentait  le  seul  moyen  de  connexion 
entre  le  membre  isolé  et  Torganisnie  entier.  Cependant 
le  résultat  de  l'expérience  fut  le  même  que  dans  le  pre- 
mier cas,  et  l'animal  succombait  à  lempoisonnement 
trois  ou  quatre  minutes  après  que  la  noix  vumique  avait 
été  déposée  sous  la  peau  de  la  patte.  I.a  veine  avait  donc 
bien  été  le  chemin  d'absorption  et  de  transport. 

Nous  allons  répéter  cette  expérience  en  perfection- 
nant le  procédé  opératoire  (fig.  90).  Sur  ce  chien, 
insensibilisé  par  la  morphine  et  le  chloroforme,  nous 
découvrons  au  pli  de  l'aine,  du  côlé  droit,  les  vaisseaux 
CI  maux  ;  nous  les  isolons  en  passant  au-dessous  d'eux 


VOIES  DE  l'absorption.  387 

un  fil  qui  nous  permet  de  les  tirer  légèrement  au  dehors 
de  la  plaie.  Cela  fait,  nous  allons   couper  toutes  les 


|#?i^^fe 


FiG.  96.  —  Dispoâitinn  de  l'expiiriciice  pour  l'ctiidc  Jes  voies  de  l'absorption  (exiic- 
rieiicc  de  Ma^endie  modiiicc).  —  La  forte  pince  double  figurée  à  part  sert  à  fixer 
le  fémur  qui  est  sectionné  perpendiculairement. 


parties  molles  avec  Vécraseur  :  la  chaîne  de  l'écraseur 
<3st  passée,  au  moyen  d'une  grosse  aiguille,  enire  l'os  et 
^es  muscles  de  la  masse  interne  de  la  cuisse;  ces  muscles 

CL.  BERNARD.  —  Physiol.  opér.  22 


tit\^  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

sont  compris  dans  l'anse  de  l'inslrument;  la  peau  est 
sectionnée  au  scalpel,  car  elle  briserait  la  chaîne  sans- 
réder  à  la  compression;  nous  arrivons  ainsi,  en  serrant 
lentement  l'anse  du  constricteur,  à  sectionner  les  par- 
ties molles  sans  produire  d'hémorihagie  sensible.  Nous 
opérons  de  même  sur  les  masses  musculaires  posté- 
rieures, puis  sur  les  masses  externes  :  il  ne  leste  plus» 
en  dehors  du  paquet  de  la  veine  et  de  l'aitère,  que 
l'os.  Il  est  sectionné,  en  dernier  lieu,  entre  les  deux 
branches  d'une  forte  pince  double  (fig.  96)  destinée  à 
maintenir  fixes  les  deux  bouts  de  l'os  divisé,  afin  d'éviter 
le  tiraillement  des  vaisseaux.  Alors  nous  introduisons 
sous  la  peau  de  la  patte  1  centigramme  de  chlorhydrate 
de  strychnine  dissous  dans  ^  centimètres  cubes  d'eau: 
au  bout  de  quatre  minutes  les  convulsions  éclatent, 
l'animal  roidit  ses  quatre  membres,  il  est  mort. 

FiQ  relisant  ces  jours  derniers  le  mémoire  dans  lequel 
Magendie  rapporte  dans  tous  leurs  détails  ses  expériences 
mémorables,  j'ai  été  frappé  d'un  fait  qu'il  signale  sans 
en  donner  l'explication,  et  dont  l'étude  rentre  précisé- 
ment dans  les  considérations  de  l'ordre  de  celles  que 
nous  avons  entreprises  et  que  je  vous  ai  exposées  parti- 
culièrement. 

En  opérant  son  ajutage  de  plume  d'oie,  et  au  moment 
où  l'animal  avait  ressenti  les  effets  de  l'enipoisonne- 
ment,  Magendie  eut  l'idée  de  mettre  le  bout  périphé- 
rique de  la  veine  en  communication,  non  plus  avec 
le  bot:t  correspondant  de  la  veine  de  l'animal  opéré, 
mais  de  la  faire  se  déverser  dans  la  veine  d'un  autre 
animal.  Or,  dans  ces   conditions,  le   sang  portant  le 


VOIES  DE  l'absorption.  339 

poison  était  introduit,  en  apparence,  comme  chez  le 
premier  chien,  et  cependant  le  second  animal  ne  fut  pas 
empoisonné. 

A  quoi  tient  ce  résultat?  Dans  le  premier  cas,  Ma- 
••endie  avait  vu  l'empoisonnement  se  produire,  et,  n'ob- 
servant rien  de  semblable  dans  le  second  au  moment  où 
le  sang  empoisonné  était  transfusé,  en  inféra  l'absence 
de  l'empoisonnement,  sans  chercher  davantage.  Or,  dans 
ce  cas,  l'empoisonnement  était  absent  (1),  parce  qu'on 
n'avait  pas  assez  altendu.  Qu'indique  en  effet  cet  inter- 
valle de  quatre  minutes,  auquel,  d'après  ses  premières 
recherches,  Magendie  semblait  pouvoir  se  tenir  pour 
apprécier"  le  temps  de  l'absorption?  Il  indique  non  pas 
seulement  le  temps  nécessaire  à  l'absorption  du  poison, 
à  sa  pénétration  dans  le  sang,  pénétration  qui  est  presque 
immédiate,  mais  aussi  le  temps  nécessaire  pour  que 
le  sang  se  soit  chargé  de  matière  toxique  en  quantité 
suffisante  pour  agir  sur  les  éléments  nerveux  centraux, 
pour  les  pénétreret  produire  en  eux  l'excitabilité  extrême 
qui  est  le  piopre  de  l'intoxication  strychnique.  Or, 
pour  que  cette  saturation  eût  été  obtenue  sur  le  second 
animal,  dont  la  quantité  de  sang  est  augmentée  par  un 
nouvel  apport,  et  qui,  du  reste,  n'a  rien  ou  peu  perdu 
parhcmorrhagie,  ilauraitfallu  attendre  uncertain  temps. 
Magendie  pensait  que  dès  que  le  sang  du  premier  chien 
empoisonné  arrivait  dans  les  vaisseaux  du  second,  celui-ci 
devait  présenter  les  symptômes  de  l'empoisonnement; 
mais  je  vous  ai  dit  qu'il  fallait  bien  distinguer  l'intro- 

(I)    Voy.    Magendie,    Mémoire  sur  les  organes  de  l'absorption   chez  les 
mammifères  (Journal  de  Magendie,  1821,  t.  I,  p.  19j. 


'340  APPAREIL   CIRCULVTOIKE. 

diiclion  (lu  toxique  dans  le  sang,  son  transport  au  capil- 
laire, son  accumulation,  et  enfin  sa  pénétration  jus- 
(|u'aux  élémeiils  anatoniiques:  or,  ce  sont  ces  dernières 
phases  du  phénomène  qui  sont  la  condition  indispen- 
sable de  renipoisonnement.  Ainsi,  quoique  nous  jugions 
le  plus  souvent  de  la  réalité  de  l'absorption  d'une 
substance  toxique  en  voyant  éclater  les  symptômes  de 
l'empoisonnement,  il  ne  faut  pas  confondre  les  diverses 
phases  bien  distinctes  du  phénomène:  quand  Tempoi- 
sonnement  a  lieu,  l'absorption  s'est  produite  déjà  depuis 
longtemps,  et  elle  s'est  continuée  jusqu'à  amener  la 
saturation  du  sang. 

Cette  distinction  est  rendue  bien  évidente  par  nos 
expériences  sur  l'action  de  l'oxyde  de  carbone:  lorsqu'un 
animal  respire  le  gaz  toxique  du  charbon  en  combustion, 
ce  n'est  d'ordinaire  qu'au  bout  de  huit  minutes  que  se 
manifeste  rempoisonnement;  et  cependant,  après  la 
première  inspiration  d'air  chargé  de  vapeurs  méphi- 
tiques, le  sang  contient  déjà  de  l'oxyde  de  carbone  : 
l'examen  spectroscopique  permet  de  l'y  constater . 

Pour  juger  de  l'absorption  et  de  sa  rapidité,  il  faut 
donc  renoncer  à  prendie  pour  critérium  la  manifesta- 
tion des  symptômes  d'emp(ii>>onnement.  Il  vaut  mieux, 
au  lieu  de  substances  toxiques,  employer  des  substances 
chimiques  dont  la  présence  dans  le  sang  sera  révélée  par 
des  réactions  délicates  et  certaines:  tel  est  l'iodure  de 
potassium,  ou  le  prussiate  dépotasse,  avecle(\uel  on  peut 
démontrer  qu'il  suffit  de  vingt  à  vingt-cinq  secondes  chez 
un  cheval  pour  que  la  substance  introduite  en  un  point 
de  la  peau  se  retrouve  dans  le  sang  veineux  général.  Il 


VOIES  DE  l'absorption.  341 

u  donc  fallu  ce  laps  de  temps  presque  infiniment  court 
pour  que  la  substance  pénétrât  dans  le  sang  et  par- 
courût le  double  cercle  de  la  circulation  pulmonaire  et 
de  la  circulation  générale.  Mais  l'empoisonnement  ne 
survient  que  plus  tard,  parce  qu'il  faut  que  la  substance 
s'accumule  dans  le  sang  en  quantité  suffisante. 

iMagendie,  avons-nous  dit,  répéta  sur  l'intestin  l'ex- 
périence qu'il  avait  f;iite  sur  un  membre.  Après  avoir 
compris  une  anse  intestinale  entre  deux  ligatures,  il  dé- 
truisit tous  les  lymphatiques,  c'est-à-dire  tous  les  chyli- 
fères  qui  parlaient  de  cette  anse.  De  l'exlrait  de  noix 
vomique  fut  injecté  dans  l'anse  intestinale,  et  l'animal, 
réduit  aux  vaisseaux  veineux  comn)e  moyen  d'absorp- 
tion et  de  transport,  ne  tarda  pas  cependant  à  succom- 
ber à  l'empoisonnement.  Une  expérience  faite  comme 
contre  épreuve  donna  un  résultat  qui  parlait  dans  le 
môme  sens:  toutes  les  veines  d'une  anse  intestinale  ayant 
été  liées  et  les  lymphatiques  réservés,  l'injection  d'ex- 
trait de  noix  vomi(]ue  dans  cette  anse  ne  donna  lieu  à 
aucun  phénomène  d'empoisonnement.  Nous  ne  voulons 
pas  dire  qu'il  n'y  ait  pas  eu  absorption  par  les  chyli- 
fères,  mais  elle  n'avait  pas  amené  une  quantité  suffi- 
sante de  toxique  pour  empoisonner  :  on  peut  voir,  en 
effet,  que  du  prussiale  de  potasse  injecté  dans  l'intestin 
se  retrouve  dans  leschylifères. 

Nous  voilà  bien  loin  de  l'opinion  qui,  à  l'époque  de 
Bichat,  faisait  des  lymphatiques  les  voies  essentielles, 
indispensables,  exclusives,  de  l'absorption.  Pour  l'ab- 
sorption intestinale,  leschylifères  eux-mêmes  nous  pa- 
raissent d'une  importance  secondaire.  Autrefois,  on  re- 


342  APPAREIL    ClRCULAïOIRE. 

gardait  le  liquideblancetlaiteux  qu'ils  renferment  comme 
le  produit  esseuliel  de  la  digestion,  et  l'on  n'hésitait  pas 
à  définir  la  digestion  :  la  fontion  qui  fait  le  chyle.  Or,  ce 
chyle,  sous  l'aspect  qu'il  nous  présente  chez  les  ntam- 
mifères,  est  une  chose  si  peu-importante  en  réalité,  qu'il 
existe  ou  n'existe  pas,  selon  les  animaux  que  l'on  consi- 
dère. Rien  n'est  plus  facile  que  de  l'observer  chez  le 
chien  ou  le  chat;  il  existe  également  chez  l'homme, 
ainsi  que  j'ai  eu  à  plusieurs  reprises  l'occasion  de  m'en 
convaincre  sur  des  cadavres  d'individus  qui  s'étaient  sui- 
cidés en  pleine  digestion.  Chez  le  lapin  on  n'aperçoit 
de  vaisseaux  blancs  lactés,  c'est-à-dire  de  chyle,  que 
lorsqu'on  fait  digérer  de  la  graisse  à  l'animal.  Mais  chez 
les  oiseaux  on  ne  voit  jamais  rien  de  semblable,  même 
chez  ceux  qui  sont  exclusivement  carnassiers;  il  en  est 
de  même  pour  les  batraciens,  les  reptiles.  J'insiste  sur  ce 
dernier  fait,  car  j'ai  mis  en  œuvre  tous  les  moyens  pos- 
sibles pourfaire apparaître  deschylifèreschezles oiseaux, 
sans  jamais  y  réussir.  J'avais,  comme  je  vous  l'ai  déjà 
dit,  observé  que  de  l'éther,  tenant  de  la  graisse  en  dis- 
solution et  injecté  dans  le  tube  digestif,  est  un  moyen 
excellent  de  faire  presque  instantanément  apparaître 
des  chylifères  pleins  de  leur  contenu  blanc  et  laiteux 
caracléristique  :  ce  procédé,  qui  m'a  toujours  réusr^i 
chez  le  chien,  le  chat  et  même  chez  le  lapin,  ne  ma 
jamais  donné  aucun  résultat  chez  les  oiseaux. 

Nous  voyons  donc  que  si  les  chylifères,  que  si  les  lym- 
phatiques absorbent,  et  le  fait  est  incontestable,  celle 
absorption  n'a  rien  d'essentiel,  ce  rôle  n'a  rien  d'indis- 
pensable. LenMe  essentiel  revient  aux  veines;  et  du  reste 


VOIES  DE  l'absorption'.  ri48 

la  rapidité  même  de  l'absorplion  nous  prouve  qu'elle  se 
fait  surtout  par  le  torrent  sanguin,  et  que  le  cours  de  la 
lymphe  est  trop  lent  pour  nous  expliquer  cette  rapidité 
•lies  intoxications  dont  je  vous  parlais  précédemment, 
rapidité  qui,  ainsi  que  je  vous  l'ai  démontré,  est  plus 
grande  encore  que  ce  que  pourrait  faire  penser  l'appari- 
tion des  symptômes  de  l'empoisonnement. 

On  n'a  jamais  eu  l'idée  d'attribuer  un  rôle  important 
aux  vaisseaux  lymphatiques  dans  l'absorption  des  gaz 
au  niveau  de  la  surface  pulmonaire.  Ici  les  veines  sont 
bien  les  vaisseaux  essentiels  à  l'absorption  et  au  trans- 
port. Nous  verrons  qu'il  en  est  de  même  pour  les  absorp- 
tions qui  se  font  dans  les  autres  régions  du  corps. 


SEIZIÈME  LEÇON 

SOMMAlliE  :  Étuile  expériinentiilc  de  l'appareil  de  la  circulation.  -  Du  sys- 
tème capillaire.  —  Rapports  des  vaisseaux  lymphatiques  avec  les  capillaires 
sanguins.  —  Nerfs  vaso-moteurs.  —  Par  les  capillaires  sanguins,  les 
agents  toxiques  portent  leur  action  sur  les  éléments  des  tissus. 

1)0  l'absorption  :  absorption  interne;  absorption  externe.  —  Des  divers  actes 
(le  l'absorption  :  elle  comprend  trois  phases.  —  Nouvelles  expériences  pour 
déterminer  la  durée  relative  de  chacune  de  ces  trois  phases.  —  Expé- 
riences sur  l'absorption  des  gaz.  —  Expériences  sur  l'absorption  du  curare. 

Messieurs, 

Les  vaisseaux  lymphatiques  communiquent-ils,  à  leur 
origine,  avec  les  vaisseaux  sanguins?  Celte  question  a 
été  longtemps  controversée,  et,  aujourd'hui  encore,  elle 
est  l'objet  des  recherches  constantes  des  analomistes. 

Autrefois  on  n'hé.sitait  pas  à  répondre  affirmative- 
ment, et  l'on  se  rendait  très-simplemenl  compte  de  cette 
communication.  Les  vaisseaux  artériels,  disait-on,  au 
niveau  de  leurs  capillaires,  se  continuent  en  deux  ordres 
de  vaisseaux  :  les  uns,  assez  larges  pour  laisser  passer 
les  globules  rouges  du  sang,  ne  sont  autre  chose  que  les 
capillaires  veineux,  les  origines  des  veines;  les  autres, 
infiniment  plus  minces,  ne  pouvant  laisser  passer  les 
globules  rouges  du  sang,  ne  contiennent  que  du  plasma 
sanguin  :  ce  sont  les  vaisseaux  séreux  ;  ce  sont  les  ori- 
gines des  lymphatiques.  Mais,  ajoutait-on,  ces  vaisseaux 
étroits  peuvent  se  dilater,  dans  l'inflammation  par 
exemple  :  ils  admettent  alors  des  globules  rouges;  ils 


OUlGiNES    DES    LYMPHATIQUES.  ,S45 

deviennent  de  vrais  vaisseaux  à  sang  rouge,  et  c'est 
ainsi  que  Ton  s'expliquait  la  rougeur  et  la  vascularisa- 
tion  inflammatoire. 

Ce  n'était  là  qu'une  hypothèse  qu'aucun  fait  anato- 
mique,  rigoureusement  observé,  ne  venait  démontrer. 
Opendant,  l'expérimentation  physiologique  n'était  pas 
contraire  à  cette  hypothèse  :  au  point  de  vue  expéri- 
mental, les  choses  se  passent,  en  effet,  absolument 
comme  si  les  lymphatiques  communiquaient  avec  le  sys- 
tème artériel.  Que  l'on  injecte  du  prussiate  de  potasse 
dans  le  cœur,  ou  directement  dans  une  artère,  on  re- 
trouvera ce  sel  avec  la  même  rapidité,  c'est-à-dire  au 
bout  de  vingt  à  vingt -trois  secondes,  aussi  bien  dans  les 
lymphatiques  que  dans  les  veines  de  la  région  où  se 
distribue  l'artère  sur  laquelle  on  a  opéré.  Avec  l'iodure 
de  potassium,  le  même  fait  se  constate  et  se  produit 
même  avec  plus  de  rapidité  encore.  Quels  que  soient  les 
résultats  que  donneront  les  recherches  anatomiques, 
nous  pouvons  considérer,  au  pointde  vue  des  substances 
chimiques  en  dissolution  introduites  dans  le  sang,  le  sys- 
tème artériel  comme  se  continuant  à  son  extrémité  pé- 
riphérique, pour  donner  simultanément  naissance  aux 
lymphatiques  et  aux  veines. 

A  l'époque  oiî  je  commençais  mes  études  anatomi- 
ques, la  mode  était  aux  injections  par  double  décom- 
position, c'est-à-dire  que,  pour  faire  des  préparations 
anatomiques  des  vaisseaux  d'un  tissu,  on  injectait  suc- 
cessivement ou  simultanément,  par  deux  vaisseaux  diffé- 
rents, deux  substances  en  dissolution  ;  ces  substances, 
sur  les  points  où  elles  se  rencontrent,  c'est-à-dire  au 


346  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

niveau  des  capillaires,  subissent  une  double  décompo- 
sition, d'où  résulte  un  précipité  coloré  qui  remplit  et 
rend  évidents  les  petits  vaisseaux.  C'est  ce  que  l'on 
obtient  en  injectant,  par  exemple,  du  prussiate  ou  du 
cbromale  de  potasse  d'une  part,  et  un  sel  de  fer  ou 
de  plomb  de  l'autre  :  les  petits  vaisseaux  sont  alors 
remplis  de  bleu  de  Prusse  ou  de  cbromate  de  plomb. 
Or,  dans  ce  cas,  on  obtient  une  injection  semblable  et 
des  vaisseaux  veineux  et  des  vaisseaux  lymphatiques. 
Seulement,  ces  préparations  ne  sont  pas  ordinairement 
transparentes  et  ne  peuvent  être  étudiées  que  par  la 
lumière  rétléchie. 

Ces  données,  qui  nous  montrent  qu'au  point  de  vue 
physiologique,  c'est-à-dire  au  point  de  vue  de  la  péné- 
tration et  du  transport  des  substances,  les  vaisseaux 
lymphatiques  peuvent  être  considérés  comme  faisant 
suite  au  système  artériel  aussi  bien  que  les  vaisseaux 
veineux,  ces  données  sont  cependant  insuffisantes  à  nous 
éclairer  sur  le  fait  anatomique.  Le  passage  des  artérioles 
aux  lymphatiques  est  évident  ;  mais  comment  a-t-il  lieu? 
Se  fait-il  directement  ou  succède-t-il  à  une  extravasa- 
tion  de  la  partie  liquide  du  sang  dans  les  lacunes  inter- 
organiques ,  dans  lesquelles  ce  liquide  serait  ensuite 
pompé  par  les  radicules  lymphatiques? 

Celte  dernière  manière  de  voir  paraît  aujourd'hui 
s'appuyer  sur  des  faits  anatomiques  d'une  grande  valeur. 
On  a  pu,  en  plusieurs  régions,  constater  que  les  lympha- 
tiques naissent  directement  par  des  ouvertures  compa- 
rables à  ce  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  bouches  ah- 
■sorhanies.  Sans  invoquer  les  anciennes  recherches  de 


ORIGINES    DES    LYMPHATIQUES.  v347 

Gruby  et  de  Delafond  sur  les  bouches  absorbantes  que 
ces  auteurs  avaient  cru  observer  au  sommet  des  villosilés 
intestinales,  nous  avons  les  recherches  plus  positives  de 
Recklingshausen  sur  les  pores  ou  bouches  béantes  qui  se 
montrent  sur  les  séreuses,  notamment  sur  la  lame  péri- 
tonéale  de  diaphragme,  et  qui  sont  le  point  de  départ 
de  capillaires  lymphatiques.  Par  ces  ouvertures  peuvent 
pénétrer  dans  le  système  lymphatique  des  particules 
solides,  telles  que  les  fines  sphères  graisseuses  d'une 
émulsion  de  graisse,  des  particules  de  vermillon  et 
d'autres  matières  colorées.  Les  recherches  de  M.  Ran- 
vier  ont  confirmé  sur  plusieurs  points  les  résultats 
oblenus  par  Rt^ckling.^hausen. 

On  pourrait  donc  être  porté  à  admettre  que  les  rap- 
ports du  système  lymphatique  et  des  mailles  du  tissu 
cellulaire  sont  les  mêmes  que  ceux  que  nous  venons  de 
voir  pour  les  cavités  séieuses.  Cette  opinion  est  d'autant 
plus  probable,  que  tout  tend  à  démontrer  l'analogie  la 
plus  complète  entre  les  cavités  séreuses  et  les  mailles  du 
tissu  conjonctif.  Nous  avons  déjà  dit  qu'en  injectant  de 
l'air  ou  de  l'azote  sous  la  peau  du  dos  des  lapins,  nous 
formions  de  véritables  cavités  séreuses.  Nous  nous  pro- 
posons d'étudier  bientôt  l'absorption  sur  ces  surfaces 
séreuses  artificielles,  afin  de  voir  si  nous  confirmerons 
ainsi  les  analogies  que  nous  signalons.  En  un  mot, 
quelles  que  soient  les  probabilités,  le  fait  anatomique 
n'a  pas  encore  reçu  de  solution  péremploire.  C'est  là 
une  question  qui  est  en  ce  moment  l'objet  d'études 
sérieuses,  nous  nous  garderons  de  la  trancher  d'une 
façon  ha.sardi'o. 


MS 


APPAREilL    ClUCULATOIRE. 


Mfiis,  ainsi  que  je  vous  l'ai  déjà  fait  comprendre, 
quelle  que  soit  la  solution  anatomique,  elle  ne  changera 
rien  à  nos  idées  relativement  aux  phénomènes  physio- 
logiques de  Tabsorplion:  il  est  bien  établi  par  l'expéri- 
mentation que  la  circulation  veineuse  et  la  circulation 
lymphatique  sont  dans  un  rapport  intime;  que  K's  deux 
systèmes  communiquent  ensemble  et  succèdent  égale- 
ment, et  à  peu  près  au  même  titre,  au  système  artériel. 

Ces  rapports  sont  si  intimes,  que  si  la  circulation  vei- 
neuse varie  dans  un  sens,  la  circulation  lymphatique 
variera  dans  le  sens  opposé,  et  vice  versa;  en  un  mot, 
les  deux  systèmes  sont  étroitement  solidaires.  Ainsi, 
lorsque  nous  mettons  à  nu,  sur  un  cheval  par  exemple, 
un  lymphatique  et  une  veine  provenant  de  la  même 
région,  toutes  les  fois  que  nous  gênerons  le  retour  du 
sang  veineux,  nous  verrons  augmenter  le  cours  de  la 
lymphe  ;  dès  que  nous  laisserons  abondamment  couler 
le  sang  veineux,  nous  verrons  diminuer  la  lymphe. 

Il  y  a  donc  véritablement,  au  point  de  vue  physiolo- 
gique, deux  circulations  absorbantes  ou  centiipètes  :  la 
circulation  veineuse  et  la  circulation  lymphatique.  Mais, 
de  plus,  ces  deux  circulations  sont  dans  un  équilibre 
sans  cesse  mobile  :  les  liquides  peuvent  passer  inces- 
samment du  sang  dans  les  lymphatiques  et  des  lympha- 
tiques dans  le  sang,  et  nous  verrons  plus  tard  que  les 
systèmes  nerveux  vaso-moteur  sanguin  et  vaso-moteur 
bjmphatiqne  ont  une  grande  influence  sur  ces  phéno- 
mènes (1). 

{\}  Nous  savons  aujoiirJ'Iiui  qtiil  faut  dislinguer  deux  espèces  de  nerfs 
vasn-inotcurs  :  les  uns  vaso-constricteurs,  les  autres  vaso-dUataleurs.  Dans" 


ABSORPTION    PAR    LES    VEINES.  849 

Les  théories  qui  veulent  douer  l'un  de  ces  systènries 
à  l'exclusion  de  l'autre  du  pouvoir  absorbant  se  trouvent 
en  complet  désaccord  avec  les  faits.  Mais  si  nous  cher- 
chons à  trouver  une  diiïérence,  non  de  degré  absolu, 
iiiaisde  nature  et  de  mode,  entre  cesdeux  voies  d'absorp- 
tion, je  crois  que  nous  la  trouverons  plus  facilement 
en  considérant  les  rapports  du  sang  avec  le  milieu  inté- 
rieur et  avec  les  liquides  inlraorgauiques,  c'est-à-dire 
avec  les  sérosités  répandues  dans  les  mailles  des  tissus. 

Les  absorptions  par  lesquelles  le  sang  puise  ses  élé- 
ments, soit  liquides,  soit  gazeux,  dans  le  milieu  exté- 
rieur, ces  absorptions  sont  essentiellement  le  fait  des 
vaisseaux  veineux  :  c'est  ainsi  que  sont  introduits  dans 
l'organisme  les  gaz  de  la  respiration,  les  matériaux  de 
la  digestion.  Par  contre,  les  matériaux  qui  sont  sortis 
du  sang,  qui  ont  baigné  les  tissus,  qui  ont  servi  à  la 
nutrition  des  éléments  anatomiques,  les  liquides  inter- 
stitiels, en  un  mot,  qui  sont  l'objet  de  ce  que  nous  pou- 
vons appeler  une  absorption  iiiterne,  ceux-là  sont  puisés 
parles  lymphatiques  et  ramenés  par  eux  dans  le  torrent 
circulatoire.  Les  lymphatiques,  à  leur  origine,  forment 
un  réseau  inlerorgamque  continu;  ils  président,  quelles 
que  soient,  du  reste,  leurs  dispositions  anatomiques,  aux 
phénomènes  par  lesquels  le  liquide  circulant  sort  des 
capillaires  sanguins,  se  met  en  contact  avec  les  élé- 
ments anatomiques,  et  enfin  retourne  faire  partie  de  la 

rempoisonnement  par  le  curare,  raction  des  nerfs  vaso-dilatateurs  persiste 
souvent  la  deriiiire,  CDmnie  celle  des  nerfs  oculo-pupillaires,  dont  il  faut  les 
rapprocher  sous  divers  r.ipports.  Les  ncrls  vaso-constricteurs  ont  des  carac- 
tères opposé*.  Nous  étudierons  avec  soin  ces  phénomènes  nerveux  qui  lèglent 
la  circulaliou  capillaire  sanguine  et  lytnpha.i(|ue,  et  que  nous  ne  faisons  que 
-i^n.ilcr  ici  (voy.  no:-  leçons  sur  le  Diabète. 


35(>  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

masse  sanguine.  A  côté  de  la  circulation  proprement 
dite  du  sang,  nous  avons  donc  à  considérer  une  circu- 
lation interstitielle  ou  lymphatifiue,  qui  se  trouve  en 
rapport  intime  avec  les  phénomènes  essentiels  de  la  vie 
propre  à  chaque  élément  analomique. 

Je  crois  avoir,  le  premier,  énoncé  cette  proposition, 
que  les  actions  toxiques  médicamenteuses  ou  autres  se 
portent  sur  des  éléments  histologiques  spéciaux  et  non 
sur  des  tissus,  des  organes,  ou  sur  des  appareils,  .l'ai 
donné  pour  exemple  l'action  du  curare  sur  les  nerfs 
moteurs,  de  l'oxyde  de  carbone  sur  les  globules  rouges 
du  sang,  etc.  (1).  Celte  idée  s'est  confirmée  par  beau- 
coup d'observations  nouvelles,  et  elle  devient  le  point 
fondamental  de  nos  recherches  actuelles.  Il  ne  suftit 
pas,  en  effet,  qu'une  substance  active  soit  absorbée,  il 
faut  qu'elle  parvienne  aux  éléments  sur  lesquels  elle  est 
capable  d'exercer  son  action.  Il  pourra  donc  arriver  des 
cas  où  la  substance,  quoique  absorbée,  n'agira  pas  sur 
l'organisme  parce  qu'elle  ne  sera  pas  parvenue  à  son 
élément  spécial.  C'est  là  un  premier  fait  que  nous  allons 
établir  devant  vous  en  remontant  ensuite  graduellement 
dans  le  cours  du  problème  de  l'absorption. 

Parmi  les  substances  solubles,  exerçant  une  action 
sur  l'organisme,  celles  qui  peuvent  se  dégager  à  l'état 
de  vapeur  de  leurs  solutionssont  beaucoup  moins  actives, 
ou  ne  le  sont  môme  pas  du  tout.tiuand  on  les  fait 
absorber  par  toute  autre  surface  que  la  surface  pulnio- 

(1)  Voyez  mes  Expériences  sur  le  curare,  18ii  {C.  It.  de  rAciulémie  des 
sciences,  t.  XLUI,  p.  825].  —  Voyez  mes  leçons  sur  les  Substances  toxiques 
et  médicamenteuses.  Paris,  1857,  cl  la  Science  expérimentale,.  2'  éflition. 
i878,  p.  237. 


ABSORPTION    PAR    LES   VEINES.  351 

iiaire.  Toutes  ces  substances,  dissoutes  dans  des  liquides 
injectés  sous  la  peau,  subissent  le  premier  acte  de  l'ab- 
sorption, c'esl-tà-dire  qu'elles  pénètrent  dans  les  veines, 
mais  elles  tendent  à  s'échapper  du  milieu  intérieur  dès 
(ju'elles  sont  arrivées,  avec  le  sang  veineux,  au  niveau 
de  la  surface  pulmonaire.  Pour  l'alcool,  pour  les  aiçents 
aneslhésiques  tels  que  l'éther  et  le  chloroforme,  il  en 
t'st  ainsi,  comme  vous  allez  vous  en  convaincre.  Voici, 
par  exemple,  un  lapin  sous  la  peau  duquel  nous  injec- 
tons 2  centimètres  cubes  d'éther  :  l'animal  n'en  éprouve 
aucun  effet;  nous  pouvons  facilement  constater  que  l'air 
qu'il  expire  exhale  sensiblement  l'odeur  de  l'éther.  C'est 
qu'en  elïet,  à  la  dose  de  "2  centimètres  cubes,  l'agent 
anesthésique  est  éliminé  à  peu  près  complètement  au 
moment  de  son  passage  dans  les  capillaires  pulmonaires, 
ou  bien  il  n'en  est  passé  dans  le  sang  artériel,  qui  est 
porté  dans  les  capillaires  généraux,  qu'une  dose  insuf- 
fisante pour  agir  sur  les  éléments  de  tissus  et  notam- 
ment sur  ceux  des  centres  nerveux.  Si  nous  injectons, 
au  contraire,  chez  un  autre  lapin,  une  dose  de  4  centi- 
mètres cubes  d'éther  sous  la  peau  du  dos,  vous  voyez 
l'animal  ressentir  bientôt  tous  les  signes  de  l'anesthé- 
sie;  l  élimination,  dans  ce  cas,  a  été  incomplète  ou  telle 
que  les  vapeurs  d'éther,  saturant  l'air  des  alvéoles  pul- 
monaires, ont  été  de  nouveau  puisées  à  ce  niveau  par  le 
sang  artéi  iel  dans  lequel,  dès  lors,  elles  se  sont  trouvées 
en  quantité  suffisante  pour  arriver  au  niveau  des  capil- 
laires des  centres  nerveux,  se  répandre  au  contact  des 
éléments  analomiques,  et  nous  révéler  la  production 
de  la  dernière  phase  de  l'absorption,  en  amenant  la 


35:2  APPAIIEIL    ClRCUL.VrOIRK. 

cessation  tlos  fonctions  de  ces  éléments,  c'jest-à-dire 
l'anesthésie. 

Vous  comprenez  combien  cette  distinction  des  deux 
étapes  de  l'absorplion  est  importante  à  connaître,  puisque 
le  fait  de  l'interposition  d'une  porte d'échnppement  entre 
ces  deux  actes  peut  supprimer  le  dernier,  celui  qui  se 
manifeste  par  les  signes  les  plus  sensibles.  Et  cette  dis- 
tinction est  d'autant  plus  utile  que  l'efficacité  de  l'éli- 
mination, dont  nous  venons  de  vous  donner  un  exemple 
au  niveau  de  la  surface  pulmonaire,  varie  avec  la  dose 
de  sub>tance  active  soumise  à  la  première  phase  de 
l'absorption. 

Nous  pouvons  reproduire  des  expériences  du  même 
ordre  avec  de  l'hydrogène  sulfuré.  Vous  savez,  par 
exemple,  que  l'hydrogène  sulfuré,  quand  on  le  respire, 
est  Irès-toxique,  même  à  assez  faible  dose  ;  cependant 
on  peut  boire  des  eaux  sulfureuses  sans  éprouver  aucun 
effet  d'empoisoimement.  C'est  que,  dans  ce  dernier  cas, 
l'absorption  par  la  surface  intestinale  est  assez  lente 
pour  que  les  faibles  doses  de  gaz  sullhydrique  intro- 
duites dans  le  sang  veineux  en  soient  totalement  élimi- 
nées au  niveau  des  capillaires  pulmonaires.  Il  en  est  de 
même  pour  l'éther,  le  chloroforme.  Absorbées  directe- 
ment en  vapeur  par  le  poumon,  ces  substances  agissent 
énergiquement  ;  absorbées  par  la  surface  intestinale, 
elles  sont  éliminées  par  le  poumon  et  restent  sans  effets 
sur  l'organisme.  L'acide  prussique  serait  sms  doute 
dans  le  même  cas  que  les  substances  que  nous  venons 
de  citer. 

Dans  une  leçon  antérieure,  je  vous  ai  rendus  témoins 


INJECTIONS    INTRAVEINEUSES.  353 

de  l'élirainalion  de  l'hydrogène  sulfuré  en  vous  montrant 
que  du  papier  à  l'acélale  de  plomb  noircissait  dès  qu'on 
le  plaçait  humide  dans  le  courant  d'air  expiré  par  un 
lapin,  sous  la  peau  duquel  nous  avions  injecté  une  faible 
dose  de  solution  d'hydrogène  sulfuré. 

Dans  ce  cas,  le  lapin  n'était  nullement  empoisonné; 
mais  si  la  dose  injeclée  était  plus  considérable,  nous 
voyions,  comme  tantôt  avec  l'éther,  la  substance  mani- 
fester son  action  ;  l'absorption  par  le  tissu  cellulaire  était 
très-rapide  et  portait  dans  le  sang  une  quantité  de  gaz 
toxique  trop  considérable  pour  que  tout  s'éliminât  au 
niveau  du  poumon. 

Nous  avons  fait,  dans  un  cas,  l'expérience  avec  une 
solution  concentrée  d'hydrogène  sulfuré  injecté  sous  la 
peau  ;  mais  nous  avons  aussi  injecté  l'acide  sulfhydrique 
à  l'état  de  gaz,  et  nous  avons  obtenu  des  résultats  ana- 
logues. 

En  résumé,  toutes  les  circonstances  qui,  pendant  le 
transport  d'un  agent  toxique  ou  médicamenteux  par  le 
torrent  sanguin,  peuvent  amener  l'élimination  de  cet 
agent  avant  qu'il  parvienne  au  niveau  des  capillaires 
généraux,  suppriment  par  ce  fait  même  l'action  qu'on 
s'attendait  à  observer.  Il  y  a  encore  plus  :  il  ne  suffît  pas 
que  la  substance  arrive  jusqu'aux  capillaires  du  tissu 
sur  lequel  elle  doit  porter  son  action,  il  faut  encore 
qu'elle  sorte  de  ces  capillaires  pour  aller  baigner  direc- 
tement les  éléments  anatomiques  dans  le  plasma  lym- 
phatique au  milieu  duquel  ils  vivent.  Ce  que  nous 
disons  ici  des  poisons  peut  également  s'appliquer  aux 
substances  nécessaires  à  la  vie.  à  l'oxygène  par  exemple, 

CL.  BERNARD.  —  Physiol.  opéf.  23 


.'$54  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

qui  n'arrive  pas  directement  aux  éléments.  Il  semblerait 
même  que  l'action  directe  de  Toxygène  est  nuisible  aux 
éléments  organiques,  et  que  ceux-ci  doivent  être  con- 
stamment plongés  dans  un  milieu  chargé  d'une  forte 
proportion  d'acide  carbonique.  C'est  ce  que  semblent 
du  moins  montrer  les  analyses  de  la  lymphe. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pour  le  moment,  nous  allons  mettre 
on  évidence,  par  des  expériences,  les  diverses  phases  de 
l'absorption.  En  opérant  avec  le  poison  des  nerfs  mo- 
teurs, avec  le  curare,  il  nous  est  facile  de  démontrer 
qu'il  y  a,  au  point  de  vue  de  l'effet  définitif,  interne, 
de  l'absorption  du  poison,  deux  actes  bien  distincts, 
deux  absorptions  :  l'une  par  laquelle  la  substance  en 
expérience  pénètre  et  est  transportée  dans  le  torrent 
sanguin  ;  l'autre  par  laquelle  cette  même  substance, 
contenue  dans  le  sang,  sort  des  capillaires  et  agit  sur 
l'élément  anatoinique.. 

Voici,  par  exemple,  un  lapin  sous  la  patte  duquel 
nous  injectons  3  centimètres  cubes  d'une  dissolution  de 
curare  à  2  pour  100,  c'est-à-dire  que  nous  déposons 
sous  la  peau  6  centigrammes  de  curare;  cette  dose  est 
plus  considérable  qu'il  ne  faut  pour  produire  la  mort  de 
l'animal.  Lorsque  les  premiers  symptômes  de  l'empoi- 
sonnement se  manifestent,  nous  amputons  rapidement 
le  membre  qui  a  reçu  l'injection.  Au  moment  de  cette 
amputation,  qui  arrête  toute  nouvelle  introduction  du 
poison  dans  le  sang,  les  muscles  de  la  respiration  n'é- 
taient pas  encore  paralysés;  il  semblait  donc  que  l'ac- 
tion toxique  devait  s'arrêter  et  que  l'animal  devait  con- 
tinuer à  vivre.  Point  du  tout  ;  vous  voyez  les  symptômes 


PHASES    SUCCESSIVES    DE    l'aBSORPTIOX.  855 

de  l'empoisonnement  se  continuer,  se  généraliser  de 
plus  en  plus,  la  respiration  devenir  difficile,  puis  s'arrêter 
et  l'animal  succomber. 

C'est  qu'en  effet,  au  moment  où  nous  supprimons 
par  l'amputation  du  membre  l'entrée  du  poison,  une 
quantité  considérable  de  curare  avait  déjà  pénétré  dans 
le  sang  :  de  cette  quantité,  une  partie  seulement  avait 
agi  sur  les  nerfs  moteurs  les  plus  sensibles  à  cette  action, 
respectant  les  nerfs  de  la  respiration  ;  mais  le  reste  a  pu 
encore  venir,  après  l'amputation,  agir  sur  ces  derniers 
nerfs.  Nous  avons  donc,  en  amputant  le  membre,  arrêté 
la  pénétration  dans  le  sang,  mais  non  la  pénétration 
dans  les  éléments  anatomiques,  du  poison  déjà  contenu 
dans  le  milieu  intérieur.  Des  deux  phases  de  l'absorption, 
nous  n'avons  interrompu  que  la  première,  laissant  lu 
seconde  se  manifester  dans  toute  son  évidence  et  dans 
toute  son  étendue. 

Au  lieu  d'amputer  le  membre,  nous  pouvons,  par  une 
ligature  fortement  serrée  appliquée  au  niveau  de  sa 
racine,  supprimer  également  la  source  d'introduction 
du  poison  dans  le  sang.  Nous  observons,  dans  ce  cas,  le 
même  phémomène. 

Ainsi,  d'après  l'expérience  qui  précède,  nous  voyons 
que  la  substance  toxique  n'agit  qu'un  certain  temps 
après  avoir  pénétré  dans  le  sang.  Nous  voyons  de  plus 
(ju'au  moment  où  les  premières  atteintes  du  poison 
apparaissent,  il  y  en  a  déjà  une  dose  mortelle  qui  a 
pénétré  dans  le  sang.  Toutefois,  ici  encore,  il  faut  pré- 
ciser les  expériences.  Si  la  dose  de  poison  est  moins 
forte,  avec  la  même  quantité  de  liquide,  l'absorption  de 


356  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

la  substance  toxique  sera  proportionnellement  dimi- 
nuée, et,  au  moment  où  les  premiers  accidents  toxiques 
apparaîlrout,  on  pourra  les  arrêter  parce  que  la  quan- 
tité de  substance  toxique  absorbée  ne  sera  pas  suffi- 
sante pour  amener  nécessairement  la  mort.  Ce  fait 
sera  mis  en  évidence  par  les  expériences  suivantes  dans 
lesquelles  on  a  substitué  la  ligature  du  membre  à  l'am- 
putation. 

Sur  ce  lapin  nous  injectons,  sous  la  patte  postérieure, 
une  dose  moindre  de  poison,  3  centimètres  cubes  d'une 
solution  de  curare  de  i  sur  ^200  d'eau  (soit  i  centi- 
gramme 1/2  de  poison).  Dès  que  les  symptômes  se 
manifestent,  dès  que  l'animal,  impuissant  à  se  lenii 
sur  ses  membres,  va  tomber  sur  le  flanc,  nous  lions 
fortement  la  cuisse  à  sa  partie  inférieure,  de  manière 
-à  y  supprimer  la  circulation ,  et  par  suite  toute  nou- 
velle entrée  du  poison  dans  le  sang.  Cependant  l'em- 
poisonnement continue  encore  :  Tanimal  tombe  sur  le 
flanc  ;  mais,  vu  la  dose  plus  faible  de  poison,  la  respira- 
tion n'est  pas  atteinte  ;  il  ne  succombe  pas. 

Ainsi,  rien  de  plus  net  que  cette  succession  des  deux 
phénomènes  de  l'absorption  :  l'un  par  lequel  le  sang 
puise  le  poison  introduit  dans  le  tissu  cellulaire;  l'autre 
par  lequel  les  éléments  anatomiques  puisent  le  poison 
dans  le  sang. 

Pour  ce  second  acte,  il  faut  que  le  poison  arrive  au 
niveau  des  capillaires  et  que  de  ceux-ci  il  pénètre  dans  le 
liquide  interstitiel  qui  baigne  immédiatement  les  élé- 
ments anatomiques.  Voici  un  autre  fait  qui  semble  bien 
démontrer  la  nécessité  de  cette  extravasation  ou  trans- 


PHASES    SUCCESSIVES   DE   l' ABSORPTION.  357 

sudation,  pour  que  cette  seconde  phase  de  l'absorption  se 
produise  :  il  suffit  d'ouvrir  largement  la  veine  qui  vient 
d'un  muscle,  et  de  laisser  couler  le  sang  veineux  :  si 
alors  on  injecte  du  curare  dans  un  rameau  collatéral  de 
l'artère  de  ce  muscle,  on  n'observe  pas,  ou  très-lente- 
ment, l'empoisonnement  local  du  muscle,  dont  les  vais- 
seaux charrient  cependant  du  sang  intoxiqué.  C'est  que 
l'ouverture  de  la  veine  et  l'écoulement  du  sang  ont  sup- 
primé la  pression  rétrograde  et  collatérale  qui  était 
nécessaire  à  l'exsudation  du  plasma,  et  par  suite  à  la 
mise  en  contact  du  poison  avec  l'élément  de  tissu.  Mais 
dès  que  nous  comprimons  la  veine,  nous  voyons  l'em- 
poisonnement se  manifester,  parce  que  les  conditions 
mécaniques  dont  je  viens  de  vous  montrer  l'importance 
ont  été  rétablies. 

Ce  que  nous  venons  de  signaler  ici  pour  l'ouverture 
d'une  veine  est  ce  qui  se  produit,  jusqu'à  un  certain 
point,  lors  de  l'absorption  des  liquides  qui  se  réduisent 
facilement  en  vapeur.  On  pourrait  dire  que  le  liquide 
toxique  se  divise  en  deux  parties  :  une  qui  passe  son 
chemin  ou  s'exhale,  l'autre  qui  pénètre  dans  l'élément. 
Suivant  la  dose  du  poison,  suivant  les  conditions  de 
pression  sanguine,  les  deux  quantités  de  substances 
changent  de  rapports  et  amènent  conséquemment  des 
effets  différents. 

Vous  voyez  ainsi  qu'il  ne  faut  pas  confondre  le  fait  de 
pénétration  dans  le  sang  avec  celui  de  l'empoisonne- 
ment proprement  dit.  Vous  voyez  de  plus  que,  dans 
l'étude  des  phénomènes  de  l'organisme  vivant,  rien  ne 
doit  être  négligé  :  il  n'y  a  pas  de  conditions  d'impor- 


:i58  APPAREIL    CIKCLLATOIRE. 

tance  miiiiine  ;  toutes  ont  une  influence  dont  il  faut 
savoir  tenir  exactement  coin|ite.Que  de  variétés,  que  de 
résullals  divers,  en  apparence  capricieux,  nous  a  pré- 
sentés, il  y  a  un  instant,  ce  seul  exemple  d'une  injection 
de  curare,  selon  les  circonstances  diverses  où  elle  est 
pratiquée!  Mais  l'analyse  exacte  des  faits  nous  montre 
que  ces  manifestations  n"ont  rien  de  \ariable,  ni  de 
capricieux;  que  tout  dépend  de  conditions  délicates 
à  déterminer,  il  est  vrai,  mais  toujours  dans  un  rap- 
port exact,  fatal,  immuable,  avec  les  résultats  obtenus. 
Comme  les  lois  des  phénomènes  physiques,  celles  des 
phénomènes  de  la  vie  sont  exactement  déterminables  ; 
mais  les  conditions  sont  infiniment  plus  délicates  à 

préciser. 

Revenons  à  notre  lapin.  Nous  avions  fortement  lié  son 
membre  postérieur  dès  les  premiers  symptômes  de  l'em- 
poisonnement curarique  ;  cependant  cet  empoisonne- 
ment, malgré  l'obstacle  mis  à  toute  nouvelle  introduc- 
tion d'agent  toxique  dans  le  sang,  cet  empoisonnement 
a  continué  ta  augmenter  un  peu  :  Tanimal  est  tombé  sur 
le  flanc.  C'est  que  le  curare  contenu  dans  la  masse  san- 
guine arrivait  de  plus  en  plus  au  contact  des  éléments 
anatomiques,   des  extrémités  périphériques  des  nerfs 
moteurs.  Mais  cette  action  est  bientôt  arrivée  à  son 
summum,  qui  n'est  pas  allé  jusqu'à  paralyser  les  muscles 
de  la  respiration.  Aussi  l'animal  a-t-il  pu  éliminer  len- 
tement le  poison;  et,  tandis  que  je  vous  exposais  d'autres 
expériences  et  les  réflexions  générales  qu'elles  doivent 
nous  inspirer,  l'animal  revenait  complètement  à  lui. 
Vous  voyez  maintenant  ce  lapin  présenter  tout  à  fait 


PHASES   SUCCESSIVES   DE    l'aBSORPTION.  359 

Taspect  normal  :  il  a  recouvré  ses  mouveaients  volon- 
taires, il  circule  spontanément  sur  la  table.  Mais  il  porte 
dans  son  membre  postérieur  une  source  de  poison  dont 
nous  n'avons  fait  qu'arrêler  l'introduction  dans  le  sang  : 
enlevons  maintenant  l'obstacle  que  nous  avions  opposé 
à  cette  première  phase  de  la  série  des  actes  de  l'absorp- 
tion, délions  la  ligature. 

Vous  voyez  bientôt  l'empoisonnement  se  reproduire 
et  les  mouvements  volontaires  disparaître  d'autant  plus 
vite  que  nous  attendons  moins. 

Si  au  lieu  de  délier  la  ligature  en  ce  moment,  pour 
voir  encore  se  reproduire  les  phénomènes  d'empoison- 
nement, nous  la  laissionsjusqu'à  demain,  qu'arriverait-il 
alors?  Nous  avons  fait  souvent  cette  expérience  dans  le 
laboratoire,  et  nous  avons  observé  que,  si  on  laisse  la 
ligature  pendant  vingt-quatre  heures,  l'empoisonnement 
ne  se  reproduit  souvent  plus  au  bout  de  ce  temps,  quand 
on  enlève  les  liens.  Qu'est-il  donc  arrivé  dans  ce  laps 
de  temps?  Le  poison  introduit  sous  la  patte  s'y  est-il 
altéré?  s'y  est-il  détruit?  Gula  n'est  pas  probable  :  il  a 
sans  doute  été  absorbé,  introduit  dans  le  sang,  mais 
d'une  manière  très-lente,  et  transporté  dans  l'organisme 
par  un  reste  de  circulation  que  notre  ligature  n'avait 
peut-être  point  arrêtée,  par  la  circulation  de  la  moelle 
des  os,  sans  doute. 

Cette  absorption  a  dû  être  si  lente,  que  jamais  le  poi- 
son ne  s'est  trouvé  dans  l'organisme  en  quantité  suffi- 
sante pour  manifester  sa  présence  ;  étant  éliminé  au 
fur  et  à  mesure,  il  n'a  pu  s'accumuler  jusqu'au  degré 
nécessaire  pour  agir  sur  aucune  extrémité  nerveuse. 


360  APPAREIL    ClRCULATOlRe. 

Quand  on  laisse  la  ligature  pendant  vingt-quatre  ou 
trente-six  heures,  i!  ne  faut  pas  trop  [serrer,  parce 
qu'alors  il  y  a  sphacèle  du  membre,  et  dans  ce  cas  les 
conditions  d'absorption  sont  nécessairement  changées. 
C'est  pourquoi  nous  faisons  construire  en  ce  moment 
un  petit  appareil  pour  serrer  graduellement  le  membre, 
de  manière  à  graduer  également  l'absorption  et  à  régler 
les  effets  des  substances  toxiques  et  médicamenteuses. 

Voici  un  autre  lapin.  Nous  injectons  sous  la  patte 
postérieure  2  centimètres  cubes  d'une  solution  de  curare 
à  2  pour  100,  c'est-à-dire  que  nous  injectons  4  centi- 
grammes de  curare.  A  peine  les  premiers  symptômes  se 
manifestent-ils,  qu'une  forte  ligature  est  appliquée  sur 
la  cuisse;  après  avoir  légèrement  augmenté,  les  signes 
de  l'empoisonnement  se  dissipent  :  voici  l'animal  revenu 
à  lui.  Nous  ouvrons  de  nouveau  la  porte  au  poison , 
c'est-à-dire  que  nous  erdevons  la  ligature,  et  les  choses 
se  passent  comme  précédemment,  mais  avec  plus  de 
rapidité,  la  dose  injectée  étant  double.  Aussi  faut-il  nous 
hâter  d'appliquer  les  liens  pour  arrêter  encore  une  fois 
l'intoxication  ;  nous  éprouvons  un  léger  retard  dans 
l'application  de  ces  liens,  ce  retard  peut  être  fatal 
à  l'animal.  Vous  voyez,  en  effet,  que  Fextension  de  la 
paralysie,  telle  que  nous  l'observons  toujours  quelques 
instants  après  l'application  de  la  ligature,  va  cette  fois 
jusqu'à  frapper  les  muscles  du  thorax  :  la  respiration 
s'arrête;  nous  ne  sommes  pas  en  mesure  de  pratiquer 
immédiatement  la  respiration  artificielle  ;  l'animal  suc- 
combe. 

Vous  voyez  qu'il  faut  tenir  compte  des  moindres 


ABSORPTION    DES   GAZ.  361 

variations  dans  les  données  de  l'expérience.  Nous  avons 
encore  à  perfectionner,  dans  ce  sens,  quelques  parties 
de  notre  instrumentation.  Il  nous  faudra,  comme  je  vous 
l'ai  dit,  réaliser  un  mode  de  ligature  sufCsamment 
rapide  pour  interrompre  d'une  manière  instantanée 
toute  communication  entre  l'organisme  entier  et  le 
membre  qui  a  reçu  l'injection.  D'autre  part,  nous  aurons 
à  reproduire  les  mêmes  expériences  en  injectant  le 
poison,  non  plus  dans  le  tissu  cellulaire,  mais  directe- 
ment dans  le  sang,  dans  les  veines.  Enfin,  le  choix  du 
poison  avec  lequel  on  agit  ne  saurait  être  indifférent  :  le 
curare  paralyse  les  vaso-moteurs,  comme  il  paralyse  les 
nerfs  moteurs  ordinaires;  il  agit  donc  sur  la  circula- 
tion au  niveau  des  petits  vaisseaux  ;  de  telle  sorte  qu'il 
peut  modifier  les  deux  phases  extrêmes  du  phénomène 
d'absorption,  c'est-à-dire  le  passage  de  la  substance 
toxique  dans  le  sang  et  sa  pénétration  au  niveau  des 
éléments  des  tissus. 

L'absorption  s'exerce  sui'  trois  ordres  de  substances  : 
les  gaz,  les  liquides  et  les  solides. 

Vous  avez  vu  comment  nous  injectons  les  gaz  sous  la 
peau.  A  cet  effet,  nous  nous  servons,  comme  pour  toutes 
les  injections  gazeuses  dont  vous  avez  été  témoins,  d'une 
petite  pompe  dite  pompe  de  Gay-Lussac  (fig.  97).  Elle 
communique  d'une  part,  soit  avec  une  vessie,  soit  avec 
la  partie  supérieure  d'une  cloche  à  robinet  renversée 
sur  Teau  et  contenant  le  gaz  toxique,  et  d'autre  part 
avec  un  tube  de  caoutchouc  (D)  dont  l'extrémilé  libre 
est  munie  d'une  canule  (E)  à  pointe  tranchante,  destinée 
à  être  introduite  sous  la  peau  de  l'animal.    Par  les 


862  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

iiiouveiiients  alternatifs  du  piston,  nous  puisons  le  ga/ 
toxique  dans  la  cloche  et  le  faisons  pénétrer  sous  la 
peau  de  l'animal,  d'où  nous  pouvons  le  retirer  apré^ 


un  certain  temps  par  un  mécanisme  d'aspiration  à  l'aide 
du  même  appareil. 

L'étude  de  l'absorption  des  gaz  injectés  sous  la  peau 


ABSORPTION    DES    GAZ.  363 

nous  il  montré  que  la  nature  du  gaz  influait  puissamment 
sur  la  rapidité  avec  laquelle  disparaissait  la  masse  gazeuse 
répandue  dans  le  tissu  cellulaire  ;  mais  nous  avons  vu 
en  même  temps  que  la  plus  ou  moins  grande  solubilité 
du  gaz  n'était  pas  la  seule  condition  qui  dût,  sous  ce 
rapport,  entrer  en  ligne  de  compte.  Si  l'hydrogène  sul- 
furé et  l'acide  carbonique  sont  très-vile  absorbés  dans 
les  mailles  du  tissu  cellulaire,  ce  fait  peut  facilement 
s'expliquer  par  la  grande  solubilité  de  ces  gaz,  qui  se 
dissolvent  dans  le  sang  des  capillaires  avec  lesquels  ils 
sont  en  contact.  Si  l'azote,  par  contre,  résiste  longtemps 
à  l'absorption,  nous  pouvons  invoquer  comme  explica- 
tion le  peu  de  solubilité  de  ce  gaz.  Mais  pour  l'oxygène, 
nous  observons  une  absorption  trop  rapide  pour  que  le 
degré  de  solubilité  suffise  à  nous  en  donner  l'explica- 
tion :  cela  tient,  nous  le  savons  aujourd'hui,  à  ce  qu'il 
nesagilpas  ici  seulement  d'une  simple  solution  de  ce 
gaz  dans  le  liquide  du  sang,  mais  encore  et  surtout 
d'une  véritable  combinaison  avec  les  éléments  figurés 
du  sang,  avec  les  globules  rouges  :  un  phénomène  par- 
ticidier  d'affinité  nous  rend  compte  de  ce  que  ne  pouvait 
nous  expliquer  la  solubilité  seule. 

Mais  en  expérimentant  avec  l'hydrogène,  nous  nous 
sommes  trouvés  en  face  de  phénomènes  imprévus  :  ce 
gaz  que  les  chimistes  considèrent  avec  juste  raison 
comme  un  des  plus  diffusibles;  ce  gaz  qu'il  est  si  diffi- 
cile d'enfermer  dans  des  ballons,  dans  des  poches 
membraneuses,  s'est  au  contraire  conservé  très-long- 
temps dans  les  mailles  du  tissu  cellulaire;  et  lorsqu'il  a 
disparu,  la  masse  gazeuse  qu'il  formait  primitivement 


364  APPAREIL    CIRCULATOIRK. 

subsistait  encore  en  grande  partie  sous  la  peau  des 
animaux  mis  en  expérience.  En  poursuivant,  en  effet, 
dans  le  laboratoire  les  recherches  que  nous  avions  com- 
mencées ici  sous  vos  yeux,  dans  nos  leçons  expérimen- 
tales, nous  avons  constaté  qu'au  bout  de  quatre  jours 
le  volume  d'hydrogène  injecté  sous  la  peau  d'un  lapin 
avait  été  remplacé  par  un  volume  presque  égal  d'azote. 
Ce  phénomène  parliculier  de  diffusion  est  très-remar- 
quable. Où  était  allé  l'hydrogène?  D'où  était  venu 
l'azote  ?  Ce  sont  là  des  questions  que  nous  chercherons 
à  résoudre,  mais  que  nous  ne  pouvons  que  poser  pour 
le  moment. 

L'étude  de  l'absorption  des  liquides  nous  a  présenté 
deux  cas  bien  distincts.  D'abord  l'absorption  des 
liquides  susceptibles  de  se  transformer  facilement  en 
vapeur  (éther,  chloroforme),  ou  contenant  leur  prin- 
cipe actif  sous  la  forme  de  gaz  en  solution,  nous  a  per- 
mis de  constater  comment  ces  substances  actives  peuvent 
sortir  de  l'organisme,  au  niveau  de  la  surface  pulmo- 
naire, après  avoir  été  transportées  par  le  courant  vei- 
neux, sans  entrer  dans  le  sang  artériel  en  quantité  suffi- 
sante pour  aller  agir  sur  les  éléments  des  tissus.  Nous 
avons  déjà  particulièrement  insisté  sur  ces  questions 
intéressantes  dans  le  cours  de  cette  leçon. 

Les  autres  liquides,  les  liquides  proprement  dits, 
nous  ont  fourni  l'occasion  de  discuter  l'importance  rela- 
tive du  système  veineux  et  du  système  lymphatique  dans 
l'absorption.  Nous  avons  été  amené  à  accorder  aux 
veines  un  rôle  sinon  exclusif,  du  moins  très-prépon- 
dérant. 


ABSOUPTION    DES    LIQUIDES.  365 

Nous  avons  vu  que  certaines  substances  salines  mé- 
talliques, injectées  dans  le  tissu  cellulaire,  s'y  fixent  et 
semblent  ne  pas  être  absorbées.  Tels  sont  les  sels  de  fer. 
Si  nous  injectons,  par  exemple,  du  lactate  de  fer  sous 
la  peau,  nous  constatons  que  le  lendemain  il  est  encore 
à  la  place  où  nous  l'avions  déposé;  car  en  touchant  le 
lieu  de  l'injection  avec  une  baguette  de  verre  trempée 
dans  le  prussiate  de  potasse,  et  en  rendant  la  réaction 
légèrement  acide,  nous  voyons  aussitôt  apparaître  la 
couleur  du  bleu  de  Prusse.  Si  nous  injectons,  dans  le 
tissu  cellulaire  d'une  région  éloignée ,  du  prussiate 
de  potasse  sous  la  peau,  nous  voyons  la  combinaison 
du  bleu  de  Prusse  se  faire  dans  le  point  où  le  fer  a  été 
déposé,  mais  non  au  lieu  d'injection  du  prussiate.  Nous 
avons  constaté  encore  que  certaines  substances  dissoutes, 
appartenant  à  la  classe  des  ferments  solubles,  présentent 
des  particularités  intéressantes  dans  leur  absorption. 
En  injectant  séparément  dans  des  points  distincts  de 
l'émulsine  et  de  l'amygdaline  dans  le  tissu  cellulaire 
sous-cutané,  la  réaction  des  deux  substances  n'a  pas  été 
apparente  en  donnant  naissance  à  de  l'acide  prussique, 
comme  cela  a  lieu  dans  le  sang;  mais  de  l'émulsine  pa- 
raissait se  retrouver  dans  le  foie,  comme  si  certaines 
substances  organiques  de  cet  ordre  étaient  capables  de 
s'emmagasiner  dans  le  foie  à  la  façon  des  substances 
métalliques.  Quant  aux  substances  solides,  nous  vou- 
lons parler  seulement  des  solides  divisés  en  particules 
très -Unes,  nous  ne  nous  sommes  pas  arrêté  longuement 
à  l'étude  de  leur  absorption;  pour  ces  corps,  il  y  a 
non  pas  absorption  proprement  dite,  mais  pénétration 


Sidio  APPAREIL   CIHCULATOIRK. 

mécanique,  plus  ou  moins  lente,  selon  des  conditions 
difficiles  à  préciser. 

Mais  de  nos  études  sur  l'absorption  il  est  résulté  ce 
fait  général  et  de  première  importance  en  physiologie 
expérimentale,  à  savoir,  qu'il  ne  suffît  pas,  pour  qu'une 
substance  manifeste  son  action  sur  l'organisme,  qu'elle 
ait  pénétré  dans  le  sang;  il  faut  encore  qu'elle  ail  été 
portée  par  celui-ci  aux  capillaires  des  tissus,  et  enfin 
qu'elle  soit  arrivée  au  contact  immédiat  des  éléments 
anatomiques  sur  lesquels  elle  manifeste  son  action. 

Il  y  a  donc  trois  actes  qui  se  passent  depuis  le  mo- 
ment où  une  substance  est  déposée  par  exemple  sous  la 
peau,  jusqu'à  celui  où  elle  manifeste  sa  présence  par 
des  troubles  généraux;  ces  trois  actes  sont  :  1"  la  péné- 
tration dans  le  sang  des  capillaires  avec  lesquels  le  con- 
tact est  établi;  2°  le  transpoit  par  le  sang  de  la  sub- 
stance absorbée;  >\"  enfin,  l'exsudation  ou  la  pénétration 
de  la  substance  au  niveau  des  capillaires  généraux.  En 
termes  plus  physiologiques  et  plus  précis,  nous  avons 
pu  nommer  ces  trois  actes  par  les  désignations  sui- 
vantes :  absorption  externe  ;  transport  ;  absorption 
interne. 

Nous  voudrions  aujourd'hui ,  après  avoir  bien  fixé 
dans  nos  expériences  précédentes  la  réalité  et  l'indépen- 
dance de  chacun  de  ces  actes,  en  apprécier  la  durée 
relative . 

Déjà  des  faits  de  connaissance  presque  vulgaire  nous 
njontrent  que  certaines  circonstances  peuvent  inodifiei" 
ces  durées  :  ainsi  nous  savons  que  le  curare  n'atteint  pas 
l'animal  aussitôt  qu'il  a  été  pris  :  il  faut  le  plus  souvent 


DURÉE    RELATIVE    DES    PHASES    DE    L  ABSORPTION.       867 

près  de  quatre  mitmles  pour  que  la  paralysie  se  pro- 
duise et  que  l'animal  succombe.  Mais  certaines  condi- 
tions peuvent  raccourcir  cet  espace  de  temps  :  ainsi  nous 
possédons  des  récits  de  chasse  qui  nous  montrent  que 
les  animaux  d'une  cerlaine  taille,  les  sangliers  par 
exemple,  succombent  d'autant  plus  vite  que  leur  bles- 
sure a  excité  en  eux  un  état  prononcé  de  fureur.  C'est 
que  dans  ce  cas  la  circulation  est  devenue  chez  eux  plus 
active  et  plus  précipitée,  et  que  par  suite  la  durée  totale 
des  trois  phases  de  l'absorption  a  été  considérablement 
restreinte  par  la  diminution  de  l'une  d'elles,  par  la  dimi- 
nution de  la  durée  de  la  phase  intermédiaire  ou  de 
transport;  de  plus,  le  poison  absorbé  sur  la  flèche  est 
absorbé  à  l'état  de  concentration  aussi  grande  que  pos- 
sible, ce  qui  accélère  l'empoisonnement,  parce  que  la 
quantité  maximum  du  poison  dissous  est  directement 
introduite. 

Occupons-nous  d'abord  de  la  première  phase  que  nous 
avons  désignée  sous  le  nom  d'absorption  externe  :  c'est 
elle  qui  prend  le  plus  de  temps,  ou  dont  la  durée  égale 
au  moins  celle  des  deux  phases  suivantes  :  il  nous  sera 
facile  de  le  démontrer. 

Vous  avez  vu  comment  nous  pouvions,  en  liant  forte- 
ment la  cuisse  d'un  lapin  qui  avait  reçu  une  injection 
de  curare  sous  la  patte  correspondante,  arrêter  les  phé- 
nomènes d'empoisonnement,  en  mettant  obstacle  au 
transport  de  l'agent  toxique  par  le  courant  sanguin. 
-Nous  avons  modifié  l'expérience  de  la  manière  sui- 
vante, pour  répondre  au  problème  spécial  que  nous 
avons  en  vue. 


368  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

Voici  un  lapin  dont  la  cuisse  a  été  liée  très-fortement 
il  y  a  trois  quarts  d'heure;  aussitôt  après  une  soluliou 
de  curare  a  été  introduite  sous  la  peau  de  la  patte  cor- 
respondante (3  centimètres  cubes  d'une  dissolution  à 
4  pour  100).  La  ligature  ayant  été  placée  avant  l'injec- 
tion, nous  avions  opposé  une  barrière  à  tout  phéno- 
mène de  transport  dans  l'organisme  général.  Depuis 
trois  quarts  d'heure  il  n'a  pu  se  produire  que  la  péné- 
tration dans  le  sang  de  la  patte  isolée  de  fait  du  reste  de 
l'animal.  Nous  enlevons  à  l'instant  la  ligature  et  nous 
observons  le  temps  qui  s'écoule  jusqu'à  ce  que  se  mani- 
festent les  symptômes  de  l'empoisonnement.  Lorsque 
l'on  fait  cette  observation  sur  un  animal  dont  le  mem- 
bre n'a  reçu  aucune  ligature,  il  s'écoule  quatre  mi- 
nutes entre  le  moment  où  l'injection  est  déposée  sous  la 
peau  de  la  palte  et  celui  où  la  paralysie  se  manifeste  : 
ces  quatre  minutes  représentent  le  temps  nécessaire  à 
Fabsorption  externe,  au  transport  et  à  l'absorption  in- 
terne; mais  dans  le  cas  actuel,  l'absorption  externe  est 
déjà  effectuée  en  partie;  lorsque  nous  enlevons  le  lien,  il 
n'y  a  presque  plus  à  compter  qu'avec  le  transport  et 
l'absorption  interne  pour  voir  se  produire  les  signes  de 
paralysie  ;  nous  aurons  donc  moins  à  attendre  que  pré- 
cédemment, et  la  différence  de  temps  nous  indiquera  à 
peu  près  la  durée  qui  doit  être  attribuée  à  la  phase  que 
nous  avons  supprimée  ici ,  c'est-à-dire  à  l'absorption 
externe.  Cette  expérience  démontre  donc  qu'en  l'absence 
de  la  circulation,  le  liquide  toxique  s'est  infiltré  dans  le 
tissu  cellulaire  et  a  pénétré  dans  les  vaisseaux  capillaires 
par  imbibition.  C'est  donc  un  fait  qui  vient  à  l'appui 


DURÉE   DE    l'absorption   EXTERNE.  369 

de  ridée  de  Magendie  que  l'absorption  se  fait  par  imbi- 
bition.  Vous  le  voyez,  en  effet,  messieurs,  l'animal  est 
bien  vile  pris;  ses  muscles  se  paralysent;  il  y  a  à  peine 
deux  minutes  que  la  ligature  a  été  enlevée.  Ainsi,  dans 
la  durée  de  quatre  minutes  que  demande  l'ensemble 
des  trois  phases  de  l'absorption  pour  le  cas  particulier 
du  curare,  deux  minutes  sont  consacrées  au  transport 
et  à  l'absorption  interne;  un  égal  espace  de  temps, 
c'est-à-dire  deux  minutes,  est  donc  nécessaire  au  seul 
acte  de  l'absorption  externe  :  cette  première  phase 
dure  à  elle  seule  aussi  longtemps  que  les  deux  sui- 
vantes. 

Il  nous  reste  à  cherchera  distinguer  la  durée  relative 
de  ces  deux  dernières. 

Nous  pouvons  aborder  directement  l'étude  de  la  du- 
lée  du  transport  par  le  sang  :  cette  recherche  a  été 
faite  par  plusieurs  physiologistes  qui  ont  déterminé  la 
durée  totale  d'un  double  cercle  circulatoire,  la  ra'indit(' 
de  la  circulation^  ou,  pour  le  dire  plus  nettement,  le 
temps  que  met  une  substance  introduite  dans  le  bout 
central  d'une  veine  pour  arriver  au  cœur  droit,  traverser 
le  poumon,  et,  du  cœur  gauche,  parcourir  les  artères, 
les  capillaires  et  revenir  par  le  bout  périphérique  de  la 
veine  mise  en  expérience.  Cette  durée  est  très-courte, 
plus  courte  qu'on  ne  pourrait  le  concevoir  à  priori,  puis- 
([u'elle  se  compte  non  pas  par  minutes,  mais  par  se- 
condes et  n'a  jamais  été  trouvée  supérieure  à  vingt-cinq 
ou  trente  secondes.  Elle  dépend  du  reste  de  la  taille  de 
l'animal,  c'est-à-dire  du  chemin  à  parcourir;  et  il  est 
('■viilent  qu'elle  doit  être  infiniment  plus  courte  chez  un 

CL.    BERNARD.   —  Phj'Siol.    Opéf.  24 


370  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

animal  de  petite  taille,  chez  un  rat,  par  exemple,  que 
chez  un  quadrupède  relativement  énorme,  comme  le 
cheval  ou  l'éléphant. 

Pour  agir  dans  des  circonstances  bien  déterminées, 
nous  prenons  ici  un  chien  dont  la  taille  est  de  i  mètre 
depuis  l'extrémité  du  museau  jusqu'à  la  racine  de  la 
queue.  Nous  découvrons  largement  la  veine  jugulaire 
du  côté  gauche  et  nous  plaçons  une  pince  à  pression 
continue  sur  la  partie  supérieure  de  cette  veine;  après 
avoir  exprimé  vers  le  cœur  le  sang  qui  remplit  la  partie 
inférieure  de  la  veine,  nous  plaçons  une  seconde  pince 
à  pression  à  environ  un  décimètre  au-dessous  de  la  pre- 
mière (flg.  98).  Nous  avons  donc  ainsi  un  segment  de 
veine  entièrement  vide  et  compris  entre  deux  ligatures 
très-faciles  à  enlever,  puisqu'elles  ne  sont  dues  qu'à  la 
pression  de  nos  pinces.  Dans  cette  portion  de  veine, 
nous  injectons  2  centimètres  et  demi  d'eau  contenant 
en  dissolution  1  gramme  de  prussiate  de  potasse.  La 
piqûre  de  la  canule  à  injection  a  été  faite  très-obli- 
quement dans  la  paroi  de  la  veine,  et  la  canule  une  fois 
enlevée,  le  vaisseau  demeure  plein  et  distendu  par  l'in- 
jection, dont  il  ne  laisse  rien  écouler. 

Nous  découvrons  alors  la  jugulaire  du  côté  opposé  et 
nous  faisons  à  ce  vaisseau  une  légère  incision  par  la- 
(juelle  s'écoule  d'une  façon  continue  un  mince  filet  de 
sang  (fig.  98).  Quelques  grammes  de  ce  sang  sont 
recueillis,  soumis  à  une  rapide  coction  avec  du  char- 
bon, et  dans  le  liquide  incolore  que  nous  obtenons  après 
filtration  nous  ajoutons  quelques  gouttes  d'un  sel  de 
fer  :  le  liquide  demeure  incolore.  Le  sang  ne  renferme 


RAPIDITÉ    DE    LA   CIRCULATION.  371 

pas  de  prussiate  de  potasse,  dont  les  moindres  traces 
nous  auraient  donné  la  coloration  si  caractéristique  du 
bleu  de  Prusse. 

Maintenant,  nous  allons  enlever  la  pince  à  pression, 
qui,  placée  sur  la  partie  inférieure  de  la  jugulaire  gau- 
che, empêche  le  prussiate  de  potasse  de  pénétrer  dans  le 
torrent  circulatoire.  Un  métronome  battant  la  seconde 
nous  sert  à  mesurer  le  temps.  Nous  présentons  succes- 
sivement à  la  veine  jugulaire  droite  des  verres  destinés 
à  recueiUir  le  sang  qui  s'en  écoule;  l'un  y  est  placé 
7  secondes,  l'autre  14  secondes,  le  troisième  24  secondes 
après  l'ablation  de  la  pince.  Dans  le  premier  verre,  qui 
contient  le  sang  recueilli  au  bout  de  7  secondes,  nous 
voyons  déjà  se  former  au  contact  d'un  sel  de  fer  la  cou- 
leur bleue  caractéristique. 

Ainsi,  au  bout  de  7  secondes  après  son  entrée  dans 
le  bout  central  de  la  jugulaire  gauche,  le  prussiate  de 
potasse  avait  déjà  fait  le  tour  complet  des  cercles  de  la 
grande  et  de  la  petite  circulation  pour  revenir  par  la 
veine  jugulaire  du  côté  droit.  Pour  le  prussiate  de  po- 
tasse, le  phénomène  de  transport  demande  donc  moins 
de  7  secondes;  car,  pour  arriver  aux  capillaires  géné- 
raux, le  trajet  à  parcourir  est  moins  long  de  toute  la 
distance  qui  sépare  ces  capillaires  des  gros  troncs  vei- 
neux ramenant  le  sang  vers  le  cœur.  D'ailleurs,  ce 
chiffre  de  7  secondes  n'est  pas  même  un  minimum 
pour  la  durée  d'un  trajet  circulatoire  complet. 

Nous  allons  maintenant  sur  ce  même  animal  répéter 
la  même  expérience,  mais  avec  une  substance  toxique, 
et  nous  chercherons  à  constater,  non  plus  l'apparition 


872  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

cle  cette  substance  clans  le  sang  veineux  revenant  des 
capillaires  généraux,  mais  l'apparition  des  symptômes 
d'empoisonnement. 


-c^ 


l'iti.  98.  —  Iiistallalion  de  l'expérience  pour  déterminer  la  diirdi.'  l'cliilive 
des  trois  actes  de  l'absorption. 

Nous  introduisons  dans  le  segment  veineux  gauche, 
isolé  entre  deux  pinces,  1  centigramme  de  strychnine  en 
solution  dans  2  centimètres  cubes  d'eau  :  puis  enlevant 
la  pince  inférieure,  nous  comptons  les  secondes  que 
trappe  le  métronome  jusqu'à  ce  que  l'empoisonnement 
se  manifeste.  Après?,  après  10,  après  15  secondes  rien 


DLRÉE    DE    l'absorption    INTERNE.  873 

encore.  Mais  voici  une  première  secousse  et  puis  un 
létauos  général  :  il  s'est  écoulé  21  secondes. 

Nous  avons  déjà  fait  cette  expérience  dans  le  labora- 
toire :  sur  un  chien  de  même  taille,  elle  nous  a  donné 
exactement  le  môme  résultat  pour  la  même  sub- 
stance (1). 

Or  l'expérience  avec  le  ferrocyanure  vient  d'assigner 
moins  de  7  secondes  comme  durée  des  phénomènes  de 
transport;  nous  pouvons  donc  dire  que,  dans  ce  cas,  la 
dernière  phase  de  l'absorption,  c'est-à-dire  l'absorption 
interne,  a  mis  à  se  produire  environ  14  secondes.  L'acte 
de  transport,  qu'on  aurait  'été  tenté  à  priori  de  consi- 
dérer comme  le  plus  long,  est  donc  celui  qui  demande 
Je  moins  de  temps. 

(1)  Le  temps  pourrait  un  peu  différer  selon  les  substances.  On  comprend. 
j>ar  exemple,  que  des  substances  qui  agissent  directement  sur  les  globules 
'lu  sang  doivent  manifester  leurs  effets  plus  rapidement,  parce  qu'elles  n'ont 
pas  à  pénétrer  jusqu'aux  éléments  de  tissus  plus  ou  moins  profondément 
•situés. 


DIX-SEPTIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  Expériences  sur  l'appareil  de  la  circulation.  —  De  l'origine  des^ 

veines.  —  Circulation  dite  dérivative. 
Cœurs  périphériques  veineux  et  lymphatiques.    —    Influence  du    système 

nerveux  et   des  poisons   sur  ces  cœurs.  —  Exsudation  de  la  lymphe.  — 

Influence  du  cur.are  sur  ce  phénomène.  —  Diapédèse  des  globules  blancs. 
Des  diverses  espèces  de  sangs.  —  Des  diverses  espèces  de  sang  veineux.  — 

Importance  de  leur  étude  comparée. 


Messieurs, 

Au  premier  abord,  la  question  de  l'oris^ine  des  veines 
est  de  la  plus  grande  simplicité  ;  les  capillaires  font  suite 
aux  artérioles,  et  les  veines  font  suite  aux  capillaires. 
Mais  au  point  de  vue  physiologique,  vu  la  différence  des 
phénomènes  qui  se  passent  dans  chacun  de  ces  systèmes, 
il  y  a  lieu  de  se  demander  s'il  n'existe  pas  un  point  pré- 
cis où  commence  l'un  et  finit  l'autre. 

Cette  question  paraissait  inutile  et  était  résolue  par 
la  négative,  à  l'époque  où  l'on  ne  voyait  dans  les  vais- 
seaux que  des  tubes  inertes,  que  de  simples,  canaux  de 
conduite  incapables  d'exercer  aucune  action,  même 
mécanique,  sur  leur  contenu.  Aujourd'hui  que  nous 
connaissons  le  rôle  actif  des  vaisseaux,  et  surtout  des 
petits  vaisseaux  si  riches  en  éléments  contractiles,  on 
est  parvenu  à  observer  des  caractères  qui  précisent 
exactement  chaque  limite  des  diverses  parties  du  sys- 


ORIGINES    DES    VEINES.  375 

tème  circulatoire  à  sang  rouge.  Je  vous  ai  montré  pré- 
cédemment que  chez  les  animaux  intérieurs,  rien  n'est 
plus  net  que  ces  limites,  puisque  chez  eux  le  système 
veineux  est  représenté  par  un  appareil  lacunaire  dans 
lequel  viennent  se  déverser  cà  plein  canal  les  terminai- 
sons artérielles.  Nous  avons  môme  vu  que  ces  terminai- 
sons, d'après  les  recherches  de  M.  de  Quatrefagessur 
les  némertes,  et  de  M.  Gerbe  sur  les  phyllosomes, 
étaient  pourvues  de  véritables  sphincters  capables  de 
présider  à  la  plus  ou  moins  grande  intensité  du  déver- 
sement artériel  dans  le  système  lacunaire  ou  veineux. 
En  partant  de  ce  fait,  nous  pourrions  donc  considérer 
le  système  veineux  comme  représenté,  dans  son  type  le 
plus  simple,  par  un  système  lacunaire.  C'est  là  en  effet  la 
conclusion  à  laquelle  nous  amènent  les  travaux  les  plus 
récents  des  histologistes.  M.  Ranvier,  observant  le  mode 
selon  lequel  les  capillaires  artériels  viennent  se  conti- 
nuer avec  les  veines,  a  démontré  (i)  que  ces  dernières 
commencent  par  de  véritables  ampoules,  des  bulbes 
dilatables  et  à  formes  variqueuses,  tandis  que  les  capil- 
laires artériels  qui  s'y  unissent  conservent  jusque  dans 
ce  point  leur  calibre  étroit,  mais  régulier  et  à  bords 
parallèles.  Les  origines  des  veines  sont  donc  comme  des 
lacunes,  ou  tout  au  moins  des  réservoirs  relativement 
considérables  dans  lesquels,  par  un  point  précis  d'abou- 
chement, très-facile  à  constater  sur  de  bonnes  prépara- 
tions injectées,  viennent  se  déverser  de  fines  ramifica- 
tions de  l'arbre  artériel. 


{[)  Voyez  I..  Ranvier,  Du  développement  et  de  l'accroissement  des  vaisseaux 
sanguins  (Arcliiv.  de  plujsiol.,  187i,  p,  429,  pi.  xviii  etxixi. 


876  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Il  y  a  entre  le  système  artéi'iel 
et  le  système  veineux  des  communications  autres  (jue 
celles  établies  par  les  capillaires;  dans  ces  cas  il  y  a 
continuation  directe  des  artères  dans  les  veines  par  des 
vaisseaux  d'un  calibre  relativement  considérable,  sur- 
tout si  on  le  compare  au  calibre  des  capillaires  vrais, 
.l'ai  autrefois  insisté  sur  une  disposition  de  ce  genre  qui 
se  constate  au  niveau  du  foie,  disposition  grâce  à 
laquelle  la  veine  porte  peut  communiquer  directement 
avec  la  veine  cave  inférieure,  sans  l'intermédiaire  des 
capillaires  du  lobe  hépatique  et  des  fines  origines  de  la 
veine  sus-hépatique.  Cette  communication  est  on  ne 
peut  plus  facile  à  constater,  même  sans  le  secours  d'au- 
cun instrument  grossissant.  Elle  existe  également  dans 
d'autres  viscères,  mais  d'une  manière  moins  évidente. 
Elle  a  été  signalée  parVirchow  dans  le  parenchyme  rénal. 
D'autre  part,  les  recherches  de  AI.  Sucquet  {De  la  circu- 
lation dêrivative,  1868)  ont  montré  que  des  communica- 
tions semblables  se  trouvaient  chez  l'homme  dans  les 
téguments  de  la  face,  des  mains,  des  pieds,  au  niveau 
des  articulations  du  genou,  du  coude,  etc.  C'est  à  l'en- 
semble des  vaisseaux  constituant  ces  communications 
directes  qu'il  a  donné  le  nom  de  circulation  dérivative, 
indiquant  ainsi  que  ces  canaux  pouvaient  détourner 
une  plus  ou  moins  grande  quantité  de  sang  du  réseau 
capillaire,  c'est-à-dire  de  \di  circulation  fonctionnelle.  Il 
est  probable  que  ces  deux  ordres  de  circulation  existent 
partout,  dans  tous  les  organes,  dans  tous  les  tissus. 

Revenons  à  la  circulation  du  sang  dans  les  vaisseaux 
capillaires,  et  examinons  tout  d'abord  les  causes  qui 


CIRCULATION    VEINEUSE.  377 

produisent,  d'une  manière  générale,  le  passage   des 
canaux  artériels  dans  les  canaux  veineux. 

Trois  causes  président  au  passage  du  sang  du  système 
artériel  dans  le  système  veineux,  ou  au  moins  favo- 
risent ce  passage. Nous  avons  d'abord  l'action  du  cœur; 
cette  action  est  indispensable  à  la  circulation,  et  il  serait 
inutile  d'insister  ici  sur  le  rôle  de  la  contraction  des 
ventricules.  Mais  il  faut  cependant  remarquer  qu'une 
autre  cause,  dont  il  faut  chercher  l'origine  dans  les 
propriétés  des  artères,  agit  encore  pour  chasser  le  sang 
vers  les  capillaires.  Sans  insister  ici  sur  l'analyse  de  ces 
actes  initiaux  de  la  circulation,  je  reproduirai  devant 
vous  une  expéiience  de  Magendie,  qui  met  dans  toute 
son  évidence  l'influence  à  laquelle  je  fais  allusion.  Voici 
l'artère  crurale  d'un  chien,  tout  à  fait  isolée,  ainsi  que 
la  veine  correspondante,  par  l'opération  qui  a  consisté 
à  sectionner  toutes  les  autres  parties  du  membre.  Cette 
artère  ainsi  mise  à  nu,  vous  la  voyez  pleine  de  sang, 
c'est-à-dire  cylindrique.  Nous  la  comprimons  eu  un 
point,  c'est-à-dire  que  nous  interceptons  toute  commu- 
nication entre  le  cœur  et  la  partie  du  vaisseau  située 
au-dessous  du  lieu  delà  compression;  cependant  vous 
voyez  cette  partie  inférieure  diminuer  de  volume  ;  elle 
se  vide  et  bientôt  se  réduit  à  la  forme  aplatie.  Le  sang 
a  continué  à  progresser  du  système  artériel  dans  le  sys- 
tème veineux,  quoique  l'impulsion  cardiaque  fût  pour 
le  moment  complètement  supprimée. 

Vous  voyez  donc  qu'il  faut  tenir  compte,  outre  l'im- 
pulsion cardiaque,  des  propriétés  des  vaisseaux.  Sans 
doute  la  force  impulsive  du  cœur  se  fait  sentir  très-loin, 


378  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

jusque  clans  les  veines  :  c'est  ce  qu'on  a  désigné  sous  le 
nom  de  vis  à  tergo.  En  effet,  si,  dans  l'expérience  pré- 
cédente, nous  ouvrons  la  veine  crurale  pendant  que 
l'artère  correspondante  est  comprimée,  nous  voyons 
que  le  sang  veineux  ne  coule  que  peu  ou  pas,  parce 
que  le  retrait  des  parois  artérielles  est  suffisant  pour 
faire  passer  le  sang  jusque  dans  la  veine,  mais  insuffi- 
sant pour  l'en  taire  couler.  Mais  dès  que  nous  cessons 
la  compression,  l'hémorrhagie  veineuse  devient  aboii- 
dante,  et  elle  est  alors  l'expression  exacte  de  l'intensité 
de  la  force  cardiaque  transmise  à  travers  les  capillaires, 
de  la  vis  à  tergo  en  un  mot. 

Toutes  ces  expériences,  si  simples,  mais  si  démonstra- 
tives, sont  dues  à  Magendie,  mon  maître.  Mais  ce  grand 
expérimentateur  n'avait  pas  connu  une  des  plus  impor- 
tantes propriétés  de  la  paroi  des  petites  artères,  leur 
contractilité,  soumise  à  l'influence  des  nerfs  vaso-mo- 
teurs. C'est  ainsi  que  toutes  ces  variations  qu'on  peut 
produire  d'une  manière  si  tranchée  dans  le  cours  du 
sang  par  la  compression  de  l'artère,  les  vaisseaux  eux- 
mêmes  peuvent  les  amener  par  la  seule  entrée  en  jeu 
de  leurs  éléments  contractiles.  Ils  peuvent  alors  obturer, 
aussi  bien  que  le  faisait  la  compression  expérimentale 
artificielle,  ils  peuvent  obturer  le  calibre  vasculaire  au 
point  d'amener  l'anémie  des  artérioles  et  des  capil- 
laires et  de  supprimer  en  réalité  la  vis  à  tergo  dans  le 
système  veineux.  Cette  contraction  a  lieu,  comme  je 
l'ai  montré,  sous  l'influence  des  nerfs  qui  se  distribuent 
aux  parois  artérielles  et  que  nous  désignons  par  le  nom 
de  nerfs  vaso-moteurs. 


NERFS    VASO-MOTEURS.  379 

Mais  s'il  est  aujourd'hui  important  de  tenir  compte 
de  la  contraction  des  vaisseaux,  il  est  non  moins  indis- 
pensable d'étudier  les  effets  de  la  paralysie  de  ces  parois 
contractiles  ;  ici  le  système  nerveux  agit  en  cessant 
d'intervenir,  la  tonicité  du  muscle  artériel  est  suppri- 
mée comme  par  une  section  expérimentale,  et  les  vais- 
seaux se  laissent  distendre  en  donnant  passage  à  une 
quantité  bien  plus  considérable  de  sang.  Cette  paralysie 
est  un  procédé  physiologique  de  l'organisme,  et  les  nerfs 
vaso-moteurs  agissent  aussi  bien  et  plus  encore  par  la 
suppression  de  leur  action  que  par  leur  influence  exci- 
tante de  la  contractilité  vasculaire. 

Ces  phénomènes  sont  si  importants  et  en  même  temps 
si  évidents,  surtout  dans  certains  états  pathologiques, 
qu'ils  n'avaient  pu  échapper  à  la  sagacité  des  médecins 
observateurs.  Depuis  longtemps  on  avait  remarqué  que 
dans  nombre  d'inflammations,  le  sang  paraît  trouver  un 
passage  plus  facile  à  travers  les  tissus  enflammés  ;  que 
non-seulement  le  malade  sent  les  pulsations  cardiaques 
dans  les  capillaires  des  parties  malades,  mais  que  ces 
pulsations  s'observent  jusque  dans  les  veines,  tant  la  vis 
à  tergo  agit  ici  avec  intensité,  de  façon  à  porter  jusque 
dans  le  système  veineux  non-seulement  le  résultat  géné- 
ral de  la  force  impulsive  du  cœur,  mais  encore  chaque 
battement  de  cette  impulsion. 

Mais  à  l'époque  où  les  médecins  s'inquiétèrent  de 
l'explication  de  ces  phénomènes,  ils  en  cherchèrent 
la  cause  uniquement  dans  des  changements  de  composi- 
tion du  sang,  et  non  dans  une  dilatation  paralytique 
des  vaisseaux,  dilatation  sur  laquelle  la  physiologie 


880  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

expérimentale  était  seule  capable  de  fournir  les  don- 
nées nécessaires  à  la  théorie.  Comme  dans  ces  circon- 
stances le  sang  des  veines  était  presque  aussi  rouge  que 
celui  des  artères,  on  vit  dans  ce  fait  une  nouvelle  confir- 
mation de  l'idée  d'une  altération  du  liquide  sanguin, 
tandis  que  nous  n'y  voyons  aujourd'hui  qu'une  preuve 
de  plus  de  ce  fait  que  le  sang  passe  plus  facilement  des 
artères  dans  les  veines,  et  y  passe  si  rapidement,  qu'il 
n'a  pas  le  temps  de  perdre,  au  contact  intime  des  tissus, 
ses  propriétés  de  sang  artériel  pour  prendre  les  carac- 
tères du  sang  veineux. 

Après  l'action  du  cœur  et  l'action  des  parois  vascu- 
laires,  nous  devons  encore  tenir  compte  d'autres  puis- 
sances capables  de  favoriser  et  de  modifier  la  circulation 
du  sang  veineux. 

La  respiration  ne  saurait  être  oubhée  à  ce  point  de 
vue  :  le  vide  thoracique  qui  tend  à  se  produire  à  cha- 
que inspiration,  et  qui  appelle  par  suite  le  sang  dans  le 
<'œur  droit,  produit  une  aspiration,  une  pression  néga- 
tive dans  les  gros  troncs  veineux  qui  sont  à  la  base  du 
système  de  la  circulation  de  retour  aussi  bien  lympha- 
tique que  pulmonaire.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à 
analyser  en  détail  les  effets  de  cette  influence  aspira- 
trice,  bien  connue  dès  longtemps,  et  dont  on  avait  même 
exagéré  l'importance,  puisqu'à  une  certaine  époque  on 
avait  voulu  faire  du  jeu  mécanique  du  poumon  la  cause 
des  mouvements  du  cœur. 

L'influence  pulmonaire  ou,  pour  mieux  dire,  thora- 
cique, n'existe  que  chez  les  animaux  pourvus  d'une 
cage  thoracique,  se  dilatant  et  se  resserrant  alternative- 


COEURS    VEINEUX    ET    LYMPHATIQUES.  381 

ment  pour  appeler  l'air  dans  les  alvéoles  du  poumon. 
Chez  les  autres  animaux,  chez  les  batraciens,  par 
exemple,  cette  influence  n'existe  pas;  mais  nous  trou- 
vons alors,  pour  y  suppléer,  des  appareils  tout  aussi 
efficaces  et  dans  un  rapport  plus  immédiat  encore  avec 
le  système  circulatoire  :  ce  sont  des  cœurs  accessoires 
ou  supplémentaires.  Ces  cœurs  sont  annexés  au  système 
veineux  ou  bien  au  système  lymphatique. 

Chez  l'anguille,  nous  pouvons  observer  un  cœur  ac- 
cessoire de  ce  genre  placé  sur  le  trajet  de  la  veine  cau- 
dale. Chez  les  grenouilles,  nous  trouvons  de  nombreux 
cœurs  lymphatiques  :  une  paire  est  située  dans  la  ré- 
gion pelvienne  dorsale,  de  chaque  côté  de  la  pointe  de 
l'os  sacrum.  Une  seconde  paire  est  placée  vers  la  partie 
dorsale  de  l'origine  des  membres  antérieurs.  Ces  cœurs 
accessoires  ont  été  découverts  par  Millier  (1833),  puis 
étudiés  par  Panizza  d'une  part,  Weber  et  Valentin 
d'autre  part.  Ces  cœurs  sont  très-intéressants  à  étudier: 
les  auteurs  que  nous  venons  de  citer  en  ont  décrit  les 
caractères  anatomiques;  ils  ont  montré  que  ces  petites 
cavités  contractiles  sont  pourvues  de  fibres  musculaires 
striées,  et  que,  grâce  de  plus  aux  nombreux  éléments 
élastiques  qu'elles  renferment,  elles  doivent  agir  alter- 
nativement comme  des  pompes  aspirantes  et  foulantes. 
Mais  les  faits  les  plus  intéressants  que  présentent  ces 
cœurs  accessoires  se  rapportent  à  leur  physiologie,  et 
principalement  à  l'influence  qu'exerce  sur  eux  le  sys- 
tème nerveux.  Ces  cœurs  battent  sans  aucune  espèce  de 
synchronisme  ni  entre  eux  ni  avec  le  cœur  sanguin, 
organe  principal  de  la  circulation.  Ils  ne  réagissent  pas 


382  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

de  la  même  manière  que  ce  dernier  aux  agents  toxi- 
ques :  ainsi  le  curare,  qui  n'arrête  pas  le  cœur  sanguin 
thoracique,  paralyse  rapidement  les  cœurs  lymphati- 
ques. Vous  voyez  ici  deux  grenouilles,  dont  l'une  est 
curarisée.  Sur  celle  qui  n'a  reçu  aucun  poison,  vous 
voyez  parfaitement  battre  le  cœur  sanguin  et  les  quatre 
cœurs  lymphatiques,  surlout  les  deux  pelviens,  dont  les 
pulsations  sont  parfaitement  apparentes  à  l'œil  nu.  Sur 
l'autre,  chez  laquelle  tous  les  mouvements  volontaires 
ont  été  abolis  par  le  curare,  vous  voyez  également  battre 
le  cœur  sanguin,  mais  il  est  impossible  de  constater  la 
moindre  pulsation  dans  la  place  occupée  par  les  deux 
cœurs  lymphatiques  pelviens.  Chose  remarquable,  j'ai 
constaté  que  le  cœur  caudal  de  l'anguille,  lequel  est  un 
cœur  sanguin,  puisqu'il  est  placé  sur  la  veine  caudale, 
n'est  pas  paralysé  par  le  curare.  Ainsi  la  sensibilité  à  ce 
poison  serait  l'un  des  caractères  des  vaso-moteurs  lym- 
phatiques. 

Lorsqu'on  isole  le  cœur  thoracique,  on  voit  ce  vis- 
cère continuer  à  battre,  parce  qu'il  renferme  dans 
ses  parois  des  ganglions  nerveux  qui  peuvent  suffire 
dans  ces  circonstances  à  son  innervation  :  il  en  est  de 
même  lorsqu'on  coupe  tous  les  nerfs  qui  se  rendent 
au  cœur.  Pour  les  cœurs  lymphatiques,  l'isolement  pro- 
duit aussitôt  la  cessation  de  tout  mouvement.  Ainsi  ces 
cœurs  ne  peuvent  continuer  à  fonctionner  s'ils  n'ont  pas 
conservé  leurs  connexions  avec  le  système  nerveux  gé- 
néral. Aussi  s'arrêtent-ils  égalenient  quand  on  coupe  les 
nerfs  qu'ils  reçoivent.  Dans  ce  cas  on  les  voit  de  plus 
remplis  non  plus  de  lymphe  pure,  mais  d'un  liquide  san- 


COEURS    LYMPHATIQUES.  /Î83 

guinolent  ou  même  de  sang  presque  pur.  On  observe  la 
même  chose  lorsque  les  cœurs,  paralysés  par  certains 
agents  toxiques,  sont  restés  quelque  temps  dilatés;  ils  sont 
alors  gorgés  d'un  liquide  rougeâtre  dans  lequel  le  mi- 
croscope permet  de  reconnaître  les  globules  rouges  du 
sang.  Nous  avons  dans  ces  cas  des  modifications  très- 
intéressantes  de  la  circulation  lymphatique  et  des  phé- 
nomènes d'exsudation  capillaire  qui  y  paraissent  direc- 
tement liés. 

J'ai  observé  autrefois  que  la  destruction  de  la  moelle 
épinière  et  l'épuisement  par  le  curare  font  cesser  les 
pulsations  des  cœurs  lymphatiques  de  la  grenouille  (1). 
Ce  fait  de  la  dilatation  des  cœurs  lymphatiques  sous 
l'influence  de  la  paralysie  est  à  rapprocher  des  résultats 
récemment  observés  par  M.  TarchanoA"  (2),  relative- 
ment à  Tinfluence  du  curare  sur  la  composition  du  sang 
chez  ces  animaux.  Chez  les  grenouilles  curarisées  on  ob- 
serve une  abondante  exsudation  du  plasma  sanguin  dans 
toutes  les  cavités  lymphatiques.  Ce  plasma  est  accompa- 
gné de  nombreux  globules  blancs  ;  de  sorte  que  la  nu- 
mération de  ces  globules,  faite  sur  le  contenu  des  vais- 
seaux sanguins,  y  montre  une  forte  diminution  dans  la 
proportion  des  globules  blancs  :  on  croirait  volontiers, 
et  celte  interprétation  avait  été  proposée,  que  le  curare 
a  pour  effet  de  détruire  les  globules  blancs;  en  réalité  il 
n'y  a  pas  destruction,  mais  simple  déplacement.  Ces 

(I)  Claude  Bernard,  Leçons  sur  les  substances  toxiques  et  médicamen- 
leuses,  p.  310. 

(-2)  Voyez  J.  Tarchanûff,  De  l'influence  du  curare  sur  la  quantité  de  la 
hjmphe  et  l'émigration  des  globules  blancs  du  sang  {Archives  de  physiol., 
js?'),  ]).  33). 


384  APPAREIL    CIRCULATOIRi:. 

éléments  anatomiques  ont  passé  en  masse  du  système 
sanguin  dans  le  système  lymphatique,  par  un  méca- 
nisme sur  lequel  nous  ne  nous  arrêterons  pas  aujour- 
d'hui. 

Ce  que  je  veux  surtout  vous  faire  remarquer  pour  le 
moment,  c'est  l'énorme  accumulation  de  lymphe  dans 
les  diverses  cavités  lymphatiques;  parmi  ces  cavités, 
celle  qui  est  située  sous  la  langue  de  la  grenouille  est 
surtout  remarquable  par  la  manière  dont  elle  est  gorgée 
de  liquide.  Vous  voyez  ici  plusieurs  grenouilles  curari- 
sées  depuis  un  certain  temps.  Dès  que  nous  plaçons  ces 
animaux  dans,  une  position  verticale,  de  manière  que  la 
langue,  sortie  de  la  cavité  buccale,  forme  la  partie  la 
plus  déclive  du  corps,  vous  voyez  la  face  inférieure  de 
cet  organe  former  une  grosse  saillie  transparente  : 
c'est  comme  une  énorme  goutte  de  liquide.  Ce  liquide 
est  de  la  lymphe  accumulée  dans  le  sac  lymphatique 
sublmgual,  dont  on  soupçonne  à  peine  l'existence  sur 
une  a:renouille  normale.  Quand  on  retourne  l'animal, 
ou  qu'on  le  place  simplement  dans  la  position  horizon- 
tale, cette  bosse  lymphatique  s'efface  et  disparaît  :  la 
lymphe  a  reflué  dans  les  espaces  lymphatiques  péripha- 
ryngiens  et  sous-crâniens. 

Ces  faits,  nettement  mis  eu  évidence  par  M.  Tarcha- 
noff,  nous  ont  rappelé  que  depuis  longtemps  nous 
avions  observé,  sans  y  attacher  toute  Timportance  qu'ils 
méritaient,  des  faits  nombreux  d'accumulations  sem- 
blables de  lymphe  chez  des  animaux  curarisés.  Nous 
voyons  dans  ces  cas,  chez  les  chiens  ou  les  lapins,  par 
exemple,  les  surfaces  des  plaies  ou  des  vésicatoires  se 


VASO-MOTEURS    LYMPHATIQUES.  385 

recouvrir  d'une  abondante  exsudation  de  lymphe.  Nous 
avons  préparé  ici  un  animal  qui  vous  présente  ce  phé- 
nomène :  la  peau  a  été  enlevée,  mais  la  plaie  était  cica- 
trisée; l'animal  a  été  curarisé,  et  la  surface  mise  à  nu, 
précédemment  presque  sèche,  est  en  ce  moment  le  siège 
d'une  exsudation  lymphatique  qui  rend  la  plaie  très- 
humide  dans  les  quelques  points  où  la  cicatrisation  n'est 
pas  encore  achevée. 

Ces  phénomènes  sont  produits,  avons-nous  dit,  par 
l'action  du  curare  :  c'est  que  dans  ces  cas  le  curare  a  été 
injecté  à  uue  dose  suffisante  pour  paralyser  les  vaso- 
moteurs;  donc  l'exsudation  lymphatique  est  une  consé- 
quence de  l'absence  d'action  des  vaso-moteurs  lympha- 
tiques. 

Nous  vous  avons  signalé  les  phénomènes  que  pré- 
sentent les  grenouilles  curarisées  relativement  au  fait 
d'une  abondante  exsudation  de  lymphe,  c'est-à-dire  de 
plasma  sanguin.  Mais  je  vous  ai  fait  observer  que  ce 
phénomène  n'était  pas  propre  à  la  grenouille;  que 
d'après  d'anciennes  observations  et  d'après  des  expé- 
riences que  nous  avons  reproduites  sous  vos  yeux,  il 
était  facile  de  constater  des  faits  analogues  chez  le  lapin, 
chez  le  chien,  et  que  l'extravasation  lymphatique,  sous 
l'influence  de  la  paralysie  des  vaso-moteurs,  était  par 
suite  un  phénomène  général,  observable  seulement  à 
des  degrés  différents  aussi  bien  chez  les  vertébrés  infé- 
rieurs que  chez  ceux  qui  sont  le  plus  voisins  de 
l'homme. 

L'importance  et  la  généralité  de  ce  phénomène  nous 
autorisent  donc  à  insister  sur  son  étude,  à  en  préciser 

CL.    BF.RNARI).  —  PllVsiol.  Opéc.  25 


386  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

les  limites,  à  en  rechercher  les  causes  et  le  mécanisme 

intime. 

Vous  voyez  ici  un  certain  nombre  de  grenouilles  cura- 
risées  et  qui,  comme  celles  que  je  vous  montrais  précé- 
demment, présentent  une  énorme  réplétion  du  sac  lym- 
phatique sublingual.  Ces  animaux,  conservés  dans  un 
lieu  humide  et  frais,  resteront  dans  cet  état  pendant 
quatre,  cinq  et  même  dix  jours;  puis,  ayant  éhminé  le 
curare  qui  paralysait  les  extrémités  périphériques  de 
leurs  nerfs  moteurs  et  leurs  cœurs  lymphatiques,  ils 
recouvreront  leurs  mouvements  volontaires,  et  en  même 
temps  la  dilatation  des  cavités  lymphatiques  s'effa- 
cera, la  lymphe  sera  résorbée,  tout  rentrera  dans  l'état 
normal. 

Voici  un  lapin  qui  a  été  curarisé  jusqu'à  la  limite  qui 
arrête  tous  les  mouvements,  moins  ceux  qui  sont  essen- 
tiels à  la  vie,  c'est-à-dire  moins  les  mouvements  respi- 
ratoires. Je  vous  l'ai  fait  observer  déjà  bien  des  fois, 
quand  on  connaît  bien  la  susceptibilité  de  l'organisme, 
quand  on  a  su  préciser,  en  la  dosant  exactement,  l'ac- 
tion des  substances  toxiques,  on  est  maître  de  produire 
les  phénomènes  toxiques  dans  telle  limite  qu'on  s'est 
proposée  d'avance.  Nous  savons  par  de  nombreux  essais 
qu'en  injectant  2  milligrammes  de  curare  par  kilo- 
gramme d'animal,  on  paralyse  tous  les  mouvements, 
moins  ceux  de  la  respiration.  Ce  lapin  pèse  près  de 
2  kilogrammes;  il  a  reçu  sous  la  peau  4  milligrammes 
de  curare  :  au  bout  de  quinze  minutes  il  est  tombé, 
mais  il  n'est  pas  mort;  la  respiration  continue  à  se  faire 
spontanément. 


VASO-MOTEURS   LYMPHATIQUES.  387 

Nous  pouvons  constater  chez  lui ,  mais  dans  des 
limites  beaucoup  plus  restreintes  que  chez  les  gre- 
nouilles, que  les  cavités  séreuses,  péritonéales,  pleu- 
rales, contiennent  une  certaine  quantité  de  sérosité,  et 
que  son  tissu  cellulaire  est  beaucoup  plus  humide  que 
celui  d'un  lapin  normal,  surtout  d'un  animal  à  jeun. 
En  effet,  pendant  la  digestion,  on  observe  que  les  cavités 
séreuses  sont  plus  humides  qu'à  l'état  d'inanition.  On  a 
beaucoup  discuté  autrefois  sur  la  présence  ou  l'absence 
normale  de  sérosité,  dans  la  cavité  péritonéale,  par 
exemple.  Des  expériences  nombreuses  furent  faites. 
Elles  amenèrent  à  des  résultats  en  apparence  contra- 
dictoires. Les  uns  trouvaient  le  péritoine  parfaitement 
sec,  les  autres  parvenaient  à  y  recueillir  une  certaine 
quantité  de  liquide.  Ces  faits  n'étaient  opposés  qu'à 
cause  des  circonstances  dans  lesquelles  ils  étaient  obser- 
vés; les  uns  avaient  ouvert  des  animaux  à  jeun,  les 
autres  des  animaux  en  pleine  digestion.  Vous  voyez  donc 
combien  la  loi  du  déterminisme  est  importante  à  obser- 
ver, même  dans  les  plus  petites  circonstances. 

Voici  un  second  lapin  auquel  nous  injectons  la  même 
dose  de  curare  que  chez  le  précédent.  Tandis  que  ce 
second  animal  est  peu  à  peu  envahi  par  l'action  du  poi- 
son, vous  voyez  le  premier  revenir  à  lui.  Le  poison  a 
disparu  de  son  milieu  intérieur;  il  n'a  pas  été  détruit 
par  le  sang,  mais  éliminé  peu  à  peu  par  la  sécrétion 
rénale,  et  il  se  trouve  en  ce  moment  dans  l'urine 
que  contient  la  vessie;  mais  comme  la  surface  interne 
de  ce  réservoir  n'absorbe  pas  à  l'état  normal,  il  en 
résulte  que  par  le  fait  même  le  poison  est  en  dehors 


388  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

de  l'organisme,  quoique  l'unne  n'ait  pas  encore  été 

excrétée. 

Laissons  donc  ce  premier  lapin  revenir  à  lui,  c'est-à- 
dire  éliminer  le  curare.  Vous  voyez  pendant  ce  temps 
le  second  animal  se  prendre  peu  à  peu.  On  observe 
d'abord  chez  lui  une  légère  agitalion  :  c'est  là  le  signe 
du  début  de  l'action  toxique,  el  cette  agitation  n'a  rien 
de  contradictoire  avec   le    fait  que  le  curare  est  un 
paralysant;  car  tout  agent  qui  supprime  les  fonctions 
motrices  ou  autres,  tout  agent  qui,  dans  le  sens  physio- 
logique, tue  le  nerf  moteur,  commence  d'abord  par 
produire  sur  lui  une  légère  excitation.  Puis  vous  voyez 
se  paralyser  successivement  les  membres  antérieurs,  la 
tête,  les  membres  postérieurs  ;   mais  les  mouvements 
respiratoires,  qui  auraient  été  atteints  en  dernier  lieu 
avec  une  dose  plus  forte,  subsistent  encore,  parce  que 
l'animal  n'a  reçu  que  la  quantité  de  curare  nécessaire 
pour  abolir  seulement  les  mouvements  des  muscles  des 
membres  et  de  la  tête. 

Chez  les  grenouilles,  nous  n'avons  pas  besoin  de 
prendre  ces  précautions,  de  calculer  aussi  exactement 
une  dose  hmite;  peu  importe  ici,  pour  la  vie  de  l'ani- 
mal, que  les  mouvements  respiratoires  soient  abolis;  la 
respiration  cutanée,  si  la  peau  est  mainteime  humide 
dans  un  milieu  frais,  suffit  à  l'hématose,  et  l'animal 
continue  à  vivre  avec  toutes  les  apparences  extérieures 
de  la  mort.  La  respiration  cutanée  est  si  bien  suffisante, 
qu'une  grenouille  continue,  dans  les  conditions  que  je 
viens  de  vous  énoncer,  à  vivre  un  certain  temps,  même 
après  qu'on  lui  a  extirpé  les  deux  poumons? 


EXSUDATIONS   DE   LA   LYMPHE.  389 

Vous  voyez  notre  premier  lapin  qui  est  coniplétement 
revenu  à  lui,  c'est-à-dire  qui  a  recouvré  tous  ses  mou- 
vements volontaires.  L'élimination  du  curare  est  rapide 
chez  ces  animaux  à  sang  chaud,  à  circulation  active  ; 
elle  est  trop  rapide  même  pour  nous  permettre  de  bien 
constater  les  phénomènes  d'exsudation  lymphatique 
que  nous  voudrions  observer.  Pour  nous  mettre  dans 
des  conditions  plus  favorables,  sans  toutefois  abolir  les 
mouvements  respiratoires  et  rendre  nécessaire  la  respi- 
ration artificielle,  nous  allons  essayer  d'avoir  recours  à 
une  modification  expérimentale  basée  sur  des  phéno- 
mènes d'absorption  que  nous  avons  précédemment  étu- 
diés. Sur  notre  second  lapin,  chez  lequel  l'empoisonne- 
ment curarique  est  maintenant  accompli  à  la  limite 
voulue,  c'est-à-dire  avec  aboHtion  des  mouvements  des 
membres,  mais  non  de  ceux  du  thorax,  nous  injectons 
sous  la  patte  une  nouvelle  dose  de  curare,  puis  nous 
appliquons  immédiatement  sur  ce  membre  une  lii^ature 
modérément  serrée  ;  nous  ménageons  ainsi  au  poison 
une  entrée  graduelle  et  successive,  suffisante  pour  com- 
penser au  fur  et  à  mesure  les  effets  de  l'élimination, 
mais  insuffisante  pour  porter  plus  loin  les  effets  toxiques  : 
nous  maintiendrons  ainsi  l'animal  sous  le  coup  du 
curare  et  dans  la  limite  voulue  de  l'intensité  de  l'em- 
poisonnement. 

Peut-être  noussera-t-il  facile,  dans  ces  circonstances, 
de  mieux  constater  les  exsudations  de  lymphe  dont  je 
vous  parlais  précédemment,  exsudations  au  niveau  des 
séreuses,  au  niveau  des  mailles  du  tissu  cellulaire.  Cette 
exsudation  n'est  pas  un  fait  anormal,  nouveau,   sans 


390  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

analogue  physiologique  ;  ce  n'est,  en  un  mot,  comme 
tant  de  phénomènes  dits  pathologiques,  qu'une  exagé- 
ration d'un  fait  normal,  plus  ou  moins  accentué  lui- 
même  dans  des  circonstances  qui  ne  sortent  en  rien  de 
l'état  physiologique.  C'est  ainsi,  vous  disais-je  précé- 
demment, que  chez  un  lapin  en  pleine  digestion,  il  est 
facile  de  recueillir  dans  le  péritoine,  à  l'aide'd'un  verre 
de  montre,  par  exemple,  une  quantité  notable  de  séro- 
sité, tandis  que  chez  l'animal  en  inanition  la  surface 
péritonéale  serait  trouvée  complètement  sèche. 

Il  semble  donc  y  avoir  dans  tous  les  vaisseaux,  lym- 
phatiques ou  sanguins,  une  sorte  de  tonus  que  de 
nombreuses  influences  peuvent  modifier,  et  pour  l'étude 
duquel  nous  aurons  à  tenir  compte  des  vaso-moteurs 
constricteurs  et  des  vaso-moteurs  dilatateurs,  aussi 
bien  lymphatiques  que  sanguins.  Ces  faits  sont  très- 
importants  à  connaître  pour  bien  comprendre  les  divers 
œdèmes  ou  exsudations  qui  peuvent  avoir  lieu  dans  les 
séreuses  ou  dans  le  tissu  cellulaire.  Il  est  certain,  par 
exemple,  que  chez  un  animal  bien  portant,  la  ligature 
de  la  veine  principale  d'un  membre  ne  suffit  pas  pour 
amener  l'œdème  du  membre,  parce  que  le  tomis 
vasculaire  s'oppose  à  la  transsudation  de  la  sérosité  ; 
mais  vient-on  à  couper  les  nerfs  vaso-moteurs,  aussitôt 
l'œdème  a  lieu,  parce  qu'on  a  détruit  le  tonm  qui  s'y 
opposait.  Chez  les  malades  atteints  d'œdème,  il  faut 
donc  admettre  qu'il  y  a  une  paralysie  du  tonus  vas- 
culaire en  môme  temps  qu'un  obstacle  au  cours  du 
sang. 

Vous  savez  que  d'après  les  recherches  que  M.  ïar- 


EXSUDATIONS    DE    L\    LYMPHE.  391 

chanoff  a  exécutées  dans  notre  laboratoire  d'histologie, 
sous  la  direction  de  M.  Ranvier,  on  constate  en  même 
temps  chez  les  animaux  mis  dans  l'état  de  ceux  que 
vous  avez  sous  les  yeux,  une  diminution  dans  la  propor- 
tion des  globules  blancs  contenus  normalement  dans  le 
sang;  mais  vous  savez  aussi,  d'après  ce  que  je  vous 
disais  précédemment,  qu'il  n'en  faut  pas  conclure  à  une 
destruction  des  globules  blancs;  l'action  du  curare  a  eu 
simplement  pour  effet  de  les  faire  passer  du  système 
sanguin  dans  les  cavités  ou  dans  les  extravasats  lym- 
phatiques. Il  y  a  si  peu  destruction  de  ces  éléments, 
que,  sortis  du  sang,  ils  peuvent  y  rentrer,  et  ils  y  rentrent 
en  effet  lorsque  l'animal,  ayant  éliminé  le  poison,  revient 
à  son  état  normal.  On  retrouve  alors  dans  le  sang  la 
même  proportion  de  globules  blancs.  Ainsi  la  lymphe 
sort  des  vaisseaux  et  y  rentre,  permettez-moi  l'expres- 
sion, avec  armes  et  bagages. 

Comment  se  fait  ce  passage,  notamment  pour  les 
éléments  figurés?  C'est  une  question  qui  exerce  depuis 
quelques  années  la  sagacité  des  observateurs.  D'une 
part,  ou  étudie  attentivement  la  question  anato- 
mique  de  la  communication  des  lymphatiques  avec 
les  vaisseaux  sanguins,  ou,  pour  mieux  dire,  de  l'ori- 
gine du  système  lymphatique.  D'autre  part,  depuis 
que  Cohnheim  a  décrit  la  diapédèse,  c'est-à-dire  la 
sortie  des  globules  blancs  hors  des  petits  vaisseaux  dans 
les  tissus  enflammés,  ces  observations  ont  été  répétées 
de  tous  côtés,  donnant  aux  expérimentations  des  solu- 
tions en  apparence  très-diverses.  Pour  les  uns,  la  dia- 
pédèse, c'est  de  ce  nom  qu'on  désigne  la  sortie  des 


392  APPAREIL   CIRCULATOIRE. 

globules  blancs  du  sang,  est  incontestable;  elle  se  fait 
par  de  petites  ouvertures  (stomata  et  stigmata  des 
auteurs  allemands),  lesquelles  existent  entre  les  cellules 
endothéliales  qui  forment  à  elles  seules  la  paroi  des 
capillaires  sanguins,  ouvertures  qui  deviendraient  plus 
considérables  sous  l'influence  de  l'inflammation  des 
tissus  et  de  la  dilatation  congestive  des  réseaux  capil- 
laires. On  aurait  assisté  aux  diverses  phases  de  la  sortie 
des  globules  blancs,  on  les  aurait  vus  s'engager  dans  la 
paroi,  la  traverser  en  s'étranglant,  et  enfin  se  dégager 
librement,  après  un  temps  plus  ou  moins  considérable, 
dans  le  tissu  périvasculaire. 

Enfin,  pour  bien  montrer  que  les  globules  blancs 
observés  en  dehors  du  vaisseau  proviennent  bien  de  son 
intérieur,  on  serait  parvenu  à  mettre,  pour  ainsi  dire, 
aux  globules  blancs  du  sang  une  étiquette  qui  permît  de 
bien  constater  leur  identité,  c'est-à-dire  leur  origine, 
lorsqu'on  les  retrouve  extravasés.  En  effet,  en  injectant 
dans  le  sang  de  l'eau  tenant  en  suspension  de  fines 
molécules  de  vermillon,  on  voit  bientôt  que  les  globules 
blancs  en  circulation  dans  le  système  sanguin  ont,  en 
vertu  de  leurs  propriétés  amiboïdes,  englobé  ces  parti- 
cules colorantes.  Or  lorsque,  quelques  heures  après,  de 
nombreux  globules  blancs  se  montrent  en  dehors  des 
vaisseaux,  ces  globules  renfermeraient  aussi  de  nom- 
breuses granulations  de  vermillon  ;  ces  globules  extra- 
vasculaires  auraient  donc  bien  pour  origine  une  dia- 
pédèse. 

Des  travaux  contradictoires  ont  été  produits  et  ont 
cherché  à  mettre  les  expérimentateurs  en  garde  contre 


EXSUDATIONS    DE    LA    LYMPHli.  398 

certaines  causes  d'erreurs  qui  peuvent  résulter  de  la 
disposition  des  parois  vasculaires,  de  la  présence  de 
nombreuses  cellules  de  tissu  conjonctif  dans  leur  voisi- 
nage, enfin  de  ce  que  les  granulations  de  vermillon 
peuvent  sortir  d'elles-mêmes  des  vaisseaux  sans  qu'elles 
aient  nécessairement  pour  véhicules  les  globules  blancs. 
Ces  questions  sont  encore  à  Tétude,  et  les  anatomo- 
pathologistes  semblent  en  ce  moment  se  diviser  en  deux 
camps,  les  uns  admettant  la  diapédèse,  tandis  que  les 
autres  expliquent  tous  les  phénomènes  désignés  sous  ce 
nom  par  une  prolifération  ou  une  genèse  de  corpus- 
cules lymphatiques  tout  contre  la  paroi  vasculaire. 

C'est  qu'en  effet  on  a  voulu  voir  dans  la  diapédèse 
l'origine  des  éléments  figurés  du  pus;  la  suppuration 
se  réduirait  donc  à  une  extravasation  de  globules  blancs 
du  sang.  Il  serait  difficile  de  discuter  en  ce  moment 
et  de  juger  définitivement  cette  théorie;  son  simple 
énoncé  vous  fait  déjà  entrevoir  ce  qu'il  peut  y  avoir  en 
elle  d'exagéré  et  de  trop  exclusif.  Ainsi  la  simple  extra- 
vasation est  insuffisante  à  rendre  compte  des  masses 
énormes  de  globules  de  pus  accumulés  dans  les  lieux  où 
la  suppuration  est  tant  soit  peu  active.  Une  première 
modification,  ou  plutôt  une  addition  qui  semble  devoir 
être  faite  à  la  théorie  de  la  diapédèse,  en  tant  que  théo- 
rie de  la  suppuration,  ce  serait  de  tenir  compte  de  la 
prolifération  des  globules  blancs  qui  sont  sortis  des  vais- 
seaux. La  division  et  la  multiplication  de  ces  éléments 
est  un  fait  parfaitement  démontré  dans  des  circonstances 
de  ce  genre.  Nous  lavons  observée  tout  récemment, 
en  étudiant  les  globules  blancs  placés  dans  la  chambre 


394  APPAREIL    CIRCULATOIRE. 

humide  mainlenue  à  la  température  du  corps.  Ainsi  la 
prolifération  pourrait  suppléer  alors  à  Tinsuffisanee  de 
diapédèse,  et  nous  rendre  compte  de  l'abondance  des 
globules  de  pus. 

Tous  ces  faits,  à  part  quelques  exagérations,  subsistent 
comme  phénomènes  bien  constatés ,  du  moment  que 
l'on  s'est  mis  en  garde  contre  de  nombreuses  causes 
d'erreur  ;  mais  les  explications  théoriques  ne  sont  pas 
encore  possibles.  Je  vous  lai  déjà  dit,  il  nous  faut  pour 
cela  une  notion  anatomique  qui  n'est  pas  encore  acquise, 
malgré  de  nombreux  travaux;  je  veux  parler  de  l'ori- 
gine du  système  lymphatique.  Pour  les  actes  d'extrava- 
sation,  comme  pour  ceux  d'absorption,  nous  réserverons 
donc  toute  explication  théorique  jusqu'à  ce  que  les  faits 
anatomiques  parlent  nettement  par  eux-mêmes. 

Le  sang  n'est  pas  un  liquide  toujours  semblable  à  lui- 
même  ;  c'est  au  contraire  un  fluide  essentiellement 
variable  dans  ses  propriétés  et  sa  composition,  et  partici- 
pant à  toute  la  mobilité  des  phénomènes  de  la  vie.  Au- 
trefois on  ne  distinguait  pas  diverses  espèces  de  sangs; 
ignorant  les  métamorphoses  qui  se  passent  dans  ce 
liquide  au  contact  des  tissus,  on  ne  cherchait  pas  à  pré- 
ciser les  différences  de  composition  qu'il  peut  présenter. 
Un  premier  progrès  fut  accompli  par  Bichat,  qui  insista 
avec  juste  raison  sur  la  distinction  à  établir  entre  le 
sang  veineux  et  le  sang  artériel.  Bichat  fît  de  cette  dis- 
tinction la  base  de  toute  la  physiologie  du  liquide  san- 
guin, et  opposa  le  système  à  sang  rouge  au  système 
à  sang  noir. 


SANG   VEINEUX   ET    SANG    ARTÉRIEL.  395 

Mais  celte  distinction,  comme  je  l'ai  montré  plus 
tard,  était  elle-même  insuffisante.  Il  ne  suffit  pas  de 
distinguer  le  sang  veineux  et  le  sang  artériel;  il  faut 
caractériser  encore  avec  un  soin  égal  les  sangs  veineux 
des  divers  organes.  Les  recherches  de  Simon  ont  bien 
montré  l'importance  de  ces  études  comparatives  ;  mais 
le  point  nouveau  sur  lequel  j'ai  dès  longtemps  attiré 
l'attention,  c'est  que  même  dans  le  sang  veineux  d'un 
organe  il  faut  distinguer  le  sang  qui  provient  de  l'or- 
gane dans  sa  période  d'activité  de  celui  qui  en  sort  au 
moment  du  repos  fonctionnel. 

Il  nous  faudra  donc  étudier  la  circulation  et  ses 
effets  en  nous  attachant  à  bien  déterminer  les  caractères 
du  sang  qui  sort  de  chaque  organe,  et  selon  les  périodes 
de  repos  ou  d'activité  de  cet  organe.  Cette  dernière 
distinction  devient  de  premier  ordre,  non-seulement  au 
point  de  vue  des  circulations  locales,  mais  même  relati- 
vement à  la  masse  totale  du  sang;  en  effet,  si  Ton  ne 
tient  pas  compte  des  périodes  d'activité  et  de  repos, 
toutes  les  distinctions,  même  les  plus  tranchées,  les  plus 
essentielles  en  apparence,  s'effacent  et  disparaissent. 
Quand  on  supprime  les  fonctions  organiques,  particu- 
lièrement celles  des  muscles,  il  n'y  a  plus  lieu  de  dis- 
tinguer les  sangs  artériel  et  veineux. 

Voici,  par  exemple,  un  lapin  qui  se  trouve  dans  les 
conditions  expérimentales  que  nous  avons  dès  longtemps 
précisées  sous  le  nom  de  refroidissement  de  l'animal  : 
on  obtient  ce  résultat  par  plusieurs  procédés,  soit  par 
la  section  du  bulbe  et  la  respiration  artificielle,  soit  par 
l'exposition  de  l'animal,  pendant  un  certain  nombre 


396  APPAREIL    CIRCULATOIRK. 

d'heures,  dans  un  milieu  à  la  température  de  la  glace 
fondante. 

Voici  des  grenouilles  qui  ont  été  placées  dans  ces 
mêmes  condilions  de  température.  Chez  tous  ces  ani- 
maux, vous  constatez,  notamment  dans  la  veine  abdo- 
minale de  la  grenouille,  que  le  sang  contenu  dans  les 
veines  ne  présente  plus  les  caractères  classiques  du 
sang  veineux  ;  il  est  rouge  et  rutilant  comme  le  sang 
artériel.  C'est  que  le  refroidissement  a  amené  l'inertie, 
le  repos  de  la  plupart  des  éléments  anatomiques,  et 
notamment  du  système  musculaire,  dont  l'influence  est 
prépondérante  dans  la  masse  sanguine  générale,  pour 
faire  passer  le  sang  de  l'état  artériel  à  l'état  veineux. 
Mais  vous  voyez  qu'à  mesure  que  ces  animaux  se 
réchauffent  sous  l'influence  de  la  température  de  la 
salle,  le  contenu  des  veines  devient  plus  foncé;  c'est 
maintenant  seulement  que  les  veines  contiennent  réel- 
lement du  sang  veineux,  et  cela  parce  que  les  éléments 
anatomiques,  et  en  première  ligne  les  muscles,  ont 
recouvré  celte  activité  qui  est  la  principale  cause  de  la 
transformation  du  sang  rouge  en  sang  noir. 

Cet  exemple  est  un  des  plus  frappants  et  en  même 
temps  des  plus  simples  ;  mais  nous  aurons  à  étudier 
bien  d'autres  circonstances  où  rinfluence  du  repos  et 
de  l'activité  de  l'organe  exerce  sur  la  composition  du 
sang  une  modification  bien  plus  compliquée  et  plus  diffi- 
cile à  prévoir.  Tel  est,  par  exemple,  le  cas  des  glandes  : 
pendant  leur  état  de  repos  le  sang  veineux  en  sort 
noir  et  chargé  d'acide  carbonique,  c'est-à-dire  avec 
les  véritables  caractères  de  laveinosité;  au  contraire, 


SANG    ARTÉRIEL    ET    SANG    VEINEUX.  397 

lorsque  la  glande  sécrète,  le  coutenu  des  veines,  en 
même  temps  qu'il  circule  avec  plus  de  force,  pré- 
sente une  rutilance  et  des  caractères  qui  le  rapprochent 
du  sang  artériel.  Ainsi  le  sang  des  veines  ne  présente 
pas  un  aspect  constant  type;  il  n'est  pas  toujours  sem- 
blable à  lui-même. 

Il  n'y  a  qu'un  sang  qui  soit,  dans  certaines  limites, 
toujours  à  peu  près  semblable  à  lui-même,  c'est  le 
sang  artériel,  lequel  n'est  autre  chose  que  le  sang  vei- 
neux des  poumons.  Cette  constance  relative  s'explique 
facilement  :  c'est  que,  d'une  part,  le  sang  qui  arrive  au 
poumon  est  le  mélange  de  tous  les  autres  sangs  veineux, 
dont  les  variations  de  composition  se  compensent  jus- 
qu'à un  certain  point,  en  raison  même  de  leurs  variétés; 
c'est  que,  d'autre  part,  le  poumon,  à  l'état  normal, 
fonctionne  toujours  et  modifie  toujours  dans  le  même 
sens  la  masse  sanguine  qui  le  traverse. 


DIX-HUITIÈME  LEÇON 


SOMMAIKE  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  de  la  circulation  ft  du  saiij;. 
—  Études  physiologiques  au  moyen  de  substances  introduites  dans  le 
sang.  —  Les  poisons  utilisés  comme  moyens  de  vivisection.  —  Résumé  de 
l'histoire  du  curare. — ■  Expériences  sur  la  grenouille.  —  Résultats  acquis 
par  l'expérimentation  avec  le  curare.  —  De  l'acide  prussique  ou  cyan- 
hydrique.  —  Théories  curieuses  sur  l'action  rapide  de  ce  poison.  —  De  la 
mort  sans  lésions  anatomiques.  —  De  l'anatomie  patiiologique. 


Messieurs, 

La  forme  primitive  et  en  même  temps  la  plus  gros- 
sière de  l'expérience  a  consisté  purement  et  simplement 
dans  la  suppression,  la  section  des  organes  :  on  coupait 
tel  nerf,  on  extirpait  tel  viscère;  et.  voyant  alors  tel  ou 
tel  trouble,  telle  ou  telle  lacune  se  manifester  dans  le 
fonctionnement  de  l'organisme,  on  en  concluait  que 
le  nerf,  que  l'organe  en  question  présidait  à  la  fonction 
troublée  ou  supprimée.  Cette  manière  de  procéder  con- 
stitue ce  qu'on  peut,  à  proprement  parler,  nommer  la 
vivisection.  Mais  si  cette  méthode  est  suffisante,  jusqu'à 
un  certain  point,  pour  localiser  les  fonctions  dans  les 
divers  organes,  elle  ne  répond  plus  aux  besoins  de  la 
physiologie  expérimentale,  dès  que  celle-ci  doit  expli- 
quer les  phénomènes  vitaux  et  porter  ses  recherches 
jusque  dans  l'intimité  des  tissus  et  étudier  les  propriétés 
et  les  fonctions  des  éléments  anatomiques  eux-mêmes. 


DES    POISONS    DANS    LE    SANG.  399 

Je  VOUS  l'ai  déjà  dit  à  plusieurs  reprises,  c'est  par  ces 
études  intimes  que  doit  se  constituer  aujourd'hui  la  phy- 
siologie et  par  suite  la  médecine.  Il  nous  faut  porter 
l'expérimentation  jusque  sur  les  éléments  des  tissus;  il 
nous  faut  les  étudier  à  l'état  de  fonctionnement,  et  après 
avoir,  par  le  microscope,  défini  leur  forme  et  leur  tex- 
ture, en  découvrir  les  propriétés  et,  si  je  puis  ainsi 
ni'exprimer,  les  réactions. 

Que  devient  ici  la  vivisection?  Sans  doute,  nous  pou- 
vons faire  ce  qu'on  appellerait  volontiers  des  vivisec- 
tions microscopiques,  c'est-à-dire  réaliser,  provoquer 
artificiellement  sur  la  platine  du  microscope,  dans  un 
milieuà  température  età  humidité  suffisantes, des  condi- 
tions qui  nous  permettront  d'observer  directement, pen- 
dant un  temps  plus  ou  moins  long,  la  vie  et  le  fonction- 
nement d'éléments  microscopiques  isolés.  Les  études  de 
ce  genre  ont  été  fructueuses  :  c'est  ainsi  qu'a  été  obser- 
vée la  circulation  capillaire.  Les  éléments  du  sang  ont 
pu  eux-mêmes  être  étudiés  isolément  dans  ces  circon- 
stances, et  des  faits  précieux  ont  été  enregistrés  relati- 
vement à  leurs  propriétés,  à  leur  mode  de  formation, 
à  leurs  rapports  avec  d'autres  éléments. 

Mais  sans  vouloir  poser  de  bornes  précises  à  ce  genre 
d'investigation,  il  nous  est  permis  cependant  de  dire, 
en  présence  des  faits  eux-mêmes,  que  cette  observation 
semble  nous  avoir  donné  la  plus  grande  partie  'de  ce 
qu'elle  est  susceptible  de  nous  fournir.  De  plus,  outre  la 
stérilité  tout  au  moins  momentanée  dont  cette  méthode 
semble  frappée,  il  est  évident  que  l'étude  de  globules 
sanguins  isolés  détruit  l'harmonie  qui  règne  entre  la 


400  KTUDE    I)L    SVNG. 

fonction  de  cet  élément  anatomique  et  les  autres  élé- 
ments au  contact  desquels  il  est  naturellement  amené 
dans  l'organisme  complet.  Ici  la  section,  en  tant  que 
vivisection,  ne  se  contente  pas  de  séparer  les  éléments  à 
étudier;  elle  les  isole  et,  par  suite,  détruit  les  rapports 
dont  la  connaissance  nous  est  précisément  la  plus  pré- 
cieuse. 

Il  nous  faut  donc  ici  une  nouvelle  méthode  d'expéri- 
mentation, grâce  à  laquelle,  comme  dans  une  vivisec- 
tion ordinaire,  nous  supprimons  le  rôle  de  tel  ou  tel  élé- 
ment anatomique,  mais  en  conservant  l'ensemble  des 
autres  éléments,  de  façon  à  pouvoir  observer  les  troubles 
produits  par  la  suppression  que  nous  avons  artificielle- 
ment provoquée,  dont  nous  sommes  maîtres,  que  nous 
pouvons  volontairement  faire  cesser  ou  reproduire  alter- 
nativement. 

Dans  les  leçons  précédentes,  nous  avons  eu  pour  objet 
principal  Tétude  des  phénomènes  circulatoires;  ce  sont 
ces  phénomènes  que  nous  devons  continuer  à  analyser  : 
c'est  en  eux  précisément  que  nous  allons  trouver  des 
éléments  propres  à  bien  faire  comprendre  les  principes 
généraux  que  je  viens  de  vous  énoncer,  et  la  nécessité 
de  la  nouvelle  méthode  dont  je  viens,  d'une  manière 
générale,  de  vous  montrer  le  besoin. 

La  vivisection  dans  les  mains  de  divers  expérimenta- 
teurs, et  surtout  de  Harvey,  nous  a  fait  découvrir  les 
grands  phénomènes  de  la  circulation  ;  mais  vous  avez 
vu  que  l'étude  des  grands  phénomènes  de  la  circula- 
tion, rôle  du  cœur,  rôle  des  artères,  rôle  des  veines,  ne 
nous  fournissait  aucune  noiion  suffisante  sur  les  actes 


DES    POISONS    DANS   LE    SANG.  401 

intimes  que  le  cours  du  sang  vient  effectuer  au  niveau 
des  éléments  anatomiques.  Or,  ces  derniers  phénomènes 
sont  les  plus  importants,  les  plus  difficiles  à  connaître 
el  en  même  temps  les  moins  connus  :  par  le  caractère 
même  attaché  à  l'enseignement  de  cette  chaire  de  méde- 
cine au  Collège  de  France,  ce  sont  ces  phénomènes  que 
nous  devons  chercher  a  élucider.  Nous  devons,  je  vous 
le  disais  dans  la  dernière  séance,  laissant  de  côté  les 
grands  mécanismes  de  la  circulation  générale,  nous 
attacher  à  l'étude  des  circulations  locales. 

Ces  circulations  locales,  sur  lesquelles  nous  avons  des 
premiers  attiré  l'attention  des  physiologistes,  nous  les 
étudierons  à  l'état  de  repos  et  à  l'état  de  fonction  des 
organes  correspondants.  A  cet  effet,  les  vivisections 
portées  sur  les  nerfs  nous  seront  et  nous  ont  déjà  été 
d'un  grand  secours;  mais  la  section  d'un  nerf  à  l'aide 
d'un  bistouri  ne  saurait  être  suffisante  ;  c'est  ici  que 
vous  allez  sentir  les  avantages  de  la  méthode  à  laquelle 
je  faisais  précédemment  allusion,  et  aux  applications 
de  laquelle  j'ai  dès  longtemps  consacré  de  nombreuses 
recherches  :  je  veux  parler  de  Xusage  des  poisons,  que 
j'ai  considérés  comme  de  véritables  réactifs  de  la  vie,  et 
dont  l'emploi  pouvait  constituer  une  méthode  nouvelle 
d'investigation  physiologique. 

Les  poisons  ont  été  étudiés  au  point  de  vue  de  leur 
action  générale,  ou  pour  mieux  dire  de  leur  effet  final 
sur  l'organisme.  On  a  décrit  la  rapidité  de  leur  action 
et  les  symptômes  généraux  de  l'intoxication  qu'ils  pro- 
duisent. La  médecine  légale  en  a  tiré  de  précieux  ren- 
seignements ;  mais  la  physiologie  peut  y  trouver  une 

CL.    BERNARD.  —  PllVSiol.   Opéf.  26 


40^  DES   POISONS   DANS   LE   SANG. 

source  non  moins  précieuse  de  procédés  divers  pour 
l'institution  de  ses  expériences.  Ils  peuvent  nous  serv.r 
comme  de  véritables  bistouris  avec  lesquels  nous  allons 
atteindre  tel  ou  tel  élément  anatomique,  de  façon  a 
pouvoir  bien  constater  les  troubles  que  cette  unique 
lésion  amène  dans  l'harmonie  de  l'organisme  général. 

Tous  les  poisons  sont  susceptibles  de  devenir  ainsi, 
entre  les  mains  de  l'expérimentateur,  de  véritables 
instruments  de  vivisection  d'une  grande  délicatesse. 
Pour  aujourd'hui,  je  ne  m'arrêterai  que  sur  celui  qu. 
nous  servira  presque  seul  pour  disséquer  les  phénomènes 
intimes  de  la  circulation  capillaire  :  je  veux  parler  du 


curare.  ,  ,., 

Voyons  comment  le  curare  pourra  se  substituer  an 
scalpel  et  devenir  suffisant  là  où  l'instrument  de  l'aua- 
tomiste  ne  nous  offre  plus  qu'un  secours  trop  grossier 
Le  curare,  dont  je  vous  rappellerai  très-rapidement 
l'histoire,  nous  vient  de  l'Amérique  du  Sud-  d  nous 
arrive  sous  la  forme  d'un  extrait  noir  et  desséche,  dans 
des  pots  on  des  calebasses.  C'est  qu'en  effet  il  nous  est 
fourni  par  les  sauvages,  qui  ont  gardé  le  secret  de  cet  e 
fabrication.   Aussi  ce  poison,   dont  les  indigènes  de 
l'Amérique  se  servaient  pour  empoisonner  leurs  flèches 
de  chasse,  tend-.l  à  devenir  de  plus  en  plus  rare,  et 
nous  sommes  menacés  de  ne  plus  pouvoir  nous  en  pro- 
curer un  jour.  Mais,  je  le  répète,  le  secret  de  sa  fabri- 
cation nous  est  inconnu.  Cependant  il  n'est  pas  dou- 
teux que  cette  masse  noire  foncée,  que  vous  voyez  ic. 
adhérente  aux  débris  d'une  calebasse,  ne  soit  un  extrait 
de  plante  ;  on  a  même  désigné,  d'après  les  rapports  de 


CLRARE.  ^Qo 

quelques  voyageurs,  la  plante  qui  fournit  ee  singulier 
produit  :  ce  serait  le  PaulUnia  curwu,  daprès  les'uns  • 
<1  après  les  autres,  des  lianes  appartenant  aux  -enres 
Cocculm  et  Strychnot^.  Les  voyageurs  se  sont  trop  con- 
tentés de  noter  fidèlement  les  plantes  qui  leur  ont  été 
desiguées  comme  formant  le  principal  ingrédient  dans 
la  tabncalion  du  curare,  .sans  s'attacher  à  vérifier  ces 
assertions.   Bien  plus  hasardés  encore  sont  les  récits 
qui  font  jouer,  dans  la  confection  du  curare,  un  rôle 
important  au  venin  de  crapaud  et  de  serpent.  Le  prin- 
cipe actif  du  curare  parait  être  un  alcaloïde  vé-étal 
iH  cvrarine,  que  l'on  est  parvenu  à  isoler;  mais  l'extrac- 
lion  de  ce  principe  est  si  laborieuse,  il  faut  v  consa- 
crer une  SI  grande  quantité  de  curare,  que  nous  préfé- 
rons employer  l'extrait  tel  que  nous  le  recevons. 

C'est  vers  1760  que  ce  poison  fut  apporté  en  Europe 
par   a  Condamine  :  la  curiosité  fut  grandement  excitée 
par  les  récits  sur  la  manière  dont  les  sauvages  l'em- 
ployaient pour  leurs  chasses  ;  aussi  le  poison  fut-il  étu- 
die par  nombre  d'expérimentateurs  qui  désiraient  en 
constater  les  terribles  et  mystérieux  effets.   Mais  cette 
étude  n'alla  pas  au  delà  de  la  satisfaction  d'une  curio- 
sité plus  ou  moins  banale.  Fontana  émit  l'hvpothèse 
que  le  poison  agissait  sur  le  sang;  il  le  compara  au 
venin  de  la  vipère,  et  en  effet  on  croyait  que  divers 
venins  étaient  mélangés  pour  sa  confection.  Ce  fait  que 
le  toxique  devait  ses  effets  à  un  venin  n'était  pas  sans 
■mporlance  aux  yeux  de  Fontana  :  il  s'expliquait  ainsi 
comment  le  curare  n'a  pas  d  action  lorsqu'il  est  intro- 
duit dans  le  tube  digestif;  comment  les  chasseurs  pou- 


404  DES   POISONS   DANS    LE    SANG. 

vaient  impunément  se  nourrir  de  la  chair  des  animaux 
tués  avec  des  flèches  empoisonnées.  Le  principe  actif 
aurait,  d'apiès  cette  théorie,  été  digéré,  et,  par  suite, 
détruit  comme  tous  les  venins  de  nature  animale,  c'est- 
à-dire  albuminoïde,  par  l'action  des  liquides  digestifs. 
Les  expériences  de  Brodie,  de  Millier  lui-même,  ne  don- 
nèrent pas  de  plus  heureuses  tentatives  d'analyse  phy- 
siologique. 

En  1844,  avec  du  curare  que  je  tenais  de  M.  Pelouze,' 
qui  l'avait  reçu  d'un  voyageur  français,  M.  Goudot,je 
commençai  la  série  d'expériences  qui  me  démontrèrent 
d'abord  que  tous  les  curares  ne  se  ressemblent  pas.  Les 
uns  ont  une  action  bien  plus  énergique  que  les  autres: 
ainsi  j'ai  trouvé,  entre  certains  curares  du  Para  et 
d'autres  du  Venezuela,  une  différence  de  i  à5;  de  plus, 
on  a  parfois  livré  aux  Européens,  sous  le  nom  de  curare, 
de  simples  venins  dont  se  servent  quelquefois  les  sau- 
vages pour  empoisonner  leurs  flèches.  Mais  je  ne  m'ar- 
rêterai pas  sur  ces  détails  secondaires,  dont  j'ai  tracé 
ailleurs  l'histoire  complète  (\o^.  Leçon  sur  les  substances 
toxiques^  p.  238). 

(^e  qui  me  frappa  surtout,  et  ce  que  je  veux  repro- 
duire aujourd'hui  sous  vos  yeux,  c'est  la  série  des  phé- 
nomènes intéressants  qu'il  est  facile  d'analyser  sur  une 
grenouille  empoisonnée  par  le  curare. 

Tout  le  monde  sait  ce  qu'on  entend  par  une  gre- 
nouille préparée  à  la  manière  de  Galvani.  La  circon- 
stance fortuite  qui,  en  1789,  fit  découvrir  à  Galvani 
l'excitabilité  des  muscles  lorsqu'il  venait  à  toucher  les 
nerfs  qui  se  distribuent  dans  ces  organes,  fut,  vous  le 


CURARE.  405 

savez,  le  point  de  départ  de  la  découverte  de  \ élec- 
tricité de  contact^  de  l'électricité  delà  pile.  Voici  une 
grenouille  normale  préparée  à  la  manière  de  Gal- 
vani  (fig.  99)  :  la  partie  postérieure  du  corps  a  été 
isolée  et  dépouillée  de  sa  peau;  les  nerfs  lombaires 


FiG.  99.  —  Tronc  poslûrieur  Je  grenouille  préparé  à  la  manière  de  Galvani. 


sont  à  nu,  isolés  et  rattachés  seulement  au  fragment 
postérieur  de  la  colonne  vertébrale.  Voici  une  seconde 
grenouille  préparée  de  la  même  manière,  mais  alors 
qu'elle  était  empoisonnée  par  une  forte  dose  de  curare 
introduit  sous  la  peau  à  l'état  sec  ou  à  l'état  de 
solution. 

En  comparant  la  manière  dont  ces  deux  moitiés  posté- 
rieures de  grenouilles  vont  réagir  à  l'excitation  électrique, 
vous  allez  être  témoins  des  phénomènes  qui  me  frap- 
pèrent dès  mes  premières  recherches  sur  le  curare,  et 
m'ont  amené  à  employer  ce  poison  comme  un  de  nos 
plus  délicats  instruments  de  vivisection. 


406  DES   POISONS   DANS    LE   SANG. 

Sur  la  première  ori'euouille,  dont  nous  excitons  avec 

rélectricité  les  nerfs  ou  les  muscles,  nous  observons  des 

contractions  dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas.  Chez 

*  cet  animal,  les  nerfs  aussi  bien  que  les  muscles  ont  leurs 

propriétés  et  par  suite  leurs  fonctions. 

Sur  la  seconde  grenouille,  empoisonnée  par  le  curare, 
rieii  ne  se  produit  lorsque  nous  portons  Texcitation  sur 
les  nerfs  :  nous  avons  beau  augmenter  la  force  du  cou- 
rant, aucune  convulsion  ne  s'observe,  comme  dans  le 
cas  précédent  ;  les  muscles  des  membres  postérieurs 
restent  parfaitement  immobiles.  Mais  si  nous  portons 
directement  l'excitation  électrique  sur  les  muscles,  nous 
voyons  ceux-ci  réagir  immédiatement  et  se  contracter 
avec  violence,  absolument  comme  sur  la  grenouille 
saine. 

Ainsi,  les  nerfs  moteurs,  par  Faction  du  curare,  ont 
perdu  leurs  propriétés  ;  les  muscles  ont  conservé  les 
leurs;  le  muscle  est  excitable  directement,  mais  il  ne 
l'est  plus  par  l'intermédiaire  du  nerf.  Depuis  que  j'ai  fait 
connaître  cette  expérience,  personne  n'a  pu  la  contre- 
dire, car  elle  est  trop  simple  et  trop  constante  dans  ses 
résultats.  Seulement  on  en  a  proposé  des  explications 
différentes,  comme  je  vous  le  dirai  bientôt. 

Pour  vous  montrer  l'importance  de  cette  expérience, 
il  me  suffira  de  vous  rappeler  qu'à  l'époque  oia  je  la 
signalai  aux  physiologistes ,  on  discutait  encore  sur 
le  fait  de  Xirrito.hiliié  haUérienne ,  c'est-à-dire  sur  la 
question  de  savoir  si  le  muscle  est  en  lui-même  exci- 
table, ou  s'il  ne  doit  son  excitabilité  qu'aux  nerfs 
qui   le   pénètrent,  se  ramifient  et  se  terminent  dans 


CURARE.  407 

son  intérieur.  La  vivisection  pnre  et  simple,  celle  qui 
fait  usage  pour  tout  moyen  d'analyse  de  l'instrument 
tranchant,  avait  bien  essayé  de  résoudre  la  question. 
Millier,  Longet,   avaient  montré  qu'un  nerf  moteur, 
séparé  de  l'axe  cérébro-spinal,  perd,  après  quatre  jours, 
chez  le  chien,  toute  excitabilité  ;  que  le  muscle,  au  con- 
traire ,  précédemment  innervé  par  ce  nerf  demeure 
encore  directement  excitable  plus  de  trois  mois  après 
(si  toutefois  il  a  gardé  ses  connexions  avec  les  nerfs  sen- 
sitifs  et  vaso-moteurs  qui  président  à  sa  nutrition).  Mais 
comme  on  savait  que  la  perte  d'excitabilité  du  nerf  est 
due  à  sa  dégénérescence,  et  que  celle-ci  se  produit 
graduellement  de  haut  en  bas,  du  centre  nerveux  vers 
le  muscle,  on  se  demandait  si  l'excitabilité  présentée  par 
ce  dernier  au  bout  de  plusieurs  mois  ne  tiendrait  pas 
à  ce  que  la  dégénérescence  n'avait  pas  encore  atteint 
les  dernières  ramifications  nerveuses  qu'il  renferme. 
Avec  le  curare,  cette  objection  ne  paraissait  plus  pos- 
sible;  la  démonstration   de  l'excitabilité    propre   du 
muscle  est  immédiate,  irréfutable,  et  vous  voyez  que  le 
poison  nous  la  donne  d'une  manière  bien  plus  nette, 
et,  permettez-moi  l'expression,  bien  plus  élégante  que 
la  section  au  moyen  du  scalpel. 

L'état  de  la  grenouille  curarisée  persiste  assez  de 
temps  pour  que  nous  puissions  répéter  sur  elle  l'expé- 
rience un  nombre  presque  indéterminé  de  fois.  Vous 
voyez  que  nous  pouvons  ici,  sur  le  même  animal  qui 
nous  a  servi  il  y  a  un  instant,  mettre  de  nouveau  enjeu 
la  contractilité  musculaire  en  agissant  sur  le  muscle 
lui-même,  tandis  que  l'excitation  portée  sur  le  nerf  reste 


408  DES   POISONS   DANS    LE    SANG. 

comme  précédemment  sans  effet.  Ce  ne  sont  donc  pas 
là  des  phénomènes  fugaces;  ils  se  prêtent  longuement  à 
l'analyse,  et  par  eux  la  question  de  l'excitabilité  hallé- 
rienne  est  bien  définitivement  tranchée. 

Mais  ce  poison  qui  vient  de  nous  servir  à  distinguer  si 
délicatement  et  à  isoler  les  propriétés  du  muscle  et  du 
nerf  va  nous  permettre  de  distinguer  les  nerfs  entre 
eux,  et,  grâce  à  lui,  nous  pourrons  pousser  l'analyse 
bien  plus  loin  qu'on  ne  le  croirait  possible  à  priori. 

Nous  savons,  par  le  résultat  des  mémorables  vivisec- 
tions de  Magendie,  qu'il  y  a  tout  d'abord  à  distinguer 
deux  espèces  de  nerfs  à  fonctions  tout  à  fait  opposées  : 
les  nerfs  moteurs  et  les  nerfs  sensitifs.  Mais  même  pour 
établir  cette  distinction,  la  vivisection  pure  et  simple  ne 
saurait  aller  aussi  loin  que  l'expérimentation  instituée 
avec  le  curare  comme  instrument. 

Voici  une  grenouille  intacte,  mais  empoisonnée  par 
le  curare  ;  l'animal  est  complètement  immobile,  inerte, 
parce  qu'il  est  complètement  paralysé.  Cette  gre- 
nouille paraît  au  premier  abord  ne  pas  sentir,  mais 
nous  ne  pourrions  juger  du  fait  d'une  sensation  perçue 
par  elle  que  par  les  mouvements  réaction nels  que  pro- 
voquerait cette  sensation  ;  or  tout  mouvement  lui  est 
impossible. 

Il  semble  donc  difficile  de  constater  quel  est  l'état 
des  nerfs  sensitifsc  Cependant  nous  avons  des  récits 
d'individus  qui,  ayant  été  inoculés  avec  du  curare,  mais 
à  un  degré  qui  n'avait  pas  arrêté  la  respiration  et  avait, 
par  suite,  permis  à  l'individu  de  revenir  à  la  vie,  je 
veux  dire  au  mouvement,  ont  pu  raconter  que  pendant 


CURARI'.  409 

leur  période  de  paralysie  ,  ils  avaient  eu  cependant 
conscience  de  leur  existence  et  de  toutes  les  impressions 
qui  venaient  exciter  leurs  sens.  Il  nous  est  facile  de 
mettre  une  grenouille  en  état  de  nous  révéler  la  per- 
sistance de  sa  sensibilité  malgré  l'empoisonnement 
curarique;  il  nous  suffit  pour  cela  de  placer  un  certain 
nombre  de  nerfs  moteurs  à  l'abri  du  contact  du  poison, 
qui,  ainsi  que  je  l'ai  montré,  ne  peut  empoisonner  les 
nerfs  que  par  l'extrémité  périphérique.  Lorsque  des 
excitations  seront  portées  sur  des  parties  paralysées,  si 
les  muscles  dont  les  nerfs  fonctionnent  encore  se  con- 
tractent, il  sera  bien  évident  que  les  nerfs  sensitifs  des 
parties  paralysées  ont  transmis  à  la  moelle  les  impres- 
sions reçues  par  leurs  extrémités  périphériques. 

L'expérience  que  j'ai  instituée  à  cet  effet  est  deve- 
nue aujourd'hui  classique  :  je  vous  en  rends  témoins 
afin  de  vous  faire  bien  comprendre  les  précieux  avan- 
tages que  nous  pouvons  tirer  de  l'usage  du  curare 
comme  instrument  de  vivisection.  Nous  plaçons  sur 
une  grenouille,  au  niveau  du  bassin,  une  ligature  qui 
serre  étroitement  toutes  les  parties,  moins  les  nerfs 
lombaires.  Nous  injectons  alors  quelques  gouttes  de 
curare  sous  la  peau  du  train  antérieur  de  l'animal; 
vous  voyez  bientôt  cette  partie  immobile  et  que  l'on 
croirait  en  apparence  privée  de  sensibilité  aussi  bien 
que  de  mouvement.  Cependant,  dès  que  nous  pinçons 
l'une  des  pattes  antérieures,  nous  voyons  le  train  pos- 
térieur, qui  n'a  conservé  que  par  des  nerfs  ses  con- 
nexions avec  le  reste  de  l'animal,  nous  voyons  ces  pattes 
postérieures  s'agiter,  l'animal  sauter  et  s'efforcer  d'ac- 


410  DES   POISONS   DANS    LE    SANG. 

complir  des  mouvements  de  fuite.  ïl  y  a  là  un  acte 
réflexe  dont  l'existence  implique  l'intégrité  aussi  bien 
des  nerfs  sensitifs  du  segment  antérieur  que  des  nerfs 
moteurs  du  segment  postérieur.  Nous  avons  donc  pu 
avec  le  curare  établir  la  distinction  aussi  délicate  que 
possible  des  nerfs  moteurs  et  des  nerfs  sensitifs. 

Mais  nous  pouvons  faire  bien  plus  encore  ;  nous 
pouvons,  soit  en  employant  des  doses  différentes  de  ce 
poison,  soit  en  suivant  attentivement  les  périodes  suc- 
cessives d'un  empoisonnement  complet,  distinguer  les 
nerfs  moteurs  entre  eux;  nous  pouvons  produire  un 
degré  d'empoisonnement  dans  lequel  les  nerfs  volon- 
taires seuls  sont  atteints;  à  un  degré  plus  élevé,  nous 
paralyserons  de  plus  les  nerfs  qui  président  aux  mouve- 
ments réflexes  involontaires  de  la  respiration  ;  mais  toute 
une  série  de  nerfs  moteurs  aura  encore  conservé  ses 
fonctions,  comme  nous  pourrons  nous  en  assurer  en 
prolongeant  la  vie  de  l'animal  par  la  respiration  artifi- 
cielle. Ces  nerfs  sont  les  vaso-moteurs.  Parmi  les  vaso- 
moteurs,  les  uns  président  à  la  dilatation,  les  autres  au 
resserrement  des  vaisseaux.  Eh  bien  !  c'est  encore  le 
curare  qui  nous  permettra  d'isoler  chacun  de  ces  ordres 
de  nerfs  vasculaires,  car  nous  le  verrons  paralyser,  c'est- 
à-dire  supprimer  les  uns,  avant  d'entraver  eu  rien  la 
fonction  des  autres. 

11  est  évident  que  la  vivisection  à  l'aide  de  l'instru- 
ment tranchant  serait  impuissante  à  réaliser  avec  une 
telle  précision  des  distinctions  aussi  nettes,  des  délimi- 
tations physiologiques  aussi  délicates.  Ajoutons  encore 
que  l'action  du  curare  se  porte  non-seulement  sur  les 


riRARK.  411 

vaso-moteurs  proprement  dits,  mais  que  ce  poison 
agit  encore  sur  les  nerfs  de  l'organe  central  de  la 
circulation,  sur  les  pneumogastriques  et  sur  les  nerfs  du 
cœur. 

Tout  ici  est  une  question  de  dose  :  il  en  est,  dans  celte 
étude,  de  la  dose  de  poison  comme  du  degré  de  tempé- 
rature employé  par  les  chimistes  dans  les  distillations 
successives  des  substances  complexes  pour  isoler  divers 
corps  volatiles  confusément  inclus  dans  un  même  mé- 
lange :  à  telle  température,  la  distillation  donne  un 
tel  produit;  à  une  température  plus  élevée,  tel  autre 
produit. 

Vous  savez  que  l'excitation  du  pneumogastrique  a 
pour  effet  d'arrêter  les  mouvements  du  cœur.  Le  curare, 
qui  abolit  les  fonctions  des  nerfs  centrifuges,  agit-il  de 
même  sur  le  pneumogastrique  :  les  premières  expé- 
riences tentées  dans  ce  sens  ont  répondu  tantôt  par 
l'affirmative,  tantôt  par  la  négative.  C'est  qu'en  effet 
il  s'agit  surtout  de  savoir  quelle  dose  de  poison  a  reçue 
l'animal.  Voici  une  grenouille  faiblement  curarisée;  son 
cœur  bat  régulièrement.  Nous  galvanisons  les  pneumo- 
gastriques à  leur  origine  à  la  moelle  allongée  ;  vous 
voyez  le  cœur  s'arrêter  :  c'est  ce  que  j'avais  observé 
dès  mes  premières  expériences  sur  l'action  du  curare. 
Voici  d'autre  part  une  seconde  grenouille  très-fortement 
curarisée  ;  son  cœur  bat  régulièrement.  Nous  excitons 
les  pneumogastriques  :  le  cœur  continue  à  battre.  En 
faul-il  conclure  que  l'expérimentation  n'a  rien  de  défini; 
que  Tun  peut  observer  la  conservation  de  l'action  des 
pneumogastriques,  et  l'autre  l'abolition  de  cette  action 


41^  DES   POISONS    DANS   Ui   SANG. 

SOUS  l'influence  cUi  curare?  Non,  certes.  11  en  faut  con- 
clure qu'à  faible  dose,  ainsi  que  je  l'avais  fait  dans  mes 
premières  expériences,  le  curare  n'atteint  pas  encore 
le  pneumogastrique;  mais  qu'à  forte  dose,  ce  poison 
se  fait  sentir  jusque  sur  ces  nerfs,  dont  dès  lors  l'exci- 
tation ne  produit  plus  l'arrêt  du  cœur. 

Ainsi  c'est  en  graduant  rigoureusement  les  doses  de 
poison  que  nous  arriverons  à  celte  forme  presque  idéale 
de  vivisections,  grâce  auxquelles  nous  pourrons  distin- 
guer, parmi  les  nerfs  centrifuges  et  moteurs,  des  groupes 
divers  dont  les  sections  nous  auraient  à  peine  permis  de 
soupçonner  l'existence. 

Grâce  au  curare,  nous  distinguons  donc  aujourd'hui, 
dans  rintimité  des  tissus,  les  nerfs  sensitifs  des  nerfs 
moteurs;  dans  les  muscles,  nous  distinguons  les  nerfs 
vaso-moteurs  des  nerfs  musculaires  proprement  dits. 
Parmi  les  nerfs  vaso-moteurs,  nous  reconnaissons  des 
nerfs  vaso-moteurs  constricteurs,  des  vaso-moteurs  dila- 
tateurs. Le  curare  paralyse  successivement  tous  les 
nerfs  moteurs  en  commençant  par  les  nerfs  moteurs 
volontaires,  et  en  finissant  par  les  nerfs  vaso-moteurs. 
La  vivisection  ordinaire,  d'ailleurs,  vérifie  toutes  ces 
distinctions  que  le  curare  établit  à  son  tour  d'une  façon 
plus  subtile.  J'ai  pu  arriver  dans  mon  expérience  du 
grand  sympathique  à  démontrer  la  propriété  des  nerfs 
vaso-moteurs  de  constriction,  dans  mon  expérience  d(; 
la  corde  du  tympan,  j'ai  démontré  la  propriété  des  nerfs 
dilatateurs.  Mais,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  ce  ne  sont 
pas  là  des  exemples  isolés  de  faits  particuliers,  ce  sont 
des  faits  généraux.  Dans  toutes  les  parties  de  l'écono- 


ciRARt:.  413 

mie,  dans  tous  les  organes,  dans  tous  les  tissus,  il  y  a 
des  nerfs  constricteurs  et  des  nerfs  dilatateurs  des  vais- 
seaux ;  j'ai  émis  celte  opinion  et  je  la  démontrerai 
quand  je  reprendrai  ces  expériences  dont  j'ai  donné  les 
premiers  résultats  il  y  a  plus  de  vingt  ans. 

Tels  sont  en  résumé  les  résultats  des  analyses  expé- 
rimentales que  j'ai  pu  réaliser  à  l'aide  du  curare.  Les 
faits  sont  faciles  à  voir  et  à  constater  ;  leur  exactitude  n'a 
jamais  été  contestée  par  aucun  expérimentateur,  et  il 
doit  toujours  en  être  ainsi,  parce  que  les  faits  restent 
immuables  quand  ils  sont  bien  observés  ;  seulement  on 
peut  varier  sur  les  interprétations  à  leur  donner  et 
discuter  sur  les  explications.  C'est  ce  qui  est  en  effet 
arrivé.  J'ai  déjà  examiné  ces  diverses  objections ,  et 
j'y  reviendrai,  s'il  est  nécessaire,  dans  le  cours  de 
nos  études  de  critique  expérimentale  ;  mais  quelque 
divergence  qu'il  puisse  exister  entre  les  explications, 
il  n'en  reste  pas  moins  prouvé,  comme  je  l'ai  établi  : 
1°  Que  le  curare  détruit  l'action  des  nerfs  moteurs  sur 
les  muscles  et  conserve  celle  des  nerfs  sensitifs  sur  la 
moelle  épinière  pour  produire  des  actions  réflexes  comme 
à  l'état  normal.  2"  Que  le  curare  paralyse  d'abord  les 
nerfs  de  la  vie  animale,  puis  les  nerfs  vaso-moteurs,  etc., 
et  c'est  le  seul  point  qu'il  nous  importe  de  bien  fixer 
aujourd'hui. 

Nous  avons  dit  qu'indépendamment  des  nerfs  vaso- 
moteurs  de  deux  ordres,  nous  avons  encore  à  distinguer 
les  nerfs  musculaires  proprement  dits.  J'ai  établi  ce  fait 
pour  les  muscles  des  membres  (1).  J'ai  établi  aussi  que 

il)  Voyez  Claude  Bernard.  Recherches  sur  les  nerfs  vaso-moteurs  et  calo- 
rifiques iCompt.  rend,  de  l'Académie  des  sciences,  1802;. 


414  DES    POISONS    DWS    LE   S\N(; 

pour  la  glande  sous-rnaxilhiire,  il  y  a  des  nerfs  vaso- 
constricteurs  venant  des  ganglions  sympathiques  et  des 
nerfs  vaso-dilatateurs  venant  de  l'axe  spinal.  C'est  un 
fait  général  que  je  démontrerai  pour  tous  les  organes  du 
corps  à  l'aide  d'expériences  encore  inédites;  mais  y  a-t-il 
dans  les  glandes  salivaires,  outre  les  deux  ordres  de 
nerfs  vaso-moteurs,  un  nerf  glandulaire  ou  sécréteur 
proprement  dit?  On  pourrait  croire  qu'il  en  est  ainsi. 
Heidenhain  a  injecté  sur  un  chien  une  dose  d'atropine 
suffisante  pour  paralyser  tout  à  fait  les  filets  du  nerf 
sécréteur.  L'excitation  de  la  corde  du  tympan  n'aurait 
plus  déterminé  alors  la  moindre  sécrétion  ;  il  y  avait 
cependant  alors  une  accélération  du  courant  sanguin 
veineux  qui  ne  différait  pas  essentiellement  de  celle  qu'on 
observait  avant  l'empoisonnement  par  l'atropine. 

Ce  fait  fournirait  la  preuve  la  plus  concluante  que  la 
sécrétion  produite  par  l'excitation  de  la  corde  du  tympan 
est  entièrement  indépendante  des  modifications  qui  ont 
lieu  dans  la  circulation  de  la  glande,  et  que,  par  suite, 
des  fibres  nerveuses  seraient  affectées  d'une  manière 
distincte  à  la  sécrétion  et  à  la  circulation  de  cet  organe . 
Ces  faits  ont  trop  d'importance  pour  que  nous  les  admet- 
tions sans  contrôle.  Mais  avant  même  de  répéter  sous 
vos  yeux  ces  expériences  délicates,  je  tenais  à  vous  citer 
ces  travaux  comme  un  nouvel  exemple  de  tout  le  parti 
qu'une  expérimentation  délicate  est  appelée  à  tirer  de 
l'usage  des  poisons.  Aux  considérations  générales  pré- 
cédentes j'ajouterai  encore  une  simple  remarque,  c'est 
que  l'action  du  curare  n'est  au  fond  elle-même  qu'une 
action  physiologique.  Les  nerfs  meurent  par  le  curare 


ACIDE    CYANHYDRIQUE.  415 

comme  ils  meurent  naturellemeul  par  simple  soustrac- 
tion du  sang  à  leur  extrémité  périphérique. 

A  la  suite  du  curare,  je  désire  vous  entretenir,  d'une 
manière  incidente,  d'un  autre  poison  qui  peut  faire 
létonnement  des  physiologistes,  non-seulement  par 
l'énergie  de  son  action,  mais  aussi  par  la  diversité  que 
cette  action  offre  chez  des  animaux  différents. 

Nous  aurons,  à  ce  sujet,  à  écarter  des  croyances  à 
une  action  merveilleuse,  inexplicable,  auxquelles  pour- 
rait amener  au  premier  abord  la  constatation  de  ces 
effets  rapides  et  singuliers  :  je  veux  parler  de  l'acide 
prussique  ou  acide  cyanhydrique. 

Ce  poison  est  le  plus  violent,  le  plus  dangereux  que 
le  physiologiste  ait  à  manier  :  il  suffit  de  déposer  une 
goutte  d'acide  cyanhydrique  anhydre  sur  la  membrane 
conjonctive  d'un  chev;il,  pour  voir  en  quelques  secondes 
l'animal  tomber  comme  foudroyé.  Il  suffît  de  faire  une 
inspiration  un  peu  vive  sur  un  flacon  contenant  cj 
poison,  pour  en  sentir  aussitôt  les  terribles  effets.  Au- 
trefois j'ai  failli  être  empoisonné  pour  avoir  respiré  trop 
énergiquement  sur  un  verre  qui  contenait  un  cyanure 
dans  lequel  on  avait  ajouté  un  acide.  Les  pharmaciens 
et  les  chimistes  ont  parfois  été  victimes  de  ce  poison 
manié  avec  trop  peu  de  précaution.  Scheele  serait  mort, 
dit-on,  pour  avoir  respiré  accidentellement  de  l'acide 
cyanhydrique  (1).  L'acide  cyanhydrique  que  nous  allons 
employer  aujourd'hui  n'est  pas  tout  à  fait  aussi  dange- 

(Ij  Voyez  A.  N.  Gendrin,  Snte  sur  l'empoisonnement  (le  sp}it  malades  par 
Vacille  liydrocijanujue,  el  remarques  sur  les  préparations  cjaniques  iJourn. 
(jénér.  de  méd.  et  de  pharm.,  1828,  chap.  m,  p.  Mu). 


416  DES   POISONS    DANS    LE    SANG. 

reux  :  c'est  une  solution  aqueuse  qui  ne  contient  que 
ip"  de  substance  toxique;  néanmoins  vous  allez  être 
témoins  de  ses  effets  foudroyants  sur  certains  animaux. 

Voici  un  oiseau  (verdier)  dans  le  bec  duquel  nous 
laissons  tomber  une  seule  goutte  de  cet  acide  prussique  : 
l'animal  tombe,  quelques  convulsions  se  produisent;  il 
est  mort. 

Voici  une  grenouille  sous  la  peau  de  laquelle  nous 
injectons  un  demi-centimètre  cube  du  même  acide  prusf 
sique,  c'est-à-dire  au  moins  40  fois  plus  de  poison  que 
ce  qui  nous  a  suffi  pour  foudroyer  un  oiseau.  Cepen- 
dant la  grenouille  continue  à  se  mouvoir,  elle  saute; 
elle  reprend  sa  pose  naturelle;  au  bout  de  cinq  minutes, 
elle  paraît  aussi  vivante  qu'il  y  a  un  instant.  Dans 
quelques  heures  elle  sera  encore  dans  le  même  état. 

Que  devons-nous  dire  en  présence  de  deux  résultats 
si  différents  en  apparence?  Penserons-nous  qu'avec  les 
animaux  les  effets  des  poisons  sont  complètement  dis- 
semblables, et  en  conclurons-nous  (ce  qui,  à  mon  sens, 
serait  une  hérésie  physiologique)  que  d'une  action  obser- 
vée sur  une  grenouille  nous  ne  pouvons  rien  conclure  à 
ce  qui  pourra  arriver  sur  un  animal  à  sang  chaud?  Nous 
joindrons-nous  enfin  à  ceux  qui  condamnent  la  physio- 
logie expérimentale  et  lui  refusent  toute  portée  dans  la 
médecine,  parce  que,  disent-ils,  nous  expérimentons 
sur  des  animaux,  et  qu'il  n'est  pas  légitime  de  conclure 
des  animaux  à  l'homme? 

Non,  messieurs;  nous  analyserons  plus  exactement  les 
phénomènes,  et  alors,  sous  une  différence  apparente, 
nous  constaterons  une  similitude  complète  d'action  ; 


ACIDE    CyANIIYDRIQUE.  4J7 

mais  les  mécanismes  ne  sont  pas  atteints  de  même   I  i 
grenouille,  surtout  pendant  l'hiver,  présente,  lorsque 
a  respn-ation  ou  la  circulation  sont  interrompues  ,  ar 
1  extu'pation  du  cœur,  par  exemple,  pendant  lonotemps 
encore  les  apparences  de  la  vie,  non-seulemenrp^r  la 
conservation  des  propriétés  de  ses  tissus,  mais  aussi  par 
la  conservation  des  mouvements  harmoniques  de  sa 
sensibilité,  de  sa  volonté.  Un  oiseau  ou  un  mammifère 
au  contraire,  meurent  dès  que  la  respiration  ou  la  cir' 
culation  s'est  arrêtée,  et  c'est  certainement  sur  l'un  de 
ces  deux  appareils  essentiels  que  l'acide  prussique  porte 
son  action,  comme  nous  le  dirons  bientôt. 

La  rapidité  foudroyante  avec  laquelle  Tacide  cyan- 
hjTlrique  agit  sur  les  animaux  à  sang  chaud  est  assez 
difGcile  à  comprendre.  Nous  savons,  par  les  expériences 
dont  vous  avez  été  témoins  dans  les  leçons  précédentes 
combien  sont  rapides  les  phénomènes  de  transport  mais 
celte  rapidité  semble  encore  insuffisante  pour  expliquer 
les  effets  foudroyants  du  poison.  A  une  éi^oque  où  les 
hypothèses  ingénieuses  tenaient,  en  phvsiologie,  plus  de 
place  que  les  expériences,  nous  voyions  ces  eff-els  expli- 
qués par  un  reflux  du  sang  veineux,  comme  si  un  cou- 
rant en  retour  était  capable  de  revenir  vers  les  éléments 
anatomiques  plus  rapidement  que  le  torrent  sano-uin 
suivant  sa  direction  normale.   «  J'ai  enfin  découvert 
disait  P.  Bérard  (1),  en  parlant  des  animaux  foudrovés 
par  une  goutte  d'acide  prussique  portée  sur  la  conjonc- 
tive, j'ai  enfin  découvert  l'explication  de  ce  phénomène 

(1)  p.  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1819,  t.  Jf,  p.  coj. 

CL.   BERNARD.  —  Phjsiol.    opér.  '  ,,_ 


418  DES  POISONS   DANS    LE    SANG. 

nouveau.  Le  saug  de  la  conjonctive  ne  revient  qu'en 
très-petite  partie  par  la  veine  faciale;  il  entre  à  plein 
canal,  par  la  veine  ophthalmique,  dans  le  sinus  caver- 
neux. Admettez  le  plus  petit  mouvement  de  reflux  et  le 
sang  chargé  de  principes  délétères  va  pénétrer  les 
parties  les  plus  importantes  du  centre  nerveux.  »  11 
sufBt,  pour  juger  l'hypothèse,  de  montrer  l'extension 
exagérée  et  inadmissible  que  lui  donne  son  auteur.  «  Ce 
reflux,  continue  plus  loin  P.  Bérard,  que  je  vous  ai 
montré  borné  aux  veines  aff'érentes  aux  sinus  inférieurs 
du  crâne,  se  fait  certainement  sur  une  plus  grande 
échelle.  De  l'acide  prussique  anhydre  est  instillé  dans  la 
veine  jugulaire  d'un  animal.  Il  est  tué  comme  s'il  eût 
été  frappé  d'un  boulet  de  canon.  Reconnaissez  le  reflux 
du  sang  chargé  de  poison,  ou  renoncez  à  la  théorie  de 
l'empoisonnement.  Une  goutte  d'acide  prussique  con- 
centrée est  mise  sur  la  langue  d'un  chien  ;  il  fait  rapi- 
dement trois  inspirations  et  tombe  mort.  C'est  dans  les 
veines  jugulaires  que  l'absorption  a  d'abord  porté  une 
partie  du  poison,  et  tout  s'est  passé  ensuite  comme 
dans  les  cas  précédents.  » 

Nous  devons  avouer  que,  dans  l'état  actuel  de  nos 
connaissances,  la  rapidité  de  cette  action  a  quelque 
chose  d'embarrassant.  Sans  doute  le  poison  agit  d'une 
manière  complexe  :  il  fait  sentir  ses  effets  sur  le  bulbe, 
comme  du  reste  sur  tout  l'axe  gris  de  la  moelle  ;  c'est 
ce  que  tendent  à  démontrer  les  nombreuses  recherches 
de  Preyer  (1).  Peut-être  l'acide  cyanhydrique  agit-il 

(1;  Voyez  W.  Preyer,  Dii  Blausdure,  phijsiologiscli.  Untersuch.  Bijnii,  I87(i, 
II*  part.,  11.  14"). 


ACIDE   CYANHYDRIQUE.  4^9 

sur  les  centres  réflexes  par  l'intermédiaire  direct  des 
nerfs  sensitifs;  j'examinerai  d'une  manière  particulière 
cette  question.  3Iais  il  est  des  expériences  montrant  qu'en 
même  temps  il  agit  sur  le  sang,  sur  le  globule  rou-e 
et  cette  action  serait  jusqu'à  un  certain  point  à  com- 
parer à  celle  de  l'oxyde  de  carbone.  C'est  ce  que  mon- 
trerait l'analyse  spectrale   :   l'hémoglobine   formerait 
avec  l'acide  prussique   une   combinaison  cristallisant 
sous  la  même  forme  que  l'hémoglobine  oxygénée    et 
dont  le  spectre  serait  tout  à  fait  semblable àœlui  que 
donne  cette  dernière.  Cette  combinaison  est  modifiée 
par  les  agents  réducteurs.  Nous  devons  dire  que  nous 
n'avons  pas  réussi  à  vériûer  ces  résultats  publiés  par 
quelques  auteurs.   Dans  tous  les  cas,  cette  action  de 
l'acide  prussique  sur  le  sang  ne  nous  paraîtrait  pas 
de  nature  à  expliquer  la  mort  dans  le  cas  où  l'animal 
est  foudroyé  par  une  goutte  d'acide  anhydre  placée  sur 
la  conjonctive. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ces  différentes  questions 
qui  demandent  de  nouvelles  recherches  :  toujours  est-il 
que  l'acide  prussique  est  toxique  pour  tous  les  êtres  de 
1  échelle  organique  ;  il  tue  même  les  végétaux  :  la  sen- 
sitive  perd  son  irritabilité  par  son  contact.  Parmi  les 
animaux,  ce  sont  ceux  à  sang  chaud  qui  en  ressentent  le 
plus  vivement  les  atteintes.    Chez  eux,   la  mort  est 
instantanée.  Lorsqu'on  fait  respirer  l'acide  anhydre  ou 
qu'on  le  dépose  sur  la  conjonctive  ou  dans  la  bouche 
après  quatre  ou  six  secondes  l'animal  fait  quelques 
inspirations  larges  et  profondes,  pousse  des  cris  vio- 
lents, se  roidit  et  meurt.  La  circulation  et  la  respiration 


4^0  DES   POISONS   DANS   LE   SANG. 

s'arrêtent,  la  sonsib.lité  parait  être  atteinte  et  le.  ani- 
maux périssent  comme  s'ils  étaient  tués  par  1  excès  de  la 
doulenr,  (l«i  épuiserait  la  sensibilité  et  arrèteraU  dans 
le  bulhe  les  facultés  respiratoires  ou  circulatoires  et 
cela  d'autant  plus  énergique.nent  que  l'animal  est  plus 

sensible.  .  . 

Nous  pouvons  prouver  notre  proposition  ou  notie 

hypothèse  par  une  expérience  très-curieuse. 

Nous  chloroformisons  un  animal  (chien  ou  lapin),  et 
lorsque  l'anesthésie  est  complète,  si  l'on  fait  respirer  ou 
si  l'on  injecte  sous  la  peau,  ou  même  dans  les  veines, 
de  l'acide  prussique  en  quantité  suffisante  pour  tuer 
l'animal,  il  en  ressent  beaucoup  moins  les  effets  appa» 
rents  tant  qu'il  est  sous  l'influence  de  l'anesthésie  com- 
plète- car  si  l'anesthésie  est  incomplète,  il  éprouvera, 
à  des  degrés  divers,  les   effets  toxiques  qui  ne  sont 
pas  neutrahsés  d'une  façon  absolue.  Quant  a  1  action 
intérieure  du  poison,  ses  effets  sont  masqués  au  moins 
dans  leur  manifestation  extérieure  relativement  a  la 
sensibilité  et  à  la  douleur;  si  le  poison  a  le  temps  de 
s'évaporer,  alors  l'animal  peut  n'en  ressentir  aucune- 
ment les  effets.  L'animal  anesthésié  à  sang  chaud  est 
alors  devenu  plus  ou  moins  semblable  à  l'animal  a  sang 
froid  Toutefois  nous  avons  vu  l'acide  prussique  anhydre 
déposé  sur  la  conjonctive  chez  un  animal  anesthésié  pro- 
duire la  mort  rapidement,  tandis  que  l'action  du  poison 
était  bien  moins  énergique  ou  nulle  quand  l'acide  était 
déposé  sous  la  peau  du  dos,  par  exemple. 

Ainsi  ce  n'est  pas  en  étudiant  l'effet  général  des  poi- 
sons que  nous  pourrons  acquérir  des  notions  exactes  sur 


ACIDE    CYANHYDRIQUE.  4^2 

leur  mode  d'action;  que  le  poison  tue  ou  ne  tue  pas. 
l'animal,  qu'il  le  laisse  survivre  quelques  secondes  ou 
quelques  heures,  ce  sont  là  des  faits  pour  ainsi  dire 
accessoires.  Cette  proposition  pourrait  paraître  au  moins 
singulière;  elle  est  cependant  exacte,  car  c'est  seule- 
ment en  pénétrant  plus  avant  que  nous  pourrons  com- 
prendre ces  anomalies  suivant  certains  animaux,  et  les 
expliquer  et  nous  en  rendre  maîtres. 

Permettez- moi  de  vous  citer  encore  un  exemple  de 
ces  diversités  d'effets  de  mêmes  lésions  chez  les  animaux 
différents.  Si  l'on  coupe,  par  exemple,  le  nerf  moteur  de 
la  face  des  deux  côtés,  chez  un  chien  ou  chez  un  lapin, 
ranimai  a  la  face  paralysée,  mais  il  n'en  résulte  rien  de 
fâcheux  pour  sa  vie.  Si  au  contraire  on  pratique  la  même 
opération  chez  le  cheval,  il  meurt  très-rapidement  après 
la  section  des  deux  nerfs.  Pourquoi  cette  différence? 
Parce  que  les  naseaux  membraneux  du  cheval,  étant 
paralysés,  ne  peuvent  plus  laisser  passer  l'air,  et  que  le 
cheval,  ne  pouvant  respirer  que  par  les  narines  et  non 
par  la  bouche,  asphyxie  après  cette  opération.  Cepen- 
dant il  serait  absurde  de  dire  que  la  section  du  facial 
produit  des  effets  différents.  C'est  toujours  une  paralysie 
et  pas  autre  chose.  Seulement  chez  le  cheval  l'appareil 
respiratoire  présente  une  disposition  spéciale  qui  donne 
à  celte  section  un  résultat  différent  et  bien  plus  grave. 
Mais  dès  que  l'on  comprend  le  mécanisme  de  ce  phéno- 
mène, on  peut  y  remédier  en  mettant  des  tubes  rigides 
dans  les  naseaux  de  l'animal,  et  alors  la  suffocation  n'a 
plus  lieu,  et  le  cheval  survit  comme  le  chien  elle  lapin 
à  la  section  des  deux  nerfs  faciaux. 


4^2  DES    POISONS    DANS    LE    SANG. 

Ainsi  la  simple  observation  empirique  ne  nous 
apprend  rien  ou  nous  trompe,  si  nous  ne  cherchons  pas 
à  pénélrer  plus  avant.  Il  faut  chercher  sur  quel  tissu, 
sur  quel  organe  a  agi  le  toxique,  et  l'on  verra  que 
dans  tous  les  cas,  chez  tous  les  animaux,  cette  action 
élémentaire  est  la  même,  qu'elle  diffère  seulemen  t,  quant 
à  ses  effets  sur  l'organisme  général,  selon  quelques 
circonstances  accidentelles  ou  selon  que  l'élément  ou 
l'organe  atteint  arrête,  par  sa  suppression  même,  l'har- 
monie du  jeu  général  de  la  vie  de  l'être  animé. 

A  propos  de  l'action  spéciale  du  poison  sur  les  élé- 
ments ou  les  organes,  je  dois  vous  mettre  en  garde 
contre  des  tendances  qui  frapperaient  le  plus  souvent 
de  stérilité  nos  recherches  pour  déterminer  le  lieu  où  le 
poison  a  porté  ses  effets  mortels.  On  s'imagine  à  priori 
que,  dans  le  mécanisme  organique  qui  constitue  la  vie 
de  l'animal,  il  doit  y  avoir,  toutes  les  fois  que  la  mort 
arrive  par  l'effet  d'un  poison  ou  de  toute  autre  cause,  il 
doit  y  avoir  une  lésion  matérielle  visil)le,  une  désorga- 
nisation tangible;  on  cherche  avec  ardeur,  permettez- 
moi  l'expression,  le  rouage  cassé.  Telle  est  la  tendance 
actuelle  des  études  d'anatomie  pathologique;  mais  cette 
science  porte  trop  souvent  à  faux,  même  dans  les  cas  où 
elle  constate  des  lésions.  Dans  un  grand  nombre  de  cas, 
les  lésions  tangibles  observées  ne  sont  que  des  lésions 
concomitantes  dans  lesquelles  on  ne  peut  qu'artiGciel- 
lement  placer  le  mécanisme  de  la  mort. 

En  effet,  les  causes  de  la  mort  ne  laissent  le  plus  sou- 
vent aucune  trace  anatomique,  puisque  nous  pouvons, 
par  des  artifices  expérimentaux,  faire  revenir  à  la  vie 


ACIDE    CYANIIYDRIQUE.  4';23 

un  animal  qui  vient  de  succomber  cà  l'empoisonne- 
ment. Pour  le  curare,  par  exemple,  il  est  bien  évident 
que  par  l'action  mortelle  de  ce  poison  il  n'y  a  rien  eu 
d'anatomiquement  détruit.  Quand  nous  tuons  un  animal 
par  la  section  du  bulbe  au  contraire,  l'autopsie  nous 
révèle  ensuite  nettement  le  traumatisme  subi  par  la 
partie  supérieure  de  la  moelle  ;  mais  aussi  il  nous  est 
impossible,  du  moment  que  le  bulbe  est  sectionné,  de 
sauver  la  vie  de  l'animal  et  de  faire  disparaître  la  lésion 
que  nous  avons  produite.  Au  contraire,  lorsqu'un  ani- 
mal succombe  à  l'action  d'un  poison,  du  moment  que 
nous  pouvons,  au  plus  fort  de  cette  action,  le  mettre  en 
état,  comme  vous  l'avez  vu  à  plusieurs  reprises  pour  le 
curare,  de  survivre  à  cette  action  et  d'éliminer  le  poi- 
son, il  est  évident  qu'il  n'y  a  pas  eu  de  lésion  anato- 
mique,  car  du  moment  qu'une  lésion  de  ce  genre  existe, 
elle  est  irréparable.  Il  n'y  a  eu  qu'un  arrêt  de  fonction  : 
c'est  ainsi  que,  par  exemple,  nous  pouvons  arrêter  un 
mécanisme  d'horlogerie  en  arrêtant  le  balancier,  sans 
rien  léser  dans  la  série  des  ressorts  et  des  engrenages; 
mais  si  nous  brisons  une  pièce  quelconque,  par  le  fait 
même  de  la  destruction  de  cette  partie,  le  mouvement 
est  définitivement  arrêté  dans  toute  la  machine  sans  que 
nous  puissions  la  remettre  en  jeu. 

Je  n'insiste  pas  sur  ces  idées  que  j'ai  développées 
déjà  bien  souvent  devant  vous  en  vous  parlant  de  l'in- 
suffisance de  l'anatomie  pathologique  pour  expliquer  les 
maladies,  et  je  vous  répéterai  ici  un  mot  que  je  vous  ai 
déjà  dit  :  que  l'anatomie  n'est,  par  rapport  aux  phéno- 
mènes de  la  vie,  que  ce  que  serait  la  géographie  par 


424  DES    POISO>S    DANS    LE    SANG. 

rapport  à  l'histoire.  En  effet,  nos  connaissances  anato- 
niiqiies  ne  sont  que  de  la  topographie  appliquée  à  l'his- 
toire des  fonctions  ou  des  maladies,  ou  en  d'autres 
termes,  si  l'anatomie  localise  le  phénomène,  elle  est 
insuffisante  à  l'expliquer. 

Ces  considérations  me  sont  suggérées  par  l'étude 
même  de  l'action  de  l'acide  prussique.  Sous  l'influence 
des  idées  anatomo-pathologiques,  on  a  voulu  trouver  des 
lésions  anatomiques  pom^  tous  les  empoisonnements  ;  on 
en  a  même  décrit  pour  celui  qui  nous  arrête  en  ce  mo- 
ment :  on  aurait  trouvé  les  cellules  des  centres  nerveux 
dilacérées,  et  par  cela  même  incapables  de  remplir 
désormais  leurs  fonctions.  Mais  ce  sont  là  de  pures  vues 
de  l'esprit ,  on  plutôt  encore  les  résultats  des  méthodes 
défectueuses  mises  en  usage  pour  étudier  les  éléments 
anatomiques  des  centres  nerveux,  et  vous  savez  (com- 
bien celte  étude  microscopique  est  délicate.  Mais  une 
recherche  attentive  et  faite  avec  les  précautions  voulues 
ne  devra  révéler  aucune  lésion  visible  dans  les  cellules 
nerveuses  d'un  animal  venant  de  succomber  à  Tempoi- 
sonnement  par  l'acide  cyanhydrique,  puisque  nous  pou- 
vons, si  nous  voulons,  ramener  l'animal  à  la  vie.  Aussi 
la  médecine  légale,  qui  a  tant  d'intérêt  à  révéler  la 
cause  et  le  mécanisme  de  la  mort,  n'a-t-elle,  dans  les 
cas  de  ce  genre,  d'autre  moyen  de  parvenir  à  son  but 
que  de  retrouver  le  poison  lui-même,  et  non  la  lésion 
anatomique. 

En  réalité,  beaucoup  d'empoisonnements  n'ont  pas 
d'anatomie  pathologique.  L'acide  prussique  est  dans  ce 
cas;  car,  nous  le  répétons,  nous  avons  pu  faire  fréquem- 


ACIDE    CYANHYDRIQUE.  425 

ment  revenir  à  la  vie  des  chiens  qui  avaient  été  empoi- 
sonnés par  l'acide  prussique,  dont  la  respiration  était 
arrêtée,  lîon  par  une  lésion  analomique  réelle,  mais  par 
une  sorte  d'inertie  survenue  dans  le  jeu  du  mécanisme. 
Nous  nous  sonmies  servis  pour  cela  d'un  courant  élec- 
trique que  nous  faisions  passer  de  la  bouche  à  l'anus. 
Sous  cette  influence,  les  battements  du  cœur  se  réveil- 
laient, les  mouvements  respiratoires  finissaient  par  se 
rétablir,  et  l'animal,  revenu,  ne  présentait  plus  rien  de 
son  élat  antérieur;  il  mangeait  et  était  dans  un  éiat 
paifait  de  sanlé.  Nous  avons  fait  revenir  trois  fois,  de 
celte  manière,  un  gros  chien  qui  avait  été  empoisonné 
par  des  doses  considérables  d'acide  prussique.  Donc, 
chez  ce  chien,  on  ne  pouvait  pas  admettre  des  éléments 
brisés  ou  des  lésions  anatomiques  profondes;  sans  cela 
il  ne  serait  pas  revenu. 

Toutefois  nous  ajouterons  qu'il  faut  avoir  affaire 
à  des  animaux  vigoureux,  car  des  animaux  aifid- 
blis  n'offrent  pas  les  mômes  ressources.  En  effet,  j'ai 
prouvé  autrefois  que  toutes  les  douleurs,  même  légères, 
retentissent  sur  le  cœur  et  ont  pour  premier  effet  de 
l'arrêter.  Il  y  a  donc  toujours  en  réalité  tendance  à  la 
production  d'une  syncope.  Seulement  cet  arrêt  du  cœur 
chez  un  animal  vigoureux  est  aussitôt  suivi  de  la  reprise 
et  de  la  continuation  des  battements  du  cœur,  et  la  cir- 
culation n'en  souffre  pas  sensiblement  ;  mais  si  l'animal 
est  affaibli,  l'arrêt  du  cœur  peut  être  définitif  et  pro- 
duire une  syncope  mortelle.  C'est  ainsi  que  Chossal  pro- 
duisait la  mort  subite  en  pinçant  la  palte  chez  des  tour- 
terelles très-affaiblies  par  l'abstinence.  Dernièrement, 


426  DES   POISONS    DANS   LE    SANG. 

M.  Tarchanoff  a  montré  que  chez  des  grenouilles  dont 
le  mésentère  avait  été  irrité  au  contact  de  l'air  on  pro- 
duisait cet  arrêt  du  cœur  en  excitant  très-légèrement 
la  surface  du  mésentère  enflammé  et  devenu  plus 
sensible. 

C'est  dans  ce  même  ordre  d'idées  qu'il  faut  examiner 
la  question  si  importante  des  contre-poisons.  Lorsque 
l'on  voit  deux  agents  toxiques  neutraliser,  en  apparence, 
leurs  effets,  si  l'on  suppose  que  ces  effets  ont  pour  cause 
une  lésion  anatomique,  on  est  forcément  amené  à  pen- 
ser que,  par  le  fait  même  de  l'administration  simul- 
tanée des  deux  agents,  les  lésions  analomiques  ne  se 
sont  pas  produites,  les  deux  agents  s'étant  neutralisés 
dans  le  milieu  intérieur,  absolument  comme  une  base 
neutralise  un  acide.  Cette  manière  de  voir  est  partagée 
par  plus  d'un  médecin;  mais  ce  n'est  pas  ainsi  que  se 
passent  les  choses  dans  la  plupart  des  cas.  Nous  n'ad- 
mettons pas  cette  prétendue  neutralisation,  cet  anta- 
gonisme des  poisons,  parce  qu'aucun  fait  expérimental 
ne  nous  l'a  démontré.  Tout  ce  que  nous  avons  vu  nous 
a  fait  penser  que  les  poisons  ne  se  neutralisent  pas,  que 
chacun  produit  son  effet  propre,  et  que  ces  effets  se 
superposent.  Il  peut  résulter  de  cette  superposition  d'ef- 
fets des  conditions  nouvelles  pour  l'organisme,  condi- 
tions qui  lui  permettront  d'éliminer  les  poisons,  et,  par 
suite,  de  survivre  à  l'intoxication. 

En  effet,  nous  ne  connaissons  jusqu'à  présent  qu'une 
manière  de  neutraliser  un  poison,  c'est  de  le  chasser  de 
l'organisme.  Vous  l'avez  vu  pour  le  curare.  11  en  est  de 
même  pour  la  strychnine.  On  a  beaucoup  insisté,  à  l'ap- 


CURARE    ET    STRYCHNINE.  427 

pui  de  la  théorie  de  la  neulralisalion  des  poisons  les  uns 
par  les  autres,  sur  ce  fait  :  que  le  curare  peut  empêcher 
la  mort  des  animaux  empoisonnés  par  la  strychnine.  Si 
nous  examinons  exactement  les  faits,  c'est-à-dire  les 
propriétés  de  chacun  des  poisons,  nous  voyons  que  le 
curare,  en  produisant  un  degré  plus  ou  moins  prononcé 
de  paralysie  des  muscles  dans  lesquels  la  strychnine, 
par  son  action  médullaire,  tendrait  à  faire  éclater  des 
convulsions,  permet  à  l'organisme  de  gagner  du  temps, 
et,  par  suite,  à  l'éhmination  de  la  strychnine  de  se  pro- 
duire avant  qu'elle  ait  pu  amener  la  mort.  En  outre, 
le  curare,  en  activant  la  circulation,  favorise  à  un  haut 
degré  cette  élimination. 

Puisque  dans  ce  cas,  sous  l'intluence  du  curare,  l'ani- 
mal revient  d'un  empoisonnement  strychnique  auquel 
il  aurait  succombé  dans  toute  autre  circonstance,  il  est 
bien  évident  que  la  strychnine  n'a  rien  détruit,  n'a  rien 
brisé  dans  la  structure  des  éléments  anatomiques  sur 
lesquels  elle  fait  sentir  son  action.  Nous  en  revenons 
donc  à  ce  fait  d'une  double  importance,  à  savoir,  que  les 
poisons,  et  par  leurs  actions  isolées,  et  par  leurs  actions 
combinées,  nous  présentent  des  moyens  de  vivisection 
infiniment  plus  délicats  que  ceux  réalisés  par  les  instru- 
ments tranchants  et  par  les  autres  moyens  de  destruc- 
tion, puisque,  avec  les  premiers  seulement,  nous  pouvons 
tour  à  tour,  à  notre  gré,  supprimer  et  faire  réappa- 
raître les  fonctions  des  organes  et  des  éléments  que 
nous  devons  étudier. 

A  ce  propos,  j'ajouterai  encore  quelques  mots  relative- 
ment à  l'action  comparée  du  curare  et  de  la  strychnine. 


458  DES    POISONS    DANS    LE    SANG. 

Le  curare  agit  sur  le  nerf  moteur  en  atteignant  sa 
périphérie,  et  il  l'épuisé  de  façon  à  faire  mourir  le  nerf, 
selon  sa  mort  naturelle,  du  centre  à  la  périphérie.  Le  nerf 
sensitif  reste  au  contraire  parfaitement  intact,  comme 
je  vous  l'ai  montré  dans  une  expérience  aujourd'hui  clas- 
sique. Cette  action  du  curare  surle  nerf  moteur,  et  non  sur 
le  nerf  sensitif,  iious  montre,  comme  je  vous  l'ai  déjà  dit, 
que  ces  deux  nerfs  sont  distincts,  puisqu'un  poison  arrête 
les  fonctions  de  l'un  et  pas  celles  de  l'autre.  Mais,  pour 
nous  rendre  compte  de  cette  action  du  curare,  qui  tou- 
che le  nerf  par  la  périphérie  et  le  rend  inactif  à  son 
centre,  nous  sommes  porté  à  admettre  que  les  fonctions 
du  nerf  moteur  sont  le  résuliat  de  vibrations  dont  le 
centre  vibratoire  est  à  la  périphérie  et  qui  s'étend,  dans 
Tétat  fonctionnel,  du  n)uscle  à  la  inoelie  épinière.  Ces 
vibrations,  ayant  leur  centre  ou  leur  point  de  départ 
dans  l'extrémité  nerveuse  musculaire  (plaque  motrice?), 
s'éteignent  graduellement  quand  le  curare  touche  cette 
extrémité,  en  commençant  tout  naturellement  à  dispa- 
raître dans  les  points  les  plus  éloignés  de  leur  centre 
d'irradiation,  c'est-à-dire  dans  la  moelle  épinière.  C'est 
ce  qui  a  lieu  en  effet  :  quoique  le  curare  rende  le  nerf 
d'abord  inactif  à  son  extrémité  centrale,  il  n'agit  |)as 
pour  cela  sur  la  moelle  épinière. 

La  strychnine,  au  contraire,  agit  essentiellement  sur 
la  moelle  épinière,  ainsi  que  tout  le  monde  le  sait  de- 
puis Magendie.  Cette  action  du  poison  excite  des  con- 
vulsions et  épuise  rapidement  les  propriétés  de  réaction 
réflexe  des  nerfs  de  sensibilité  et  de  mouvement.  Le 
aerf  moteur  peut  être  épuisé;  mais  alors  il  est  atteint 


CURARE    ET    STRYCHNINE.  429 

par  l'action  de  la  moelle  épinière  sur  lui,  et,  chose  re- 
marquable, j'ai  trouvé  qu'on  peut,  dans  certains  cas, 
faire  revenir  les  propriétés  du  nerf  en  le  séparant  de  la 
moelle  épinière. 

Ainsi,  vous  le  voyez,  l'action  de  la  strychnine  est 
toute  différente  de  celle  du  curare,  et  elle  pourra  aussi 
nous  servir  d'instrument  d'investigation  dans  l'étude  du 
système  nerveux. 

Je  borne  là,  messieurs,  les  considérations  que  j'avais 
à  vous  donner  sur  cette  question  des  poisons  considérés 
comme  instrumenis  d'investigation  physiologique;  c'est 
un  des  sujets  les  plus  intéressants  pour  la  physiologie  et 
pour  la  médecine.  Il  y  a  vingt  ans,  j'ai  fait  ici  mes  cours 
sur  les  substances  toxiques  et  médicamenteuses,  dans  les- 
quels j'ai  développé  les  mêmes  idées  que  je  vous  expose 
encore  aujourd'hui.  Je  crois  que  ces  principes  ont  ou- 
vert une  voie  féconde  ;  mais  je  n'ai  pas  eu  la  prétention 
d'avoir  fermé  le  sujet  et  arrêté  la  science  sur  ce  point. 
J'ai  l'intention  de  revenir  plus  tard  sur  ce  sujet,  et  je 
reprendrai  ces  mêmes  études  avec  l'expérience  que 
m'auront  donnée  des  recherches  encore  inédites,  ainsi 
que  les  travaux  d'autres  expérimentateurs. 


DIX-NEUVIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  De  la  respiration  artificielle  comme  moyen  d'analyse  physiolo- 
gique. —  Effets  mécaniques  de  l'insufflation  pulmonaire.  —  De  l'apnée 
produite  par  la  respiration  artificielle.  —  De  l'oxyde  de  carbone  comme 
moyen  d'analyse  physiologique.  —  Recherche  du  mode  d'élimination  de 
l'oxvde  de  carbone.  —  >'ouvelles  expériences. 


Messieurs, 

Parmi  les  moyens  qui  nous  permettent  de  réaliser  ce 
que  nous  pouvons  appeler  une  sorte  de  dissection  des 
phénomènes  physiologiques,  je  dois  attirer  particulière- 
ment votre  attention  sur  un  moyen  que  nous  employons 
très-souvent,  et  dont  un  laboratoire  bien  installé  doit 
avoir  les  appareils  prêts  à  entrer  en  jeu  au  premier 
besoin  :  je  veux  parler  de  la  respiration  artificielle . 

Vous  savez  que  lorsque  nous  disons  qu'un  animal 
est  mort,  cela  signifie  le  plus  souvent  que  cet  animal 
se  trouve  dans  un  état  de  rupture  d'équilibre  entre  ses 
diverses  fonctions,  tel  que,  cet  état  persistant,  la  vie 
s'éteindra  successivement  dans  les  divers  éléments  ana- 
tomiques  :  l'animal  ne  reviendra  plus  à  la  vie,  si  Ton 
n'aide  pas  artificiellement  au  rétablissement  de  l'équi- 
libre; mais  la  mort  n'est  pas  tout  de  suite  absolue  et 
complète.  Tel  animal  dont  la  respiration  est  arrêtée 
présente  en  apparence  tous  les  symptômes  de  la  mort, 


RESPIRATION    ARTIFICIELLE.  431 

et  cependant  ses  éléments  de  tissus  vivent  encore,  et  il 
suffira  de  ramener  les  échanges  gazeux,  supprimés  par 
la  cessation  de  la  respiration,  pour  que  cette  vie  latente 
se  manifeste  par  ses  phénomènes  extérieurs.  C'est  ainsi 
qu'il  faut  comprendre  l'expression  de  rappeler  à  la  vie, 
de  ranimer  un  animal  mort  en  apparence,  et  qui  de  fait 
ne  recouvrerait  pas  spontanément  l'équilibre  physiolo- 
gique rompu;  c'est  ainsi  que  de  tout  temps  on  s'est 
efforcé  de  rappeler  à  la  vie  les  individus  noyés  ou  as- 
phyxiés. Mais,  pour  que  ces  moyens  puissent  réussir,  il  faut 
avant  tout  que  les  dernières  actions  réflexes  ne  soient 
pas  éteintes;  sans  cela,  le  retour  à  la  vie  serait  im- 
possible. 

Or,  de  tous  les  moyens  dont  se  sert  le  médecin  dans 
les  circonstances  indiquées,  aussi  bien  que  le  physiolo- 
giste dans  les  circonstances  nouvelles  créées  par  l'expé- 
rimentation, de  tous  les  moyens  employés  pour  rappeler 
les  animaux  à  la  vie,  le  plus  précieux  et  le  plus  employé 
est  sans  contredit  la  respiration  artificielle.  Vous  nous 
l'avez  vu  appliquer  sur  les  animaux  curarisés,  et  nous 
avons  pu  ainsi  mettre  ces  animaux  dans  des  conditions 
où  s'est  effectuée  l'élimination  du  poison,  de  sorte  que 
nous  les  avons  vus  revenir  à  la  vie.  Nous  avons  pu  alors 
établir  que  les  animaux  curarisés  sont  tués  non  par  le 
curare,  mais  par  l'asphyxie  :  le  poison  n'est  pas  l'agent 
immédiat  de  la  mort;  en  supprimant  le  jeu  de  tous  les 
muscles,  et  par  suite  celui  des  muscles  de  la  respiration, 
il  arrête  l'une  des  fonctions  les  plus  indispensables,  et 
l'asphyxie  devient  la  cause  immédiate  delà  cessation  de 
la  vie.  Mais  que  l'on  s'oppose  à  l'asphyxie,  que  la  respi- 


432  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

ration  artificielle  soit  pratiquée  aussi  longtemps  que 
l'animal  ne  peut  lui- môme  dilater  et  resserrer  son 
Ihorax,  et  vous  verrez  la  vie  se  continuer,  pour  repren- 
dre bientôt  toute  son  intégrité  et  toutes  ses  apparences 
extérieures  par  le  retour  de  la  respiration  spontanée. 
Dans  ce  cas,  le  curare  n'aura  donc  pas  tué  l'animal,  et 
si  l'on  a  afïïiire  à  des  animaux  inférieurs,  dont  la  respi- 
ration se  fait  à  l'air  par  toute  la  surface  du  corps,  le 
curare  ne  les  tue  pas  non  plus. 

Il  est  une  infinité  de  cas  identiques  avec  l'exemple 
que  je  viens  de  vous  citer,  et  dans  lesquels  la  respira- 
tion artificielle  nous  est  très-précieuse  en  nous  permet- 
tant de  distinguer  la  subordination  de  certains  phéno- 
mènes, d'étudier  isolément  certaines  propriétés  de  tissus 
ou  d'organes,  de  faire,  en  un  mot,  l'analyse  physiolo- 
gique. Ce  retour  à  la  vie  des  animaux  empoisonnés,  par 
la  respiration  artificielle,  prouve,  ainsi  que  je  vous  l'ai 
déjà  fait  remarquer,  que  les  lésions  produites  n'étaient 
que  passagères  et  fugaces,  que  par  conséquent  l'anatomie 
pathologique,  quoique  perfectionnée  par  le  microscope, 
est  bien  loin  de  saisir  dans  les  tissus  les  causes  immé- 
diates de  la  mort. 

Dans  les  Leçons  préliminaires  (ci-dessus,  page  254) 
sur  les  appareils  qui  constituent  l'arsenal  du  labora- 
toire, je  vous  ai  donné  la  description  détaillée  des 
appareils  employés  pour  pratiquer  la  respiration  arti- 
ficielle ;  je  vous  en  rappellerai  donc  simplement  le 
principe  général. 

La  respiration  artificielle  peut  se  pratiquer  de  plusieurs 
manières  :  sur  des  noyés,  en  l'absence  de  toute  instru- 


RESPIRATIOX    ARTIFICIELLE.  433 

mentation  spéciale,  on  a  pu  la  pratiquer  simplement  de 
bouche  cà  bouche;  l'air  ainsi  insufflé  dans  le  thorax  con- 
tient encore  assez  d'oxygène  pour  suffire  à  un  commen- 
cement d'hématose.  Je  n'ai  pas  besoin  d'insister  sur 
l'imperfection  de  ce  procédé  primitif. 

En  physiologie,  nous  disons  pénétrer  i'air  par  le 
mécanisme  d'un  soufflet,  plus  ou  moins  modifié,  qui 
aspire  l'air  extérieur,  puis  le  chasse  dans  le  poumon 
de  Janimal  (voy.  ci-dessus  les  fig.  63  et  64,  p.  225  et 
227).  Le  mécanisme  de  cette  respiration  artificielle  est 
précisément  l'inverse  de  ce  qui  se  passe  dans  la  res- 
piration naturelle;  les  conditions  de  pression  sont  inter- 
verties :   dans  la  phase  de  pénétration,  l'air,  au  lieu 
d'être  aspiré  par  le  jeu  de  la  cage  thoracique,  vient,  en 
vertu  de  la  tension  propre  qui  lui  est  communiquée  par 
le  soufîlet,  dilater  activement  le  poumon  et  le  thorax. 
Quant  à  l^expiration,  elle  se  fait  toujours  par  la  réac- 
tion élastique  du  thorax  et  du  poumon,  qui  reviennent 
a  leurs  dimensions  premières  et  expulsent  l'air  introduit. 
Il  serait  certainement  préférable  de  réaliser  une  res- 
piration artificielle  dont  les  conditions  mécaniques  se 
rapprocheraient  davantage  de  ce  qui  se  passe  normale- 
ment. Par  des  pressions  exercées  méthodiquement  et 
à  intervalles  égaux  sur  le  thorax,  ou  a  bien  essavé  de 
simuler  le  jeu  normal  de  la  respiration,  de  même  que 
par  le  soulèvement  des  bras.  Mais  les  résultats  ainsi  ob- 
tenus sont  insuffisants  et  neproduiraient,surloutau  point 
de  vue  de  nos  expériences  de  longue  durée,  qu'une 
aération  imparfaite  du  poumon.  On  a  également  essayé 
de  reproduire  les  mouvements  inspiratoires  par  la  gal- 

tr..   BERNARD.  —  Physiol.  opér.  o,. 


434  RI^S    GAZ   DANS  LE    SANG. 

vanisation  des  nerfs,  et  notamment  du  nerf  phré- 
niq.ie-  mais  ici  encore  nous  ne  saurions  nous  conlenter 
de  ce  moven,  lors(iuc  nous  avons  à  reproduu^e  sur 
un  animai;  non  pas  quelques  inspirations,  mais  le  jeu 
complet  du  thorax  pendant  douze  ou  même  vmgt-quatre 

heures.  .  p  •  i, 

Nous  devons  donc  accepter  la  respiration  artificielle 
par  insufflation,  quoiqu'elle  renverse  certaines  condi- 
tions mécaniques  très-imporlanles  au  point  de  vue  des 
pressions  alternatives  supportées  par  les  organes  et  les 
liquides  du  thorax.  11  nous  suffira  de  savoir  faire  exacte- 
ment, dans  nos  expériences,  la  part  de  ces  conditions 
nouvelles.  Et  nous  allons  d'abord  examiner,  au  point  de 
vue  de  la  vie  de  l'animal,  quels  sont  les  dangers  que 
présente  la  respiration  artificielle  ainsi  pratiquée. 

Ces  dangers  sont  des  résultats  purement  mécaniques 
de  conditions  nouvelles  introduites  dans  le  jeu  du 
poumon.  Ainsi  on  adès  longtemps  remarqué  qu'en  cher- 
chant à  conserver  la  vie  d'un  homme  ou  d'un  animal 
par  la  respiration  artificielle,  on  n'était  arrivé  trop  sou- 
vent à  d'autre  résultat  qu'à  produire  plus  rapidement 
la  mort.  Il  y  a  donc  là  certains  accidents  à  prévenir, 
certaines  conditions  à  observer. 

Fn  effet,  une  insufflation  trop  brusque  et  trop  vio- 
lence peut  amener  une  rupture  des  vésicules  pulmo- 
naires, et  par  suite  un  emphysème  interstitiel.  Tous  les 
animaux  ne  sont  pas  également  exposés  à  ces  déchirures, 
et  les  conditions  d'âge  ne  sont  pas  sans  importance. 
Plus  l'animal  est  jeune,  plus  l'accident  est  facile.  Chez 
le  lapin,  le  poumon  est  plus  friable  que  chez  le  chien  : 


RESPIRATION    ARTIFICIELLE.  435 

rien  n'est  plus  délicat,  à  ce  point  de  vue,  qu'un  jeune 
lapin  ;  un  chien  âgé  est  au  contraire  l'animal  chez  lequel 
l'insufflation  peut  être  le  plus  hardiment  pratiquée. 

Ces  considérations  ne  s'appliquent  pas  seulement  à  la 
simple  question  de  l'étendue  et  de  l'énergie  que  l'on 
pourra  donner  à  la  respiration  artificielle  dans  nos  ma- 
nœuvres de  laboratoire  ;  elles  nous  permettent  de  nous 
rendre  compte  d'une  question  qui  a  longtemps  divisé  les 
expérimentateurs,  et  dont  la  solution  n'a  été  retardée 
que  parce  qu'on  ne  s'était  pas  attaché  à  bien  déterminer 
les  susceptibilités  particulières  que  peuvent  présenter  les 
animaux  précisément  au  point  de  vue  de  la  friabihté.  de 
la  vulnérabilité  de  leur  tissu  pulmonaire.  Vous  savez  que 
les  animaux,   chien  ou  lapin,  succombent   fatalement 
a  la  section  bilatérale  des  pneumogastriques  :  dans  ces 
conditions,  on  trouve  toujours,  à  l'autopsie  des  jeunes 
lapins,  une  hépatisation  considérable  du  tissu  pulmo- 
naire; il  en  est  de  même  si  l'on  a  expérimenté  sur  de 
jeunes  chiens. 

Cette  lésion  pulmonaire  est-elle  la  cause  de  la  mort? 
Oui,  sans  doute,  pour  ces  animaux  en  particulier;  mais 
il  n'est  pas  permis  cependant  de  conclure  que  l'hépa- 
tisation  pulmonaire  soit  le  mécanisme  général  de  la 
mort  après  section  des  nerfs  vagues.  Les  jeunes  ani- 
maux soumis  à  cette  opération  ont  les  poumons  d'une 
friabilité  telle,  que  les  circonstances  mécaniques  nou- 
velles et  les  accidents  amenés  par  la  section  nerveuse 
ont  bientôt  produit  des  désordres  pulmonaires  mortels; 
mais  ce  sont  là  des  conditions  spéciales.  Chez  les  ani- 
maux âgés,  et  surtout  chez  les  vieux  chiens,  ces  désor- 


436  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

dres  sont  bien  plus  lents  à  se  produire,  et  chez  ces  ani- 
maux ayant  subi  la  section  des  pneumogastriques,  avant 
que  ces  désordres  aient  atteint  une  intensité  mortelle,  la 
mort  se  produit,  môme  parfois  sans  aucune  lésion  pul- 
monaire, par  un  mécanisme  que  j'ai  étudié  autrefois 
et  dont  les  éléments  sont  du  reste  complexes. 

Indépendamment  des  accidents  mécaniques  que  peut 
produire  la  respiration  artificielle,  on  peut  observer  des 
phénomènes  singuliers  qui  se  rattachent  au  fait  de 
l'introduction  d'une  quantité  relativement  considérable 
d'oxygène  dans  le  sang.  La  respiration  artificielle,  fai- 
sant pénétrer  l'air  avec  plus  de  force  dans  le  poumon, 
dépasse  pour  ainsi  dire  les  besoins  de  l'hématose  nor- 
male :  l'échange  gazeux  devient  très-considérable  entre 
le  sang  et  l'air  des  alvéoles,  surtout  si  cet  air  est  rapi- 
dement renouvelé;  le  sang  se  trouve  par  suite  bientôt 
très-riche  en  oxygène  et  très-pauvre  en  acide  carbo- 
nique. C'est  alors  que  se  produit  le  phénomène  singu- 
lier désigné  sous  le  nom  &' apnée,  ou  sensation  du  besoin 
de  respirer. 

Il  arrive  en  effet  que,  sur  des  animaux  intacts,  c'est- 
à-dire  normaux  et  respirant  spontanément,  si  l'on  pra- 
tique la  respiration  artificielle,  après  avoir  vu  les  mou- 
vements normaux  et  les  mouvements  artificiels  de  la 
respiration  se  mêler  et  se  contrarier  pendant  un  certain 
temps,  on  assiste  en  définitive  à  une  cessation  complète 
des  mouvements  spontanés.  Dans  !a  respiration  artifi- 
cielle pratiquée  chez  un  animal  curarisé,  nous  avons 
observé  quelquefois  ce  phénomène;  mais  nous  n'avons 
pas  pu  l'observer  chez  des  chiens   empoisonnés  par 


f 


RESPIRATION    ARTIFICIELLE    :    APNÉE.  437 

l'oxyde  de  carbone  ou  par  la  strychnine;  nous  n'avons 
pas  vu  les  convulsions  cesser  d'une  manière  constante. 

Pour  expliquer  ce  singulier  phénomène  d'apnée,  on 
admet  que  le  centre  nerveux  qui  préside  aux  mouve 
ments  respiratoires,  placé  dans  le  bulbe,  entre  en  action, 
soit  d'une  manière  réflexe,  par  les  impressions  que  lui 
apportent  les  nerfs  sensitifs,  soit  d'une  manière  directe, 
par  des  excitations  qui  portent  immédiatement  sur  lui. 
C'est  le  sang  qui,  selon  son  contenu  de  gaz  (oxygène  et 
acide  carbonique),  produit  sur  le  centre  respiratoire 
cette  excitation  directe.  Mais  les  discussions  les  plus 
complexes  se  sont  élevées,  et  les  expériences  en  appa- 
rence les  plus  contradictoires  ont  été  mises  eu  avant, 
lorsqu'il  s'est  agi  de  déterminer  exactement  les  condi- 
tions qui  donnent  au  sang  ses  propriétés  excitantes  sur 
le  centre  bulbaire. 

S'il  arrive,  dit-on,  une  grande  quantité  d'oxygène 
dans  le  sang,  la  respiration  se  ralentit  :  un  animal  auquel 
on  fait  une  respiration  artiflcielle  active  (plus  de  seize  à 
vingt  fois  par  minute,  ce  qui  est  le  chiffre  normal  des 
mouvements  respiratoires  chez  le  chien),  soit  avec  de 
l'air,  soit,  mieux  encore,  avec  de  l'oxygène,  suspend 
bientôt  toute  tentative  de  respiration  spontanée  {apnée). 

D'autre  part,  si  l'on  fait  respirer  à  un  chien  un  air 
fortement  chargé  d'acide  carbonique,  il  se  manifeste 
des  mouvements  respiratoires  violents;  le  centre  respi- 
ratoire bulbaire  est  fortement  excité  :  il  y  a  dyspnée. 

Il  semble  donc,  d'après  ces  premières  données,  que 
l'acide  carbonique  du  sang  est,  par  le  fait  de  son  con- 
tact avec  les  cellules  du  centre  respiratoire,  l'agent 


438  DES    GAZ   DANS    LE   SANG. 

mêniede  leur  excitation.  Mais  dans  le  fait  de  la  respi- 
ration d'un  air  ordinaire  fortement  char2;é  d'acide  car- 
bonique,  il  y  a  deux  éléments  à  distinguer  :  1"  excès 
d'acide  carbonique;  2"  diminution  relative  et  toujours 
croissante  d'oxygène.  Est-ce  à  l'excès  d'acide  carbonique 
ou  au  manque  d'oxygène  qu'est  due,  dans  la  dyspnée, 
l'excitation  des  centres  respiratoires?  La  solution  de 
cette  question,  si  elle  est  possible,  nous  permettrait,  en 
invoquant  le  mécanisme  inverse,  de  nous  expliquer  le 
phénomène  inverse,  c'est-à-dire  l'apnée,  qui  peut  résul- 
ter de  la  respiration  artificielle. 

Les  premières  expériences  faites  dans  ce  sens  sont 
celles  de  M.  Wilh.  MuUer.  Ce  physiologiste  a  observé 
qu'un  chien  peut  respirer  une  atmosphère  très-chargée 
d'acide  carbonique  sans  présenter  de  dyspnée,  pourvu 
que  cette  atmosphère  soit  en  même  temps  plus  riche  en 
oxygène  que  l'air  ordinaire.  Cela  n'est  pas  absolu,  car 
j'ai  vu,  il  y  a  longtemps,  qu'un  animal  succombe  dans 
une  atmosphère  composée  à  parties  égales  d'oxygène  et 
d'acide  carbonique.  Ce  serait  donc  moins  la  présence  de 
l'acide  carbonique  que  l'absence  ou  l'insuffisance  d'oxy- 
gène qui  produit  la  dyspnée.  Quant  à  l'état  contraire, 
l'apnée,  il  serait  produit,  conclut  le  même  physiologiste, 
non  par  l'absence  d'acide  carbonique,  mais  par  l'excès 
d'oxygène.  L'acide  carbonique  et  l'oxygène  devraient 
jouer  dans  le  sang  des  rôles  bien  différents.  D'après  des 
expériences  que  je  n'ai  point  encore  publiées  et  qui  ne 
peuvent  trouver  place  ici,  je  pense  que  l'oxygène  serait 
au  contraire  un  gaz  excitateur  fonctionnel  des  organes, 
tandis  que  l'acide  carbonique  est  un  excitateur  de  la 


RESPIRATION   ARTIFICIELLE    :    APNÉE.  439 

nutrition  organique.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  fallait,  pour 
éclaircir  celte  question  complexe,  étudier  séparé- 
ment l'intluence  de  l'absence  d'oxygène,  d'une  part, 
et,  d'autre  part,  l'influence  de  l'absence  de  l'acide 
carbonique. 

C'est  ce  qu'a  essayé  de  faire  Rosenlhal;  nous  verrons 
s'il  y  a  réussi,  et  si  ces  deux  éléments  du  problème  peu- 
vent en  effet  être  ainsi  expérimentalement  isolés,  ou 
s'ils  ne  sont  pas,  par  la  nature  même  des  choses,  liés 
l'un  à  I  autre,  comme  corrélatifs  d'un  seul  et  même  phé- 
nomène chimique. 

Rosenlhal  fit  respirer  des  chiens  dans  de  l'hydrogène 
pur  [Arch.  de  Reichertet  de  Bois-Reymond^  années  1864 
et  1865),  et  observa  que,  dans  ces  circonstances,  la  mort, 
qui  arrive  fatalement  si  l'expérience  est  continuée,  est 
précédée,  non  des  symptômes  d'apnée,  mais  bien  de  ceux 
de  dyspnée.  Donc,  disait-il,  la  dyspnée  est  produite  parle 
manque  d'oxygène;  l'apnée  est  inversement  la  consé- 
quence d'une  suroxygénation  du  sang.  L'acide  carbo- 
nique ne  serait,  en  aucune  manière,  fadeur  dans  les 
symptômes  d'apnée  et  de  dyspnée.  En  effet,  Rosenlhal 
pensait  avoir  réalisé  par  la  respiration  artificielle  dans 
l'hydrogène  des  circonstances  telles  que  le  sang  ne  con- 
tenait pas  d'oxygène,  en  même  temps  que  l'acide  car- 
bonique, vu  l'aération  du  poumon  par  l'hydrogène,  pou- 
vait être  rejeté  au  dehors. 

C'est  précisément  dans  cette  dernière  partie  de  son 
raisonnement  que  Rosenlhal  paraît  s'être  laissé  induire 
en  erreur.  Est-il  vrai  qu'il  se  soit  mis  à  l'abri  de  toute 
accumulation  d'acide  carbonique  dans  le  sang  en  aérant 


440  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

le  poumon  avec  un  gaz  neulre,  tel  que  l'hydrogène  ou 
l'azote?  Non,  et  en  voici  la  raison. 

On  sait,  en  effet,  que  l'élimination  de  l'acide  carbo- 
nique (lu  sang  n'est  pas  un  simple  phénomène  de  dif- 
fusion gazeuse  au  niveau  du  poumon  :  il  y  a  là  une  action 
chimique  qui  chasse  activement  l'acide  carbonique;  et 
l'on  sait  aujourd'hui  que  l'oxygène,  au  moment  oii  il  se 
combine  avec  l'hémoglobine,  agit  en  môme  temps  pour 
amener  ce  dégagement  de  l'acide  carbonique.  Or,  quand 
on  met  un  animal  à  respirer  dans  l'hydrogène,  cet  ani- 
mal continue,  pendant  les  premiers  instants  de  Fexpé- 
rience,  à  former  de  l'acide  carbonique  avec  l'oxygène 
que  contenait  son  sang;  cet  acide  carbonique  reste  en 
grande  partie  dans  le  sang,  parce  qu'il  n'est  pas  éliminé 
comme  dans  la  respiration  à  l'air  libre  ;  parce  que,  répé- 
tons-nous, la  respiration  d'hydrogène  ne  chasse  pas 
l'acide  carbonique  au  même  degré  que  la  respiration 
d'air  (Thiry,  Travaux  de  la  Société  médico-allemande 
de  Paris ^  1865). 

Aujourd'hui,  les  physiologistes  allemands  (Wundt, 
Hermann,  etc.)  adoptent  une  opinion  mixte  :  ils  admet- 
tent, avec  Dohmen  (Dohmen,  Arbeiten  des  Bonner 
physioL  Instituts^  1865),  que  le  manque  d'O  et  l'excès 
de  CO'  sont  à  la  fois  excitants  du  centre  respiratoire; 
que  l'apnée  produite  par  la  respiration  artificielle  tient 
à  la  lois  au  manque  de  CO'  et  à  l'excès  d'O;  mais  ils 
attribuent  cependant  plus  d'importance  au  manque  de 
CO-,  l'oxygène  agissant  surtout  en  favorisant  l'élimina- 
tion de  CO".  Vous  voyez  que  la  solution  de  cette  ques- 
tion est  plus  complexe  qu'on  ne  saurait  le  croire  au 


r 


RESPIRATION    ARTIFICIELLE.  441 

premier  abord.  En  alleudant  que  de  nouvelles  expé- 
riences nous  permettent  de  mieux  préciser  les  éléments 
du  problème,  j'ai  voulu  vous  faire  entrevoir  par  cet 
exposé  combien  sont  étendues  les  études  physiologiques 
auxquelles  peut  donner  naissance  la  seule  question  de  la 
respiration  artiûcielle. 

Que  serait-ce  si,  étendant  ce  domaine,  nous  exami- 
nions les  cas  dans  lesquels  l'introduction  d'oxygène  dans 
le  sang  est  augmentée  très  au  delà  des  limites  phy- 
siologiques? Vous  connaissez  tous  les  expériences  de 
M.  P.  Bert  à  ce  sujet  :  vous  savez  que  Toxygène,  ce 
pnbidum  vitœ,  devient  un  poison  général  de  tout  orga- 
nisme, de  toute  cellule  vivante,  lorsqu'il  est  en  contact 
avec  elle  sous  une  très-forte  pression;  de  sorte  que  l'on 
peut  dire  qu'il  faut  de  l'oxygène,  mais  qu'il  n'en  faut 
pas  un  excès,  pour  entretenir  les  phénomènes  de  la  vie. 

Enfin,  pour  terminer  la  question  des  accidents  que 
peut  produire  la  respiration  artificielle,  je  dois  vous 
indiquer  certains  troubles  qu'elle  apporte  dans  le  fonc- 
tionnement des  organes,  et  les  réactions  pathologiques 
auxquelles  elle  peut  donner  lieu. 

La  respiration  artiûcielle,  quelque  précaution  que  l'on 
mette  à  la  pratiquer,  est  forcément  brutale  et  soumet 
l'arbre  aérien  à  une  violence  inusitée;  aussi  voit-on 
presque  toujours  des  troubles  pulmonaires  se  produire 
chez  les  animaux  qui  y  ont  été  soumis  et  qui  ont  sur- 
vécu. Je  ne  fais  pas  allusion  ici  aux  ruptures  alvéolaires 
cl  à  l'emphysème  qui  se  produisent  mécaniquement; 
mais  aux  réactions  morbides  qui,  telles  que  la  bronchite 
ou  certaines  formes  de  pneumonie,  se  montrent  peu  de 


442  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

temps  après  que  l'animal,  le  chien  par  exemple,  a  subi 
une  respiration  pulmonaire  d'une  certaine  durée. 

Ce  fait  a  été  noté  des  premiers  expérimentateurs  qui 
ont  prati(pié  la  respiration  artificielle.  Vous  savez  que 
l'Anglais  Brodie,  étudiant  l'action  de  divers  poisons,  fut 
le  premier  qui  fit  revivre  un  animal  curarisé  en  lui 
faisant  l'insufflation  pulmonaire.  L'animal  (c'était  une 
ânesse)  qui  survécut  à  cette  mémorable  expérience  fut 
conservé  et  devint  un  objet  de  curiosité;  parmi  les  faits 
qui  frappèrent  ses  visiteurs,  nous  trouvons  notée  une 
affection  pulmonaire,  pneumonie  ou  bronchite,  qui, 
pendant  plus  d'un  an,  mit  l'animal  en  danger  de  mort. 

Les  lapins  sont  si  sensibles  à  ces  lésions  puhnonaires, 
qu'il  est  rare  de  voir  un  de  ces  animaux  survivre  à  une 
insufflation  artificielle  longtemps  continuée;  s'ils  ne 
succombent  pas  rapidement  aux  ruptures  pulmonaires 
et  à  l'emphysème  dont  je  vous  ai  signalé  la  fréquence 
chez  eux,  ils  meurent  quelques  jours  plus  tard  de 
catarrhe,  d'inflammation  aiguë  des  voies  respiratoires. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  seulement  sur  le  poumon  que 
la  respiration  artificielle  exerce  cette  action  perturba- 
trice. Vous  savez  combien  l'aspiration  pulmonaire  est 
utile  à  la  circulation  veineuse,  et  notamment  à  la  circu- 
lation veineuse  du  foie;  aussi,  à  la  suite  de  la  respira- 
tion artificielle,  qui  remplace  l'aspiration  thoracique  par 
un  reflux  ou  tout  au  moins  par  une  stase  dans  les  veines 
sus-hépatiques,  trouve-t-on  tous  les  signes  de  conges- 
tion du  côté  du  foie  et  du  système  de  la  veine  porte. 

Quand,  chez  un  chien  soumis  à  la  respiration  arti- 
ficielle, on  découvre  la  veine  jugulaire  externe  à  la 


OXYDE    Dt   CARBONE.  443 

partie  inférieure  du  cou,  à  son  entrée  dans  la  poitrine, 
on  voit  à  chaque  insufflation  d'air  (ce  qui  répond  à  l'in- 
spiration) un  reflux  considérable  avoir  lieu  dans  la  veine, 
et,  si  Ton  vient  à  l'ouvrir,  un  jet  de  sang  est  lancé  au 
dehors.  C'est  qu'en  effet  la  dilatation  du  poumon  par 
compression  de  l'air  agit  en  sens  inverse  de  la  dilatation 
du  poumon  par  dépression  de  l'air.  Ce  reflux  du  sang 
veineux  se  manifeste  aussi  dans  les  veines  rachidiennes 
et  cérébrales,  et  peut  amener  certainement  des  modifi- 
cations dans  la  circulation  des  centres  nerveux. 

Nous  vous  avons  parlé,  dans  les  leçons  précédentes, 
des  agents  toxiques  comme  moyen  d'étude  et  d'investi- 
gation physiologique.  A  propos  de  la  respiration,  je 
désire  vous  dire  quelques  mots  d'un  agent  très-intéres- 
sant, en  ce  qu'il  peut  nous  faire  pénétrer  plus  profondé- 
ment dans  l'étude  des  propriétés  respiratoires  du  glo- 
bule sanguin  :  je  veux  parler  de  l'oxyde  de  carbone. 

L'empoisonnement  par  l'oxyde  de  carbone  a  été 
depuis  longtemps,  de  notre  part,  l'objet  de  nombreuses 
recherches;  parmi  les  lacunes  que  laisse  encore  cette 
étude,  l'une  des  plus  intéressantes  et  des  plus  difficiles 
à  combler  est  celle  du  mécanisme  par  lequel  les  animaux 
incomplètement  intoxiqués  peuvent  revenir  à  la  vie  en 
éhminant  le  poison.  Nous  terminerons  cette  leçon  par 
Texposé  de  quelques  recherches  que  nous  avons  faites 
à  ce  sujet  dans  le  laboratoire,  et,  en  répétant  devant 
vous  les  principales  expériences,  nous  chercherons 
à  pousser  encore  un  peu  plus  loin  l'analyse  physiologique 
des  propriétés  du  globule  sanguin. 


444  DES   GAZ   DANS   LE    SANG. 

Mais  rappelons  crabord  très-rapidement  les  faits  déjà 
établis  relativement  à  l'action  de  l'oxyde  de  carbone. 
Ce  gaz,  qni  est  essentiellement  l'agent  toxique  de  la 
vapeur  de  charbon,  exerce  son  action  en  se  portant  sur 
le  globule  sanguin;  il  a  pour  cet  élément  anatomique 
une  afQnité  très-grande  :  nous  pouvons  dire  affinité,  car 
ils'asrit  là  d'une  véritable  combinaison  chimique.  Vous 
savez  que  V hémoglobine^  qui  constitue  essentiellement 
le  globule  sanguin  au  point  de  vue  de  la  respiration, 
c'est-à-dire  de  la  fixation  et  du  transport  de  l'oxygène, 
forme  avec  ce  gaz  une  combinaison,  l'oxyhémoglobine, 
ou  hémoglobine  oxygénée.  Mais  j'ai  démontré  que  cette 
même  substance  forme  une  combinaison  analogue  avec 
l'oxyde  de  carbone,  combinaison  plus  stable,  et  qui 
prend  naissance  toutes  les  fois  que  le  sang  se  trouve  en 
présence  de  ce  gaz;  alors  l'oxygène  n'est  plus  fixé,  il 
est  même  chassé  du  globule  rouge  sur  lequel  se  fixe 
l'oxyde  de  carbone.  Tel  est  le  mécanisme  si  siinple  de 
l'intoxication,  mécanisme  qui  nous  offre  un  des  exem- 
ples les  mieux  définis  de  l'analyse  physiologique  pour- 
suivie jusque  dans  les  éléments  anatomiques;  au  dernier 
terme  de  cette  analyse,  nous  nous  trouvons  en  présence 
d'un  simple  phénomène  chimique  :  le  déplacement  par 
affinité  chimique  de  l'oxygène  par  l'oxyde  de  carbone. 

Je  dois  encore  vous  rappeler  le  procédé  que  l'on 
emploie  le  plus  souvent  pour  constater  k  présence  de 
l'oxyde  de  carbone  dans  le  sang  :  je  veux  parler  de  la 
spectroscopie.  —  Quand  on  examine  au  spectroscope 
une  dissolution  de  sang  artériel,  on  voit  apparaître  dans 
le  spectre  deux  bandes  d'absorption  situées  a  peu  près 


OXYDE    DE    CARBONE.  445 

aux  deux  extrémités  de  la  partie  jaune  du  spectre  : 
c'est  là  le  spectre  du  sang  oxygéné,  caractérisé  en  outre 
par  ce  fait,  que  si  l'on  agite  cette  dissolution  sanguine 
avec  un  agent  réducteur  (sulfhydrate  d'ammoniaque),  on 
voit  les  deux  bandes  précédentes  disparaître  et  être 
remplacées  par  une  seule  bande  noire  plus  large  placée 
à  peu  près  au  milieu  de  la  région  jaune.  On  a  ainsi  le 
spectre  du  sang  réduit.  Ainsi  la  présence  de  l'oxygène 
est  caractérisée  par  l'observation  du  spectre  de  l'hé- 
moglobine oxygénée,  et  par  la  possibilité  de  substituer 
immédiatement  à  ce  spectre  celui  de  l'hémoglobine 
réduite. 

Or,  si  l'on  examine  de  même  une  solution  de  sang 
oxycarboné,  on  observe,  comme  précédemment,  deux 
bandes  d'absorption.  Ces  deux  bandes  diffèrent  à  peine 
de  celles  de  l'hémoglobine  oxygénée,  et  il  serait  diffi- 
cile, au  premier  abord,  de  distinguer  si  l'on  a  affaire 
au  spectre  de  la  combinaison  oxygénée  ou  oxycarbonée  ; 
mais  on  est  fixé  aussitôt  que  l'on  emploie  un  agent 
réducteur.  Malgré  l'addition  de  sulfhydrate  d'ammo- 
niaque, les  deux  bandes  persistent  lorsqu'on  est  en  pré- 
sence du  sang  intoxiqué  par  l'oxyde  de  carbone  :  la 
combinaison  de  l'hémoglobine  avec  l'oxyde  de  carbone 
n'est  pas  réductible,  et  présente  toujours  deux  raies  au 
spectroscope. 

Ainsi  il  ne  nous  est  pas  possible,  avec  les  agents 
réducteurs  ordinaires,  de  chasser  Toxyde  de  carbone 
qui  s'est  fixé  sur  le  globule  sanguin  ;  même  sur  le  sang 
déjà  putréfié  d'un  animal  ayant  succombé  à  cette  intoxi- 
cation, nous  retrouvons  encore  au  spectroscope  les  deux 


446  DES   GAZ    DANS    LE    SANG. 

raies  produites  par  l'oxyde  de  carbone  :  la  combinaison 
de  ce  gaz  avec  l'hémoglobine  a  résisté  à  la  décomposi- 
tion du  sang. 

Nous  allons  vous  rendre  témoins  d'expériences  rela- 
tives à  cette  question. 

Voici  un  chien  auquel  nous  faisons  respirer  de  l'oxyde 
de  carbone.  Vous  voyez  d'abord  se  produire  de  grandes 
inspirations,  et  l'animal  ne  tarde  pas  à  succomber. 
Aussitôt  que  les  mouvements  respiratoires  ont  cessé, 
nous  prenons  de  son  sang  artériel  :  ce  sang  est  encore 
poussé  par  le  cœur,  dont  les  mouvements  ne  sont  pas 
tout  à  fait  éteints.  Nous  en  extrayons  les  gaz  par  la 
pompe  à  mercure  que  vous  voyez  ici,  et  nous  trouvons  : 

50  centimètres  cubes  de  sang  artériel  contiennent  : 

I9",3  de  gaz,  dont  J    ^«'o  de  0. 

L'acide  carbonique  est  à  peu  près  en  môme  quantité 
qu'à  l'état  normal  (30  pour  100)  ;  mais,  vous  le  voyez, 
l'oxygène  est  en  très-faible  proportion;  il  y  en  a  4,4  pour 
100,  tandis  qu'à  l'état  normal  on  en  trouve  de  20  à  24 
pour  100.  C'est  que  l'oxyde  de  carbone  a  pris  la  place 
de  l'oxygène. 

Nous  devons  cependant  nous  arrêter  sur  ce  fait  ([ue 
nous  trouvons  encore  cette  légère  proportion  d'oxygène 
dans  le  sang  de  cet  animal  asphyxié.  Nous  verrons  plus 
loin  que  cette  proportion  peut  être  encore  bien  plus 
faible.  D'après  les  expériences  de  Setschenow,  on  ne 
trouve  plus  trace  de  ce  gaz  dans  le  sang  d'un  animal 
asphyxié  par  strangulation  :  ce  résultat  n'a  rien  de 


OXYDE    DE   CARBONE.  447 

contradictoire;  il  tient  seulement  aux  conditions  nou- 
velles créées  par  la  présence  de  l'oxyde  de  carbone. 
Vous  savez  en  effet  que,  dans  les  conditions  ordi- 
naires, l'oxygène  se  détruit  très-vite  dans  le  sang  en 
se  transformant  en  acide  carbonique  :  pour  peu  que 
les  manœuvres  d'exlraction  des  gaz  présentent  une 
certaine  durée,  tout  l'oxygène  du  sang  peut  dispa- 
raître. C'est  ainsi  qu'il  faut  expliquer  les  résultats 
singuliers  obtenus  autrefois  par  Magnus,  et  qui  furent 
l'objet  des  justes  critiques  de  Gay-Lussac.  Magnus  em- 
ployait en  effet  vingt-quatre  heures  à  laisser  tomber 
l'écume  produite  à  mesure  de  l'extraction,  et  pendant 
ce  temps  presque  tout  l'oxygène  disparaît.  Quoique  les 
expériences  de  Setschenow  aient  été  faites  dans  d'autres 
conditions  de  rapidité  (1),  il  est  possible  que  le  court 
espace  de  temps  consacré  à  l'extraction  des  gaz  ait  suffi 
pour  amener  la  destruction  des  très-faibles  quantités 
d'oxygène  que  renfermait  encore  le  sang  de  l'animal 
au  moment  de  la  mort.  —  Mais  dans  notre  expérience 
les  conditions  sont  différentes  :  du  moment  que  l'oxyde 
de  carbone  a  imprégné  le  sang,  il  y  arrête  toute  espèce 
d'oxydation,  et  la  composition  gazeuse  du  liquide  reste 
assez  fixe  pour  que  nous  y  puissions  retrouver  par 
l'analyse  les  faibles  proportions  d'oxygène  qui  restaient 
encore  au  moment  où  l'animal  a  succombé. 

Cet  exemple  vous  montre  tout  le  parti  que  nous  pou- 
vons tirer  de  l'oxyde  de  carbone  au  point  de  vue  de 
l'analyse  des  gaz  du  sang.   J'ai  dès  longtemps  insisté 

(1)  Setschenow,  Beitriije  ;«r  Pmuimtolorjie  des  Blutes  [Zeilschr.  fur 
ration.  Medic,  1861^. 


448  DES    GAZ   DANS    LE   SANG. 

sur  ces  avantages  :  il  me  suffit  de  vous  en  avoir  rendu 
témoins  par  l'expérience  précédente  ;  revenons  à  notre 
sujet. 

Je  vous  ai  dit  que  l'oxyde  de  carbone  restait  fixé  dans 
le  sang  de  l'animal  qui  a  succombé  à  l'intoxication,  et 
qu'il  pouvait  y  être  retrouvé  même  après  que  ce  sang 
a  subi  un  commencement  de  putréfaction.  Cependant, 
quoique  ce  fait  nous  montre  combien  est  stable  la 
combinaison  de  l'hémoglobine  avec  l'oxyde  de  carbone, 
nous  savons  que  des  animaux  incomplètement  intoxi- 
qués peuvent  revenir  à  la  vie  :  ils  se  débarrassent  donc 
de  l'oxyde  de  carbone  contenu  dans  leur  sang.  C'est  ce 
que  va  nous  montrer  l'expérience. 

Nous  faisons  à  un  chien  la  trachéotomie,  et  le  faisons 
respirer  par  un  tube  dans  une  cloche  pleine  d'oxyde  de 
carbone  ;  le  tube  est  en  rapport  avec  cette  cloche  par 
un  robinet  à  trois  voies  qui  nous  permet  de  substituer 
instantanément  à  la  respiration  dans  le  gaz  toxique  la 
respiration  libre  dans  l'air  ou  la  respiration  artificielle. 
Après  que  l'animal  a  fait  un  certain  nombre  d'inspira- 
tions dans  la  cloche,  alors  qu'il  paraît  mort,  vu  la 
cessation  des  mouvements  spontanés  du  thorax,  nous 
recueillons  rapidement  50  centimètres  cubes  de  son  sang 
artériel,  et  nous  pratiquons  aussitôt  la  respiration  artifi- 
cielle. Le  sang  recueilli  nous  donne  (après  correction  de 
température  et  de  pression)  : 

50  centimètres  cubes  de  sang  artériel  contiennent  : 


CO- 11,-2 

Gaz  total  :  I7",6  dont  {  0 -2,0 

(Az+COi..       1,4 


ÉLIMLNATION   DE    l'oxYDE    DE    CARBONE.  449 

Cependant,  après  dix  minutes  de  respiration  artifi- 
cielle, on  voit  reparaître  les  mouvements  spontanés  du 
thorax;  l'animal  est  revenu  à  la  vie;  nous  extrayons  de 
nouveau  de  son  sang  artériel  et  nous  trouvons  : 

50  centimètres  cubes  de  sang  artériel  contiennent  : 

(  C0= 9,56 

Gaz  total:  16-%21  dont  ]  0 5,79 

(  (Az+CO) . .       0,86 

Une>xpérience  semblable,  faite  au  laboratoire  avant 
la  leçon,  nous  avait  donné  des  résultats  identiques  : 

1"  50  centimètres  cubes  de  sang  artériel,  au  moment 
de  l'intoxication,  contiennent  : 

iCO= 20,99 
0 0,09 
(Az+CO) . .       s'.OO 

2°  50  centimètres  cubes  de  sang  artériel  de  l'animal 
respirant  librement  depuis  quelque  temps  : 

(  CO' 4,09 

Gaz  total  fia-^^e  dont  ]  0 6,05 

(  (Az+CO) . .       l',19 

^  Ainsi  le  sang  de  l'animal  est  redevenu  capable  de  fixer 
l'oxygène  :  la  combinaison  oxygénée  s'est  substituée  à  la 
combinaison  oxycarbonée. 

Remarquons  en  passant  un  fait  intéressant  :  en  com- 
parant les  chiffres  de  l'acide  carbonique  contenu  dans 
le  sang  de  l'animal  lorsqu'il  est  sous  le  coup  de  l'intoxi- 
cation et  lorsqu'il  revient  à  la  vie,  c'est-à-dire  lorsqu'il 
est  en  train  d'éliminer  l'oxyde  de  carbone,  vous  voyez 
que  dans  ce  dernier  cas  la  proportion  d'acide  carbonique 

CL.   BERNARD.  —  Physiol.  Opér.  cg 


450  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

diminue  ;  il  est  donc  impossible  d'admettre  que  l'oxyde 
de  carbone  s'élimine  en  se  transformant  en  acide  carbo- 
nique, ainsi  qu'on  l'avait  pensé  et  que  l'avait  formulé 
d'abord  M.  Chenot,  dans  une  théorie  purement  chi- 
mique. Nous  trouvons  dans  les  analyses  que  je  viens  de 
vous  donner  un  nouvel  argument  contre  cette  opinion, 
argument  à  ajouter  à  ceux  que  j'avais  déjà  tirés  de 
l'étude  comparative  de  la  température  chez  l'animal 
qui  succombe  à  l'intoxication.  Si  l'oxyde  de  carbone 
disparaissait  en  s'oxydant,  en  se  transformant  en  acide 
carbonique,  il  y  aurait  à  ce  moment  production  d'une 
quantité  relativement  énorme  de  chaleur;  or,  dans  ces 
circonstances,  on  ne  voit  pas  augmenter  la  température 
de  l'animal;  sans  doute  elle  remonte  un  peu  au-dessus 
de  ce  qu'elle  était  au  moment  où  l'animal  allait  suc- 
comber à  l'asphyxie,  mais  elle  atteint  à  peine  le  degré 
normal  et  ne  s'élève  jamais  au-dessus. 

Aujourd'hui  nous  devons  examiner  si  l'oxyde  de  car- 
bone est  éliminé  en  nature  ou  s'il  est  transformé  en 
d'autres  produits.  Quelques  analogies  semblent  plaider 
en  faveur  de  la  première  manière  de  voir;  mais  nous 
voudrions  des  faits  positifs  et  des  expériences  probantes; 
c'est  dans  ce  but  que  nous  avons  institué  les  recherches 
suivantes  : 

Pour  éviter  l'objection  que  l'oxyde  de  carbone  éh- 
miné  par  le  poumon  provient  du  gaz  inspiré  préala- 
blement, il  faut  absolument  faire  pénétrer  l'oxyde  de 
carbone  par  une  autre  voie. 

Expérience.  —  Nous  prenons  à  un  chien  normal 
250  grammes  de  sang,   qu'on  agite  aussitôt  avec  de 


ÉLIMINATION    DE    l'oXVDE    DE    CARBONE.  451 

l'oxyde  de  carbone.  On  filtre  ce  sang  à  travers  de  la 
flanelle  et  on  injecte  alors  dans  une  veine  de  l'animal 
ce  sang  saturé  de  gaz  toxique,  et  en  même  temps  on 
recueille  les  produits  de  l'expiration.  Pour  constater 
la  présence  de  l'oxyde  de  carbone  dans  ces  produits, 
nous  nous  servons  du  réactif  le  plus  sensible  que  nous 
possédions  à  cet  effet,  c'est-à-dire  du  sang  lui-même; 
nous  faisons  en  un  mot  barboter  dans  du  sang  le  gaz 
aspiré  par  l'animal  en  expérience.  Vous  savez  en  effet 
que  l'organisme  vivant,  c'est-à-dire  le  sang,  est  notre 
meilleur  moyen  de  constater  des  traces  de  gaz  oxvde 
de  carbone,  et,  lorsque  nous  faisions  des  recherches  sur 
les  gaz  que  dégagent  les  poêles  de  fonte  ou  de  fer,  alors 
que  les  réactifs  chimiques  demeuraient  impuissants  à 
nous  révéler  la  présence  du  gaz  toxique,  nous  nous  ser- 
vions du  lapin  comme  du  réactif  le  plus  sensible,  car, 
en  examinant  au  spectroscope  quelques  gouttes  de  sans 
extrait  en  piquant  l'oreille  de  cet  animal,  nous  pou- 
vions aussitôt  constater  si  le  milieu  dans  lequel  il  était 
placé  renfermait  de  l'oxyde  de  carbone.  —  Or,  dans 
l'expérience  actuelle,  nous  n'avons  pas  constaté  la  pré- 
sence d'oxyde  de  carbone  dans  le  sang  où  avaient  bar- 
boté les  produits  de  l'expiration  du  chien  mis  en 
expérience.  Bien  plus,  ayant  cherché  si  le  spectroscope 
révélait  l'agent  toxique  dans  le  sang  de  l'animal  lui- 
même,  nous  n'avons  également  obtenu  que  des  résultats 
négatifs. 

Pensant  que  ces  résultats  pouvaient  tenir  à  ce  que  la 
proportion  du  sang  intoxiqué  au  sang  normal  auquel 
nous  l'avions  mêlé  par  l'injection  intraveineuse  était 


452  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

trop  faible,  nous  avons  alors  cherché  jusqu'à  quelle 
limite  on  peut  constater  la  présence  de  l'oxyde  de  car- 
bone dans  un  mélange  de  ce  genre.  Quelques  essais 
faits  dans  ce  sens  nous  ont  montré  qu'on  peut,  in  vitro, 
caractériser  au  spectroscope  le  mélange  de  1  de  sang 
intoxiqué  pour  ^  de  sang  normal.  Serait-ce  donc  à 
dire  que  250  grammes  ne  représentent  pas  le  tiers  de 
la  masse  totale  du  sang  d'un  chien  de  taille  moyenne? 
Cette  conclusion  est  vraisemblable;  mais  il  est  probable 
aussi  que  par  le  fait  de  Timbibitiou  au  milieu  des  tissus 
nous  nous  trouvons  dans  des  conditions  de  mélange 
bien  différentes  de  celles  que  nous  réalisons  in  vitro. 

Nous  avons  encore  injecté  de  l'oxyde  de  carbone  à 
l'état  de  gaz  dans  le  sang,  sans  le  retrouver  non  plus  ni 
dans  le  sang  ni  dans  les  gaz  expirés.  Nous  l'avons 
insufflé  sous  la  peau  chez  le  lapin  ;  le  spectroscope 
montrait  l'oxyde  de  carbone  dans  le  sang,  mais  jamais 
dans  les  gaz  expirés. 

En  présence  de  ces  expériences,  nous  nous  deman- 
dions par  quelle  voie  l'oxyde  de  carbone  pouvait  être 
éliminé.  Ne  pouvant  le  saisir  dans  les  gaz  expirés,  nous 
avions  interrogé  les  autres  voies  d'excrétion,  et  nous 
avions  cru  un  moment  que  l'intestin  pourrait  nous  repré- 
senter cette  voie  de  sortie.  Je  tiens  à  vous  relater  toutes 
ces  hésitations  expérimentales,  afin  de  vous  faire  com- 
prendre combien  doit  être  rigoureuse  la  critique  des 
conditions  opératoires  dans  lesquelles  sont  faites  les 
recherches.  Sur  un  chien  revenant  à  la  vie  après  intoxi- 
cation oxycarbonique,  nous  avions  trouvé  les  intestins 
distendus  par  une  grande  quantité  de  gaz  au  milieu 


ÉLIMINATION    DE    L  OXYDE   DE   CARBONE.  453 

desquels  la  présence  de  l'oxyde  carbonique  était  facile 
il  constater.  Mais,  avant  de  conclure  à  une  élimination 
par  la  surface  intestinale,  nous  nous  sommes  demandé 
s'il  n'y  avait  pas  quelque  cause  d'erreur,  et  en  exami- 
nant les  conditions  expérimentales  il  nous  a  été  facile 
de  retrouver  l'origine  de  cet  oxyde  de  carbone  contenu 
dans  le  tube  digestif.  L'animal  avait  respiré  l'oxyde  de 
carbone  non  par  une  canule  introduite  dans  la  trachée, 
mais  par  une  muselière  enveloppant  tout  le  museau  ;  de 
sorte  qu'en  même  temps  qu'il  inspirait  le  gaz  il  avait 
pu  en  déglutir  une  certaine  quantité.  —  L'expérience 
fut  répétée  sur  un  animal  trachéotomisé,  et  cette  fois, 
lorsqu'il  élimina  le  gaz  toxique,  nous  ne  pûmes  en 
trouver  dans  le  tube  digestif. 

Nous  en  revenions  donc  à  notre  point  de  départ, 
c'esl-à-dire  que  la  manière  et  la  voie  par  laquelle  s'éli- 
mine l'oxyde  de  carbone  nous  échappait  complètement; 
mais  mieux  valait  cette  constatation  de  notre  ignorance, 
qu'une  solution  erronée  qui  nous  donnerait  une  satis- 
faction vaine  en  arrêtant  nos  recherches. 

En  continuant  les  tentatives  dans  cette  voie,  nous 
avons  réalisé  une  série  d'expériences  dont  nous  allons 
répéter  les  principales  devant  vous,  et  qui,  tout  en  ne 
nous  donnant  pas  encore  la  clef  du  phénomène,  nous 
ont  permis  de  comprendre  les  résultats  en  apparence 
négatifs  donnés  par  les  recherches  dont  je  viens  de  vous 
rendre  compte. 

Vous  vous  rappelez  qu'en  injectant  dans  les  veines 
d'un  chien  du  sang  saturé  d'oxyde  de  carbone,  nous 
n'avons  pu,  aussitôt  après,  constater  la  présence  de  ce  gaz 


454  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

dans  le  sang  général  de  l'animal.  — D'autre  part,  pour 
varier  les  formes  de  cette  expérience,  nous  avons  in- 
jecté lentement  du  gaz  oxyde  de  carbone  dans  la  veine 
crurale  d'un  chien  ;  nous  en  avons  injecté  140  centi- 
mètres cubes,  assez  lentement  pour  qu'il  pût  se  combiner 
avec  le  sang  au  contact  duquel  il  arrivait.  Et  cependant, 
en  examinant  aussitôt  le  sang  général  de  l'animal,  c'est 
encore  en  vain  que  nous  avons  cherché  les  réactions 
spectroscopiques  caractéristiques  de  la  présence  de  ce 
gaz  dans  le  sang, 

Ainsi,  nous  arrivions  à  ces  résultats  singulièrement 
contradictoires:  i°  Lorsqu'un  animal  est  complètement 
intoxiqué  par  l'oxyde  de  carbone,  ce  gaz  demeure  si  bien 
fixésurThémoglobine  du  sang  qu'il  y  demeure  malgré  la 
décomposition  et  la  putréfaction  du  sang;  2°  si  l'intoxica- 
tion est  incomplète,  l'animal  élimine  le  gaz  toxique,  et 
si  l'on  se  contente  d'injecter  dans  les  vaisseaux  de  l'ani- 
mal une  quantité  relativement  faible  d'oxyde  de  carbone, 
soit  pur,  soit  combiné  avec  du  sang,  il  est  impossible  de 
retrouver  l'agent  toxique  dans  le  sang  général,  même 
aussitôt  après  l'injection. 

Ces  deux  ordres  de  faits,  en  apparence  si  contradic- 
toires, pourraient  devenir  compréhensibles  par  l'hypo- 
thèse brutale,  pour  ainsi  dire  empirique  :  le  sang  in- 
toxiqué se  trouve  désintoxiqué  par  le  contact  du  sang 
normal. 

Ainsi,  voici  deux  capsules:  l'une  contient  du  sang 
normal  pris  sur  un  chien  ;  l'autre,  du  sang  pris  sur  ce 
même  animal,  quelques  instants  plus  tard,  au  moment 
où  il  venait  de  succomber  à  une  intoxication  complète 


ÉLIMINATION    DE   l'oXYDE   DE    CARBONE.  455 

par  l'oxyde  de  carbone.  Ce  dernier  sang  resterait  dans 
cette  capsule  jusqu'à  putréfaction,  qu'alors  encore  le 
spectroscope  nous  permettrait  d'y  constater  la  présence 
de  l'oxyde  de  carbone.  Or,  si  nous  mêlons  ces  deux  sangs 
par  parties  égales,  et  que  nous  examinions  aussitôt  le 
mélange  au  spectroscope,  nous  voyons  que  les  caractères 
spectroscopiques  de  l'oxyde  de  carbone  ont  disparu  : 
même  m  vitro^  le  sang  normal  a-t-il  donc  agi  sur  le  sang 
oxycarboné  pour  le  désintoxiquer  ? 

Ce  fait  nous  expliquerait  donc  tous  nos  insuccès  pré- 
cédents dans  certains  cas  de  recherche  de  l'oxyde  de 
carbone.  Quand  nous  injections  dans  les  veines  d'un 
chien  du  sang  oxycarboné,  ce  sang  était  porté  par  la 
circulation  au  contact  du  sang  normal,  et  alors  se  pro- 
duisait l'action  dont  je  viens  de  vous  rendre  témoins. 
Lorsque  nous  injections  lentement  de  l'oxyde  de  carbone 
dans  la  veine  crurale,  le  sang  qui  recevait  immédiate- 
ment ce  gaz  était  saturé  d'agent  toxique,  mais  arrivait 
bientôt  au  contact  du  sang  normal  et  se  trouvait  alors, 
comme  dans  le  cas  précédent,  également  ramené  à 
l'état  normal. 

Il  est  facile  de  conclure  de  là  qu'il  est  impossible 
d'être  empoisonné  par  l'oxyde  de  carbone  tant  que  ce 
gaz  n'est  pas  introduit  au  contact  du  sang  au  niveau  de 
la  surface  pulmonaire,  car  nulle  part  ailleurs  il  n'arri- 
vera assez  rapidement  et  n'agira  sur  une  assez  grande 
masse  de  sang  pour  que  le  phénomène  de  désintoxica- 
tion, dont  nous  venons  d'être  témoins,  ne  puisse  pas  se 
produire. 

Nous  comprendrions,  toujours  parla  même  hypothèse, 


456  DES  GAZ  DANS  LE  SANG. 

comment  peut  revenir  à  la  vie  un  animal  qui  vient  de 
succomber,  en  apparence,  à  l'intoxication  par  l'oxyde 
de  carbone.  Le  système  veineux  de  cet  animal  contient 
encore  dans  ses  plexus  et  ses  nombreux  réseaux  des 
réserves  de  sang  qui  n'est  pas  venu  au  niveau  du  pou- 
mon au  contact  du  gaz  toxique.  Si  ce  sang,  encore 
normal,  arrive  au  contact  du  sang  intoxiqué,  et  s'il  est 
en  quantité  suffisante,  il  produira  par  sa  présence  l'action 
que  nous  avons  expérimentalement  réalisée  in  vitro. 
Mais,  si  la  respiration  de  gaz  toxique  a  été  prolongée  au 
point  qu'aucune  partie  du  sang  n'ait  pu  échapper  au 
contact  de  l'oxyde  de  carbone,  alors  la  mort  sera  bien 
définitive,  et,  en  eff"et,  chez  les  animaux  complètement 
tués  par  ce  gaz,  nous  avons  analysé  le  sang  veineux  et 
nous  avons  trouvé  qu'il  ne  contenait  que  des  traces 
d'oxygène.  Enfin,  nous  comprendrions  aussi,  de  cette 
manière,  toute  l'importance  de  la  transfusion  chez  les 
animaux  ou  chez  l'homme,  pour  chercher  à  rappeler  à 
la  vie  après  intoxication  parles  vapeurs  de  charbon.  En 
transfusant  du  sang  normal,  non-seulement  on  donne- 
rait au  sujet  un  élément  qui  lui  manquait,  les  globules 
du  sang,  mais,  par  la  présence  de  ces  globules  normaux, 
on  permet  à  ceux  qui  étaient  fonctionnellement  suppri- 
més par  la  présence  de  l'oxyde  de  carbone,  on  leur 
permet  de  se  débarrasser  de  ce  gaz  et  de  revenir  eux- 
mêmes  à  l'état  normal. 

Ainsi,  notre  hypothèse,  si  elle  est  démontrée  par 
l'expérience,  nous  explique  pourquoi  quelques-unes  de 
nos  précédentes  expériences  avaient  été  et  devaient  èlre 
en  apparence  négatives.   Elle  deviendrait   en  même 


ÉLIMINATION    DE   l'oXYDE    DE    CARBONE.  457 

temps  le  point  de  départ  de  toute  une  série  nouvelle 
d'investigations. 

Cette  hypothèse,  qui  doit  ouvrir  la  voie  à  nos  recher- 
ches, c'est  que,  dans  un  mélange  de  sang  normal  et  de 
sang  oxycarboné,  il  pourrait  y  avoir  de  l'oxygène  cédé 
parle  premier  au  second,  en  quantité  suffisante  pour 
transformer  l'oxyde  de  carbone  en  acide  carbonique. 
Voyons  si  l'expérience  confirmera  cette  hypothèse. 

Nous  prenons  sur  un  chien  normal  une  certaine 
quantité  de  sang,  dont  un  échantillon  est  soumis  à  l'ana- 
lyse des  gaz  et  nous  donne  : 

1°  Sang  A,  50  centimètres  cubes  contiennent  : 

/  CO' 17,5 

Gaz  total  :  29",00  dont  |  0 10,-2 

(  Az 1,2 

L'animal  est  alors  empoisonné  par  l'oxyde  de  car- 
bone. On  fait  une  nouvelle  prise  de  sang,  dont  un  échan- 
tillon analysé  nous  donne  : 

2°  Sang  B,  50  centimètres  cubes  contiennent  : 

(  CO- 11,2 

Gaz  total  :  16",00  dont  |  0 3,8 

(  Az 1,3 

Alors  nous  mélangeons  par  parties  égales  les  deux 
sang  (A  et  B). 

L'opération  se  fait  dans  une  seringue  avec  toutes  les 
précautions  nécessaires  pour  se  placer  parfaitement  à 
l'abri  du  contact  de  l'air.  Nous  examinons  un  peu  de 
ce  mélange  au  spectroscope  et  nous  n'y  trouvons  plus 
trace  d'oxyde  de  carbone.  Nous  analysons  alors  le  con- 
tenu gazeux  de  ce  sang  et  nous  trouvons  : 


458  DES  GAZ  DAXS  LE  SANG. 

S"  50  centimètres  cubes  de  sang,  mélange  à  parties 
égales  (A  +  Bj,  contiennent  : 

/  CO- 15,1 

Gaz  total  :  23",-2  dont  I  0 6,6 

'  (CO+Azj..       1,0 

Or,  si  nous  rapportons  ces  chiffres  au  volume  total  du 
mélange,  c'est-à-dire  à  100  cent,  cubes,  nous  trouvons 
pour  l'acide  carbonique  30,2,  ce  qui  est  à  peu  près  la 
somme (17  +  il)  des  quantités  d'acide  carbonique  con- 
tenues dans  chacun  des  deux  éléments  (sangÂetsangB) 
du  mélange;  et  pour  l'oxygène  13,2,  ce  qui  est  également 
a  peu  près  la  somme  des  quantités  d'oxygène  déjà  con- 
statées dans  chacun  des  sangs  considéré  isolément. 

Vous  voyez  donc  qu'il  nous  est  difficile  de  dire  ce  qui 
s'est  passé  dans  l'espace  clos  où  les  deux  sangs  se  sont 
trouvés  en  présence  :  l'oxyde  de  carbone  n'a  bientôt  plus 
été  constatable  par  ses  caractères  spectroscopiques  ; 
cependant  il  ne  s'est  pas  oxydé,  car,  dans  ce  cas,  nous 
devrions  trouver  dans  le  mélange  une  augmentation 
d'acide  carbonique  et  une  diminution  d'oxygène.  Or, 
l'analyse  des  gaz  du  mélange  ne  nous  a  rien  donné  de 
semblable  (voy.  du  reste  ci-dessus,  p.  449-450). 

Le  sang  oxycarboné  aurait  donc  été  simplement 
masqué  par  le  sang  normal  ;  mais  il  faudra  voir  si  ce 
mélange,  où  le  spectroscope  n'indique  plus  la  présence 
de  l'oxyde  de  carbone,  absorbe  de  l'oxygène  comme  un 
mélange  de  sang  normal  et  de  sang  oxycarboné,  ou  bien 
s'il  se  comporterait  comme  du  sang  devenu  physiolo- 
gique dans  sa  masse  totale.  Ce  sont  là  des  caractères 
physiologiques  qui  ont  plus  de  valeur  que  le  caractère 


ÉLIMINATION    DE    l' OXYDE    DE    CARBONE.  459 

spectroscopique,  qui,  au  fond,  n'est  qu'un  caractère 
empirique. 

Nous  arrivons  donc  sans  cesse,  dans  ce  problème  de 
l'étude  de  l'élimination  de  l'oxyde  de  carbone,  nous 
arrivons  à  nous  heurter  contre  une  inconnue  dont  la 
découverte  domine  toute  cette  question  ;  mais  du  moins 
nos  résultats  négatifs  nous  montrent  que  certaines  hypo- 
thèses ne  sont  plus  soutenables,  et  que  d'autres  direc- 
tions doivent  être  suivies  pour  arriver  à  l'explication 
de  ce  phénomène. 

N'oublions  pas  que  Toxyde  de  carbone  disparaît  et 
s'élimine  chez  l'animal  intoxiqué.  Rappelons  que  nous 
avons  constaté  autrefois  que  l'oxyde  de  carbone  dispa- 
raît in  vitro  dans  le  sang  quand  on  y  fait  passer  un 
courant  d'air  à  une  température  voisine  de  celle  du 
corps.  Quand  on  expose  du  sang  oxycarboné  étendu 
d'eau,  en  couche  mince,  au  contact  de  l'air,  l'oxyde 
de  carbone  disparaît  aussi ,  et,  chose  singulière,  avec 
une  rapidité  beaucoup  plus  grande,  comme  si  l'eau 
intervenait  d'une  manière  active  dans  le  phénomène. 
La  présence  de  l'air  et  de  l'eau  serait  donc  nécessaire 
pour  produire  la  disparition  de  l'oxyde  de  carbone,  car 
il  subsiste  dans  les  profondeurs  de  l'organisme  et  des 
i§sus  chez  l'animal  mort,  tandis  que,  nous  le  savons,  il 
disparaît  rapidement  chez  un  animal  vivant,  où  le  sang 
circule.  Mais,  dans  ces  divers  cas,  après  sa  disparition, 
que  devient  l'oxyde  de  carbone?  Tel  est  le  problème 
que  nous  avons  toujours  à  poursuivre. 

C'est  dans  les  voies  qui  noussontindiquéespar  lesexpé- 
riences  précédentes  que  nous  nous  engagerons  désormais. 


VLNGTIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Système  circulatoire.  —  Du  sang  étudié  en  lui-même  au  point 
de  vue  de  ses  conditions  physiques  (température)  et  chimiques  (glycémie 
normale).  —  Topographie  calorifique  du  système  sanguin.  —  Coup  d'œil 
historique.  —  Critique  expérimentale.  —  Appareils  de  M.  d'Arsonval.  — 
Aiguilles  thermo-électriques.  —  Dispositions  et  construction  des  sondes; 
sondes  eng aînées  ;  sondes  nues  (de  d'Arsonval).  —  Aiguilles  thermo- 
électriques.  —  Graduation  de  ces  appareils.  —  Résultats  des  expériences. 
— Appareil  de  d'Arsonval  à  température  constante.  — Derniers  perfection- 
nements de  l'appareil  pour  le  dosage  du  sucre  dans  le  sang. 

Messieurs, 

Après  vous  avoir  donné  la  description  anatomique  du 
système  circulatoire,  aprèsavoir  (aitrétude  de  ce  système 
au  point  de  vue  de  l'absorption-,  et  les  expériences  qui  se 
rapportent  à  l'emploi  des  poisons  en  physiologie,  nous 
allons  nous  occuper  aujourd'hui  de  l'étude  du  liquide 
sanguin  lui-même.  Nous  commencerons  par  étudier  sa 
température,  ou,  plus  exactement,  nous  déterminerons 
la  topographie  calorifique  du  système  sanguin. 

Quelques  mots  touchant  l'historique  de  la  question 
vous  feront  mieux  comprendre  l'importance  capitale 
de  cette  étude  au  point  de  vue  de  la  chaleur  déve- 
loppée par  les  êtres  vivants. 

Lavoisier  est  le  créateur  de  la  théorie  actu  elle  de  la 
chaleur  animale.  C'est  grâce  à  ses  impérissables  travaux 
que  celte  question,  qui  avait  donné  lieu  jusque-là  à  tant 
dq  discussions  stériles,  a  pu  quitter  le  domaine  de  l'hy- 


TEMPÉRATURE    DU    SANG.  461 

pothèse  et  de  la  controverse  pour  entrer  dans  la  voie 
plus  calme  et  plus  probante  de  l'expérience. 

La  théorie  de  Lavoisier  est  restée  inébranlable  dans 
ses  principes  ;  mais  la  science  moderne  a  dû  modifier 
beaucoup  de  détails,  et,  entre  autres,  rejeter  la  locali- 
sation qu'on  a  fait  découler  des  travaux  de  l'illustre 
chimiste. 

Voyant  que  dans  le  poumon  il  entrait  de  l'oxygène 
et  qu'il  en  ressortait  de  l'eau  et  de  l'acide  carbonique, 
Lavoisier  conclut  que  la  respiration  n'était  qu'une  com- 
bustion et  que  la  chaleur  animale  était  engendrée  par 
les  actes  chimiques  qu'entraînait  cette  combustion. 
C'est  cette  idée  de  génie  que  le  temps  n'a  fait  que  con- 
sacrer, qui  appartient  à  Lavoisier. 

Cette  idée  étant  donnée,  on  en  tira  tout  naturelle- 
ment la  conclusion  que  le  sang  qui  'sortait  du  poumon 
devait  être  plus  chaud  que  le  sang  qui  y  entrait. 

Le  poumon  était  ainsi  accepté  comme  étant  le  foyer 
calorifique,  et  par  conséquent  le  sang  artériel  devait 
nécessairement  offrir  un  excès  de  température  sur  le 
sang  veineux. 

Cette  conclusion  paraissait  si  légitime  qu'on  ne  se 
donna  pas  la  peine  de  la  vérifier  expérimentalement. 

La  théorie  de  Lavoisier  eut  bientôt  à  se  défendre 
contre  une  objection  des  plus  graves;  le  physiologiste 
Magnus  (de  Berlin)  reconnut  que  le  sang  artériel  con- 
tient plus  d'oxygène  que  le  sang  veineux  et  que  ce 
dernier,  au  contraire,  est  beaucoup  plus  riche  en  acide 
carbonique.  En  un  mot,  le  sang  veineux  est  plus  brûlé 
que  le  sang  artériel,  ce  qui  ne  pourrait  avoir  lieu  d'après 


46*2  DU    SANG. 

Ja  théorie  qui  veut  que  la  combustion  s'opère  clans  le 
pouniou.  Si  au  contraire  cette  combustion  s'opère  dans 
les  tissus,  on  comprend  que  le  sang  veineux  soit  plus 
brûlé  que  le  sang  artériel,  mais  alors  aussi  il  doit  être 
plus  chaud. 

La  question  de  la  localisation  du  foyer  calorifique 
pouvait  être  tranchée  par  cette  simple  expérience  : 
quel  est  celui  des  deux  sangs  artériel  ou  veineux  qui  est 
le  plus  chaud? 

Eh  bien,  rien  de  plus  difficile  que  de  trancher  cette 
question.  Après  plus  d'un  demi-siècle  d'expériences,  les 
physiologistes  n'ont  pu  se  mettre  d'accord.  J'ai  exposé 
dans  mes  leçons  sur  la  chaleur  animale  l'histoire  et  la 
critique  de  toutes  ces  expériences.  Je  me  bornerai  à  dire 
qu'on  a  pu  soutenir  toutes  les  opinions.  Les  uns  ont  dit 
que  le  sang  artériel  était  plus  chaud  que  le  sang  veineux; 
les  autres,  au  contraire,  et  je  suis  de  ceux-là,  ont  trouvé 
le  sang  veineux  plus  chaud  que  le  sang  artériel.  Enfin, 
une  troisième  catégorie  d'expérimentateurs,  qui  ne 
croient  pas  à  la  fixité  des  phénomènes  dDnt  l'orga- 
nisme vivant  est  le  siège,  ont  soutenu  que  le  sang  artériel 
était  tantôt  plus  chaud,  tantôt  plus  froid  que  le  sang 
veineux. 

Quant  à  moi,  je  vous  ai  déjà  à  plusieurs  reprises,  dans 
les  leçons  précédentes,  indiqué  ce  que  je  pense  des 
expériences  contradictoires.  J'ai  toujours  cherché  à 
prouver  que  les  phénomènes  de  la  vie  ont  leur  déter- 
minisme tout  aussi  rigoureux  que  ceux  dont  les  corps 
inorganiques  sont  le  siège.  Les  contradictions  que  l'on 
trouve  parmi  les  physiologistes  ne  sont  pas  dans  la 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  463 

nature  particulière  des  phénomènes  qu'ils  observent, 
mais  bien  dans  l'imperfection  des  procédés  qu'ils  em- 
ploient ou  dans  l'application  défectueuse  des  méthodes 
d'investigation.  Eu  un  mot,  il  ne  peut  pas  y  avoir  de 
résultats  contradictoires  dans  les  expériences  bien  faites  ; 
c'est  ce  que  j'espère  vous  démontrer  dans  celte  étude. 

Le  physiologiste,  appelant  à  sou  aide  les  sciences 
physico-chimiques,  doit  nécessairement  connaître  ces 
sciences.  Il  doit  poursuivre  deux  objets  distincts  ; 

1"  L'exactitude  physico-chimique; 

^''  L'exactitude  physiologique,  qui  consiste  dans  la 
détermination  précise  des  conditions  physiologiques  où 
se  trouve  l'animal  au  moment  de  l'expérience,  et  dans 
la  description  minutieuse  des  procédés  opératoires  em- 
ployés. 

Ces  deux  conditions  sont  absolument  nécessaires  pour 
une  bonne  expérience.  Nous  verrons  que  c'est  presque 
toujours  pour  avoir  méconnu  l'importance  de  ce  pré- 
cepte que  les  expérimentateurs  les  plus  habiles  sont 
tombés  dans  Terreur. 

INSTRUMENTATION. 

Pour  les  recherches  dont  je  vais  vous  parler,  j'ai 
chargé  mon  chef  de  laboratoire,  M.  le  docteur  d'Ar-. 
son  val,  de  réaliser  l'exactitude  physico-chimique.  Les 
instruments  qu'il  a  perfectionnés  ou  imaginés  dans  ce 
but  ont  été  longuement  étudiés.  Leur  fonctionnement 
a  paru  irréprochable  aux  physiciens  éininents,  mes 
confrères  de  l'Académie,  qui  ont  bien  voulu  assister 
à  nos  expériences. 


404  DU    SANG. 

J'ai  depuis  longtemps,  dans  ces  recherches,  aban- 
donné le  thermomètre  dont  je  m'étais  servi  dans  mes 
premières  expériences  avec  Walferdin,  pour  adopter  les 
aiguilles  thermo-électriques,  qui  sont  aujourd'hui  d'un 
usage  courant  en  physiologie.  Je  vous  rappelle  que  la 
méthode  thermo-électrique  a  été  imaginée  et  appliquée 
à  la  physiologie  pour  la  première  fois  par  M.  Becquerel, 
qui  en  fit  usage  dans  ses  recherches  avec  Breschet  sur 
la  chaleur  animale,  en  1837  (1). 

Je  crois  inutile  de  vous  donner  la  théorie  physique 
bien  connue  des  instruments  thermo-électriques;  je  me 
bornerai  à  indiquer  les  changements  qu'ils  doivent  subir 
lorsqu'on  les  introduit  dans  les  recherches  physiologi- 
ques. Ces  appareils  doivent  être  modifiés,  eu  égard  au 
peu  de  durée  des  phénomènes  thermiques  qu'ils  doi- 
vent rendre  apparents  et  à  la  nature  des  parties  orga- 
niques dans  lesquelles  on  doit  les  constater.  Ces  modifi- 
cations porteront  sur  le  galvanomètre,  sur  les  soudures 
et,  enfin,  sur  le  milieu  dans  lequel  on  a  avantage  à 
placer  l'une  d'elles  dans  des  cas  déterminés. 

Galvanomètre.  —  Le  galvanomètre  doit  être  à  fil 
gros  et  court.  Il  doit  présenter  fort  peu  de  résistance,  vu 
la  faible  tension  des  courants  thermo-électriques.  Le 
système  asiatique  qui  constitue  les  aiguilles  doit  être  le 
plus  léger  possible,  la  sensibilité  et  surtout  la  rapidité 
des  indications  dépendant  en  grande  partie  de  la  masse 
à  mouvoir.  Ce  système  porte  un  miroir  plan  très-léger. 
M.  d'Arsonval  recommande,  pour  ne  pas  le  déformer, 

(1)  Becquerel  et  Breschet,  Chaleur  animale  {Archive  du  Muséum.  Paris, 
1840). 


TOPOGRAPUIE    CALORIFIQUE.  465 

(le  le  coller  non  avec  de  la  colle,  mais  simplement  avec 
un  peu  de  caoutchouc  fondu  a  la  flamme.  Ce  corps  reste 
toujours  pâteux  et  dèprimable  et  n'exerce  pas  de  trac- 
lion  tendant  à  déformer  le  miroir.  Une  petite  boulette 
de  cire  à  modeler  remplirait  le  même  office.  En  un 
mot,  la  meilleure  forme  à  donner  au  galvanomètre 
serait  la  forme  Thomson,  pour  avoir  à  la  fois  légèreté 
et  rapidité  dans  les  indications.  Un  cylindre  de  cuivre 
offrant  une  ouverture  garnie  d'un  verre  plan  recouvre 
l'appareil  et  permet  de  voir  le  miroir  pour  faire  les 
lectures. 

L'instrument  est  installé  comme  d'habitude  sur  un 
l)!oc  solide  ou  contre  un  mur  qui  le  soustrait  aux  trépi- 
dations. 

Lecture.  —  Pour  ne  pas  influencer  l'appareil  par  son 
voisinage,  l'opérateur  fait  les  lectures  à  distance,  par  la 
méthode  dite  de  PogfjendorjJ. 

En  face  du  miroir,  à  la  même  hauteur  que  lui,  et  à 
une  distance  que  l'on  peut  faire  varier,  se  trouve  une 
lunette  (11,  fig.  iOO)  placée  sur  un  pied  bien  stable 
dont  on  peut  faire  varier  la  hauteur.  Le  pied,  dit  à'ate- 
lie]\  dont  se  servent  les  photographes  est  celui  que 
nous  avons  adopté.  La  lunette  porte  en  dessous  une 
rèsfle  divisée  dont  les  deux  moitiés  sont  de  couleurs 
différentes.  Les  divisions  de  cette  règle,  réfléchies  par 
le  miroir  du  Gfalvanomèlre,  reviennent  à  la  luilclte  où 
un  fil  vertical  (réticule)  permet  le  pointage  exact  d'une 
division. 

Comme  la  vitesse  angulaire  de  l'image  est  double  de 
celle  du  miroir,  on  peut  considérer  le  rayon  lumineux 

Cl..  i!E:t.\.v;iD.  —  Piiysiol.  ujiùr.  30 


466  nu  SANG. 

renvoyé  par  celui-ci  comme  représentant  une  aiguille 
sans  poids  dont  le  rayon  serait  le  double  de  la  distance 
qui  sépare  le  miroir  de  la  règle.  On  peut  donc,  par  cette 
précieuse  méthode,  augmenter  presque  indéfiniment  la 
sensibilité  de  l'appareil. 

Barreau  directeur.  —  Pour  éviter  l'influence  des 
variations  d'intensité  du  magnétisme  terrestre,  il  con- 
vient d'avoir  un  système  d'aiguilles  aussi  asiatique  que 
possible.  On  dirige  le  système  par  un  barreau  aimanté 
placé  en  dessus, qui  constitue  delasorteun  méridien  ma- 
gnétique artificiel  absolument  fixe.  La  ligne  polaire  de 
cet  aimant  étant  invariable,  le  système  des  aiguilles  el, 
par  suite,  le  miroir  restent  donc  invariablement  dans  la 
même  position  tant  qu'il  ne  passe  pas  de  courant  par  l'ap- 
pareil ou  que  le  courant  qui  le  traverse  reste  constant. 
Ce  barreau  (8,  fig.  100)  mobile  autour  d'un  axe  verti- 
cal, comme  pivot,  permet  de  diriger  le  miroir  du  côté 
de  la  lunette  pour  prendre  un  zéro  relatif,  ce  qui  est 
utile  dans  bon  nombre  de  circonstances.  De  plus,  en  le 
faisant  mouvoir  verticalement  le  long  de  cet  axe,  c'est- 
k-dire  en  l'éloignant  ou  en  le  rapprochant  du  système 
asiatique,  on  fait  varier  l'influence  directrice  et,  par 
suite,  la  sensibilité  de  l'appareil. 

Ainsi  disposé,  l'appareil  est  aussi  sensible  qu'on  le 
désire,  et  l'aiguille  se  trouve  ramenée  rapidement 
à  sa  position  d'équilibre.  Cet  emploi  du  barreau  ai- 
manté est  un  point  essentiel  dans  l'appareil  qu'on  peut 
en  quelque  sorte  maîtriser  dans  sa  sensibilité  et  garantir 
des  influences  perturbatrices  extérieures. 

Connexions  du  galvanomètre  avec  les  soudures  thermo- 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  467 

électriques.  —  Deux  gros  fils  de  cuivre  recouverts  de 
gutta-percha  partent  des  bornes  du  galvanomètre;  l'un 
va  s'attacher  directement  à  une  des  bornes  qui  por- 
tent les  sondes  thermo-électriques  et  qu'on  place  au 
voisinage  de  la  table  d'opération.  Le  second  fil  passe 
auparavant  par  une  manette  interruptrice  à  un  seul 
contact  (voy.  en  4,  fig.  100)  qui  se  trouve  sous  la 
lunette ,  à  portée  de  la  main  de  l'observateur,  lequel 
peut  ainsi,  sans  cesser  de  regarder,  rompre  ou  rétablir 
le  circuit. 

Nous  avons  renoncé  au  commutateur  dont  nous  avions 
d'abord  fait  usage,  et  qui  peut  être  utile  néanmoins  dans 
certains  cas  :  i"  parce  que  parla  multiplicité  de  ses  con- 
tacts, cetappareilpeutproduire  des  courants,  et  2"  parce 
qu'il  faut  prendre  garde  de  ne  pas,  par  distraction,  ren- 
verser la  direction  du  courant  dans  les  interruptions 
successives  que  l'on  produit.  Avec  la  manette  à  simple 
contact,  l'interruption  est  tout  automatique,  etl'on  sup- 
prime les  causes  d'erreur  dépendant  de  l'inattention  de 
l'observateur. 

C'est  aux  deux  bornes  (1  his  et  2  Us,  fig.  100), 
voisines  de  la  table  d'expérience,  qu'arrivent  enfin  les 
conducteurs,  et  après  lesquelles  on  attache  également 
les  fils  portant  les  soudures  thermo-électriques.  Ces 
bornes  doivent  être  protégées  par  un  écran  contre  tout 
rayonnement  extérieur. 

Afin  d'éviter  les  lâtonnements,  on  peint  en  rouge  la 
borne  qui  correspond  à  la  sonde  artérielle  et  à  la  partie 
rouge  de  la  règle,  et  en  bleu,  celle  qui  doit  correspondre 
au  système  veineux.  Les  choses  sont  alors  arrangées 


468 


DU    SAMJ. 


FiG    m.  -  Installalion  cl.s  expérience,  thcrmo-élcclrique*. 
1,  2.   sondes    ihcrmo-eleclriques  dans   les  vaisseaux    cruraux;   l-J'^TTlur   *j' 
a:;ouplo;  1  bis.  2  bis.  bornes  de  la  Uble  où  se  rendent  les  fils  des  sondc-^.  1  Ur.  .J. 


TOPOGRAPHIlî    CALORIFIQUE.  469 

de  telle  sorte  que,  lorsque  la  déviation  a  lieu  dans  la 
moitié  rouge  de  réchelle,  c'est  le  sang  artériel  qui  est 
le  plus  chaud.  C'est  au  contraire  le  sang  veineux  (\m 
offre  un  excès  de  température  si  la  partie  bleue  de 
l'échelle  se  présente  sous  le  réticule  de  la  lunette.  On 
y  arrive  une  fois  pour  toutes  expérimentalement,  en 
chauffant  une  des  soudures  et  en  regaidant  le  sens  de 
la  déviation. 

Sondes  thermo-électnqves.  —  Les  modifications  les 
plus  importantes  ont  porté  surtout  sur  les  sondes  thermo- 
électriques  qui  doivent  être  introduites  dans  les  tissus 
vivants.  M.  d'Arsonval  les  a  modifiées  complètement  de 
façon  à  supprimer  toute  cause  d'erreur  et  à  être  assuré 
que  la  déviation  du  galvanomètre  ne  peut  provenir  que 
de  la  variation  de  température  d'une  des  deux  soudures 
thermo-élect  riques . 

Nous  avons  deux  espèces  de  sondes  thermo-électri- 
ques, les  unes  nues,  les  autres  engaînées  (fig.  101). 

Sondes  enyaînées.  — Les  sondes  engaînées  sont  com- 
posées de  deux  fils  métalliques  (maillechortfer)  recou- 
verts de  soie  et  soudés  par  leur  extrémité  qui  est  seule  à 
nu.  Ces  deux  fils  sont  introduits  dans  une  sonde  en 
gomme  élastique  semblable  à  celle  dont  se  servent  les 
chirurgiens  pour  le  cathétérisme  des  voies  urinaires. 
Nous  avons  fait  construire,  par  M.  Aubry,  des  sondes 
spéciales  qui  sont  fermées  au  bout  et  présentent  une 

bornes  du  çalvanoniètro  ;  2  ter,  manclle  de  l'inlcrrupleur  ;  4,  iiilerrciptcur  ;  5,  cago 
du  galvanomèlrc  ;  6,  aiguilles  asiatiques  ;  7,  verre  plan  ;  8,  iarreau  directeur;  l),  tigo 
qui  les  supporte;  10,  til  de  cocon  suspi'nsonr;  10  bis,  miroir  plan  ;  \\,  hineltc  du 
viseur;  \i,  éclicllc  divisée  ;  U,  gouttière  ;  C,  Cliienservant  à  l'expérience.  Le  courant 
partant  de  1  va  à  1  bis,  puis  à  1  1er,  traverse  lo.  galvanomètre,  revient  à  2  ter,  où  ou 
peut  l'interrompre  en  levant  la  manette  dans  la  position  pointilléc,  va  ;i  la  borne  2  bis, 
puis  à  la  sonde  2,  et  revient  au  point  de  départ  par  le  til  de  jonction  3. 


470 


DU    SAN'G. 


I 


lli 


\     \\ 


'X^    ^ 


FiG.  101.  —  Sondos  lliLTmo-dloctiiques  de  d'Arsoiival. 
S,  soudure  thcrmo-t-lcclrique  ;  C,  tube  luctallique  ;  D,  enveloppe  de  gomme. 


TOPOGRAl'lIlt:   CALORIFIQUE.  -471 

longueur  de  60  centimètres  sur  un  diamètre  de  3  milli- 
mètres. De  plus,  nous  avons  fait  graduer  ces  sondes 
extérieurement  en  centimètres,  afin  de  déterminer  la 
profondeur  à  laquelle  on  a  pénétré  dans  les  vaisseaux  et 
de  pouvoir  vérifier,  à  l'autopsie  de  l'animal,  le  point 
précis  où  l'on  a  fait  l'observation  thermo-électrique.  Il 
estbon,enengaînant  les  fils,  de  ne  pas  pousser  la  soudure 
jusqu'au  fond  de  la  sonde;  il  vaut  mieux  laisser  quelques 
millimètres  d'intervalle,  on  ne  s'expose  pas  ainsi  à 
percer  la  sonde  lorsqu'on  pousse  les  fils. 

Les  deux  fils  maillechorl-fer  doivent  ensuite  être 
accouplés  à  un  système  tout  semblable,  dont  l'ensemble 
constitue  un  thermomètre  différentiel.  Nous  avons  ap- 
porté dans  cet  accouplement  un  perfectionnement  des 
plus  importants.  Au  lieu  de  nous  servir  de  bornes  pour 
opérer  cette  jonction,  comme  nous  le  faisions  autrefois, 
nous  avons  supprimé  tout  intermédiaire.  Le  fil  de  fer  est 
unique  et  passe  sans  discontinuité  d'une  soudure  à 
Tautre;  les  fils  de  maillechort  sont  assez  longs  pour  aller 
s'attacher  directement  aux  bornes  que  porte  la  table 
d'expérience.  Par  cet  artifice  tout  est  homogène  dans  la 
partie  du  système  que  l'operateur  doit  tenir  entre  les 
mains,  sauf  les  soudures  qui  sont  plongées  dans  le 
milieu  qu'on  veut  explorer.  Ou  est  donc  bien  sûr,  en 
évitant  tout  raccord  intermédiaire,  que  les  oscillations  du 
galvanomètre  sont  dues  exclusivement  aux  influences 
qui  s'exercent  sur  les  soudures  thermo-électriques,  les 
seules  que  l'on  veuille  étudier. 

L'expérience  a  prouvé  que  l'enveloppe  de  gomme 
conduit  très-bien  la  chaleur,  et  que  quatre  à  cinq  se- 


472  DU   SANG. 

coudes  suffisent  pour  que  les  soudures  s'équilibrent  avec 
le  milieu  où  elles  sont  plongées. 

Nous  conseillons  aux  physiologistes  d'avoir  sous  la 
main  une  bobine  de  lil  de  maillechorl  recouvert  de  soie 
et  une  seconde  de  fil  de  fer.  On  achète  également  une 
colleclion  de  bougies  de  différentes  grosseurs,  et  rien  de 
plus  facile  alors  que  de  confectionner  soi-même  une 
paire  de  sondes  thermo-électriques  ayant  la  grosseur 
voulue. 

Sondes  nues.  —  M.  d'Arsonval  a  inventé  un  très- 
ingénieux  système  de  sondes  thermo-électriques  qui  peu- 
vent rendre  les  plus  grands  services  :  ce  sont  les  sondes 
nues  à  soudure  cylindrique  dont  il  me  reste  à  vous 
parler. 

Ces  sondes  peuvent  être  beaucoup  plus  fines  que  les 
précédentes.  Celles  que  nous  avions  employées  jusqu'à 
ce  jour  se  composaient  de  deux  fils  accolés  l'un  à  l'autre 
et  recouverts  d'un  vernis  empêchant  tout  contact  entre 
les  métaux  composant  la  soudure  et  les  liquides  orga- 
niques. Il  était  presque  impossible  d'obtenir  cet  isole- 
ment indispensable  pour  éviter  les  courants  hydro-élec- 
triques, parce  que  le  vernis  s'écaillait  toujours,  et  alors 
au  lieu  d'une  soudure  thermo- électrique  on  n'avait 
plus  qu'une  véritable  pile  hydro-électrique  exposant  à 
des  erreurs  sans  fin.  La  difficulté  a  été  tournée  très-sim- 
plement dans  les  soudures  concentriques. 

L'auteur  a  remplacé  l'un  des  fils  par  un  tube  métal- 
lique très-fin  dans  l'axe  duquel  s'engage  le  second  fil 
qui  vient  se  souder  à  l'extrémité  fermée  du  tube.  C'est 
en  général  le  fil  de  fer  qui  est  remplacé  par  le  tube; 


TOPOGRAPHIE    CAI.ORIFIOLE. 


478 


mais  on  peut  faire  l'inverse  et  mettre  le  maillechorl  en 
dehors.  Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Sainte-Claire 
Deville  d'avoir  pu  faire  des  sondes  avec  des  tubes  de 
platine  qui  fonctionnent  parfaitement  et  sont  inalté- 
rables. Par  cet  artifice,  il  n'y  a  à  l'extérieur  qu'un  seul 
métal,  ce  qui  met  à  l'abri  des  courants  hydro-électriques. 
Pour  plus  de  sûreté,  on  peut  d'ailleurs  engaîner  la  sonde, 
dont  la  température  ne  doit  pas  varier,  ou  la  recouvrir 
avec  de  la  glu  marine,  qui  constitue  le  meilleur  et  le 
plus  adhérent  des  vernis.  On  peut  faire  varier  la  lon- 
gueur et  le  diamètre  des  sondes  nues.  Elles  doivent 
d'ailleurs  être  accouplées  comme  les  sondes  engaînées. 

Nous  avons  adopté  exclusivement  ce  système  pour 
faire  les  aiguilles  piquantes  [^\g.\0^) 
destinées  k  pénétrer  dans  les  tissus. 
On  peut  armer  leur  extrémité  d'un 
hameçon,  comme  l'a  fait  M.  Béclard. 
mais  il  n'y  a  toujours  qu'un  mêlai 
(C,  fig.  102)  à  l'extérieur. 

M.  Gaiffe  construit  des  aiguilles  do 
cette  espèce,  qui  sont  d'une  finesse 
excessive. 

Graduation  des  sondes  et  des  ai- 
guilles. —  L'évaluation  de  la  sensibi- 
lité de  l'appareil,  c'est-à-dire  du  rap- 
port qui  existe  entre  les  divisions  de 
la  règle  du  galvanomètre  et  le  degré 
du  thermomètre  centigrade,  s'obtient 
expérimentalement,  et  dépend  à  titre  égal  des  condi- 
tions qui  suivei.t  : 


FiG.  102.  —  Ai-iillcs. 


474  DU    SANG. 

1°  Sensibilité  des  soudures.  Les  soudures  maillechort- 
fer  sont  les  plus  actives; 

2"  Éloiguement  plus  ou  moins  grand  de  l'aimant 
directeur; 

S"  Distance  de  la  rès^le  divisée  au  miroir; 

4°  Enfin,  de  la  torsion  du  fil  qui  supporte  le  système 
astatique.  Celte  condition  intervient  lorsqu'on  prend 
un  zéro  relatif,  les  deux  soudures  étant  à  des  tempéra- 
tures différentes;  aussi  le  courant  qui  tend  à  ramener 
les  aiguilles  à  leur  position  de  repos  diminue  la  torsion 
et  détermine  la  plus  forte  déviation,  le  courant  inverse 
ayant  à  lutter  contre  la  torsion  qu'il  augmente. 

Détermination  du  zéro.  —  Après  avoir  plongé  les 
deux  soudures  dans  un  vase  plein  d'eau  ou  mieux  de 
mercure,  on  ferme  le  circuit  et  on  fait  coïncider  le  réti- 
cule de  la  lunette  (en  la  déplaçant)  avec  le  zéro  de  la 
règle  divisée,  vu  par  réfiexiondans  le  miroir.  Cette  pré- 
caution est  essentielle,  les  deux  soudures  n'étant  presque 
jamais  de  la  même  force  et  donnant  toujours  une  dévia- 
tion, môme  lorsqu'elles  sont  h  la  même  température. 
On  annuité  cette  cause  d'erreur  en  prenant  le  zéro,  le 
circuit  étant  fermé. 

Ecaluation  du  rapport  de  la  déviation  fjalvanomé- 
trique  avec  la  température,  —  Le  zéro  une  fois  déter- 
miné, on  prend  la  température  du  milieu  où  sont  plon- 
gées les  aiguilles  avec  un  thermomètre  donnant  le 
vingtième  de  degré.  Puis  on  échaufiTe  avec  la  main 
une  autre  éprouvette  pleine  de  liquide,  jusqu'à  ce  que 
le  même  thermomètre  marque  3  ou  4  dixièmes  de  degré 
en  plus.  On  plonge  alors  une  des  aiguilles  dans  ce 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  475 

milieu,  l'autre  restant  dans  la  première  éprouvette, 
c'est-à-dire  à  3  ou  4  dixièmes  de  degré  au-dessous.  Alors 
une  forte  déviation  se  produit,  et  il  suffît  de  diviser  la 
différence  réelle  de  température  au  thermomètre  parle 
nombre  des  divisions  de  la  règle  pour  avoir  le  rapport 

T 

cherché  R=:|T^,  T  étant  la  température  différentielle 

des  deux  soudures,  et  D"  le  nombre  des  divisions  de 
l'échelle.  Soit  la  différence  entre  les  deux  soudures  égale 
à  0°,5,  et  la  déviation  correspondante  à  200  divisions  de 
la  règle.  Le  rapport  cherché  sera  0,5  :  200  =  1/400'-; 
chaque  division  de  la  lègle  vaut  donc  un  quatre-cen- 
tième de  degré  centigrade.  Nous  pouvons  aller  au  delà 
et  jusqu'à  1  millième  de  degré,  en  ayant  toujours  une 
égale  confiance  dans  les  résultats  obtenus. 

Telle  est  sommairement  la  disposition  de  l'appareil 
thermo-électrique  dont  nous  nous  servons  pour  nos 
recherches  physiologiques.  Nous  compléterons  ce  qui 
manque  à  la  description  de  cet  appareil,  en  donnant  les 
procédés  de  vivisection  qu'il  convient  d'employer  pour 
le  mettre  en  usage  sur  l'animal  vivant.  Toutefois,  nous 
ajouterons  encore  quelques  indications  pratiques. 

Nous  dirons  d'une  manière  générale  qu'il  faut  faire 
rapidement  les  observations  thermo-électriques  pour 
obtenir  des  résultats  aussi  près  de  l'état  normal  que  pos- 
sible, et  dégagés  des  oscillations  incessantes  que  pré- 
sentent les  phénomènes  calorifiques  sous  des  influences 
diverses. 

Quand  on  fait  la  lecture  de  la  déviation  galvanomé- 
trique,  il  importe  donc  que  les  oscillations  de  l'aiguille 


476  DU    SANG. 

ne  soient  pas  de  trop  longue  durée.  On  peut  atteindre  ce 
but  en  rapprochant  l'aiguille  très-près  du  plateau  de 
cuivre  rouge,  au-dessus  duquel  elle  oscille,  ou  bien  en 
se  bornant  à  prendre  seulement  l'arc  d'impulsion  de 
l'aiguille.  Cette  lenteur  dans  le  retour  nu  repos  de 
l'aiguille  du  galvanomètre  n'a  pas  d'ailleurs  de  grands 
inconvénients  lorsque,  ce  qui  est  le  cas  le  plus  général, 
nous  faisons  des  observations  comparatives  et  simul- 
tanées, pour  avoir  seulement  les  différences  de  tenipé- 
rature  des  vaisseaux  ou  des  organes. 

Mais  il  n'en  serait  pas  de  même  si  nous  voulions  avoir 
la  température  absolue  d'une  partie  du  corps,  en  pre- 
nant un  point  fixe  au  dehors.  Il  n'est  nécessaire  d'agir 
ainsi  que  dans  des  cas  spéciaux,  que  nous  indique- 
rons ailleurs  en  décrivant  l'appareil  à  température 
constante  du  docteur  d'Arsonval,  qu'il  convient  d'em- 
ployer. Nous  ajouterons  seulement  que,  si  l'on  désire 
avoir  la  température  absolue  du  sang,  en  même  temps 
que  la  température  différentielle  de  deux  vaisseaux, 
par  exemple,  il  suffira  de  plonger  un  thermomètre  dans 
Tun  d'eux  immédiatement  avant  ou  après  le  moment  où 
l'on  fait  les  observations  thermo-électriques.  Rien  n'est 
plus  facile  alors  que  de  rapprocher  les  nombres  diffé- 
rentiels thermo-électriques  de  la  valeur  thermométrique 
qu'on  a  observée  directement. 

PROCÉDÉS    OPÉRATOIRES. 

Quant  à  la  méthode  de  vivisection  propre  aux  éludes 
sur  la  température  du  sang,  il  importe  avant  tout  de 


TOPOGRAPIlli:    CVLORIFIQUK.  477 

fixer  un  procédé  opératoire  régulier,  qui  permette 
de  prendre  la  température  du  sang  dans  les  diverses 
parties  du  système  sanguin  sur  un  animal  vivant,  non 
mutilé,  et  dont  la  circulation  reste  aussi  normale  que 
possible.  Sans  cela,  toutes  les  observations  sont  néces- 
sairement entachées  de  toutes  les  causes  d'erreur  que 
peuvent  y  introduire  les  troubles  divers  de  la  fonction 
circulatoire. 

Mes  aides  ou  moi  avons  fait  une  centaine  d'expé- 
riences toutes  concordantes,  et  que  nous  avons  réunies 
dans  les  tableaux  graphiques  que  je  ferai  passer  sous 
vos  yeux. 

Je  ne  vous  fatiguerai  pas  de  leurs  détails.  Je  me 
contenterai  de  faire  devant  vous  l'expérience  type  qui 
résulte  de  tous  ces  essais. 

Le  procédé  opératoire  que  je  vais  vous  montrer  ne 
doit  pas  seulement  être  établi  dans  de  bonnes  conditions 
anatomiques  et  physiologiques;  il  doit  en  outre  être 
conçu  de  manière  à  nous  donner  par  ses  résultats  une 
démonstration  complète  et  décisive  au  sujet  de  la  ques- 
tion de  savoir  quel  est  celui  des  deux  sangs,  artériel  et 
veineux,  qui  l'emporte  en  température  sur  l'autre. 
C'est  pourquoi  je  dois  ajouter  que  le  nouveau  procédé 
opératoire  est  institué  de  telle  façon  que  tous  les  résul- 
tats énoncés  dans  mes  anciennes  recherches  sur  la  cha- 
leur animale  se  trouvent  réunis  et  concentrés  en  une 
seule  expérience,  si  facile  à  exécuter  qu'aucune  cause 
d'erreur  sérieuse  ne  peut  plus  s'y  rencontrer.  Je  donne 
donc  cette  expérience  nouvelle  comme  une  expérience 
type,  résumant  et  résolvant  à  elle  seule  toute  la  ques- 


478  DU   SANG. 

lion  de  la  topographie  calorifique  des  sangs  artériel  et 
veineux. 

Voici  en  quoi  elle  consiste. 

L'animal  étant  étendu  sur  le  dos  dans  la  gouttière 
convenablement  disposée,  je  pratique  le  cathétérisme 
simultané  (voy.  ci-dessus,  p.  283)  de  Taorle  et  de  la 
veine  cave  dans  toute  leur  étendue  jusqu'au  cœur, 
à  l'aide  de  nos  longues  sondes  thermo-électriques 
décrites  ci-dessus. 

On  peut  pénétrer  dans  le  système  circulatoire  de  deux 
manières  :  soit  d'avant  en  arrière  par  les  vaisseaux  du 
cou  (fig.  282),  soit  d'arrière  en  avant,  par  les  vaisseaux 
de  la  cuisse  (voy.  p.  283  et  fig.  94). 

Pénétration  par  les  vaisseaux  de  la  cuisse.  —  Dans 
ce  premier  cas  (fig.  iOO,  p.  468),  la  veine  et  l'arlère 
crurales  étant  mises  à  nu,  on  introduit  les  sondes  dans 
leur  intérieur,  la  communication  avec  le  galvanomètre 
étant  interrompue  durant  cette  opération.  On  pousse  les 
sondes  jusqu'à  la  bifurcation  de  l'aorte  abdominale  et 
de  la  veine  cave  inférieure;  à  ce  moment  on  rétablit 
la  communication  galvanométrique,  et  Ton  observe  un 
excès  de  température  d'environ  1/2  degré  en  faveur  du 
sang  artériel.  Donc,  première  conclusion  : 

1"  A  son  entrée  dans  le  bassin^  le  sang  artériel  est  plus 
chaud  que  le  sang  veineux. 

Laissant  la  sonde  veineuse  en  place,  on  promène  la 
sonde  artérielle  tout  le  long  de  l'aorte,  jusqu'au  niveau 
du  cœur,  sans  avoir  d'oscillations  sensibles  dans  le 
galvanomètre  et  sans  qu'il  survienne  de  différences 
notables  dans  les  résultats  déjà  observés.  Donc  : 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  479 

2°  La  température  du  sang  artériel  reste  semiblemenl 
constante  dam  toute  retendue  de  f  aorte. 

Il  eu  est  tout  autrement  pour  le  sang  de  la  veine  cave 
inférieure,  ce  que  l'on  constate  de  la  façon  suivante. 
Laissant  en  place  la  sonde  artérielle  dans  un  point  quel- 
conque de  l'aorte,  mais  où  cependant  le  vaisseau  soit 
assez  large  pour  que  la  sonde  baigne  bien  dans  le  sang, 
ou  fait  varier  la  position  de  la  soude  veineuse  en  l'en- 
fonçant graduellement  dans  la  veine  cave.  On  voit  alors 
le  sang  de  la  veine  s'échauffer  de  plus  en  plus  à  mesure 
qu'on  monte  vers  le  cœur.  Lorsqu'on  arrive  au  niveau 
des  veines  rénales,  la  température  des  deux  sondes  est 
a  peu  près  la  même.  Ainsi  : 

3"  Au  niveau  de  r embouchure  des  veines  rénales,  la 
température  du  sang  veineux  est  sensiblement  égale  à  celle 
du  sang  artériel. 

En  continuant  à  pousser  la  sonde  veineuse,  on  arrive 
au-dessus  des  veines  sus-hépatiques.  Là,  la  température 
du  sang  de  la  veine  cave  dépasse  d'environ  1/2  degré  la 
température  du  sang  de  l'artère  : 

4"  Au-dessus  du  diaphragme,  la  température  du  sang 
veineux  est  supérieure  d'environ  i/2  degré  à  celle  du  sang 
de  r  artère. 

Ce  qui  indique  que  depuis  le  bassin  jusqu'au  dia- 
phragme, la  température  du  sang  de  la  veine  cave  s'est 
accrue  d'environ  1  desjré. 

Cet  excès  de  température  en  faveur  du  sang  veineux 
persiste  jusqu'à  l'entrée  dans  l'oreille  droite  du  cœur.  En 
continuant  à  pousser  la  sonde,  on  peut  lui  faire  fran- 
chir le  cœur  et  porter  la  soudure  thermo-électrique 


480  DU    SANG. 

dans  la  veine  cave  supérieure.  Aussitôt  le  phénomène 
se  renverse,  et  le  sang  veineux  redevient  plus  froid  que 
le  sang  artériel. 

5°  Le  sang  de  la  veine  cave  supérieure  est  plus  froid 
que  le  sang  artériel. 

On  reproduit  cetle  expérience  autant  de  fois  qu'on 
le  veut,  soit  sur  le  même  animal,  soit  sur  des  animaux 
différents,  en  obtenant  toujours  les  mômes  résultats. 
Les  tableaux  que  nous  vous  faisons  passer,  et  qui  ne 
contiennent  pas  moins  de  cent  expériences  vous  le  pi'ou- 
vent.  Cela  démontre  en  môme  temps  que  les  sangs  vei- 
neux des  organes  abdominaux,  foie,  reins,  intestins,  en 
se  déversant  dans  la  veine  cave  inférieure,  réchauiTent 
le  sang  veineux  de  la  périphéiie  avant  son  entrée  dans 
le  cœur,  et  lui  donnent  dans  ce  point  une  température 
supérieure  à  celle  du  sang  artériel. 

Un  des  grands  avantages  de  cette  métbode,  surtout 
lorsqu'il  s'agit  de  constater  sur  un  animal  vivant,  dont 
tous  les  actes  sont  si  mobiles,  de  faibles  variations  de 
température,  c'est  de  pouvoir  constater  simultanément 
à  la  même  seconde,  entre  les  sangs  artériel  et  veineux, 
des  différences  de  lempéiature  qui  nous  donnent  en 
réalité  des  relations  absolues,  parce  qu'elles  ont  été 
observées  dans  des  conditions  d'identité  les  plus  rigou- 
reuses. 

Lorsqu'on  veut  obtenir  les  lempératures  absolues, 
il  suffit  d'introduire  un  thermomètre  à  la  place  d'une 
des  sondes,  si  l'on  ne  veut  pas  faire  usage  de  l'appareil 
donnant  un  point  fixe. 

On  obtient  une  contre-épreuve  et  une  confirmation 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  481 

complète  des  résultats  ci-dessus  énoncés  en  pratiquant 
l'expérience  en  sens  inverse,  c'est-à-dire  en  pénétrant 
par  les  vaisseaux  du  cou. 

Dans  ce  second  procédé  on  introduit  une  des  sondes 
par  Vartère  carotide  droite,  et  l'autre  dans  la  veine  cave 
supérieure,  par  la  veine  jugulaire  externe  droite.  En 
poussant  les  sondes,  on  constate,  mais  d'une  manière 
inverse,  les  mêmes  résultats  qu'au  moyen  du  cathété- 
risrae  par  les  vaisseaux  cruraux.  Ce  cathétérisme  simul- 
tané de  l'aorte  et  de  la  veine  cave,  tel  que  nous  l'avons 
décrit,  résout  à  lui  seul  tout  le  problème  de  la  topogra- 
phie calorifique  du  système  sanguin.  Il  i.'ous  montre  : 

1°  Que  le  sang  artériel  offre  une  température  sensible- 
ment constante  durant  tout  son  parcours  dans  l aorte  et 
les  grosses  branches  artérielles; 

•2°  Que  le  sang  veineux,  à  la  périphérie  du  corps,  se 
refroidit  et  présente  une  température  constamment  infé- 
rieure à  celle  du  sang  artériel; 

3"  Que  le  sang  veineux  périphérique  qui  s  est  refroidi 
en  circulant  dans  les  veines  superficielles  du  corps,  se 
réchauffe  et  compense  au  delà  sa  déperdition  de  chaleur 
dès  quil  reçoit  le  sang  des  organes  splanchniques  abdo- 
minaux, profondément  situés  et  protégés  contre  tout 
refroidissement  extérieur. 

4°  Enfin  cette  expérience,  en  nous  démontrant,  sans 
qu'il  soit  besoin  de  recourir  à  aucune  autre  épreuve 
plus  compliquée,  que  la  masse  du  sang  artériel  est  plus 
froide  à  sa  sortie  du  cœur  gauche  (que  la  masse  du  sang 
veineux  à  son  entrée  dans  le  cœur  droit,  nous  prouve 
clairement  qu'en  circulant  dans    le  poumon,  le   sang 

CL.  BERNARD.  -     Plijsiol.  opér.  31 


482  DL"    SANG. 

ne  se  réchauffe  pas,  comme  le  croyait  Lavoisier,  mais 
quil  s'y  refroidit  au  contraire,  ainsi  que  cela  a  lieu  quand 
il  circule  au  contact  de  l'air  à  la  surface  du  corps. 

Ces  résultats  soiil  absolument  conslants,  et  nous  pou- 
vons les  représenter  par  le  tracé  graphique  (fig.  103), 
qui  les  rend  saisissables  au  premier  coup  d'oeil. 

La  température  de  l'aorte  étant  fixe  peut  servir 
d'abscisse,  tandis  que  les  températures  de  la  veine  cave 
servent  d'ordonnées. 


^^r-ici 


Fig.  103.  —  Ompliiiiuo 


Kl  G.  lOi.  —  Schéma. 


P,C  103    -   ko.   aorte;    S  S.   surface   à    l'air;    a.   rein;    b.    foie;   CD,  cœnr  droit; 

c"g.  cœur  gauche;  P,  poumon.  -  Toute  la  partie  au-dessus  de  l'aorte  est  plus  chaude 

qu'elle;  celle  au-dessous,  plus  froide. 
Le  schéma  (fig.  104)  traduit  en  degrés  ces  dilTéreuce*. 

Un  dessin  schématique  (tig.  104)  peut  traduire  le 
graphique  en  le  rapportant  topographiquement  aux 
divers  territoires  du  système  sanguin.  La  légende  qui 
accompagne  ces  deux  figures  leur  sert  d'explication. 

En  résumé,  nous  arrivons  à  conclure,  d'après  ce  qui 
précède,  que  la  question  si  longtemps  controversée  de 


TOrOGUAPHlE    CALORIFIQUE.  483 

la  température  du  sang  avant  et  après  le  poumon  est 
aujourd'hui  résolue.  Il  reste  expérimentalement  dé- 
montré que  le  poumon  n'est  pas  le  foyer  de  la  chaleur 
animale;  mais  existe-til  d'autres  foyers?  et  dirons-nous, 
parce  que  nous  avons  trouvé  le  sang  veineux  plus 
•chaud  que  le  sang  artériel  au  sortir  des  reins,  des 
intestins  et  du  foie,  dirons-nous  que  ce  sont  là  les  vrais 
foyers  de  la  chaleur  animale?  Évidemment  non.  Il  se 
fait  de  la  chaleur  en  réalité  dans  tous  les  organes; 
seulement  l«,'s  organes  abdominaux  sont  mieux  protégés 
que  les  autres  contre  la  déperdition  de  la  chaleur.  De 
«ette  inégalité  des  parties  protondes  et  des  parties  super- 
ticielles  du  corps,  l'ésulle  une  sorte  de  compensation 
harmonique  (le  la  chaleur  qui  est  réglée  par  l'influence 
du  système  nerveux. 

En  définitive,  il  faut  renoncer  aujourd'hui  à  l'idée 
émise  par  Lavuisierd" une  localisation  dans  lepoumonou 
ailleurs  d'un  foyer  quelconque  de  chaleur.  La  chaleur 
animale  ne  saurait  pas  plus  se  localiser  que  la  nutrition, 
dont  elle  est  une  consécjuence  directe.  Tous  lesorganes, 
tous  les  tissus,  tous  les  éléments  se  nourrissent,  fonc- 
tionnent et  engendrent  de  la  chaleur. 

C'est  ce  que  nous  allons  vous  montrer  d'abord  pour 
le  tissu  musculaire. 

Depuis  longtemps  déjà  on  sait  que  le  travail  muscu- 
laire développe  de  la  chaleur.  Becquerel  et  Breschet 
l'ont  démontré  sur  Ihomme  lui-même,  dès  1835.  De- 
puis, un  nombre  considérable  d'expérimentateurs  ont 
mis  le  fait  hors  de  doute.  C'est  donc  un  fait  acquis  à  la 
.science,  et  l'expérience  que  nous  allons  faire  devant 


484 


DU    SANG. 


VOUS  ne  fait  que  réaliser  des  conditions  de  simplicité 
et  de  facilité  pour  cette  démonstration. 

On  prépare  un  train  postérieur  de  grenouille  à  la  ma- 
nière de  Gai  van  i  (voy.  ci-dessus,  fig.  99,  p.  405) ,  et  on 
sépare  les  deux  cuisses  sur  la  ligne  médiane  en  laissant 
intacts,  de  chaque  côlé,  les  nerfs  qui  s'y  rendent.  On 
a  ainsi  deux  pattes  qui  sont  exactement  dans  les  mêmes 
conditions  de  température.  La  circulation  étant  sup- 
primée, on  n'a  pas  à  redouter  que  des  effets  vaso- 
moteurs  viennent  troubler  Texpérience,  comme  lors- 
qu'on agit  sur  un  animal  dont  la  circulation  n'est  pas 
interrompue. 


Fig.  105.  —  Expérience  sur  la  conlrartion  musculaire  avec  les  aiguilli'S 
ihermo-clectriques. 
Vov.  la  fii^urc  102  ci-dessus,  p.  i'i,  pour  les  détails  de  la.  construction  de  ces  aiguille-^ 
à  soudure  centrale  {C,  tube  externe  en   fer;  S,   sa   soudure  avec  le  tube  interne  en 


;utchouc).  —  On  voit  ici  ces  sondes  (a,  a)  introduites  dans  deux  trains  postérieurs 
et  I')  de  grenouilles,  dont  l'un  (1)  est  mis  en  contraction  par  l'excitation  électrique 


cac 

(l  et  I')  de  grenouill 

(appliiiuée  en  il) 


On  plante  alors  {fig.   105)  dans  chaque  cuisse  un 


TOPOGRAPHIE    CALORIFIQUE.  485 

aiguille  thermo-électrique  à  soudure  cylindrique,  et  on 
électrise  une  des  pattes  par  l'intermédiaire  du  nerf.  Les 
muscles  entrent  en  contraction,  et  aussitôt  on  voit  le 
galvanomètre  indiquer  un  échauffeuient  qui  peut  aller 
à  un  demi-degré  et  plus. 

Pour  avoir  la  contre-épreuve,  on  électrise  la  seconde 
patte,  et  vous  voyez  alors  que  la  déviation  change  de 
sens. 

Enfin,  pour  montrer  que  la  déviation  n'est  pas  due 
à  une  dérivation  du  courant  produisant  l'excitation,  nous 
avons  attendu  que  les  muscles  eussent  perdu  leur  exci- 
tabilité, et  alors  on  a  beau  électriser,  le  galvanomètre 
n'indique  rien,  quelle  que  soit  l'intensité  du  courant. 
•  Il  reste  donc  bien  démontré  que  la  chaleur  produite 
est  le  résultat  de  la  contraction  musculaire. 

Je  vous  ai  parlé  déjà  de  l'appareil  à  température  fixe 
de  M.  d'Arsonval.  Je  vais  vous  donner  la  description 
sommaire  de  l'étuve  qui  a  servi  à  nos  recherches  et 
dont  les   dimensions  ont  été  réduites  pour  cet  usage. 

Cette  étuve  se  compose  de  deux  vases  cylindro- 
coniques  concentriques  limitant  deux  cavités  :  l'une 
centrale  qui  est  l'enceinte  qu'on  veut  maintenir  con- 
stante, l'autre  annulaire  que  l'on  remplit  par  la  douille 
et  qui  constitue  le  matelas  liquide  soumis  à  l'action  du 
foyer.  Ce  matelas  d'eau  distribue  régulièrement  la  cha- 
leur autour  de  l'enceinte  et  l'empêche  de  subir  de 
brusques  variations  de  température;  il  mérite  donc  bien 
le  nom  de  volant  de  chaleur  que  lui  a  donné  M.  Schlœ- 
sing. 

M.  d'Arsonval  a  eu  l'idée  d'utiliser  les  varifitions  de 


486  DU    SANG. 

volume  fie  cette  masse  énorme  de  liquide  pour  régler 
le  passage  du  gaz  allant  au  brûleur.  C'est  là  ce  qui  con- 
stitue l'originalité  de  ses  appareils  en  même  temps  que 
leur  exquise  sensibiliti'. 

Pour  cela,  la  paroi  externe  de  l'étuve  porte  une  tubu- 
lure latérale  qui,  communiquant  avec  l'espace  annu- 
laire (2,  fig.  i06),  se  trouve  fermée  à  l'extérieur  par 


Fil..  106.  —  Appareil  de  d'Arsotival  pour  obicnir  une  knipiraliire  constante. 

une  membrane  verticale  de  c.ioutcbouc;  cette  mem- 
brane con.slitue,  une  fois  la  douille  du  baut  (3,  fig.  i06) 


DOSAGE    DU    SUCRE.  487 

bouchée,  la  seule  portion  de  paroi  qui  puisse  traduire 
à  l'extérieur  les  variations  de  volume  du  matelas  d'eau 
en  les  totalisant.  Or  le  gaz  qui  doit  aller  au  brûleur  est 
amené  par  un  tube  (4,  tig.  106)  qui  débouche  norma- 
lement au  centre  de  celte  membrane  et  à  une  faible 
distance  de  sa  surface  externe  dans  l'intérieur  d'une 
boîte  métallique,  d'où  il  ressort  par  un  autre  orifice 
(5,  fig.  106)  qui  le  conduit  au  brûleur.  Tube  et  mem- 
brane constituent  de  la  sorte  un  robinet  très-sensible 
dont  le  degré  d'ouverture  est  sous  la  dépendance  des 
variations  de  volume  du  matelas  d'eau,  et  qui  ne  laisse 
aller  au  brûleur  que  la  quantité  de  gaz  strictement 
nécessaire  pour  compenser  les  causes  de  refroidisse- 
ment. 

Dans  cette  combinaison,  le  combustible  chauffe  direc- 
tement le  régulateur  qui  à  son  tour  réagit  directement 
sur  le  combustible;  ainsi  se  trouve  justifiée  l'épithète 
appliquée  à  ces  régulateurs  qui,  de  la  sorte,  ne  peuvent 
être  paresseux  à  régler. 

L'étude  de  la  température  du  sang  se  rapporte  aux 
conditions  physiques  de  ce  milieu  intérieur  ;  parmi  les 
conditions  chimiques,  une  des  plus  importantes  et  des 
plus  délicates  à  étudier  est  celle  de  sa  teneur  en  sucre 
(état  glycémiqué).  Cette  question  a  été  de  notre  part, 
depuis  nombre  d'années,  l'objet  de  recherches  spéciales, 
publiées  dans  un  volume  consacré  tout  entier  à  ce 
sujet. C'est  pourquoi,  renvoyant  à  ces  leçons  antérieures, 
nous  vous  donnerons  seulement  ici  les  derniers  perfec- 
tionnements que  nous  avons  apportés,  avec  mon  prépa- 
rateur, aux  procédés  de  dosage  du  sucre  dans  le  sang  : 


488  DU    SANG. 

nous  avons  à  indiquer  les  détails  de  l' instrumentation 
et  ceux  du  manuel  opératoire. 

Insimmmtation.  —  Cette  opération  exige  les  objets 
suivants: 

1°  Six  capsules  de  porcelaine  de  20  grammes  avec 
leur  tare  ; 

2°  Un  support  avec  une  lampe  à  alcool  pour  la 
cuisson  ; 

3°  Une  petite  balance  Roberval  ; 

4°  Une  petite  presse  de  forme  spéciale  pour  presser  le 
caillot  ; 

5°  Une  burette  divisée  de  forme  spéciale  qui  repré- 
sente la  figure  ci-jointe  ; 

6"  Du  sulfate  de  soude  ordinaire  en  petits  cristaux, 
un  flacon  de  liqueur  bleue  et  un  flacon  de  potasse 
caustique  en  pastilles. 

Maimel  opératoire.  —  On  pèse  préalablement  20  gr. 
de  sulfate  de  soude  dans  chacune  des  capsules  ; 
cela  fait,  on  prend  le  sang  dont  on  veut  doser  le 
sucre,  soit  au  moyen  d'une  seringue,  soit  directement 
par  une  saignée  au  vaisseau,  et  on  pèse  20  grammes 
que  l'on  mélange  exactement  aux  20  grammes  de  sul- 
fate de  soude. 

On  porte  alors  la  capsule  sur  le  petit  support,  et  on 
fait  cuire  le  mélange.  On  connaît  que  l'opération  est 
terminée  lorsque  la  mousse  qui  surmonte  le  caillot  est 
parfaitement  blanche  et  que  ce  dernier  ne  présente  plus 
de  points  rougeàtres. 

On  retire  alors  du  feu  et  on  rétablit  sur  la  balance  le 
poids  primitif,  en  ajoutant  de  l'eau  pour  compenser  la 


L./iosr/^r 


FiG.  107.  —  Ballon  et  burclte  pour  le  dosage  du  sucre, 
l.burellc;  3,  son  orifice  inférieur  fermé  par  uuc  pince  à  pression;  2,  ballon  chauffé 
par  le  bec  de  gaz  (6)  et  dans  lequel  s'opère  la  réaction;  4,  tube  pour  le  dégagement 
de  la  vapeur,  et  dont  l'ajutage  en  caoutchouc  est  pincé  ensuite  par  une  pince  à  pres- 
sion pour  empêcher  la  rentrée  de  l'air. 


490  DU    SANG. 

perte  due  à  l'évaporation  et  à  la  vaporisation.  Le  tout 
est  jeté  dans  la  petite  presse  dont  on  tourne  lentement 
lavis.  Le  liquide  passe  au-dessus  du  plateau  compresseur, 
et  on  le  verse  sur  un  filtre  qui  surmonte  la  burette. 

Pendant  que  le  liquide  filtre,  on  verse  dans  le  petit 
ballon  (2,  fig.  107)  qui  est  au-dessous  de  la  burette 
(1-3,  fig.  107)  1  centimètre  cube  de  la  liqueur  bleue; 
on  ajoute  10  à  12  pastilles  de  potasse  et  environ  20  gr. 
d'eau  distillée.  On  purge  ensuite  la  burette,  dont  on 
serre  la  pince  inférieure  pour  empêcher  tout  écoulement. 

On  met  sur  le  ballon  le  bouchon  de  caoutchouc  qui 
donne  passage  au  tube  qui  termine  la  burette  et  à  un 
second  tube  coudé  ayant  un  caoutchouc  muni  d'une 
pince  à  pression  continue  (4,  fig.  107). 

C'est  ce  tube  qui  sert  de  dégagement  pour  la  vapeur 
lorsqu'on  chauffe  le  liquide  du  ballon  après  avoir  retiré 
la  pince.  Si  on  cesse  de  chauffer,  on  empêche  la  ren- 
trée de  l'air  en  pinçant  le  caoutchouc. 

On  porte  le  liquide  à  l'ébullition  à  l'aide  d'une  lampe 
à  alcool  ou  d'un  bec  de  gaz  ;  on  laisse  alors  tomber  le 
liquide  contenu  dans  la  burette,  d'abord  rapidement, 
puis  goutte  à  goutte.  On  voit  alors  le  liquide  bleu  du 
ballon  se  décolorer  de  plus  en  plus  et  devenir  parfaite- 
ment limpide,  ce  que  l'on  reconnaît  surtout  en  obser- 
vant les  bulles  de  vapeur  qui  se  dégagent.  Le  dosage 
est  alors  terminé,  et  on  lit  sur  la  burette  la  quantité 
du  liquide  écoulé,  soit  ii  centimètres  cubes. 

La  formule 


DOSAGE   PU    SLCllE.  491 

fait  connaître  en  c/rammes  le  poids  de  sucre  contenu 
dans  1  kilogramme  du  sang  qu'on  vient  d'ana- 
lyser. Si,  par  exemple,  il  a  fallu  4  centimètres  cubes 
de  liquide  pour  la  décoloration,  ce  qui  est  la  moyenne, 
la  formule  donne  2  grammes  de  sucre  pour  1000  de 
sang,  etc.  (i). 

(I)  Pour  le  détail  et  l'explication  de  cette  formule,  voyez  les  Leçons  sur 
le  diabète  et  la  glijcogénése.  Paris,  1877,  p.  203. 


OIATRIEME  PARTIE 

PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  DE  L'APPAREIL  DIGESTIF 


TIXGT  ET  UNIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Physiologie  opératoire  de  l'appareil  digestif.  —  Historique  de  la 
question.  —  Actes  mécaniques  et  actes  chimiques  de  la  digestion.  — 
Digestions  artificielles  in  vitro.  —  Liquides  digestifs.  —  Fistules  pour  se 
])rocurcr  les  liquides  digestifs,  et  notamment  le  suc  gastrique.  — Tentatives 
de  de  Graaf. 

Étude  de  la  salive.  —  Salive  mixte.  —  II  y  a  trois  csi»èces  de  salives  bien 
distinctes.  —  Expériences  sur  les  carnivores  et  les  herbivores. 

Messieurs, 

Pour  comprendre  la  portée  des  expériences  propres 
à  nous  fixer  sur  la  physiologie  de  Tappareil  digestif,  il 
est  indispensable  de  jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur 
l'histoire  de  celte  question. 

L'étude  vraiment  expérimentale  de  la  digestion  est 
de  date  relativement  récente  :  les  anciens  se  contentaient 
à  ce  sujet,  pour  toute  explication,  de  comparaisons  plus 
ou  moins  heureuses  avec  des  phénomènes  vulgairement 
connus:  ainsi,  la  digestion  était  pour  Hippocrale  une 
coction;  pour  Galien,  un<è  fermentation  comme  celle  du 
vin  dans  la  cuve;  plus  tard  van  Helmont  reproduisait 


ACTES    MÉCANIQUES    ET    CHIMIQUES.  493 

cette  comparaison;  pour  lui,  la  dif^eslioii  était  une  fer- 
mentation analogue  à  celle  de  la  pâte  du  pain;  de  même 
que  la  ménagère,  après  avoir  pétri  le  pain,  garde  un  peu 
de  pâte  pour  l'utiliser  comme  levain  dans  une  prochaine 
opération  de  pétrissage,  de  même,  disait  van  lîelmont, 
le  tube  intestinal  ne  se  vide  jamais  complètement,  et  le 
résidu  qu'il  conserve  après  chaque  digestion  devient  le 
levain  qui  servira  à  la  digestion  suivante. 

Les  premières  recherches  expérimentales  sur  la  di- 
gestion datent  de  la  fin  du  xvii^  siècle,  alors  que  l'Aca- 
démie de  Florence  retentit  d'une  célèbre  et  longue 
controverse  entre  Borelli  et  Valisnieri  (i).  Le  premier 
ne  voulait  voir  dans  la  digestion  qu'un  acte  purement 
mécanique,  un  travail  d'attrition  par  lequel  les  substances 
ingérées  étaient  finement  divisées  et  comme  pulvérisées; 
et  Borelli  invoquait,  à  l'appui  de  cette  opinion,  les  faits 
qu'il  avait  observés  relativement  à  l'estomac  (jabot)  des 
oiseaux  ;  on  sait  que  ce  réservoir  à  parois  musculaires 
très-épaisses  peut  exercer  sur  son  contenu  une  pression 
telle  qu'il  brise  les  corps  les  plus  résistants.  Identifiant 
l'estomac  de  l'homme  au  jabot  de  l'oiseau,  Borelli  était 
amené  à  attribuer  aux  parois  de  ce  viscère  une  force 
énorme,  évaluée  à  plus  de  mille  livres,  et  dont  la  mise 
en  jeu  constituait,  disait-il,  l'essence  même  des  phéno- 
mènes digestifs. —  Valisnieri,  au  contraire,  ayant  eu 
occasion  d'ouvrir  un  estomac  d'autruche,  y  avait  trouvé 
un  liquide  paraissant  agir  sur  les  corps  qui  y  étaient 
plongés;  ce  hquide,  disait-il,   est  l'agent  actif  de  la 

(1)  Aecademia  del  Ciinenlo.  —  Lag^ji  di  nalurali  eiperieme  fulle  nelTAc- 
cademia  del  Cimento.  I6G7. 


494  APPAREIL    DIGESTIF. 

digestion  ;  c'est  une  espèce  d'eau  forte  qui  dissout  les 
matières  alimentaires. 

Ces  deux  opinions  opposées,  résultant  bien  plus  d'ob- 
servations que  d'expériences  régulièrement  instituées, 
furent  le  point  de  départ  des  recherches  expérimen- 
tales entreprises  par  Réaumur  en  1752.  Pour  résoudre 
le  problème  posé  parBorelliet  Valisnieri,  Réaumur  fait 
avaler  a  des  oiseaux  des  matières  alimentaires  renfer- 
mées dans  des  tubes  creux  et  percés  à  jour,  de  telle 
sorte  que  ces  substances,  soustraites  à  l'action  mécani- 
que des  parois  de  l'estomac,  fussent  cependant  soumises 
encore  à  l'action  du  liquide  stomacal.  Les  premiers 
tubes  (verre,  fer-blanc,  etc.)  mis  en  usage  furent  broyés, 
plies,  aplatis  par  l'action  des  parois  du  jabot,  et  Réau- 
mur ne  parvint  à  opposer  à  cet  effort  mécaniiiue  une 
résistance  suffisante  qu'en  employant  des  tubes  deplomb 
assez  épais  pour  n'être  point  aplatis  par  un  poids  de 
484  livres  :  telle  était,  en  effet,  la  force  développée  par 
les  parois  contractiles  du  jabot  des  dindons,  canards  et 
coqs  mis  en  expériences.  Ces  tubes  de  plomb,  remplis 
des  graines  dont  ces  oiseaux  se  nourrissent,  et  bouchés 
seulement  d'un  grillage  permettant  la  pénétration  des 
sucs  stomacaux,  ces  tubes,  après  un  long  séjour  dans 
l'estomac,  renfermaient  encore  ces  graines  parfaitement 
intactes,  si  celles-ci  n'avaient  pas  été  préalablement 
broyées;  s'ils  avaient  été  remplis  de  viande,  celle-ci 
éiait  retrouvée  corrompue  mais  non  digérée.  Réau- 
mur fut  donc  amené  tout  d'abord  à  considérer  la  diges- 
tion, chez  les  gallinacés,  comme  une  pure  et  simple 
trituration.   Mais,  répétant   ces   expériences  sur   des 


ACTES    MÉCANIQUES    ET    CHIMIQUES.  495 

oiseaux  de  proie  (faucon,  buse,  etc.),  il  observa  cette 
fois  qu'ici  la  digestion  consiste  essentiellement  en  une 
dissolution,  sans  acte  mécani({ue  important,  et  qu'il  en 
est  de  même,  chez  tous  les  animaux  à  estomac  mem- 
braneux, pour  la  digestion  de  la  viande. 

Pour  se  procurer  le  liquide,  agent  de  celte  dissolu- 
tion, Réaumur  fit  avaler  à  ces  oiseaux  des  éponges 
retenues  par  un  fil;  retirant  ces  éponges  au  bout  d'un 
oertain  temps,  il  en  exprimait  le  liquide  dans  un  verre 
et  recherchait  l'action  de  ce  liquide  sur  la  viande.  Telles 
sont  les  premières  t.jntatives  de  digestions  artificielles 
in  vitro  ;  Réaumur  ne  poussa  pas  très-loin  ces  dernières 
investigations  et  n'en  obtint  pas  des  résultats  très-dé- 
cisifs; mais  il  n'en  doit  pas  moins  être  considéré  comme 
l'inventeur  des  digestions  artificielles. 

Les  expériences  de  Réaumur  furent  reprises  en  1777 
par  Spallanzoni,  qu'on  cite  généralement  comme  ayant 
le  premier  fait  entrer  l'étude  de  la  digestion  dans  la  voie 
expérimentale,  quoique  cette  gloire  appartienne  en 
réalité  à  Réaumur,  ainsi  que  nous  Tavons  dit. 

Spallanzani  se  refusant  à  croire  que  la  digestion 
chez  les  gallinacés  ne  fut  qu'un  simple  acte  d'altrition 
mécanique,  recommença  les  exj3ériences  de  Réaumur  sur 
ces  oiseaux;  et,  en  laissant  séjourner  plus  longtemps  dans 
leur  estomac  les  tubes  remplis  de  graines,  il  observa  que 
ces  graines  pouvaient  être  digérées  par  le  suc  de  l'esto- 
mac sans  subir  l'action  mécanique  des  parois  viscérales. 
Il  conclut  donc  en  disant  que  la  digestion  se  compose 
d'actes  mécaniques  et  d'actes  de  dissolution  chimique; 
(pie  ces  deux  ordres  d'actes  existent  également  chez  tous 


496  APPAREIL    DIGESTIF. 

les  oiseaux,  mais  peuvent,  selon  les  espèces,  être  plus  ou 
moins  intenses;  les  actes  mécaniques,  presque  nuls  chez 
les  oiseaux  de  proie,  acquièrent  une  grande  importance 
chez  les  galhnacés  ;  mais  on  ne  saurait  les  considérer 
comme  constituant  uniquement  la  digestion;  ils  sont 
nécessaires  et  presque  indispensables  pour  la  trituration 
des  graines,  et  cette  trituration  n'est  qu'un  acte  prépa- 
ratoire; un  sac  de  blé  moulu  n'est  pas  du  blé  digéré, 
mais  mieux  préparé  à  subir  l'action  des  liquides  digestifs. 

De  plus,  Spallanzoni  étendit  ses  expériences  à  un  plus 
grand  nombre  d'animaux  :  il  opéra  sur  des  gallinacés, 
des  corbeaux,  des  hérons,  des  poissons,  des  serpents, 
des  chats,  des  chiens.  Il  constata  que  dans  l'estomac 
d'un  animal  qu'on  vient  de  sacrifier,  les  actes  chimiques 
de  la  digestion  se  continuent  encore  après  la  mort,  et 
que  l'estomac  finit  par  se  digérer  lui-même,  c'est-à-dire 
que  les  liquides  digestifs  qu'il  renferme  en  attaquent  et 
en  ramollissent  les  parois,  si  le  cadavre  est  maintenu  à 
une  température  égale  à  celle  de  l'animal  vivant.  Cette 
digestion  artificielle,  en  dehors  de  tout  acte  vital,  Spal- 
lanzoni la  réalisa,  comme  Réaumur,  rn  vitro^  avec  les 
liquides  extraits  de  l'estomac  d'un  animal. 

Dès  ce  moment,  l'étude  expérimentale  avait  tranché 
la  question  théoriquement  débattue  par  Borelli  et 
Valisnieri:  la  digestion  ne  pouvait  plus  être  considérée 
que  comme  une  dissolution  des  aliments  par  le  liquide 
de  l'estomac,  par  le  suc  gasirique. 

Mais  il  restait  à  connaître  ce  suc  gastrique  et  à  déter- 
miner sa  nature  et  son  mode  d'action.  Les  opinions 
étaient  on   ne  peut  plus  contradictoires  à  ce  sujet. 


ACTES    MÉCANIQUES    ET    CHIMIQUES.  497 

Chaussier  et  Dumas,  de  Montpellier,  regardaient  le  suc 
gastrique  comme  de  composition  très-variable,  tantôt 
alcalin,  tantôt  acide,  selon  les  aliments  ingérés.  A  côté 
de  ces  opinions  entièrement  hypothétiques,  quelques  ré- 
sultats expérimentaux  avaient  conduit  à  des  conceptions 
tout  aussi  erronées,  faute  d'une  critique  expérimentale 
rigoureuse  :  c'est  ainsi  que  Montègre  niait  l'existence  du 
suc  gastrique  comme  liquide  particulier;  ce  qu'on  pre- 
nait, disait-il, 'pour  du  suc  gastrique,  n'était,  pour  Ini, 
que  de  la  salive  arrivée  dans  l'estomac  et  devenue  acide. 
Il  faisait,  pour  le  démontrer,  l'expérience  suivante  :  il 
mâchait  un  morceau  de  pain,  puis  le  déposait  sur  une 
assiette  ;  cette  bouillie  était  d'abord  alcaline,  puis,  au 
bout  de  quelque  temps,  elle  devenait  acide.  A  celte 
époque  (1813),  cette  expérience  était  en  effet  assez  em- 
barrassante pour  les  partisans  de  l'existence  d'un  su43 
gastrique  propre  ;  nous  n'avons  pas  aujourd'hui  besoin 
de  la  réfuter. 

Ces  quelques  exemples  suffisent  pour  montrer  com- 
bien les  physiologistes  étaient  peu  fixés  sur  la  nature  et 
sur  les  propriétés  du  suc  gastrique.  C'est  alors  (1823) 
que  l'Académie  eut  l'heureuse  initiative  de  proposer  la 
dif/estion  comme  question  de  prix.  Tiedemanu  etGmelin 
en  Allemagne,  Leuret  et  Lassaigne  en  France,  répon- 
dirent à  cet  appel  par  des  travaux  d'un  égal  mérite,  et 
l'Académie  partagea  le  prix  entre  eux.  Le  travail  de 
Tiedemann  etGmelin  nous  intéresse  plus  particulièremen  t 
par  le  grand  nombre  d'expériences  entreprises  par  ces 
auteurs,  et  desquelles  résultèrent  et  la  démonstration 
absolue  de  l'existence  du  suc  gastrique  et  l'étude  de  la 

CL.  BERNARD.  —  Plivsiol.  upér.  'M 


498  APPAREIL   DIGESTIF. 

transformation  de  la  fécule  en  glycose.  Ainsi  la  théorie 
de  la  digestion  entrait  dans  une  nouvelle  phase  ;  il  était 
reconnu  enlîn,  du  moins  pour  certaines  substances, 
qu'il  n'y  a  pas  simplement  dissolution,  mais  bien  trans- 
formation chimique. 

En  même  temps,  les  observations  que  W.  Beaumont 
fit  sur  un  chasseur  canadien  dont  l'estomac  était  resté 
ouvert  àla  suite  d'une  blessure  par  arme  à  feu,  cesobser- 
vations  venaient  confirmer  l'existence  du  suc  gastrique 
et  nous  éclairer  sur  sasécrétion,  sur  son  action.  Par  cette 
large  fistule,  qui  mettait  au  jour  la  surface  muqueuse  de 
l'estomac,  W.  Beaumont  put  voir  le  suc  gastrique,  sous 
l'influence  de  la  présence  des  aliments,  suinter  en  gout- 
telettes et  ruisseler  sur  la  surface  muqueuse,  comme  la 
sueur  suinte  et  ruisselle  sur  la  peau  ;  l'origine  du  suc 
gastrique  était  donc  évidente,  et  il  n'y  avait  plus  à  tenir 
compte  de  l'expérience  de  Montègre. 

Un  nouveau  et  important  progrès  fut  accompli  en 
1834  par  Éberle,  qui  s'occupa  surtout  des  digestions 
artificielles,  c'est-à-dire  des  digestions  effectuées  in  vitro 
avec  les  sucs  digestifs  empruntés  à  un  animal,  et  de  la 
fabrication  de  liquides  digestifs  artificiels.  Éberle  montra 
en  effet  qu'en  faisant  macérer  un  morceau  des  parois 
stomacales  on  obtient  un  liquide  qui  jouit  des  mêmes 
propriétés  que  le  suc  gastrique  :  le  principe  actif  est  donc 
formé  par  le  tissu  de  la  muqueuse  stomacale,  et  il  peut 
en  être  entraîné  par  macération.  Aujourd'hui  nous  ap- 
pliquons ce  procédé  de  préparation  de  liquides  digestifs 
artificiels  à  toutes  les  glandes  annexées  au  tube  digestii, 
et  nous  pouvons  ainsi  obtenir  chimiquement  purs  les 


SÉCRÉTIONS    DIGESTIVES.  499 

principes  actifs  de  la  salive,  du  suc  gastrique,  du  suc 
pancréatique;  c'était  donc  un  progrès  notable  que 
réalisait  Éberle  eu  montrant  la  possibilité  de  semblables 
opérations. 

D'autre  part,  le  fait  de  W.  Beaumont  et  de  son  Cana- 
dien devait  naturellement  faire  penser  à  réaliser  artifi- 
ciellement chez  les  animaux  des  fistules  donnant  un 
accès  plus  ou  moins  libre  dans  la  cavité  stomacale.  Blon- 
dlot,  de  Nancy,  en  184'^,  fit  des  expériences  dans  ce 
sens  avec  un  plein  succès,  et  depuis  celte  époque  les 
fistules  gastriques  chez  les  chiens  sont  devenues  unt* 
opération  classique  en  physiologie  expérimentale. 

C'est  vers  cette  époque  que  nous  entreprîmes  sur  la 
digestion  une  série  de  recherches,  publiées  ultérieure- 
ment dans  les  Leçons  du  Collège  de  France;  les  procédés 
opératoires  que  nous  avons  mis  en  usage,  que  nous 
avons  perfectionnés  depuis,  et  parmi  lesquels  nous 
choisirons  les  expériences  types,  seront  décrits  dans  les 
chapitres  suivants. 

Mais  nous  devons  d'abord  indiquer  dans  quel  esprit 
nous  ferons  ce  choix,  et  quels  sont,  parmi  les  appareils 
de  la  digestion,  ceux  dont  l'étude  a  le  plus  d'importance 
au  point  de  vue  de  la  physiologie  en  général.  Ces  appa- 
reils se  divisent  naturellement  en  deux  classes:  1"  Les 
uns  sont  des  appareils  mécaniques,  destinés  à  la  pré- 
hension, la  division,  la  trituration  des  aliments  et  à  leur 
cheminement  dans  le  tube  digestif.  Ces  appareils  sont 
très-variables  selon  l'espèce  animale  considérée,  selon 
que  l'animal  est  herbivore  ou  Carnivore,  en  un  mot 
selon  les  variétés  infinie  des  propriétés  physiques  des 


500  APPAREIL    DIGESTIF. 

aliments.  —  2°  Les  autres  sont  des  appareils  chimiques 
destinés  à  dissoudre  et  à  modifier  (transformer)  les  sub- 
stances alimentaires.  Or,  quelles  que  soient  leurs  variétés 
de  consistance,  de  forme,  de  propriétés  physiques  en  un 
mot,  ces  substances  sont  toujours  les  mêmes  au  point 
de  vue  chimique,  que  l'animal  soit  herbivore  ou  Carni- 
vore; aussi  les  appareils  chimiques  sont-ils  les  mêmes 
pour  tous  les  animaux,  ou  du  moins  trouvons-nous  les 
mêmes  glandes  annexées  à  l'appareil,  les  mêmes  liquides 
versés  dans  le  tube  digestif,  chez  l'homme,  chez  le  chien, 
chez  le  lapin,  chez  les  ruminants;  à  part  des  différences 
anatomiques  qui  rendent  souvent  difficile  d'établir  l'ho- 
mologie  des  organes  sécréteurs,  on  peut  dire  que  ces 
liquides  sont  les  mêmes  jusque  chez  les  insectes. 

C'est]  en  vue  de  ces  actes  chimiques,  actes  les  plus 
généraux  et  les  plus  essentiels,  que  nous  nous  efforce- 
rons d'établir  les  procédés  opératoires  les  plus  propres 
à  nous  permettre  d'isoler  les  liquides  digestifs  et  d'en 
étudier  l'action  sur  les  substances  alimentaires. 

Nous  commencerons  donc  celte  nouvelle  série  de  nos 
études  de  technique  expérimentales  par  l'examen  suc- 
cessif.des  liquides  du  tube  digestif,  à  savoir,  de  la  salive, 
de  la  bile,  du  suc  gastrique  et  de  toutes  les  sécrétions 
du  tube  intestinal.  Pour  se  rendre  un  compte  exact  de 
leurs  propriétés,  il  est  indispensable  de  les  obtenir  tous 
à  l'étal  de  pureté  parfaite;  nous  nous  efforcerons  donc, 
par-dessus  tout,  de  décrire,  avec  le  soin  le  plus  scru- 
puleux, les  procédés  opératoires  qui  nous  permettent 
d'atteindre  ce  résultat. 


ÉTUDE   DE   LA   SALIVE.  501 

La  salive  est,  de  tous  ces  liquides,  celui  que  nous  nous 
proposons  d'examiner  d'abord.  A  première  vue,  rien  ne 
paraît  plus  facile  que  d'en  obtenir  de  grandes  quan- 
tités par  simple  expiation.  Mais  la  salive  obtenue  par 
ce  moyen  est  un  liquide  complexe,  provenant  d'un 
grand  nombre  de  sources  diiférentes.  Aussi ,  pour 
prendre  une  connaissance  complète  de  ses  propriétés  et 
de  ses  origines,  faut-il  examiner  successivement  chacune 
des  glandes  salivaires. 

De  Graaf,  qui,  de  tous  les  physiologistes  du  dix- 
septième  siècle,  paraît  avoir  pratiqué  le  plus  grand 
nombre  de  vivisections,  a  publié  un  ouvrage,  renfermant 
plusieurs  planches  (1),  dans  lequel  il  rapporte  les 
expériences  entreprises  par  lui  pour  obtenir  du  suc  pan- 
créatique. Sur  l'une  de  ces  planches  représentant  un 
chien  en  expérience,  on  voit  un  tube  introduit  dans  le 
canal  de  Sténou  et  en  rapport  avec  un  petit  réservoir 
en  verre.  Il  semble  d'après  cela  que  cet  auteur  avait 
cherché  à  obtenir  de  la  salive  parotidienne  pure,  bien 
que  cette  expérience  ne  soit  pas  mentionnée  dans  le 
texte. 

En  1784,  H.  de  Lachenay,  professeur  à  l'École  vété- 
rinaire de  Paris  (actuellement  l'École  d'Alfort),  décou- 
vrit le  conduit  parotidien  chez  le  cheval  et  l'ouvrit 
pour  recueillir  le  hquide  sécrété  par  la  glande.  Il  éta- 
blit facilement  toutes  ses  propriétés,  et  trouva  qu'elles 
différaient  entièrement  de  celles  du  liquide  complexe 
qui  s'échappe  de  la  bouche  de  l'animal.  Depuis  cette 

(1)   Voy.   ci-dessus,  p.  59,  le  Frontispice  du  livre   de  Régnier  ile  Graal' 
(fig.  1). 


502  APPPAREIL   DIGESTIF. 

époque,  on  a  observé  dans  la  pratique  plusieurs  cas  qui 
ont  permis  aux  médecins  de  recueillir  la  salive  paro- 
tidienne  pure  chez  l'homme.  Or,  on  a  admis  universel- 
lement qu'il  existait  deux  variétés  de  salive  :  l'une  pro- 
duite par  la  parotide,  et  qu'on  supposait  être  la  salive 
pure;  l'autre,  constituée  par  le  liquide  complexe  obtenu 
par  l'expuilion.  Cette  distinction  a  été  reconnue  par  Tie- 
demann  et  Gmelin,  et  l'on  a  cru  longtemps  que  toutes 
les  autres  glandes  salivaires  sécrétaient  un  liquide  iden- 
tique à  celui  de  la  parotide.  Ce  n'est  qu'en  1847  que 
je  pus,  par  des  expériences  directes,  me  convaincre  que 
la  sécrétion  de  la  glande  sous-maxillaire  était  totale- 
ment différente  ;  depuis  cette  époque,  des  expériences 
variées  ont  mis  en  lumière  les  différentes  propriétés  de 
chaque  espèce  de  salive.  Nous  avons  actuellement 
recours,  à  propos  de  chaque  glande,  à  un  procédé 
opératoire  spécial,  dans  le  but  de  recueillir  les  produits 
de  sa  sécrétion. 

Quant  à  la  salive  complexe,  dont  les  caractères  ont 
également  la  plus  haute  importance  pour  le  physiolo- 
giste, on  l'obtient  facilement  par  expuition.  Mais  il  faut 
que  l'observateur  se  soit  soumis  au  jeûne  depuis  un  cer- 
tain temps.  Magendieet  Rayer  en  ont  recueilli  de  grandes 
quantités  chez  le  cheval,  en  faisant  mâcher  à  l'animal 
du  sou  préalablement  plongé  dans  l'eau  bouillante 
afin  de  le  débarrasser  de  toutes  ses  parties  solubles. 

La  sahve  humaine  a  été,  bien  entendu,  le  principal 
objet  de  nos  recherches  ;  nous  avons  examiné  ensuite 
celle  du  chien,  du  cheval,  du  mouton,  du  bœuf,  du 
lapin  et  de  presque  tous  les  animaux  domestiques. 


ÉTUDE    DE    LA    SALIVE.  503 

Nous  nous  contenterons  de  faire  devant  vous  l'expé- 
rience sur  un  Carnivore  et  sur  un  herbivore,  afin  de 
vous  convaincre  de  l'énorme  différence  qui  existe  entre 
les  salives  des  diverses  espèces.  Mais  nous  ne  nous  bor- 
nerons pas  à  étudier  les  propriétés  chimiques  de  ce 
liquide,  et  nous  déroulerons  complètement  devant  vous 
toute  l'histoire  expérimentale  de  sa  sécrétion.  Quels 
sont  les  agents  qui  provoquent  sa  production?  Quelles 
sont  les  substances  éliminées  par  les  glandes  salivaires? 
Quelles  sont  celles  qu'elles  absorbent  par  leur  surface 
interne?  Telles  sont  quelques-unes  des  questions  que 
nous  avons  l'intention  de  traiter. 


YINGT-DEUXIÊME  LEÇON 


Sommaire  :  Propriétés  de  la  salive  parotidienne.  —  Comment  il  faut  s'y 
prendre  pour  introduire  des  tubes  dans  le  conduit  parotidien.  —  Disposi- 
tion anatomique  des  parties  chez  le  cheval  et  le  chien.  —  Propriétés  des 
salives  ainsi  obtenues.  —  Elles  diffèrent  avec  les  diverses  espèces  et  quel- 
quefois chez  divers  individus  de  la  même  espèce. —  Explication  de  cette 
contradiction  apparente.  —  Caractère  intermittent  de  la  sécrétion.  —  Des 
différentes  manières  de  l'exciter.  —  L'afrmilc  élective  des  glandes  sali- 
vaires  démontrée  par  différentes  expériences.  —  Toutes  les  substances 
peuvent  passer  dans  la  salive  lorsqu'elles  ont  été  introduites  en  suffisante 
quantité  dans  le  sang.  —  Du  pouvoir  absorbant  de  la  surface  interne  des 
glandes.  —  Sa  disparition  pendant  le  cours  de  la  sécrétion. 


Messieurs, 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  dans  la  dernière  leçon,  les 
glandes  salivaires  sont  le  premier  objet  sur  lequel  nous 
allons  attirer  votre  attention  en  commençant  la  partie 
expérimentale  de  ce  cours  relative  à  l'appareil  digestif. 

La  salive  est  sécrétée  par  trois  glandes  principales, 
dont  les  fonctions  réclament  une  étude  spéciale  dans 
chaque  cas  particulier.  Chacune  d'elles,  en  effet,  a  son 
usage  propre  et,  lorsque  son  action  vient  à  être  inter- 
rompue, elle  ne  peut  être  suppléée  par  les  autres. 

Comme  pour  chaque  glande  une  opération  chirur- 
gicale spéciale  est  nécessaire  à  l'effet  d'obtenir  à  l'état 
de  pureté  parfaite  le  liquide  qu'elle  produit,  il  est  selon 
moi  indispensable  que  je  vous  expose  les  notions  anato- 


FISTULES   SALIVA  IRES.  505 

miques  précises,  qui  vous  permettront  de  répéter  vous- 
mêmes  l'expérieuce. 

Chez  le  cheval,  la  glande  parotide  est  située  en  partie 
au-dessous,  en  partie  en  avant  de  l'oreille  externe 
(voy.  fig.  108  :  les  contours  de  la  glande  sont  indiqués 
par  une  ligne  poinlillée).  Les  nombreux  conduits  qui 
émanent  de  ses  lobules  s'anastomosent  successivement 
entre  eux,  de  manière  à  constituer  un  tronc  considé- 
rable, lequel,  après  s'être  dirigé  pendant  un  certain 
temps  en  bas,  se  relève  de  nouveau  vers  la  bouche  et 


Fig.  108.  —  Cannl  excréteur  do  la  parotide  cliez  le  cheval  ;  fr,ijet  de  ce  canal  ; 
ses  rapports  avec  les  nerfs  et  vaisseaux  faciaux. 


pénètre  dans  la  cavité  buccale  au  niveau  de  la  deuxième 
molaire.  Il  décrit  ainsi  une  courbe  (fig.  108)  dont  la 
concavité  ombrasse  la  branche  montante  de  la  mâchoire 
inférieure.  Lorsqu'on  ouvre  ce  tronc,  il  faut  avoir  bien 
soin  d'éviter  les  vaisseaux  et  nerf  faciaux  qui  le  croisent. 


506 


APPAREIL    DIGESTIF. 


Pour  ne  pas  léser  ces  organes  importants,  il  faut  se 
guider  pendant  l'opération  sur  le 
bord  antérieur  du  masséter.  Faites 


O 


6 

O 


l'incision  le  long  de  son  tiers  infé- 
rieur, et  vous  arriverez  immédia- 
tement sur  le  conduit  parotidien, 
précisément  au  point  oii  il  change 
de  direction  pour  se  porter  vers  la 
bouche  (fig.  i08).  On  peut  impu- 
nément le  diviser  en  ce  point, 
pour  y  introduire  un  petit  tube. 
Celui  dont  nous  allons  nous  servir 
ici  est  en  argent  et  renferme  un 
stylet  (fig.  109),  qui  sert  à  le  net- 
toyer lorsqu'il  vient  à  s'obstruer, 
et  qui  rend  son  introduction  plus 
facile.  Le  conduit  excréteur  est 
ensuite  lié  sur  le  tube,  immédia- 
tement au-dessus  du  point  où  il 
a  été  introduit. 

Nous  pratiquons  ici  l'expérience 
sur  un  animal  vivant.  Vous  voyez 
qu'il  ne  s'échappe  pas  une  seule 
sjoutte  de  salive  au  moment  où  le 
tube  est  introduit  dans  le  canal  de 
Slénon . 
Le  même  procédé  est  applicable 
à  la  plupart  des  herbivores.  Chez  le  lapin  cependant 
les  parties  sont  disposées  tout  différemment  ;  mais 
le  canal  de  Sténon  présente  les  mêmes  rapports  que 


Fig.  109.  —  Sondes  avec  sly- 
let  central  (mandrin)  pour 
les  fistules  salivaires. 

Ces  sondes  (A,  B,  C)  sont  de 
divers  calibres,  pour  servir 
aux  divers  animaux  (chien, 
cheval,  etc.)  et  aux  diverses 
glandes  ;  les  petits  cercles 
a, 6,  c  représentent  la  coupe 
(le  calibre)  de  ces  glandes 
ou  canules. 


FISTULES    SALIVÀIRES.  507 

chez   le  chien.  Il  faut  donc  opérer  comme  chez  ce 
dernier. 

Le  canal  parotidien  du  chien  traverse  les  fibres  mus- 
culaires du  masséter  et,  suivant  un  trajet  direct,  vient 


FiG.  HO.  —  Canal  parotidien  du  chien  ;  ses  rapports  avec  l'artère   faciale 
et  lo   nerf  facial. 

s'ouvrir  dans  la  bouche  au  niveau  de  la  deuxième 
molaire.  Pour  faire  la  même  opération  que  tout  à 
l'heure,  il  faut  sentir  le  bord  inférieur  de  l'arcade  zygo- 
matique  et  le  suivre  de  son  extrémité  postérieure  à  son 
extrémité  antérieure.  On  découvrira  ainsi  une  petite 
dépression  qui  correspond  au  point  où  le  conduit  pénètre 
dans  la  bouche.  Faites  une  incision  transversale  en  ce 
point,  et  vous  le  trouverez  facilement;  mais  auparavant 
il  faut  disséquer  avec  soin  les  vaisseaux  et  nerf  faciaux 
qui  passent  en  avant,  et  les  écarter  ensuite  avec  une 
sonde  courbe.  Le  conduit  apparaît  immédiatement 
au-dessous  :  il  ne  reste  plus  qu'à  l'ouvrir  et  à  y  plonger 
un  tube. 


508  APPAREIL    DIGESTIF. 

Nous  pratiquons  ici  l'expérience  sur  un  chien  de 
moyenne  taille.  Au  moment  oii  le  conduit  est  ouvert, 
l'animal  pousse  quelques  cris  plaintifs.  Cela  prouve  que 
le  conduit  paroticlien  est  quelquefois  doué  de  sensibilité, 
bien  que  le  contraire  ait  lieu  le  plus  souvent. 

Vous  voyez,  Messieurs,  qu'il  ne  sort  pas  en  ce  moment 
une  seule  goutte  de  salive  du  tube;  c'est  qu'en  effet  ce 
liquide  n'est  généralement  sécrété  que  pendant  la  mas- 
tication et  la  déglutition,  ou  bien  sous  l'impression  d'une 
vive  douleur  ou  d'une  saveur  énergique.  Vous  savez 
parfaitement  que  certaines  influences  morales  peuvent 
aussi  exciter  cette  sécrétion;  le  fait  est  bien  établi  pour 
l'homme  et  peut  être  également  vérifié  chez  les  ani- 
maux inférieurs.  Le  cheval  sur  lequel  je  viens  d'opérer 
devant  vous  n'a  pas  mangé  depuis  plusieurs  heures. 
La  simple  vue  des  aliments  va  provoquer  immédiate- 
ment une  abondante  sécrétion.  Nous  faisons  apporter 
une  botte  de  foin  :  l'animal  témoigne  une  grande  exci- 
tation, et  un  jet  de  salive  s'écoule  du  tube. 

Les  acides  toutefois  sont,  de  tous  les  agents,  les  plus 
puissants  à  exciter  les  glandes  salivaires.  Berzelius  avait 
déjà  remarqué,  il  y  a  quelques  années,  que  les  sécrétions 
alcalines  étaient  excitées  par  les  substances  acides,  et 
vice  versa;  or,  la  salive  étant  une  sécrétion  alcaline 
peut  être  produite  par  l'action  des  acides  sur  les  nerfs 
gustatifs,  taudis  que  les  alcalins  demeurent  relativement 
sans  action  sur  elle. 

Nous  pratiquons  l'expérience  sur  un  chien,  dans  le 
conduit  parotidien  duquel  on  a  préalablement  introduit 
un  tube.  Ou  verse  quelques  gouttes  de  vinaigre  dans  la 


FISTLLES    SALIVAIRES.  509 

bouche  de  l'animal,  et  l'on  voit  aussitôt  la  salive  s'écouler 
goutte  à  goutte  par  le  tube.  On  remplace  ensuite  le 
vinaigre  par  une  solution  alcaline,  et  l'on  n'obtient 
aucun  résultat  appréciable. 

Examinons  maintenant  la  salive  que  nous  avons 
recueillie  chez  ces  deux  animaux.  Chez  le  chien,  comme 
vous  le  voyez,  c'est  un  liquide  limpide,  incolore,  d'une 
réaction  fortement  alcaline. 

Mais  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi.  Nous  trouvons,  en 
effet,  dans  le  grand  ouvrage  de  Tiedemann  et  Gmelin, 
sur  les  liquides  digestifs,  qu'après  avoir  divisé  le  conduit 
parotidien  d'un  chien  et  avoir  plongé  son  extrémité 
dans  un  petit  flacon  de  verre,  ils  ont  recueilli  dix 
grammes  d'un  liquide  visqueux,  ressemblant  beaucoup  à 
première  vue  à  l'albumine.  Telles  seraient,  suivant  ces 
observateurs,  les  propriétés  caractéristiques  de  la  sécré- 
tion parotidienne.  Leur  conclusion ,  vous  le  voyez, 
diffère  absolument  de  celle  à  laquelle  nous  venons  d'ar- 
river, et  si  vous  répétiez  l'expérience  sur  dix  ou  douze 
animaux,  vous  auriez  probablement  une  ou  deux  fois 
le  même  résultat. 

Comment  expliquer  cette  contradiction  apparente? 
La  raison  en  est  dans  une  disposition  anatomique  spé- 
ciale. Il  arrive  quelquefois  qu'avant  de  s'ouvrir  dans  la 
bouche,  le  canal  de  Sténon  reçoit  l'anastomose  des 
canaux  excréteurs  de  deux  ou  trois  petites  glandes  mu- 
cipares  {a!,  fig.  111),  qui  mélangent  ainsi  leur  propre 
sécrétion  au  liquide  parotidien.  Rien  n'est  plus  facile 
à  démontrer  que  cela.  Il  suffit ,  chez  les  animaux 
qui  présentent  cette  conformation,  d'ouvrir  le  canal 


510  APPAREIL    DIGESTIF. 

au-dessus  du  point  où  il  est  rejoint  par  ces  conduits 
accessoires,  et  vous  obtiendrez  la  sécrétion  normale 
et  pure  de  la  glande,  telle  que  nous  venons  de  vous  la 


P'iG.  111.  —  Glande  parotidicnno  (a,  a)  du  chion,  cl  glandes  Hiucip;ires  {a',  a") 
qui  s'abouchent  parfois  dans  le  canal  parotidicn  (6,  b). 

montrer.  Cette  disposition  anatomique,  qui  est  excep- 
tionnelle chez  le  chien,  est  au  contraire  normale  chez 
l'homme. 

Notre  salive  parotidienne ,  au  moment  qu'elle  se 
déverse  dans  la  bouche,  jouit  donc  toujours  d'un  cer- 
tain degré  de  viscosité.  De  tous  les  animaux,  c'est  le 
chien  qui,  sous  ce  rapport,  se  rapproche  le  plus  de 
notre  propre  organisation. 

Quant  à  la  salive  recueillie  chez  le  cheval,  vous  voyez 
qu'elle  offre  au  contraire  une  apparence  visqueuse; 
comme  celle  du  chien,  elle  a  une  réaction  fortement 
alcaline;  mais  la  chaleur  et  l'acide  nitrique  en  préci- 
pitent une  substance  albumineuse,  laquelle  paraît  spé- 
ciale à  la  race  chevaline,  bien  que  sa  composition  chi- 
mique n'ait  pas  encore  été  exactement  reconnue. 


i 


FISTULES   SALIVAIRES.  5i'] 

Examinons  maintenant  quelques-uns  des  caractères 
les  plus  importants  de  la  sécrétion  en  elle-même,  en 
dehors  de  la  nature  du  liquide  sécrété. 

Lorsqu'on  a  introduit  un  tube  dans  le  conduit  paro- 
tidien  sur  un  animal  vivant  (fig.  112  et  113)  ,  on 
constate  facilement  que  la  salive  ne  s'écoule  que  par 


j,.. 


Fig.  112.  —  Fistule  parolidienne  chez  le  cheval,  avec  canule  et  petit  sac 
pour  recueillir  la  .salive. 

a,  canal  de  Sténon  dans  lequel  est  engagé  le  tube  e  ;  6,  branche  du  nerf  facial  ;  c,  artère 
faciale;  f,  g,  h,  détails  du  robinet  et  de  l'ajutage  du  petit  sac  qui  reçoit  la  salive  du 
tube  e. 


intervalles.  Chez  le  cheval,  qui  en  émet  des  quantités 
prodigieuses  pendant  la  mastication,  la  sécrétion  cesse 
brusquement  de  temps 
à  autre ,  et  cela  alors 
même  que  la  mastica- 
tion continue.  La  raison 
de  ce  singulier  phéno- 
mène est  longtemps  de- 
meurée incertaine:  nous  ^' 

savons    maintenant    que      l'icl  13. -Fistu:eparotidienne  chez  le  chien. 
,         -  1         A  (Lettres  comme  dans  la  figure  112.) 

la  glande  placée  du  cote 

de  la  bouche  où  a  lieu  la  mastication  suffit  presque 


5i2  APPAREIL    DIGESTIF. 

entièrement  à  l'insalivalion  des  aliments;  quand  donc, 
ainsi  que  cela  a  été  pratiqué  sur  l'animal  que  vous  avez 
sous  les  yeux,  on  a  placé  un  tube  dans  les  deux  con- 
duits, il  est  clair  que,  pendant  la  mastication,  les  deux 
parotides  entrent  alternativement  en  action  ;  pendant 
que  l'une  sécrète,  l'autre  est  au  repos.  Le  cheval  sur 
lequel  nous  avons  opéré  est  en  train  en  ce  moment  de 
satisfaire  sa  faim;  et  vous  voyez  que  la  salive,  bien 
qu'abondante,  ne  s'écoule  que  d'un  seul  côté  à  la  fois. 
A  l'état  normal,  la  composition  chimique  de  la  salive, 
pour  une  même  glande,  demeure  invariablement  la 
même  :  elle  peut  cependant  renfermer  accidentellement 
des  substances  étrangères,  Nous  saisissons  avec  empres- 
sement cette  occasion  de  vous  montrer,  dans  tout  son 
jour,  l'action  élective  des  glandes  :  la  sécrétion  que  nous 
étudions  en  ce  moment  offre  un  exemple  remarquable 
de  cette  singulière  propriété.  Parmi  les  difîérentes 
substances  introduites  dans  le  sang,  nous  en  trouvons 
qui  passent  presque  instantanément  dans  la  salive; 
l'iode  et  ses  divers  composés  jouissent  de  cette  propriété. 
D'autres  substances  n'y  pénètrent  qu'avec  la  plus  grande 
difTiculté  :  les  sels  de  fer  appartiennent  pour  la  plupart 
à  cette  dernière  classe.  Une  expérience  directe  va  vous 
permettre  d'en  juger  par  vous-mêmes.  Nous  ouvrons  la 
veine  crurale  d'un  chien  et  nous  introduisons  dans  le 
vaisseau  l'extrémité  d'une  petite  seringue.  Par  cette 
seringue,  nous  injectons  une  certaine  quantité  (cinq 
centimètres  cubes)  d'une  solution  au  centième  de  prus- 
siate  jaune  de  potasse,  en  môme  temps  qu'une  quan- 
tité égale  d'une  solution  semblable  d'iodure  de  po- 


GLANDES   SALIVAIRES.  513 

tassium;  cette  dernière  substance  apparaît  presque 
instantanément  dans  la  salive  de  l'animal,  alors  qu'aucun 
des  réactifs  habituels  ne  décèle  la  plus  petite  trace  de 
ferrocyanure.  Dans  l'urine  au  contraire,  nous  allons  le 
trouver  en  quantité  considérable;  ce  qui  démontre  sur- 
abondamment la  pénétration  de  cette  substance  dans 
l'économie,  bien  que  les  glandes  salivaires  se  refusent  à 
l'éliminer. 

Il  est  nécessaire,  avant  d'employer  les  réactifs  habi- 
tuels, de  neutraliser,  par  l'addition  de  quelques  gouttes 
d'acide  acétique,  la  réaction  alcaline  normale  de  la 
salive;  autrement,  les  résultats  pourraient  être  em- 
pêchés. 

Vous  voyez  donc,  messieurs,  que  l'iode  et  ses  com- 
posés passent  rapidement  dans  la  salive,  tandis  que  les 
principaux  sels  de  fer  ne  s'y  retrouvent  pas  dans  les 
circonstances  ordinaires.  Nous  possédons  pourtant  divers 
moyens  de  triompher,  pour  ainsi  dire,  de  cette  résistance 
des  glandes  salivaires.  Tout  d'abord,  si  nous  combinons 
une  de  ces  substances  réfractaires  avec  une  autre  qui 
jouit  de  la  propriété  de  passer  dans  la  salive,  la  diffi- 
culté est  vaincue  :  l'iodure  de  fer,  par  exemple,  se 
retrouve  rapidement  dans  la  sahve  à  cause  de  l'iode 
qu'il  renferme. 

En  second  lieu,  si  nous  avons  recours  à  une  injection 
directe,  les  glandes  salivaires  pourront  être,  pour  ainsi 
dire,  forcées  d'éliminer  la  substance  étrangère.  Nous 
pouvons,  par  exemple,  introduire  de  grandes  quantités 
de  prussiate  de  potasse  dans  les  veines  d'un  animal, 
sans  que  les  réactifs  les  plus  sensibles  nous  montrent 

et.  BERNARD.  —  Phvsiol.  opér.  33 


514  APPAREIL    DIGESTIF. 

le  moindre  vestige  de  sa  présence  dans  la  salive.  Mais 
si,  au  moyen  d'une  injection  dans  la  carotide  primitive, 
nous  créons  une  sorte  de  plétliore  locale  dans  l'atmos- 
phère des  glandes  salivaires,  nous  parvenons  au  résultat 
désiré,  ce  qui,  dans  d'autres  circonstances,  ne  serait 
jamais  arrivé. 

Il  reste  donc  établi  que  ce  qu'on  a  appelé  Yaffinité 
des  glandes  pour  certains  corps  exprime  seulement  la 
facilité  plus  grande  avec  laquelle  ces  corps  pénètrent 
dans  le  liquide  sécrété.  Toutes  les  substances  peuvent 
passer  par  les  sécrétions,  à  la  condition  qu'elles  aient  été 
introduites  en  quantité  suffisante  dans  le  sang  qui  four- 
nit les  éléments  de  ces  diverses  sécrétions. 

L'affinité  des  glandes  salivaires  en  particulier  est 
toutefois  le  point  de  départ  d'un  grand  nombre  de  phé- 
nomènes singuliers.  Si  l'on  administre,  par  exemple,  de 
l'iodure  de  potassium  à  un  chien,  on  en  retrouvera  des 
traces  dans  la  salive  pendant  des  semaines  entières. 
L'iode  se  meut  ici  en  effet  comme  dans  un  cercle  : 
il  passe  dans  la  salive  en  vertu  de  l'affinité  élective 
des  glandes;  mais  l'animal,  continuant  à  avaler  sa 
salive  imprégnée  qu'elle  est  de  ce  corps,  en  absorbe 
de  nouvelles  quantités.  Cela  pourrait  durer  indéfini- 
ment; mais  qu'on  purge  fortement  l'animal,  et  alors 
l'iode  sera  évacué  en  bloc  par  l'intestin  et  disparaîtra 
de  la  salive. 

Il  nous  reste  maintenant  à  faire  l'expérience  inverse. 
La  surface  interne  des  glandes  est  douée  d'un  pouvoir 
absorbant  considérable,  à  la  condition  que  les  substances 
injectées  dans  leur  cavité  appartiennent  à  une  classe  de 


GLANDES   SALIVAIRES.  515 

corps  pour  lesquels  elles  ont  une  certaine  affinité  élec- 
tive. Mais  quand  la  sécrétion  est  en  pleine  activité, 
l'absorption  est  presque  entièrement  suspendue.  Si,  par 
exemple,  ainsi  que  nous  vous  l'avons  déjà  dit,  on  injecte 
une  forte  solution  de  strychnine  dans  le  canal  parotidien 
d'un  chien,  l'animal  est  empoisonné  presque  instanta- 
nément quand  la  glande  est  au  repos  :  mais  si  la  sécré- 
tion a  été  préalablement  mise  en  jeu,  le  chien  résiste 
pendant  assez  longtemps. 

Pour  vous  convaincre  de  la  rapidité  avec  laquelle 
l'absorption  a  lieu  dans  les  glandes,  nous  allons  injecter 
dans  le  conduit  parotidien  du  cheval  qui  vient  de  nous 
servir  dans  l'expérience  précédente,  une  solution  au 
centième  d'iodure  de  potassium.  Nous  pratiquerons  la 
ligature  du  conduit  au-dessus  de  la  canule,  et  nous 
découvrirons  presque  immédiatement  l'iode  dans  la  sé- 
crétion de  la  parotide  du  côté  opposé.  Cela  prouve 
qu'après  avoir  traversé  toute  l'étendue  du  système  cir- 
culatoire, la  substance  injectée  a  été  éliminée  de  nou- 
veau par  les  glandes  dans  un  espace  de  temps  incroya- 
blement court. 

Nous  venons  de  foire  cette  injection;  nous  recueillons 
une  série  d'échantillons  de  salive  de  la  glande  opposée  : 
vous  voyez  que  la  réaction  de  l'iode  apparaît  bien  nette- 
ment quelques  secondes  après  l'injection. 

Vous  voyez  cependant  que,  bien  que  rapide,  l'élimi- 
nation n'a  pas  été  absolument  instantanée.  Cela  tient  à 
ce  que  chez  le  cheval  la  circulation  est  particulièrement 
lente.  En  injectant  du  prussiate  de  potasse  dans  la  veine 
jugulaire,  et  en  examinant  du  sang  tiré  d'un  autre  point, 


516  APPAREIL    DIGESTIF. 

Hering  a  démontré  que  chez  cet  animal  le  sang  n'ac- 
complit'pas  son  circuit  complet  en  moins  de  vingt-cinq 
secondes.  Cela  nous  rend  suffisamment  compte  de  la 
lenteur  relative  de  l'élimination.  Chez  le  chien,  les  résul- 
tats s'obtiendraient  beaucoup  plus  rapidement. 

Il  nous  reste  maintenant  à  examiner  la  part  qui  revient 
au  système  nerveux  dans  le  mécanisme  de  la  sécrétion 
parotidienne  :  tel  sera  le  principal  objet  de  notre  pro- 
chaine leçon  de  physiologie  opératoire. 


VLXGT-TROISIÈME  LECOX 


Sommaire  :  Influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion  parotidienne.  — 
Les  glandes  sont  pour\-ues  de  trois  ordres  distincts  de  nerfs  :  moteurs, 
sensitifs  et  ganglionnaires.  —  Différence  entre  les  glandes  sous-maxillafrc 
et  parotide,  au  point  de  vue  de  l'influence  ganglionnaire.  —  De  la  galva- 
nisation du  grand  sympathique  pendant  la  mastication.  —  Ses  résultats. 
—  L'innervation  des  glandes  parotides  a  évidemment  sa  source  dans  les 
nerfs  moteurs.  —  Influence  de  la  septième  paire  sur  la  sécrétion  paroti- 
dienne. —  Résultats  de  la  section  du  nerf  facial  :  1'^  au-dessous  du  trou 
stylo-mastoïdien  ;  2°  dans  l'intérieur  du  rocher.  —  On  a  supposé  que  c'é- 
tait du  petit  pétreux  qu'émanait  le  nerf  moteur  de  la  parotide.  —  Décou- 
verte de  ce  nerf.  —  Description  de  l'expérience  par  laquelle  on  est  arrivé 
à  ce  résultat.  —  Le  nerf  moteur  de  la  parotide  est  une  branche  de  lauri- 
culo-temporal.  —  11  accompagne  la  maxillaire  interne.  —  11  semble  èlre  le 
congénère  de  la  corde  du  tympan.  —  Différence  entre  l'action  du  système 
ganglionnaire  sur  les  glandes  et  celle  qu'exercent  les  nerfs  moteurs.  — 
Explication  des  raisons  pour  lesquelles  le  grand  sympathique  n'exerce 
aucune  action  sur  les  parotides. 


Messieurs, 

Les  principales  questions  qui  se  rattachent  à  l'histoire 
de  la  sécrétion  parotidienne  ayant  été,  au  point  de  vue 
opératoire,  à  peu  près  entièrement  discutées  dans  nos 
précédentes  leçons,  il  nous  reste  maintenant  à  recher- 
cher la  part  qui  revient  au  système  nerveux  dans  cet 
acte  physiologique. 

Cest  un  fait  bien  connu  que  toutes  les  glandes  dépen- 
dent du  système  nerveux  pour  l'accomplissement  de  leurs 
fonctions,  et  que  Tinipulsion  émanée  des  grands  centres 
nerveux  est,  dans  tous  les  cas,  le  premier  facteur  de  la 


518  APPAREIL   DIGESTIF. 

sécrétion.  Sans  faire  allusion  pour  le  moment  à  d'autres 
sécrétions,  n'avez-vous  pas  eu  sous  les  yeux  une  démon- 
stration expérimentale  de  ce  grand  principe,  du  moins 
en  ce  qui  louche  les  glandes  salivaires?  N'avons-nous 
pas  vu  les  impressions  variées  produites  sur  les  organes 
du  goût,  l'action  des  acides,  et  même  la  simple  excita- 
tion résultant  de  l'aspect  des  aliments,  provoquer  in- 
stantanément l'apparition  d'un  flot  abondant  de  salive? 
Vous  avez  assisté  déjà  plus  d'une  fois  à  ces  expériences: 
aussi,  considérant  le  fait  comme  pleinement  établi, 
allons-nous  essayer  de  l'expliquer. 

Toutes  les  glandes  sont  invariablement  pourvues  de 
trois  ordres  distincts  de  nerfs:  moteurs,  sensitifs  et  gan- 
glionnaires. Or,  il  est  impossible  de  supposer  que  la 
sécrétion  puisse  ôlre  le  résultat  de  l'action  des  nerfs 
sensitifs  ;  c'est  donc  dans  les  deux  autres  classes  de 
nerfs  qu'il  nous  faut  chercher  Tinterprétation  de  son 
mécanisme. 

Dans  les  glandes  sous-maxillaires,  le  système  ganglion- 
naire exerce  une  influence  indéniable  sur  la  sécrétion 
salivaire.  En  ce  qui  concerne  la  parotide,  c'est  l'inverse 
qui  paraît  avoir  lieu.  Lorsqu'on  galvanise  ou  qu'on 
excite,  par  un  moyen  quelconque,  les  ramifications  du 
sympathique  qui  s'étendent  à  celte  dernière  glande,  loin 
d'être  augmentée,  la  sécrétion  est  presque  constamment 
diminuée.  Afin  de  vous  en  convaincre,  nous  allons  pra- 
tiquer devant  vous  une  expérience  toute  nouvelle  ;  vous 
serez  dès  lors  à  même  de  juger  par  vous-mêmes.  Après 
avoir  coupé  le  sympathique,  nous  galvaniserons  le  bout 
qui  reste  en  rapport  avec  la  glande,  et  cela  pendant  que 


INNERVATION   DE   LA    PAROTIDE.  519 

l'animal  sera  en  train  de  mâcher  des  alimenls.  Vous 
verrez  alors  que,  loin  de  communiquer  une  nouvelle  im- 
pulsion à  l'action  physiologique  de  la  glande,  l'excitation 
du  système  ganglionnaire  vient  au  contraire  l'entraver. 

Voici  un  cheval  chez  lequel  on  a  ouvert  des  deux  côtés 
le  canal  de  Sténon  pour  y  placer  un  tube.  Je  coupe  le 
sympathique  d'un  seul  côté  seulement.  Une  botte  de 
foin  est  alors  placée  devant  l'animal  qui  se  met  à  man- 
ger avec  une  grande  avidité.  L'écoulement  salivaire 
paraît  être  parfaitement  égal  des  deux  côtés. 

Vous  voyez  que  la  glande  qui  vient  d'être  soustraite 
à  l'influence  du  système  ganglionnaire  continue  à  rem- 
plir ses  fonctions  avec  une  régularité  parfaite.  Galvani- 
sons maintenant  le  bout  périphérique  du  nerf  divisé, 
sans  interrompre  la  mastication  de  l'animal. 

Je  pratique  l'expérience  au  moyen  d'un  fort  appa- 
reil galvanique.  On  voit  l'écoulement  de  la  salive  dimi- 
nuer légèrement;  il  est  môme  complètement  suspendu 
pendant  un  moment,  au  début  de  l'expérience.  Du 
côté  opposé,  la  quantité  de  salive  produite  paraît  avoir 
légèrement  augmenté. 

Vous  voyez  donc  que  l'influence  du  système  gan- 
glionnaire, loin  d'augmenter  la  sécrétion  parotidienne, 
agit  au  contraire  en  opposition  directe  avec  elle.  Il  n'y 
a  d'ailleurs  pas  à  s'étonner  de  cela  :  vous  savez,  en  effet, 
que  l'excitation  du  sympathique  produit  la  contraction 
des  artères,  et  par  suite  diminue  l'afflux  du  sang  vers 
les  tissus. 

C'est  donc  aux  nerfs  moteurs  qu'est  exclusivement 
dévolu  le  pouvoir  de  stimuler  l'action  de  ces  glandes 


520  APPAREIL    DIGESTIF. 

Mais  de  quelle  branche  nerveuse  spéciale  la  parotide 
est-elle  dépendante  ?  Pour  la  glande  sous-maxillaire, 
nous  savons  que  c'est  la  corde  du  tympan  qui  remplit 
le  rôle  en  question  :  l'analogie  nous  porte  à  admettre 
l'existence  de  quelque  branche  semblable  en  rapport 
avec  la  parotide.  Mais  jusqu'ici  aucun  physiologiste 
n'avait  pu  déterminer  le  nerf  régulateur  de  cet  appareil 
glandulaire,  ni  agir  directement  sur  lui  par  l'élec- 
tricité. 

Après  une  longue  et  laborieuse  série  d'expériences, 
nous  avons  eu  la  satisfaction  de  découvrir  le  nerf 
moteur  des  glandes  parotides,  et  bientôt  nous  répéte- 
rons devant  vous  l'expérience  décisive. 

Le  nerf  facial,  autant  qu'on  peut  s'en  rapporter  aux 
analogies,  semblerait  être  la  source  naturelle  de  la 
branche  motrice  en  relation  avec  la  sécrétion  paroti- 
dienne  :  les  anatomistes  ont  décrit,  vous  le  savez,  un 
grand  nombre  de  ramifications  de  ce  tronc  nerveux, 
dont  quelques-unes  ne  font  que  traverser  la  glande, 
tandis  que  les  autres  viennent  s'épuiser  dans  son  inté- 
rieur. Nous  avons  été  conduits,  d'après  cela,  à  supposer 
que  le  pouvoir  excitateur  de  cette  sécrétion  glandulaire 
appartenait  à  quelques-unes  des  divisions  de  ce  nerf. 

Cependant,  il  y  a  deux  ans,  après  avoir  sectionné  le 
nerf  facial  immédiatement  après  sa  sortie  du  trou  stylo- 
mastoïdien,  nous  n'avons  constaté  aucune  modification 
dans  les  propriétés  de  la  glande  :  chez  les  animaux  sur 
lesquels  nous  avions  opéré,  en  plaçant  un  tube  dans  le 
canal  de  Sténon,  l'application  de  vinaigre  sur  la  langue 
était  constamment  suivie  de  l'apparition  d'un  jet  de 


INNERVATION    DE    LA    PAROTIDE.  521 

salive.  Il  devenait  dès  lors  évident  que,  si  l'influence 
nerveuse  qui  préside  à  cette  sécrétion  provenait  réelle- 
ment de  la  septième  paire,  la  branche  particulière 
à  laquelle  était  dévolue  cette  fonction  spéciale  devait  se 
séparer  du  tronc  commun  avant  sa  sortie  du  canal  de 
Fallope. 

Partant  de  ce  point  de  vue,  nous  pratiquâmes  la 
section  du  nerf  facial  dans  l'intérieur  même  du  rocher, 
en  nous  rapprochant  autant  que  possible  de  son  origine 
cén'brale  :  bien  entendu,  le  nerf  auditif  était  intéressé 
en  même  temps.  Après  cette  opération,  la  glande  de- 
meurait toujours  entièrement  paralysée.  Aussi  fûmes- 
nous  conduits  naturellement  à  supposer  que  la  branche 
motrice  de  la  parotide  devait  se  détacher  de  la  septième 
paire  pendant  son  passage  dans  le  canal  de  Fallope. 
Mais  tous  les  efforts  que  nous  fîmes  pour  isoler  cette 
brauche  restèrent  absolument  infructueux. 

Un  grand  nombre  de  ramifications  se  détachent  du 
nerf  facial  avant  son  passage  à  travers  le  trou  stylo- 
mastoïdien.  Trois  d'entre  elles  seulement  pourraient 
paraître,  à  première  vue,  exercer  une  influence  sur  la 
sécrétion  salivaire.  Ce  sont:  le  grand  nerf  pétreiix,  qui 
vase  jeter  dans  le  ganglion  de  Meckel  ;  le  petit  pétreux, 
qui  aboutit  au  ganglion  otique  ;  enfin,  la  corde  du 
tympan,  qui  s'anastomose  avec  la  cinquième  paire.  Cette 
dernière  branche,  vous  le  savez,  préside  aux  fonctions 
de  la  glande  sous-maxillaire  ;  par  suite,  elle  n'a  aucun 
rapport  avec  la  sécrétion  parotidienne.  Nous  avons  été 
ainsi  logiquement  conduits  à  supposer  que  l'un  des  deux 
nerfs  pétreux  était  la  branche  motrice  de  la  parotide. 


522  APPAREIL    DIGESTIF. 

Nous  pratiquâmes  la  section  du  plus  volumineux  de  ces 
nerfs  :  la  sécrétion  ne  fut  nullement  modiûée.  Nous 
fûmes  dès  lors  amenés  à  penser  que  la  fonction  physio- 
logique spéciale  qui  faisait  l'objet  de  nos  recherches  était 
dévolue  au  petit  pétreux.  L'analogie  confirmait  entiè- 
rement notre  hypothèse  :  en  effet,  nous  savons  qu'un 
ganglion  spécial  est  affecté  à  la  sécrétion  sous-maxil- 
laire; pourquoi  n'y  aurait-il  pas  un  ganglion  semblable 
attaché  à  la  sécrétion  parolidienne?  Et  si  le  petit  pé- 
treux était  en  réalité  la  voie  par  laquelle  l'influence 
nerveuse  est  transmise  à  la  parotide,  le  ganglion  otique 
remplirait  vis-à-vis  de  celle-ci  les  fonctions  que  sou 
congénère  remplit  vis-à-vis  de  la  sous-maxillaire.  Mais 
le  physiologiste  doit  se  défier  des  analogies  ;  les  imper- 
fections de  nos  théories  font  que  l'observation  directe 
est  le  seul  guide  qui  puisse  nous  diriger  sûrement  dans 
la  pratique. 

L'exiguïté  du  nerf  qui  préside,  ainsi  que  vous  le 
savez,  aux  fonctions  de  la  glande  sous-maxillaire,  nous 
autorise  à  supposer  que,  pour  la  parotide,  le  nerf  mo- 
teur est  également  de  petite  dimension.  C'est  ce  qui 
nous  a  déterminé,  quelque  laborieuse  et  ingrate  que 
cette  tâche  puisse  paraître,  à  disséquer  la  parotide  sur 
un  animal  vivant,  en  ayant  soin  de  ne  pas  intéresser 
les  gros  vaisseaux  qui  rattachent  cette  glande  à  l'éco- 
nomie. En  effet,  tant  que  ces  vaisseaux  restent  intacts, 
les  fonctions  de  la  glande  ne  sont  pas  troublées.  Dans 
le  cours  de  cette  opération,  nous  sectionnions  séparé- 
ment toutes  les  ramifications  nerveuses  que  nous  met- 
tions à  découvert,  afin  de  déterminer  si  les  fonctions  de 


INNERVATIOX    DE    LA    PAROTIDE.  523 

la  glande  étaient  modifiées  d'une  façon  ou  d'une  autre 
par  cette  mutilation  ;  après  la  section  de  chaque  petit 
rameau  nerveux,  nous  versions  quelques  gouttes  de 
vinaigre  dans  la  bouche  de  l'animal,  de  manière  à  pro- 
voquer l'écoulement  de  la  salive,  ainsi  que  cela  a  tou- 
jours lieu  à  l'état  normal  par  cet  agent. 

Nos  premières  expériences  n'ayant  pas  été  heureuses, 
nous  modifiâmes  notre  procédé  opératoire.  Nous  avions 
d'abord  disséqué  la  glande  en  avant  ;  nous  résolûmes 
maintenant  de  l'attaquer  par  derrière.  De  cette  manière 
on  met  plus  facilement  les  nerfs  à  découvert.  Cette 
dernière  tentative  fut  enfin  couronnée  de  succès  :  l'o- 
pération avait  duré  cinq  heures. 

Nous  commençâmes  par  faire  une  incision  derrière 
l'oreille  externe.  Après  que  les  téguments  eurent  été 
disséqués,  nous  découvrîmes  immédiatement  le  nerf 
facial,  à  sa  sortie  du  trou  stylo-mastoïdien.  Attirant 
ensuite  la  glande  en  avant,  nous  pûmes  diviser  séparé- 
ment toutes  les  ramifications  du  nerf  et  les  soumettre 
ensuite  au  courant  électrique.  Les  résultats  ayant  tou- 
jours été  négatifs,  nous  arrivâmes  à  la  fin,  après  avoir 
sectionné  toutes  les  branches  du  facial,  sur  un  rameau 
de  la  cinquième  paire,  qui  n'était  autre  que  le  nerf 
auriculo-temporal  superficiel.  Plusieurs  de  ses  branches 
furent  coupées  sans  qu'il  en  résultât  aucun  effet  sur  la 
sécrétion.  L'animal  accusait  seulement  une  vive  souf- 
france, ce  qui  s'explique  aisément  par  le  caractère  émi- 
nemment sensitif  de  ce  nerf.  Enfin,  au  moment  où 
nous  allions  terminer  l'expérience,  ayant  à  lier  une 
petite  artère,  nous  comprimâmes  en  môme  temps  un 


524  APPAREIL    DIGESTIF. 

mince  filet  nerveux,  et  nous  nous  aperçûmes  que  la 
sécrétion  glandulaire  s'était  momentanément  suspendue. 
Nous  coupâmes  alors  ce  petit  filet,  et  la  glande  fut  im- 
médiatement frappée  de  paralysie  :  les  acides  versés 
dans  la  bouche  de  l'animal  ne  provoquaient  plus  d'écou- 
lement salivaire.  Au  contraire,  la  galvanisation  du  bout 
périphérique  du  nerf  divisé  amenait  instantanément 
une  sécrétion  abondante. 

Nous  avions  donc  enfin  découvert  le  nerf  moteur  de 
la  parotide.  Ce  nerf,  qui  provient  du  nerf  maxillaire 
inférieur,  paraît  constitué  par  quatre  ou  cinq  ramus- 
cules  parallèles,  mais  bien  distincts.  Ses  dimensions  sont 
insignifiantes.  Il  se  détache  de  l'auriculo-temporal,  et 
peut  être  facilement  mis  en  évidence  par  la  dissection. 
Il  est  eu  rapport  intime  avec  l'artère  maxillaire  interne, 
dout  il  suit  exactement  le  trajet,  mais  en  sens  inverse 
du  cours  du  sang.  La  disposition  anatomique  précise 
de  ce  petit  nerf  sera  l'objet  de  nos  recherches  ulté- 
rieures. 

Vous  voyez,  messieurs,  qu'il  existe  une  importante 
différence  entre  les  glandes  sous-maxillaires  et  paro- 
tides, en  ce  qui  concerne  l'influence  du  système  nerveux 
ganglionnaire.  Dans  le  premier  cas,  l'action  du  grand 
sympathique  favorise  l'action  physiologique  ;  elle  l'en- 
trave dans  le  second.  Ou  plutôt,  pour  définir  avec  plus 
de  précision  les  phénomènes  auxquels  nous  faisons  allu- 
sion, le  grand  sympathique,  lorsqu'il  est  excité,  diminue 
légèrement  la  sécrétion  des  glandes  sous-maxillaires, 
mais  en  augmentant  sa  viscosité.  En  ce  qui  touche  la 
parotide,  le  seul  résultat  de  cette  excitation  consiste  en 


INNERVATION    DE    LA    PAROTIDE.  555 

une  diminution  notable  de  la  sécrétion  dont  la  nature 
reste  exactement  la  même.  On  sait,  au  contraire,  que  la 
galvanisation  de  la  corde  du  tympan  produit  une  sécré- 
tion aqueuse  abondante.  L'action  du  nerf  moteur  de  la 
parotide  étant  entièrement  semblable,  nous  pouvons  en 
conclure  que  ces  deux  branches  nerveuses  appartien- 
nent à  la  même  classe  de  nerfs  spéciaux,  et  exercent 
une  influence  directe  sur  les  sécrétions  normales  des 
glandes  salivaires.  Il  semble,  d'après  cela,  que  chaque 
glande  est  pourvue  de  deux  ordres  distincts  de  nerfs  : 
les  premiers  ont  pour  propriété  de  stimuler  la  sécrétion 
proprement  dite,  c'est-à-dire  la  production  d'une  sub- 
stance particulière  à  la  glande;  aux  seconds  appartient  le 
pouvoir  de  faire  transsuder  les  principes  aqueux  con- 
tenus dans  le  sang.  En  etfet,  l'eau  renfermée  dans  les 
différentes  sécrétions  dérive,  ainsi  que  nous  l'avons 
démontré  ailleurs,  entièrement  du  sang.  Si  l'on  excite 
l'action  d'une  glande,  et  que  l'on  analyse  le  sang  des 
veines  correspondantes,  on  trouvera  qu'il  contient  moins 
d'eau  que  le  sang  artériel  :  la  différence  représente  exac- 
tement la  quantité  d'eau  renfermée  dans  la  sécrétion 
elle-même. 

Si  donc  le  grand  sympathique  ne  communique  pas 
de  propriétés  spéciales  à  la  salive  parotidienne,  nous 
sommes  en  droit  d'en  conclure  que  la  nature  n'a  pas 
destiné  la  parotide  à  produire  une  substance  caracté- 
ristique, et  que  l'unique  fonction  de  cette  glande  est  de 
soustraire  au  sang  une  certaine  quantité  d'eau. 

Il  nous  reste  maintenant  à  examiner  les  résultats  de 
notre  récente  découverte,  aussi  bien  dans  leurs  rapports 


526  APPAREIL   DIGESTIF. 

directs  avec  la  sécrétion  salivaire,  que  dans  leurs  con- 
nexions avec  les  sécrétions  en  général.  Tel  sera,  mes- 
sieurs, le  sujet  de  notre  prochaine  leçon  sur  la  physio- 
logie opératoire. 


VINGT-QUATRIÈME  LEÇOxX 

Sommaire  :  Expériences  nouvelles  démontrant  que  le  nerf  moteur  de  la 
parotide  est  fourni  par  le  facial  au  nerf  auriculo-teniporal  superficiel.  — 
Son  trajet  et  sa  distribution.  —  Résultats  importants  de  la  découverte  de 
ce  nerf.  —  Différence  de  coloration  du  siing  veineux  de  la  parotide  à  l'état 
de  repos  et  à  l'état  d'activité.  —  La  sécrétion  salivaire  peut  être  provo- 
quée par  la  piqûre  de  certains  centres  nerveux.  —  Inducnce  du  trijumeau. 

—  Influence  des  poisons.  —  Comparaison  entre  le  nerf  moteur  de  la  paro- 
tide et  celui  de  la  sous-maxillaire.  —  Cette  dernière  est  infiniment  plus 
sensible  à  l'action  des  agents  extérieurs  que  la  parotide.  —  Estimation  de 
cette  différence  par  l'appareil  de  Du  Bois-Reymond.  —  Moyens  divers  de 
modifier,  d'augmenter  ou  de  diminuer  à  volonté  ccttî  sensibilité  relative. 

—  La  section  du  grand  sympathique  augmente  la  sensibilité  de  la  glande 
du  côté  correspondant.  —  Exemples  de  phénomènes  analogues  qui  se 
passent  en  d'autres  points  du  corps.  —  Inflnmmation  de  la  conjonctive 
consécutive  à  une  opération  analogue.  —  Le  grand  sympathique  fait 
contracter  les  vaisseaux,  tandis  que  les  nerfs  moteurs  de  la  sécrétion  les 
dilatent.  —  Démonstration  expérimentale  de  la  sensibilité  relative  des 
glandes  et  des  effets  de  la  section  du  sympathique. 

Messieurs, 

Nous  avons  poursuivi  la  série  des  expériences  que  nous 
avions  commencées  sur  le  nerf  moteur  de  la  parotide. 
Nous  n'avons  pas  rencontré  trop  de  difficultés  dans  nos 
observations  nouvelles:  cela  tient  à  ce  que  notre  pre- 
mière expérience  nous  avait  déjà  fait  connaître  que  le 
nerf  dont  il  s'agit  est  une  branche  de  l'auriculo-tem- 
poral.  Or,  vous  savez  très-bien  que  cette  dernière  divi- 
sion de  la  cinquième  paire  présente  des  anastomoses 
innombrables  avec  les  rameaux  du  facial.  Il  est  dès  lors 
évident  que,  loin  de  contredire  les  résultats  de  nos  expé- 
riences sur  la  section   du  facial  dans  l'intérieur  du 


5^8  APPAREIL    DIGESTIF, 

crâne,  nos  dernières  recherches  ne  tendent  qu'à  les  con- 
firmer. Le  nerf  qui  anime  la  parotide  et  qui  préside  à 
sa  sécrétion  doit,  par  suite,  n'être  autre  chose  qu'une 
des  branches  anastomotiques  entre  le  facial  et  le  nerf 
auriculo-temporal  superficiel.  Au  niveau  du  condyle 
de  la  mâchoire,  ce  nerf  fournit  une  petite  branche  qui 
suit  le  trajet  de  la  maxillaire  interne,  en  sens  inverse  du 
cours  du  sang,  elle  pénèlre  enfin  dans  la  glande  parotide 
oîi  elle  se  répand  en  abondantes  ramifications.  C'est  à 
ce  petit  plexus  que  nous  devons  attribuer  le  pouvoir 
moteur  de  la  glande.  Si  nous  voulons  arrêter  la  sécré- 
tion, c'est  lui  que  nous  devons  extirper  complètement 
par  la  dissection.  Ce  résultat,  nous  lavons  obtenu  sur 
deux  nouveaux  chiens. 

La  découverte  des  propriétés  de  ce  faisceau  nerveux 
offre  beaucoup  d'intérêt  à  différents  points  de  vue.  Rap- 
pelez-vous les  opinions  qui  avaient  cours  encore  tout 
récemment  au  sujet  de  la  parotide  :  on  la  considérait 
comme  absolument  passive  dans  l'acte  de  l'insalivation; 
tous  les  physiologistes  la  regardaient  comme  une  sorte 
d'épongé  qui  se  trouvait  comprimée  par  les  mouvements 
de  mastication  de  Tanimal.  C'est  à  ces  mouvements 
donc  qu'était  attribué  l'écoulement  salivaire.  Il  est  bien 
vrai  que  la  glande  devient  active  pendant  la  trituration 
des  substances  alimentaires,  et  jusqu'à  présent  on  n'a- 
vait découvert  aucun  filament  nerveux  dont  l'excitation 
directe  parût  stimuler  la  sécrétion.  Les  conclusions 
que  l'on  déduisait  de  là  paraissaient  dès  lors  tout  à  fait 
légitimes.  Aujourd'hui  une  telle  opinion  n'est  plus 
admissible. 


IXXERV.VTIOX    DE    LA    PAROTIDE.  529 

Pendant  la  galvanisation  de  ce  nerf,  de  ce  filament 
qui  n'a  plus  d'action  du  moment  qu'il  est  coupé,  vous 
n'observez  aucune  douleur,  aucun  mouvement.  Les 
mâchoires  sont  immobiles.  Ce  n'est  donc  pas  à  la  mas- 
tication qu'il  convient  d'attribuer  le  jet  de  salive  qui 
apparaît  après  la  galvanisation.  C'est  là  un  point  impor- 
tant acquis  aujourd'hui  à  la  science. 

La  glande  parotide  ne  joue  pas  un  rôle  absolument 
passif  dans  l'insalivation  des  aliments. 

Mais  cette  découverte  peut  être  utilisée  à  un  point  de 
vue  plus  général  dans  l'étude  de  la  circulation  des 
glandes.  Le  mécanisme  de  la  sécrétion  était  autrefois 
expliqué  par  une  hypothèse  fondée  sur  des  données  pure- 
ment mécaniques.  On  pensait  que  la  tension  du  sang 
dans  les  vaisseaux  des  glandes  déterminait  à  travers  leurs 
parois  une  transsudation  qui  avait  pour  effet  de  verser 
dans  les  acini  un  produit  particulier  pour  chacun  des 
organes  sécréteurs.  Ludwig  a  clairement  démontré 
combien  cette  hypothèse  était  inadmissible  ;  il  a  prouvé 
qu'on  pouvait  soumettre  les  glandes  à  une  pression  beau- 
coup plus  considérable  que  celle  qui  résulte  de  la  circu- 
lation du  sang,  sansentraver  le  moins  du  monde  l'activité 
de  leur  sécrétion.  Pour  cela  il  adapte  un  manomètre  au 
conduit  excréteur  de  la  glande  sous-maxillaire  ;  il  lie 
ensuite  ce  conduit  de  manière  à  empêcher  complètement 
l'issue  des  produits  de  sécrétion.  Cela  fait,  il  excite,  au 
moyen  de  la  galvanisation,  le  nerf  moteur  de  la  glande, 
c'est-à-dire  la  corde  du  tympan.  En  opérant  de  cette 
manière,  on  obtient,  par  l'accumulation  de  la  salive,  une 
pression  de  trente  ou  même  quarante  centimètres.  Cette 

CL.  BERNARD.  —  Phvsiol.  opér.  34 


530  APPAREIL    DIGESTIF. 

pression  agit  évidemment  en  sens  inverse  de  celle  du 
sang;  malgré  cela,  la  sécrétion  continue  sans  interrup- 
tion. La  sécrétion  des  glandes  n'est  donc  pas  due  à  une 
cause  purement  mécanique  :  cela  est  démontré  par 
l'étude  rationnelle  de  la  circulation  dans  les  petits  vais- 
seaux qui  communiquent  et  correspondent  avec  les  or- 
ganes de  sécrétion. 

Tant  que  la  glande  est  à  l'état  de  repos,  son  sang  vei- 
neux est  noir;  mais  à  peine  commence-t-elle  à  entrer 
en  activité,  que  le  sang  devient  rouge,  semblable  à  celui 
des  artères  ;  et  si  l'on  coupe  alors  la  veine,  le  sang  sort 
par  saccades,  comme  si  l'on  venait  de  couper  une  artère. 
Il  semble  dès  lors,  à  première  vue,  que  la  circulation  de 
la  glande  est  accélérée  et  que  la  sécrétion  est  le  résultat 
de  cette  nouvelle  modification. 

Mais  de  telles  conditions  ne  sauraient  suffire,  à  elles 
seules ,  à  déterminer  le  phénomène  physiologique  ; 
il  faut  encore  que  l'action  nerveuse  entre  en  jeu. 
Lorsque  nous  excitons  la  sécrétion  au  moyen  des  sen- 
sations produites  par  les  substances  sapides,  il  devient 
très-difficile  de  faire  la  part  du  rôle  de  la  circulation 
dans  l'intérieur  de  la  glande  et  la  part  des  phéno- 
mènes qui  se  passent  dans  les  parties  voisines.  L'ani- 
mal exécute  des  mouvements  de  déglutition,  remue 
ses  mâchoires  et  fait  affluer  ainsi  le  sang  de  tous  côtés 
vers  les  vaisseaux  de  la  glande.  Rien  de  semblable  n'a 
lieu  lorsque  nous  avons  recours  à  la  galvanisation  di- 
recte du  nerf  moteur  sécrétoire.  L'animal  n'éprouve  pas 
alors  la  moindre  sensation  ;  il  reste  immobile,  et  la  circu- 
lation s'effectue  avec  la  régularité  la  plus  parfaite.  C'est 


INNERVATION    DE    LA    PAROTIDE.  53] 

alors  que  l'observateur  se  trouve  placé  dans  des  condi- 
tions excellentes  pour  l'étudier.  Nous  avons  déjà  adopté 
pour  la  glande  sous-maxillaire,  un  procédé  propre  à 
élucider  ce  point  de  la  science;  mais  il  nous  a  été  jus- 
qu'ici impossible  de  répéter  l'expérience  sur  la  parotide 
et  c'est  principalement  en  vue  de  cet  objet  que  nous 
avons  entrepris  la  recherche  du  filet  moteur  de  cette 
dernière  glande. 

En  effet,  si  l'on  arrivait  à  pouvoir  comparer,  loupe  et 
scalpel  en  rnain,  les  sécrétions  de  deux  glandes  diffé- 
rentes, telles  que  la  parotide  et  la  sous-maxillaire;  si 
l'on  pouvait  saisir  d'un  seul  regard  les  différences  et'le^ 
analogies  qui  existent  entre  elles,  on  aurait  fait  un  pas 
immense  vers  la  découverte  de  l'essence  même  de  cette 
importante  fonction  physiologique. 

L'étude  des  propriétés  du  filet  nerveux  qui  nous 
occupe,  est  pleine  d'intérêt  sous  d'autres  rapports.  Nous 
savons,  par  exemple,  qu'en  injeclant  dans  le  torrent 
circulatoire  certaines  substances,  on  détermine  une 
puissante  excitation  de  la  sécrétion  salivaire.  C'est  une 
question  que  nous  nous  proposons  d'examiner,  dans  le 
but  principal  de  nous  rendre  compte  de  l'action  ner- 
veuse qui  entre  ici  enjeu. 

J'ai  démontré  autrefois,  dans  le  cours  de  mes  recher- 
ches sur  la  production  du  diabète  par  la  lésion  de  cer- 
taines parties  de  l'encéphale,  qu'une  salivation  abon- 
dante survenait  chez  les  animaux  lorsqu'on  piquait 
certains  points  limités.  La  blessure  qui  détermine  ces 
accidents  doit  être  faite  sur  le  plancher  du  quatrième 
ventricule.  Si  l'instrument  tranchant  dévie  à  droite  ou 


532  APPAREIL    DIGESTIF. 

à  gauche,  au  lieu  de  porter  directement  sur  la  ligne 
médiane,  on  observe  une  diminution  de  l'écoulement 
salivaire  de  la  glande  dujnême  côté  ;  mais  quand  la 
piqûre  siège  exactement  sur  la  ligne  médiane,  l'écou- 
lement est  le  même  pour  les  deux  glandes. 

Nous  avons  aussi  remarqué  que  la  glande  sous- 
maxillaire  fournit  plus  de  salive  que  la  parotide.  A 
quoi  faut-il  attribuer  cette  différence?  On  pique  le  plan- 
cher du  quatrième  ventricule,  mais  la  salivation  ne  se 
produit  que  lorsque  la  pointe  de  l'instrument  tran- 
chant, dirigée  en  avant,  vient  intéresser  les  parties  voi- 
sines de  l'origine  de  la  cinquième  paire.  Il  semblerait, 
d'après  cela,  qu'une  blessure  intéressant  directement 
le  centre  nerveux,  qui  préside  aux  fonctions  salivaires, 
doit  immédiatement  provoquer  la  sécrétion  à  laquelle  il 
est  attaché.  En  fait,  nous  savons  que  c'est  par  l'inter- 
médiaire de  la  cinquième  paire  que  se  produisent  la 
plupart  des  actions  réflexes  qui  exercent  sur  les  glandes 
salivaires  une  influence  si  considérable.  On  peut  dire 
que  c'est  à  ce  nerf  que  vient  aboutir  la  plus  grande 
partie  des  impressions  gustatives,  qui  sont  la  source 
ordinaire  de  Técoulement  salivaire. 

Nous  avons  souvent  rejeté  une  expérience  qui  vient 
confirmer  la  vérité  de  ce  que  nous  venons  d'exposer. 
Coupez  le  nerf  lingual  et  galvanisez  son  extrémité  péri- 
phérique :  vous  n'obtiendrez  aucun  résultat.  Donnez  du 
vinaigre  à  l'animal  en  expérience  :  vous  ne  noterez 
encore  aucun  effet,  puisque  vous  avez  divisé  le  nerf 
chargé  de  transmettre  l'impression.  Mais  si  vous  galva- 
nisez l'autre  bout  du  nerf,  en  agissant  ainsi  directe- 


SÉCRÉTION    SALIVAIRE.  533 

ment  sur  le  centre  nerveux,  vous  produisez  une  sécré- 
tion semblable  à  celle  que  l'on  observe  dans  les 
circonstances  ordinaires.  Si,  au  lieu  d'agir  sur  le  cen- 
tre nerveux  par  la  galvanisation  du  lingual,  vous  irritez 
directement  ce  centre  lui-même,  vous  déterminerez 
alors  un  diabète  salivaire,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi. 

En  outre,  il  existe  certains  poisons  qui  agissent  direc- 
tement snr  les  glandes  salivaires.  Le  curare,  par  exem 
pie,  qui,  ainsi  que  vous  le  savez,  amène  rapidement  la 
mort  en  déterminant  des  phénomènes  de  paralysie  géné- 
ralisée, provoque  en  même  temps  un  écoulement  abon- 
dant de  salive.  Ce  phénomène  peut  s'expliquer  par  le 
relâchement  complet  que  cette  substance  détermine 
dans  la  totalité  du  tissu  glandulaire. 

On  pourrait  objecter  à  cela  que  l'asphyxie,  qui  est  la 
conséquence  de  l'administration  de  ce  poison,  suffit  à 
expliquer  le  phénomène  dont  nous  nous  occupons.  Afin 
de  trancher  définitivement  la  question,  j'ai  injecté  du 
curare  dans  l'une  des  artérioles  qui  s'anastomosent  avec 
l'artère  de  la  glande,  en  ayant  soin  en  même  temps 
d'ouvrir  toutes  les  veines.  J'ai  ainsi  empoisonné  les  acini 
de  la  glande,  sans  empoisonner  l'animal.  Or,  j'ai  obtenu 
un  écoulement  de  salive  qu'il  était  impossible  d'attri- 
buer à  une  autre  cause  qu'à  l'action  locale  du  curare. 

Le  curare  agit  donc  sur  les  glandes  salivaires  comme 
sur  les  autres  glandes  de  l'économie.  Nous  savons  main- 
tenant que  cet  agent  toxique  exerce  spécialement  son 
influence  sur  les  extrémités  des  nerfs  moteurs.  Comment 
cette  action  peut-elle  retentir  sur  les  corps  glandulaires 
eux-mêmes?  C'est  là   une  question  difficile  que  nous 


534  APPAREIL   DIGESTIF. 

essayerons  de  résoudre  plus  tard.  Acluellement,  nous 
avons  simplement  voulu  vous  montrer  qu'il  existe  un 
centre  nerveux  qui  préside  à  la  fonction  salivaire.  Vous 
avez  vu  qu'on  peut  déterminer  chez  les  animaux  une 
salivation  permanente  par  des  moyens  artificiels.  Il  en 
résulte  qu'il  existe  un  nerf  spécial  chargé  de  présider  à 
l'action  de  chacune  des  glandes.  La  découverte  que 
nous  avons  faite  récemment  complète  la  série  des 
preuves  sur  lesquelles  repose  cette  doctrine  générale. 
Les  filets  moteurs  de  la  glande  parotide  ont  leur 
origine,  ainsi  que  vous  le  savez  déjà,  dans  une  branche 
du  nerf  auriculo-temporal.  Ce  que  nous  désirions  sur- 
tout vérifier,  c'est  si  la  section  de  ce  dernier  tronc 
amenait  une  suspension  complète  de  la  sécrétion  de  la 
glande.  Or,  c'est  ce  qui  a  heu  en  effet.  De  même 
qu'après  la  section  du  facial  dans  l'intérieur  du  crâne, 
tous  les  stimulants  mis  en  contact  avec  la  muqueuse 
buccale  sont  impuissants  à  provoquer  la  sécrétion  paro- 
tidienne,  de  même,  quand  le  nerf  auriculo-temporal  a 
été  divisé,  le  vinaigre,  les  substances  sapides  et  tous  les 
autres  excitants  de  cette  sécrétion ,  demeurent  sans 
aucun  effet  sur  les  animaux  en  expérience.  Le  vinaigre 
donne  bien  naissance  à  des  impressions  gustatives, 
suivies  par  un  mouvement  des  mâchoires,  mais  aucune 
sécrétion  n'a  lieu.  Si  l'on  voit  apparaître  à  peine  une 
ou  deux  gouttes  à  l'extrémité  du  tube,  c'est  qu'elles 
étaient  restées  dans  le  conduit  excréteur  à  la  suite  d'une 
galvanisation  antérieure  du  bout  périphérique  du  nerf. 
C'est  là  une  cause  d'erreur  contre  laquelle  le  physiolo- 
giste doit  se  tenir  en  garde. 


INNIÎRVATION    DES    GLANDES    SALIVAIRES.  535 

Après  avoir  isolé  avec  soin  le  nerf  sur  un  animal 
vivant,  nous  l'avons  divisé  dans  le  but  de  constater  les 
effets  de  la  galvanisation  de  son  bout  périphérique.  Les 
résultats  que  nous  avons  obtenus  ainsi  sont  frappants; 
on  voit  survenir  une  sécrétion  abondante,  et  le  sang 
veineux  devient  d'un  rouge  vif,  phénomène  que  l'on 
observe  invariablement  quand  les  glandes  sont  à  l'état 
d'activité,  et  que  nous  retrouverons  en  étudiant  l'his- 
toire de  la  sécrétion  sous-maxillaire.  Les  nerfs  qui  pré- 
sident à  cette  dernière  sécrétion  possèdent  un  degré  de 
sensibilité  beaucoup  plus  grand  que  les  filets  moteurs 
de  la  parotide.  L'action  d'un  courant  électrique  donné 
exerce  une  influence  beaucoup  plus  considérable  sur  la 
corde  du  tympan  que  sur  son  congénère.  Il  est  facile 
de  démontrer  celte  différence  remarquable  au  moyen 
de  l'appareil  de  DuBois-Reymond,  qui  permet  de  me- 
surer l'intensité  des  courants  galvaniques.  En  fait,  pour 
produire  des  effets  égaux  sur  les  deux  glandes,  il  faut 
agir  sur  le  nerf  de  la  parotide  avec  un  courant  dont  la 
force  est  représentée  par  dix-sept  divisions  de  l'instru- 
ment, tandis  que  la  force  du  courant  nécessaire  pour 
agir  sur  la  corde  du  tympan  serait  représentée  par 
vingt-sept  divisions.  La  différence  est  ainsi  bien  mar- 
quée. 

On  obtient  des  résultats  tout  à  fait  analogues  en 
versant  de  l'eau  vinaigrée  sur  la  langue  d'un  animal, 
après  avoir  placé  des  tubes  dans  les  deux  conduits  excré- 
teurs. On  voit  alors  la  sécrétion  sous-maxillaire  com- 
mencer sous  une  influence  qui  ne  produit  pasle  moindre 
effet  sur  la  parotide.   Il  ne  faudrait  pas   cependant 


536  APPAREIL   DIGESTIF. 

supposer  que  la  corde  du  tympan  est  douée,  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi,  d'une  affinité  élective  pour  le  fluide 
électrique.  Non,  tous  les  excitants  possèdent,  à  un  égal 
degré,  le  pouvoir  d'impressionner  davantage  ce  nerf 
que  son  congénère.  Un  phénomène  analogue  s'observe 
dans  les  différents  groupes  musculaires  qui  servent  à  la 
locomotion.  Et  vous  savez  qu'en  règle  générale,  en  ce 
qui  concerne  l'influence  des  agents  extérieurs,  les 
organes  diffèrent  considérablement  les  uns  des  autres. 
L'action  des  agents  thérapeutiques  et  des  poisons  nous 
en  donne  chaque  jour  de  nouvelles  preuves. 

Mais  nous  sommes  en  possession  d'une  série  de 
moyens  propres  à  modifier,  augmenter  ou  diminuer  à 
volonté  cette  sensibilité  relative.  Si,  par  exemple,  après 
avoir  divisé  le  grand  sympathique  d'un  seul  côté,  nous 
galvanisons  la  corde  du  tympan,  nous  constaterons  que 
la  glande  soustraite  à  l'influence  nerveuse  du  grand 
sympathique  devient  beaucoup  plus  sensible  à  l'action 
du  fluide  galvanique  que  celle  du  côté  opposé.  A  l'appui 
de  ces  expériences,  nous  pourrions  nous  reporter  à  un 
grand  nombre  de  faits  bien  connus  qui  prouvent  com- 
bien la  sensibilité  est  accrue  par  la  section  du  sympa- 
thique, comme  le  démontre  l'élévation  de  la  tempéra- 
ture dans  les  organes  qui  ont  été  soumis  à  ce  genre  de 
mutilation.  Si  vous  divisez,  d'un  côté,  les  filets  sympa- 
thiques qui  vont  se  distribuer  au  globe  oculaire,  vous 
constaterez  bientôt  une  notable  hyperesthésie  de  la  con- 
jonctive correspondante.  Pourquoi  donc  serions-nous 
surpris  de  l'antagonisme  qui  existe  entre  le  grand  sym- 
pathique et  les  nerfs  moteurs  qui  président  à  lasécrétion  ? 


INNERVATION    DES   GLANDES   SALIVAIRES  537 

Ne  savons-nous  pas  que  le  sympathique  fait  contracter 
les  vaisseaux,  tandis  que  les  nerfs  attachés  à  la  sécrétion 
ont  précisément  un  effet  contraire?  Tel  est  le  cas  de  la 
glande  parotide. 

Les  effets  qui  résultent  de  la  section  du  grand  sympa- 
thique ne  contredisent  en  aucune  manière  ce  que  nous 
vous  avons  dit  de  la  sensibilité  des  deux  glandes  paro- 
tide et  sous-n)axillaire.  Nous  allons  vous  en  donner  la 
preuve  expérimentale.  Voici  un  chien  :  ainsi  que  vous 
le  voyez,  nous  avons  placé  un  tube  dans  le  canal  de 
Sténon  et  un  autre  dans  le  canal  de  ^Yharton  ;  nous 
avons  isolé  le  nerf  moteur  de  la  parotide,  et  aussi  la 
corde  du  tympan  qui  préside  à  la  sécrétion  sous-maxil- 
laire. Après  avoir  divisé  ces  deux  nerfs,  nous  allons  main- 
tenant procéder  à  la  galvanisation  de  leurs  bouts  péri- 
phériques. Comme  l'appareil  que  nous  employons  nous 
permet  de  comparer  les  différents  degrés  de  la  force 
employée  dans  chaque  expérience,  il  ne  nous  sera  pas 
difficile  de  nous  rendre  compte  de  la  somme  relative  de 
sensibilité  qui  appartient  aux  deux  glandes. 

Nous  pratiquons  l'expérience  dans  les  conditions  sus- 
indiquées.  Vous  voyez  qu'on  emploie  d'abord  un  cou- 
rant très-faible  :  presque  immédiatement  un  écoule- 
ment salivaire  a  lieu  par  le  tube  fixé  au  canal  de 
Wharton,  tandis  que  la  parotide  n'est,  à  aucun  degré, 
influencée.  Ce  n'est  qu'après  avoir  graduellement  et 
considérablement  accru  la  force  du  courant,  que  l'on  voit 
quelques  gouttes  sortir  du  tube  fixé  au  canal  de  Sténon. 

Nous  allons  maintenant,  messieurs,  vous  montrer  les 
effets  de  la  section  du  grand  sympathique. 


538  APPAREIL    DIGESTIF. 

Après  avoir  divisé  ce  nerf  sur  le  même  animal,  nous 
galvaniserons  de  nouveau  la  corde  du  tympan.  Un  cou- 
rant beaucoup  plus  faible  que  ceux  employés  dans  les 
expériences  précédentes  détermine  presque  instantané- 
ment un  écoulement  de  salive. 

Nous  en  arrivons  donc  encore  à  la  conclusion  précé- 
demment formulée,  mais  cette  fois  par  la  méthode  expé- 
rimentale. Cette  conclusion  la  voici: 

Il  existe  deux  classes  de  nerfs  destinés  aux  glandes. 
Les  uns  viennent  du  grand  sympathique,  qui  préside  à 
la  contraction  de  leurs  vaisseaux  et  diminue  leurs  sécré- 
tions. Les  autres  tirent  leur  origine  des  principales 
branches  motrices  qui  se  ramifîen  t  dans  leur  voisinage 
immédiat;  ils  sont  destinés  à  dilater  les  vaisseaux,  et  pro- 
duisent un  écoulement  abondant  d'un  liquide  aqueux 
plus  ou  moins  chargé  des  matériaux  ordinaires  qui  ca- 
ractérisent les  sécrétions  dans  chaque  cas  particulier. 


VINGT-CINQUIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  La  disposition  anatomique  des  glandes  sous-maxillaires  est  abso- 
lument la  même  chez  le  chien  que  chez  l'homme.  —  Canal  de  Wharton. 

—  Il  est  complètement  indépendant  de  celui  de  la  sublinguale  —  La 
glande  sous-maxillaire  est  pourvue  de  deux  ordres  de  nerfs  :  les  uns 
dérivent  du  système  ganglionnaire;  les  autres,  du  nerf  facial,  par  l'inter- 
médiaire de  la  corde  du  tympan.  —  De  l'influence  du  nerf  lingual  sur  la 
sécrétion  sous-maxillaire.  — Elle  appartient  à  la  classe  des  actions  réflexes. 

—  Preuve  expérimentale  de  cette  hypothèse.  —  Effets  de  la  galvanisation 
de  la  corde  du  tympan. 

Disposition  anatomique  de  la  glande  sublinguale.  —  Chez  l'homme  et  chez 
la  plupart  des  animaux,  ce  n'est  pas  une  glande  en  grappe.  —  Chez  le 
chien  cependant,  elle  ne  présente  qu'un  seul  conduit  excréteur.  —  Les 
expériences  relatives  à  cette  glande  ne  peuvent  être  faites  que  sur  le 
chien.  —  Propriétés  spéciales  de  la  salive  sublinguale.  —  Elle  n'appa- 
raît que  lentement,  lorsqu'on  excite  la  glande.  —  Elle  sert  surtout  à  la 
déglutition.  —  La  corde  du  tympan  est  le  nerf  moteur  de  la  glande  sub- 
linguale. 


Messieurs, 

Ayant  terminé  dans  notre  dernière  leçon  l'histoire  de 
la  sécrétion  parotidienne,  nous  allons  maintenant  exa- 
miner successivement  les  propriétés  physiologiques  des 
deux  autres  principales  glandes  qui  concourent  à  la  pro- 
duction de  la  salive.  Car,  ainsi  que  nous  l'avons  déjàfait 
remarquer,  chacun  de  ces  petits  organes  sécréteurs  a 
ses  fonctions  spéciales  à  remplir,  et  il  ne  peut  être  sup- 
pléé par  aucun  de  ses  congénères. 

La  glande  sous-maxillaire,  dont  les  propriétés  vont 
d'abord  fixer  aujourd'hui  notre  attention,  offre  chez  le 


540  APPAREIL    DIGESTIF. 

chien  une  disposition  anatomique  presque  entièrement 
semblable  à  celle  qui  existe  dans  l'espèce  humaine. 
Dans  les  deux  cas,  elle  est  représentée  par  une  grosse 
glande  en  grappe  pourvue  dun  conduit  excréteur  dis- 
tinct assez  gros  pour  permettre  l'introduction  d'un  tube 
dans  les  recherches  expérimentales.  Ce  conduit  a  reçu  le 
nom  de  canal  de  Wharton.  11  n'y  en  a  qu'un  de  chaque 
côté. 

Autrefois  les  anatomistes  affirmaient  à  tort  que  la 
glande  sublinguale  se  déversait  dans  le  conduit  excré- 
teur de  la  glande  sous-maxillaire.  Cette  assertion  est  en 
opposition  complète  avec  les  faits.  Chacune  des  deux 
glandes  est  pourvue  d'un  conduit  spécial;  et  les  deux 
conduits  restent  parfaitement  distincts  l'un  de  l'autre 
pendant  tout  leur  parcours,  bien  que  leurs  orifices  buc- 
caux soient  assez  rapprochés  l'un  de  l'autre  pour  s'ou- 
vrir sous  la  même  papille. 

On  a  dit  aussi  que,  dans  l'espèce  humaine,  il  existait 
une  communication  directe  entre  les  glandes  sublin- 
guale et  sous-maxillaire  ;  on  supposait  que  quelques-uns 
des  conduits  de  Rivinus  allaient  se  jeter  dans  le  canal  de 
Wharton.  L'existence  réelle  d'une  semblable  disposition 
est  encore  à  démontrer. 

La  glande  sous-maxillaire  reçoit  du  sang  de  deux 
sources  :  son  artère  principale  (,</),  après  avoir  atteint  le 
hile  de  laglande,  pénètre  dans  son  intérieur,  tandis  que 
l'artère  la  plus  petite  se  distribue  seulement  à  sa  partie 
postérieure  (/,  fig.  114). 

Deux  ordres  de  nerfs  différents  président  à  ses  fonc- 
tions physiologiques.  C'est  d'abord  le  sympathique  qui 


GLANDE    SOUS-MAXlLLAlRE.  54^ 

fournit  plusieurs  rameaux  au  plexus  sous-maxillaire. 


FlG.  m.  —  Glandes  sous-maxillairc  et  sublinguale, 
a,  glande  sous-maxillairc;    c,  c,  son  canal  excréteur  (canal  de  Wliarton)  ;   i,  h,  g    ra- 
meaux artériels  qui  se   rendent  à  celle  glande;    b.   glande  sublinguale  ; 'd.'d  'son 
canal  excréteur.  ' 

i,  i,  nerf  lingual;  2,  2,    rameaux  (suite  de    la  corde    du    tympan)  que  ce  nerf  fournit 
à  la  glande  sous-maxillaire. 

Vient  ensuite  une  petite  branche  qui  se  sépare  du  nerf 


542  APPAREIL    DIGESTIF. 

lingual  (1,  1,  fig.  114),  dans  le  voisinage  immédiat  de 
la  glande,  pour  aller  se  jeter  ("2,  2,  fig.  114)  dans  le 
plexus  ci-dessus  mentionné,  d'où  partent  les  nerfs 
glandulaires.  Ce  dernier  nerf,  par  quelques-unes  de  ses 
fibres  est^  sans  aucun  doute,  en  connexion  avec  la 
branche  d'où  il  paraît  tirer  son  origine.  Mais  la  plus 
grande  partie  de  ce  petit  filet  provient  d'une  division 
du  facial  qui  s'unit  au  nerf  lingual  sans  s'anastomoser 
réellement  avec  lui  :  car,  après  l'avoir  accompagné 
pendant  un  court  trajet,  elle  s'en  sépare  presque  entiè- 
rement, et  va  rejoindre  le  plexus  sous-maxillaire.  Ce 
nerf  moteur  s'appelle  la  corde  du  tympan.  Tl  se  détache 
du  facial  à  quelques  millimètres  au-dessus  du  trou 
stylo-mastoïdien,  se  dirige  en  haut,  pénètre  dans  l'oreille 
moyenne,  et  chemine  pendant  un  court  trajet  dans  l'é- 
paisseur même  de  la  jmembrane  du  tympan,  entre  l'en- 
clume et  le  marteau.  11  descend  alors  vers  la  scissure  de 
Glaser,  et  sort  du  rocher  près  de  l'épine  du  sphénoïde. 
C'est  après  avoir  décrit  cette  courbe  qu'il  se  réunit  au 
facial  pour  suivre  ensuite  la  marche  que  nous  avons 
déjà  décrite. 

Comment  pouvons-nous  supposer  que  la  glande  soit 
influencée  par  ce  filet  nerveux  ?  Nous  sommes  ici  en  pré- 
sence d'une  de  ces  réactions  des  fibres  sensitives  sur  les 
fibres  motrices  que  l'on  décrit  généralement  sous  le  nom 
à\ictio?is  réflexes.  Les  impressions  gustatives  sont  trans- 
mises au  centre  nerveux  par  le  lingual,  et  c'est  alors 
que  le  facial  agit  sur  la  glande  sous-maxillaire.  La  réa- 
lité de  cette  hypothèse  peut  être  aisément  démontrée 
par  une  expérience  directe.  Coupez  le  lingual  :  aussitôt 


GLANDE    SOUS-MAXILLAIRE.  543 

toutes  les  sensations  sapides  disparaissent  ;  on  peut  alors 
verser  du  vinaigre  dans  la  bouche  de  l'animal  sans 
provoquer  l'issue  d'une  seule  goutte  de  salive.  Mais  si 
vous  galvanisez  le  bout  central  du  nerf  divisé,  une  sé- 
crétion abondante  se  produit  à  l'instant.  Si,  d'autre 
part,  vous  sectionnez  le  facial,  toute  action  réflexe  est 
immédiatement  supprimée.  Mais,  comme  vous  allez  le 
voir,  si  l'on  soumet  au  courant  galvanique  le  bout  péri- 
phérique du  nerf  moteur  de  la  glande,  un  abondant 
écoulement  de  salive  apparaît  aussitôt. 

Mais,  pour  pratiquer  ces  différentes  expériences,  il 
est  indispensable  de  mettre  à  découvert  la  région  qui 
renferme  les  organes  sur  lesquels  on  est  appelé  néces- 
sairement à  opérer. 

Voici  le  modiis  operandi  qui  permettra  au  physiolo- 
giste de  réaliser  toutes  les  conditions  désirables  :  Faites 
une  incision  le  long  du  côté  interne  du  bord  inférieur 
du  maxillaire.  Écartez  le  digastrique,  ou  mieux  encore 
coupez  ce  muscle,  et  détachez  sa  moitié  postérieure 
de  ses  insertions.  Alors  vous  apercevrez  presque  tous 
les  organes  intéressés  dans  l'expérience.  Il  faut  avoir 
bien  soin,  dans  cette  opération,  de  ne  pas  léser  les 
organes  importants  immédiatement  sous-jacents  aux 
muscles.  Après  avoir  écarté  les  lèvres  de  la  plaie,  on 
découvre  une  cavité  qui  renferme  la  glande  sous-maxil- 
laire. On  énuclée  la  glande  au  moyen  d'une  érigne,  de 
manière  à  découvrir  sa  face  interne  ou  profonde,  au 
centre  de  laquelle  est  situé  le  hile  :  c'est  par  ce  hile  que 
pénètre  l'artère  principale,  la  corde  du  tympan,  ou  nerf 
moteur,  et  plusieurs  rameaux  du  système  ganglionnaire. 


544 


APPAREIL    DIGESTIF. 


La  paroi  interne  de  la  cavité  elle-même  contient  la  ca- 
rotide externe,  les  artères  linguale  et  faciale,  et  le  nerf 
hypoglosse.  En  avant,  la  paroi  inférieure  de  la  cavité  est 
constituée  par  les  mylo- hyoïdiens  que  l'on  divise  à  leur 


FiG.  115.  —  Incision  pratiquée  pour  découvrir  le  canal  excréteur  de  la  glande 
sous-maxillaire  (chez  le  chien). 

a,  muscle  digastrique  sectionné  et  écarté  ;    6,  muscle  m\io-hyo*dien  coupé  et  écarté  ; 
c,  e,  canal  de  ^Vharton;  d,  canal  excréteur  de  la  sublinguale;  1,  nerf  lingual. 


tour  perpendiculairement  et  qu'on  soulève  ensuite  avec 
des  érignes  {b,  fig.  115  et  il 6).  On  voit  alors  les 
conduits  excréteurs  des  dandes  sous-maxillaire  et  sub- 
linguale  croisés  par  le  nerf  lingual.  En  suivant  en 
arrière  le  trajet  de  ce  dernier,  on  voit  la  corde]  du 


INNERVATION   DE    LA    SOUS-MAXILLAIRE. 


545 


tympan  (2,  fîg.  116)  se  détacher  de  lui  et  former,  par 
son  anastomose  avec  les  rameaux  sympathiques,  le 
plexus  gangliforme , 
d'oîi  émergent  les 
nerfs  qui  pénètrent 
dans  la  substance  pro- 
pre de  la  glande. 

L'opération  que  je 
viens  de  décrire  a  été 
pratiquée  à  l'avance 
sur  le  chien  que 
l'on  vient  d'apporter. 
Nous  allons  mainte- 
nant ouvrir  le  canal 
de  Wharton,  placer 
un  tube  dans  sa  cavité 
et  exciter  la  sécrétion 
au  moyen  du  vinai- 
gre. Vous  verrez  tout 
de  suite  que  la  glande 
sous-maxillaire  est 
douée  d'une  sensibi- 
lité beaucoup  plus 
grande  que  la  paro- 
tide, fait  que  nous  avons  déjà  essayé  de  démontrer 
dans  notre  dernière  leçon. 

Vous  voyez  que  l'expérience  est  pratiquée  avec  un 
plein  succès.  Plusieurs  gouttes  de  liquide  s'échappent 
immédiatement  du  tube  et  sont  recueillies  dans  un 
verre. 

CL.  BERNARD.  —  Phjsiol   opér.  35 


FiG,  116.  —  Analomie  de  la  région  des  glandes 
sous-maxillaire  et  sublinguale. 

a,  a ,  muscle  digastrique  ;  b,  b,  mylo-hyoïdien  ; 
C,  c",  glande  sublinguale  ;  d,  son  canal  excré- 
teur ;  e,  canal  excréteur  de  la  sous-maxillaire 
if •  (l)i  li  nerf  lingual;  2,  rameau  nerveux 
(suite  de  la  corde  du  tympan;  pour  les  glandes 
salivaires. 


546  APPAREIL    DIGESTIF. 

Vous  voyez,  messieurs,  que  la  salive  sous-maxillaire 
est  épaisse  et  visqueuse.  Ces  propriétés  varient  consi- 
dérablemenl  suivant  les  individus.  11  est  tout  à  fait 
impossible  de  prédire  à  l'avance  le  degré  de  viscosité 
de  ce  liquide  chez  un  sujet  donné.  Mais,  par  T  intermé- 
diaire du  système  nerveux,  ces  propriétés  peuvent  être 
au2;mentées  ou  diminuées  à  volonté.  Nous  allons  main- 
tenant  couper  la  corde  du  tympan  après  sa  séparation 
du  lingual,  et  appliquer  un  courant  galvanique  à  son 
bout  périphérique.  La  salive  ainsi  obtenue  est,  vous  le 
voyez,  moins  visqueuse  que  celle  qui  a  été  le  résultat 
des  impressions  guslatives. 

Il  nous  reste  maintenant  une  autre  expérience  à 
faire.  Nous  allons  galvaniser  le  grand  sympathique.  La 
corde  du  tympan  étant  entièrement  paralysée  par  l'opé- 
ration précédente,  la  salive  que  nous  obtiendrons  sera 
évidemment  produite  sous  l'influence  exclusive  du  sys- 
tème ganglionnaire.  Cette  expérience  prouve  que  le 
sympathique,  abandonné  à  lui-même,  est  capable  d'agir 
sur  la  glande.  Combien,  sous  ce  rapport,  la  sous- 
maxillaire  diffère-t-elle  de  la  parotide  ! 

Vous  voyez  ici  l'expérience  :  Le  liquide  est  plus 
visqueux  que  tout  à  l'heure;  mais  sa  quantité  paraît 
insignifiante,  en  comparaison  de  la  quantité  produite 
par  l'excitation  du  nerf  moteur. 

Ces  expériences  ont  dû  vous  convaincre,  messieurs, 
que  la  glande  sous-maxillaire  est  pourvue  d'un  double 
appareil  nerveux ,  et  que  deux  ordres  distincts  de  nerfs 
président  à  ses  fonctions  physiologiques.  Les  nerfs 
émanés  du  facial  augmentent  l'abondance  et  diminuent 


INNERVATION    DE    LA    SOUS-MAXILLAIRE.  547 

la  viscosité  de  sa  sécrétion  ;  les  nerfs  ganglionnaires 
agissent  précisément  dans  le  sens  contraire.  Ces  résul- 
tats vous  les  connaissez  déjà  dans  une  certaine  mesure, 
après  la  longue  étude  que  nous  avons  consacrée  au 
nerf  moteur  de  la  parotide. 

L'influence  exercée  par  le  système  ganglionnaire  sur 
la  glande  sous-maxillaire  explique  l'action  produite  sur 
elle  par  différentes  causes  d'excitation  qui  portent  sur 
des  points  éloignés  du  canal  alimentaire.  C'est  ainsi  que 
l'introduction  directe  des  aliments  dans  l'estomac  déter- 
mine généralement  un  écoulement  de  salive  sous-maxil- 
laire. Ou  peut  constater  facilement  ce  fait  chez  les  ani- 
maux porteurs  d'une  fistule  gastrique. 

Nous  allons  appeler  maintenant  votre  attention  sur 
les  propriétés  physiologiques  de  l'appareil  sublingual, 
afin  de  vous  donner  une  idée  aussi  complète  que  pos- 
sible de  la  sécrétion  salivaire. 

Dans  l'espèce  humaine,  la  glande  sublinguale  n'est  pas 
une  glande  en  une  seule  grappe.  Complètement  diffé- 
rente, sous  ce  rapport,  de  ses  congénères,  elle  n'a  pas  de 
canal  excréteur  de  dimension  suffisante  pour  permettre 
rintroduction  d'un  tube.  Ses  produits  se  déversent  dans 
la  cavité  buccale  par  six  ou  sept  petits  orifices,  qui  cor- 
respondent à  autant  de  portions  distinctes  de  la  glande. 
La  même  disposition  anatomique  règne  chez  la  plupart 
des  animaux  qui  servent  habituellement  à  nos  expé- 
riences. Il  paraît  donc  impossible,  au  premier  abord, 
de  recueillir  le  liquide  sécrété  par  ce  petit  appareil,  en 
quantité  suffisante  pour  déterminer  ses  propriétés 
physico-chimiques  et  le  rôle  qu'il  est  appelé  à  jouer 


548  APPARlilL   DLGESTIF. 

dans  la  mastication.  Heureusement  pour  la  physiologie 
expérimentale,  le  chien  (fîg.  115  et  116)  possède  une 
glande  sublinguale  volumineuse  et  conglomérée,  pour- 
vue d'un  seul  canal  excréteur  dans  lequel  on  peut 
facilement  passer  des  tubes.  Aussi  est-ce  sur  cet  animal 
que  nous  avons  pratiqué  toutes  nos  expériences  rela- 
tives au  sujet  qui  nous  occupe  aujourd'hui.  Le  chien 
que  nous  plaçons  en  ce  moment  sous  vos  yeux  vient  de 
subir  l'opération  préliminaire.  Une  canule  a  été  intro- 
duite dans  le  canal  sublingual,  et  de  son  orifice  on  voit 
s'écouler  lentement  un  liquide  visqueux  et  demi-trans- 
parent. La  difOculté  avec  laquelle  il  s'écoule  témoigne 
suffisamment  de  ses  propriétés  adhésives.  11  est,  sous 
ce  rapport,  très-différent  de  la  salive  aqueuse  de  la 
parotide.  La  sécrétion  sous-maxiilaire  paraît  établir, 
au  point  de  vue  chimique,  une  transition  entre  les  deux 
autres.  Toutefois,  il  n'existe  pas  d'analyse  satisfaisante 
de  la  salive  sublinguale  :  tout  ce  que  nous  savons,  c'est 
qu'elle  contient  une  proportion  énorme  de  matière 
lubrifiante. 

La  quantité  de  cette  salive  est  faible;  et  elle  est 
lente  à  se  former,  lorsqu'on  excite  la  sécrétion.  C'est 
ainsi  que  lorsqu'on  verse  du  vinaigre  dans  la  bouche 
d'un  animal,  après  avoir  préalablement  placé  des 
tubes  dans  les  conduits  excréteurs  des  trois  glandes 
salivaires ,  on  voit  la  salive  sous- maxillaire  couler 
immédiatement  ;  la  sécrétion  parotidienne  apparaît 
bientôt  après;  la  salive  sublinguale  se  montre  la  der- 
nière. On  pourrait  en  conclure  que  la  glande  sous- 
maxillaire  est  en  rapport  avec  le  sens  du  goût,  la 


INNERVATION    DE    LA.    SUBLINGUALE.  549 

parotide  avec  la  mastication,  et  la  sublinguale  avec  la 
déglutition.  Les  observations  cliniqueschez  l'homme  ten- 
dent à  confirmer  ces  déductions  tirées  de  la  physiologie. 

Comme  pour  la  glande  sous-maxillaire,  les  nerfs  qui 
président  à  la  sécrétion  sublinguale  proviennent  de  cette 
branche  particulière  du  facial  qui  est  connue  sous  le 
nom  de  corde  du  tympan  et  qui,  après  sa  séparation  du 
lingual,  pourrait  être  justement  appelée  n^y/ /y???/;^'- 
nico~ lingual.  Du  moment,  en  effet,  où  elle  s'unit  au 
lingual,  elle  devient  en  réalité  un  nerf  mixte,  conte- 
nant des  fibres  sensitives  aussi  bien  que  des  fibres  mo- 
trices. Les  minces  filets  destinés  spécialement  à  la 
glande  sublinguale  (fig.  114)  pourraient  peut-être  être 
considérés  comme  d'une  nature  difFérente  des  autres; 
ils  sont  infiniment  moins  sensibles  à  l'excitation  gal- 
vanique que  ceux  qui  vont  se  jeter  dans  le  plexus 
sous-maxillaire.  Mais,  d'autre  part,  on  pourrait  soutenir 
que  ce  n'est  pas  dans  les  nerfs,  mais  bien  dans  le  tissu 
glandulaire  lui-même,  que  gît  la  cause  d'une  si  notable 
différence. 

Nous  allons  maintenant  répéter  les  expériences  sur 
lesquelles  repose  notre  connaissance  de  la  source  de 
l'excitant  nerveux  des  deux  glandes.  Lorsqu'on  coupe 
la  corde  du  tympan  dans  l'épaisseur  de  la  membrane 
de  ce  nom  (oreille  moyenne),  la  sécrétion  sublinguale 
est  immédiatement  paralysée,  comme  dans  le  cas  de  la 
glande  sous-maxillaire.  Le  nerf  moteur  ne  provient 
donc  pas  des  branches  qui  réunissent  le  ganglion 
otique  au  facial.  D'autre  part,  si  l'on  coupe  le  nerf 
après  sa  séparation   du  lingual,  et  qu'on  le  galvanise 


550  APPAREIL    DIGESTIF.   SALIVE. 

ensuite,  un  écoulement  de  salive  se  produit  immédia- 
tement parles  deux  glandes;  ce  qui  prouve  bien  que 
celte  branche  nerveuse  n'emprunte  pas  ses  propriétés 
spéciales  au  lingual.  Il  y  a  pourtant  encore  un  desi- 
deratum :  en  effet,  le  nerf  de  Jacobson  envoie  une 
anastomose  à  la  corde  du  tympan,  au-dessus  du  point 
où  nous  allons  la  sectionner.  Pour  savoir  si  la  neuvième 
paire  exerce  une  influence  sur  la  sécrétion,  il  faudrait 
faire  la  section  tout  près  de  l'origine  cérébrale  du  nerf. 
Cette  expérience  offre  de  telles  difficultés,  qu'aucun 
physiologiste  ne  l'a  tentée  jusqu'ici. 

Ces  deux  expériences  sont  ici  pratiquées  sous  vos 
yeux.  \jd  nerf  est  d'abord  divisé  à  sa  partie  supérieure, 
et  la  sécrétion  s'arrête.  Il  est  ensuite  galvanisé  en  dehors 
du  lingual,  et  immédiatement  la  sécrétion  réapparaît. 

Vous  voyez  donc,  messieurs,  que  chacune  des  glandes 
salivaires  est  destinée  à  un  usage  spécial  et  fournit  une 
sécrétion  propre,  sous  l'influence  d'un  nerf  particulier. 
La  récente  découverte  de  la  branche  motrice  de  la 
parotide  est  le  trait  final  qui  complète  le  tableau. 

Nous  en  avons  uni,  messieurs,  avec  l'étude  expéri- 
mentale de  la  sécrétion  salivaire.  11  conviendrait  main- 
tenant d'expliquer  les  usages  de  ce  liquide  et  le  rôle  qu'il 
joue  dans  la  digestion  ;  mais  nous  faisons  ici  un  cours  de 
physiologie  opératoire.  Comme  cette  partie  de  notre 
sujet  relative  aux  propriétés  chimiques  des  liquides, 
peut  être  étudiée  sans  avoir  recours  aux  vivisections, 
nous  la  passerons  sous  silence,  et  aborderons  immé- 
diatement d'autres  portions  de  l'appareil  digestif. 


VINGT-SIXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Expériences  sur  les  fonctions  de  l'œsophage.  —  Effets  de  la  sec- 
tion du  pneumogastrique  sur  cette  partie  du  tube  digestif.  —  Conclusions 
erronées  que  l'on  a  tirées  de  ces  résultats.  — L'opération  n'abolit  aucune 
des  sensations  en  rapport  avec  le  travail  de  la  digestion.  —  Explications 
rationnelles  des  effets  produits  par  une  constriction  du  cardia.  —  Facilité 
de  la  démonstration  chez  les  animaux  porteurs  dune  fistule  gastrique.  — 
La  constriction  disparaît  après  un  court  espace  de  temps.  —  Expériences 
sur  le  bol  alimentaire.  —  De  la  quantité  de  salive  qui  imprègne  les  ali- 
ments. —  Expériences  sur  la  déglutition. —  Effets  produits  par  la  division 
complète  du  nerf  œsophagien. 

De  l'estomac.  —  Des  fistules  gastriques.  —  Des  animaux  qui  conviennent 
à  l'opération.  —  Diverses  manières  de  procéder.  ^  Description  de  la 
méthode  de  M.  Blondlot.  —  Modifications  introduites  par  M.  Cl.  Bernard. 
—  Modifications  apportées  plus  récemment  par  M.  Blondlot  lui-même.  — 
Démonstrations  expérimentales. 

Messieurs, 

Après  avoir  terminé  maintenant  la  série  des  expé- 
riences qui  se  rapportent  à  la  sécrétion  salivaire,  nous 
allons  poursuivre  l'étude  des  fonctions  digestives,  en 
nous  plaçant,  nous  l'avons  dit,  au  point  de  vue  de  la 
physiologie  pratique. 

Si,  ainsi  que  cela  est  notre  intention,  nous  suivons 
un  ordre  strictement  anatomique,  la  première  porlion 
du  tube  digestif  que  nous  rencontrons  après  la  bouche, 
c'est  l'œsophage.  Les  fonctions  de  celte  partie  du  canal 
alimentaire  ne  présentent  pas  un  champ  très-étendu 
aux  investigations,  et  n'ont  pas  été  l'objet  d'un  grand 


552  APPAREIL   DIGESTIF. 

nombre  d'expériences.  Nous  verrons  cependant  que 
celte  question  n'est  pas  absolument  siérile. 

Les  relations  anatomiques  intimes  des  pneumogas- 
triques avec  l'œsophage  ont  naturellement  suggéré 
l'idée  d'examiner  les  effets  physiologiques  que  la  sec- 
tion de  ces  nerfs  pouvait  produire  sur  les  fonctions 
digestives.  On  a  dit  que  celte  opération  abolissait  entiè- 
rement les  sensations  de  faim  et  de  satiété,  de  vacuité 
et  de  réplétion  de  l'estomac. 

En  fait,  les  animaux  témoignent  en  général  de  la 
répugnance  pour  les  aliments  dans  ces  circonstances, 
et  quand  ils  consentent  à  prendre  de  la  nourriture,  on 
voit  apparaître  presque  immédiatement  des  symptômes 
de  suffocation.  On  a  soutenu  alors  qu'étant  également 
incapables  de  percevoir  les  effets  du  jeûne,  et  de  sentir 
que  les  besoins  de  la  nature  étaient  satisfaits,  leur  indif- 
férence d'une  part,  leur  voracité  de  l'autre  étaient  les 
causes  réelles  des  accidents  observés.  Mais  l'expérience, 
sous  plusieurs  rapports,  n'a  pas  été  convenablement 
contrôlée. 

Après  avoir  pratiqué  une  fistule  stomacale  chez  un 
chien,  en  vue  d'examiner  la  sécrétion  du  suc  gastrique, 
j'ai  été  amené  à  sectionner  les  pneumogastriques,  dans 
le  but  de  déterminer  si  l'ingestion  des  aliments  produi- 
sait ses  effets  stimulants  ordinaires  sur  les  glandes  de 
l'estomac,  alors  que  celles-ci  sont  en  partie  dépourvues 
de  l'intluence  nerveuse.  Après  avoir  introduit  les  ali- 
ments par  la  bouche,  je  fus  fortement  surpris  de  ne  pas 
les  voir  apparaître  dans  l'estomac  :  ils  s'accumulaient 
au-dessus  du  cardia,  et,  après  avoir  rempli  peu  à  peu 


EXPÉRIENCES    SUR    L  OESOPHAGE.  553 

la  totalité  de  l'œsophage,  ils  finissaient  par  atteindre 
l'orifice  supérieur  du  larynx  :  leur  présence  à  ce  niveau 
provoquait  nécessairement  des  accès  de  suffocation. 

Ce  résultat  paraît  singulier,  à  première  vue.  En  effet, 
bien  qu'à  l'état  normal  les  contractions  de  l'œsophage 
contribuent  à  chasser  les  aliments  vers  l'oslomac,  com- 
ment se  fait-il  que,  lorsque  sa  tunique  musculeuse  est 
paralysée  par  la  section  de  ses  nerfs  moteurs,  les  contrac- 
tions du  pharynx  ne  communiquent  pas  une  impulsion 
suffisante  à  la  masse  alimentaire,  qui  tend,  par  son 
propre  poids,  à  descendre  dans  la  cavité  gastrique?  La 
raison,  c'est  qu'une  contraction  spasmodique  de  l'ori- 
fice stomacal  de  l'œsophage  s'oppose  au  passage  des 
aliments  dans  la  cavité  gastrique,  et  fait  équilibre  aux 
contractions  du  pharynx.  Mais,  au  bout  d'un  jour  ou 
deux,  cet  état  particulier  de  contracture  cesse,  et  l'ani- 
mal est  généralement  capable  de  manger  au  bout  de 
trente-six  heures  après  l'opération.  Il  est  dès  lors  évi- 
dent que  la  section  des  pneumogastriques  n'exerce 
aucune  influence,  quelle  qu'elle  soit,  sur  les  sensations 
qui  se  rapportent  à  l'état  de  vacuité  ou  de  plénitude  de 
l'estomac.  Nous  allons  faire  l'expérience  devant  vous,  et 
l'animal  va  présenter  les  phénomènes  que  je  viens  de 
vous  décrire. 

Nous  coupons  ici  les  deux  pneumogastriques  d'un 
très-gros  lapin  à  jeun  depuis  vingt-quatre  heures.  On 
lui  présente  alors  des  aliments  qu'il  avale  avec  la  plus 
grande  voracité.  Des  symptômes  de  suffocation  appa- 
raissent rapidement.  L'animal  se  remet  bientôt  et  essaye 
de  nouveau  de  manger,  ce  qui  amène  un  autre  accès. 


554  APPARIîlL    DIGESTIF. 

A  la  fin  de  la  leçon,  on  le  lue  et  on  l'ouvre.  L'œso- 
phage  est  entièrement  rempli  d'aliments  non  digérés, 
du  cardia  au  pharynx,  tandis  que  l'estomac  ne  ren- 
ferme que  quelques  traces  du  repas  précédent.  Chez 
les  rongeurs  en  effet,  même  lorsqu'on  les  a  fait  jeûner 
pendant  un  certain  temps,  l'estomac  n'est  jamais  com- 
plètement vide. 

Ces  expériences,  messieurs,  ne  sont  pas  les  seules 
que  l'on  ait  tentées  sur  l'œsophage.  On  a  ouvert  ce  canal 
pour  en  extraire  le  bol  alimentaire  dans  l'état  où  il  se 
trouve  en  quittant  la  cavité  buccale.  Cette  expérience 
permet  de  déterminer  la  quantité  de  salive  qui  imprègne 
les  aliments  pendant  la  mastication.  Cette  quantité  est 
facile  à  calculer,  en  donnant  à  l'animal  un  aliment  sec 
que  l'on  pèse  avant  et  après  l'opération.  Ainsi,  si  l'on 
donne  à  un  cheval  10  grammes  de  fourrage  que  l'on  a 
eu  soin  de  faire  sécher  avec  soin,  la  masse  extraite  de 
l'œsophage  pèse  100  grammes.  Il  en  résulte  que  l'animal 
ajoute  neuf  cents  parties  de  salive  à  cent  parties  de 
matière  alimentaire.  Cette  proportion  varie  toutefois 
avec  la  nature  de  l'aliment.  Lorsqu'on  ouvre  les  deux 
conduits  parotidiens,  le  produit  de  la  sécrétion  n'étant 
plus  déversé  dans  la  bouche,  la  mastication  est  plus  dif- 
ficile et  dure  beaucoup  plus  longtemps  :  la  soif  est  aussi 
augmentée.  Tous  ces  résultats  sont  faciles  à  expliquer 
par  la  nature  des  fonctions  de  ces  glandes,  que  nous 
avons  étudiées  dans  la  précédente  leçon. 

Le  mécanisme  de  la  déglutition  a  été  également  étudié 
au  moyen  d'expériences  semblables.  Si  l'on  ouvre  l'œso- 
phage d'un  cheval,  et  si  l'on  applique  une  ligature  au- 


EXPÉRIENCES    SUR    L  OESOPHAGE.  555 

dessous  de  l'ouverture,  on  voit  les  aliments  s'échapper 
sous  forme  de  petites  masses  séparées.  Si  au  contraire 
on  coupe  l'œsophage,  les  aliments  ingérés  apparaissent 
sous  la  forme  d'une  masse  continue  dont  les  portions 
intérieures  sont  poussées  par  les  portions  supérieures. 
En  d^autres  termes,  la  contraction  œsophagienne  s'exerce 
dans  le  premier  cas,  tandis  que  dans  le  second  l'impul- 
sion dérive  uniquement  du  pharynx.  La  conclusion 
naturelle  à  tirer  de  là,  c'est  que  les  contractions  œso- 
phagiennes ne  peuvent  plus  se  produire  quand  il  n'y  a 
pUis  de  points  fixes  d'insertion  aux  deux  extrémités  du 
conduit  membraneux.  En  effet,  sous  tous  les  autres  rap- 
ports, les  conditions  de  la  seconde  expérience  sont  exac- 
tement les  mômes  que  celles  de  la  première,  et  les  nerfs 
de  l'extrémité  supérieure  du  conduit  n'ont  pas  été  inté- 
ressés. 

Nous  allons  maintenant  commencer  une  étude  des 
plus  importantes  et  des  plus  intéressantes.  Les  expé- 
riences pratiquées  dans  ces  dernières  années  sur  l'es- 
tomac doivent  être  rangées  parmi  les  plus  remarquables 
qui  figurent  dans  les  annales  de  la  science.  Leurs  résul- 
tais ont  fait  faire  un  progrès  extraordinaire  à  la  phy- 
siologie. Le  succès  qui  a,  sous  ce  rapport,  couronné  les 
efforts  des  observateurs,  est  dû  principalement  à  l'idée 
éminemment  ingénieuse  de  pratiquer  des  ouvertures 
artificielles  à  l'estomac.  C'est  ainsi  que  nous  avons  pu 
constater  les  propriétés  réelles  du  suc  gastrique,  et  con- 
templer de  visu  la  marche  naturelle  de  la  digestion 
stomacale. 


556  appari.il  digkstif. 

On  a  produit  des  fistules  gastriques  chez  un  grand 
nombre  d'animaux  appartenant  à  différentes  espèces. 
Cependant  il  en  est  quelques-uns  qui  sont  tout  à  fait 
impropres  à  cette  opération,  et  cela  pour  diverses  rai- 
sons. Pour  pratiquer  l'expérience  dans  les  circonstances 
les  plus  favorables,  on  doit  choisir  un  animal  dont 
l'estomac  est  large,  facilement  dilatable,  et  en  même 
temps  assez  rapproché  de  la  paroi  abdominale.  C'est 
pour  cela  que  l'opération  devient  tout  à  fait  impossible 
chez  certains  animaux.  Le  cheval,  par  exemple,  a  l'es- 
tomac petit  et  profondément  situé,  outre  que  l'organi- 
sation particulière  de  l'espèce  chevaline  donne  relati- 
vement peu  d'importance  aux  fonctions  de  cet  organe. 
Non-seulement  ses  dimensions  sont  insignifiantes,  mais 
les  glandes  gastriques  n'occupent  qu'une  très-petite 
portion  de  sa  surface,  sa  partie  gauche  étant  entière- 
ment recouverte  par  des  couches  épaisses  d'un  épi- 
thélium  dur,  qui  se  continue  avec  celui  de  l'œsophage. 
Il  est  également  difficile,  et  pour  les  mêmes  causes,  de 
produire  des  fistules  gastriques  chez  les  oiseaux  pourvus 
d'un  gésier.  Mais  Texpérience  réussit  admirablement 
chez  ceux  d'entre  eux  qui  sont  munis  d'un  estomac  mus- 
culeux,  le  corbeau,  par  exemple,  et  tous  les  oiseaux  de 
proie.  Il  serait  inutile  de  pratiquer  l'opération  chez  le 
lapin,  dont  l'estomac  n'est  jamais  vide,  alors  même  que 
cet  animal  meurt  de  faim  :  on  ne  pourrait  jamais  obtenir 
chez  lui  du  suc  gastrique  pur,  non  mélangé.  Beaucoup 
d'autres  animaux  domestiques  doivent  être  éliminés 
pour  des  raisons  à  peu  près  identiques.  Pour  que  l'opé- 
ration s'effectue  avec  un  plein  succès,  il  faut  que  l'ani- 


I 


FISTULES   GASTRIQUIS.  557 

mal  choisi  offre  les  plus  grandes  facilités  à  la  partie 
chirurgicale  de  l'expérience,  et  qu'il  soit  doué  d'une 
sécrétion  abondante  de  suc  gastrique  pur.  Par  suite,  le 
chien  est  l'animal  qui  remplit  le  mieux  les  conditions 
requises  :  c'est  lui  que  l'on  emploie  généralement. 

C'est  à  M.  Blondlot  que  revient  l'honneur  d'avoir 
conçu  la  première  idée  de  cette  opération.  Voici  le 
procédé  imagmé  par  cet  habile  observateur  : 

L'animal  étant  couché  sur  le  dos  et  solidement  attaché, 
on  fait  sur  la  ligne  blanche  une  incision  s'étendant 
de  l'appendice  xiphoïde  à  la  symphyse  pubienne.  On 
saisit  alors  l'estomac  avec  une  pince  et  on  l'attire  en 
avant.  On  passe  ensuite  à  travers  les  paroisde  l'estomac 
un  fil  d'argent  que  l'on  enroule  autour  d'un  obturateur 
de  bois  placé  en  dehors  de  l'abdomen.  Cette  première 
parliede  l'opération  une  fois  terminée,  on  laisse  l'animal 
en  repos  pendant  quelques  jours.  Lorsqu'au  bout  d'un 
temps  suffisant  les  parois  stomacales  ont  contracté  des 
adhérences  avec  l'ouverture  abdominale,  on  ouvre  la 
face  antérieure  de  cet  organe  avec  le  bistouri,  et  l'on  y 
introduit  une  canule. 

Dans  mes  propres  expériences,  j'ai  trouvé  plus  com- 
mode de  modifier  le  manuel  opératoire  de  la  manière 
suivante  :  On  provoque  d'abord  une  dilatation  de  l'esto- 
mac, en  laissant  l'animal  manger  copieusement  une 
heure  ou  deux  avant  l'opération.  On  fait  alors  une  inci- 
sion qui  comprend  à  la  fois  la  paroi  abdominale  et  la 
face  antérieure  de  l'estomac  distendu  qui  est  venu  s'ac- 
coler à  elle.  On  introduit  sur-le-chaaip  la  canule  et,  par 
quelques  points  de  suture,  on  réunit  la  plaie  abdominale 


558  APPAREIL    DIGESTIF. 

à  l'ouverture  gastrique.  L'opération  réussit  presque 
toujours,  et  au  bout  de  deux  jours  on  peut  commencer 
sans  crainte  les  expériences  sur  la  digestion. 

M.  Blondlot  a  publié  récemment  une  modification  de 
son  procédé,  qui  permet  h  l'opérateur  de  se  passer  de 
canule.  Il  arrive  parfois  que  les  lèvres  de  la  plaie  s'en- 
flamment et  que  la  présence  de  l'instrument  occasionne 
une  irritation  douloureuse  qui  rend  son  ablation  néces- 
saire :  si  on  ne  le  retire  pas,  les  parties  voisines  peuvent 
se  gangrener.  Dans  mes  expériences,  je  me  suis  mis  à 
l'abri  de  cet  inconvénient  en  me  servant  d'une  canule 
double,  ce  qui  me  permet  d'en  substituer  une  plus  petite 
à  la  première,  lorsqu'elle  est  trop  grosse. 

M.  Blondlot  a  adopté  une  méthode  différente.  Après 
avoir  ouvert  l'abdomen,  il  provoque  une  inflammation 
adbésive  qui  réunit  la  face  antérieure  de  l'estomac  aux 
lèvres  de  la  plaie.  Il  fait  alors  avaler  à  l'animal  une 
mèche  de  fil  à  emballage,  dont  l'une  des  extrémités 
reste  pendante  en  dehors  delà  bouche.  Avec  une  pince, 
il  saisit  l'autre  extrémité  dans  la  cavité  gastrique  préa- 
lablement ouverte.  Il  attache  alors  un  obturateur  à  l'ex- 
trémité supérieure;  puis,  tirant  la  mèche  à  travers  la 
plaie,  il  fait  passer  cet  obturateur  par  l'œsophage,  jusque 
dans  l'estomac,  dont  il  ferme  complètement  l'ouverture. 
De  cette  manière  on  peut,  à  volonté,  fermer  la  fistule 
en  tirant  à  soi  l'obturateur,  ou  la  rouvrir  en  le  repous- 
sant en  arrière. 

Pratiquement,  cette  méthode  paraît  offrir  des  diffi- 
cultés considérables. 

Nous  continuerons  donc,  de  préférence  à  ce  nouveau 


FISTULES   GASTRIQUES.  559 

procédé  de  M.  Blondlot,  à  nous  servir,  comme  d'ha- 
bitude, de  la  double  canule. 

Nous  allons  faire  l'expérience  sous  vos  yeux.  A  notre 
prochaine  leçon,  l'animal  sur  lequel  nous  allons  opérer 
sera  sans  doute  en  assez  bon  état  pour  nous  fournir  une 
abondante  quantité  de  suc  gastrique.  Nous  examinerons 
alors  successivement  ses  intéressantes  propriétés,  ainsi 
(juela  digestion  stomacale. 

L'expérience  est  pratiquée,  vous  le  voyez,  sur  un 
très-beau  et  gros  lévrier.  L'animal,  ayant  mangé  en- 
viron une  heure  auparavant,  est  naturellement  en  plein 
travail  de  digestion.  A  peine  l'estomac  est-il  ouvert  qu'on 
voit  s'échapper  de  la  plaie  une  grande  quantité  de  suc 
gastrique. 


VINGT-SEPTIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  L'opération  de  la  gastrotomie  chez  le  chien  ne  présente  généra- 
lement pas  d'inconvénients  sérieux.  —  Propriétés  particulières  du  suc  gas- 
trique. —  Sa  réaction  acide.  —  Cette  propriété  se  retrouve  dans  toute 
l'échelle  animale.  —  Les  glandes  en  tube  de  la  muqueuse  stomacale 
sont  la  source  réelle  de  ce  liquide.  —  Preuves  expérimentales  de  ce  fait. 

—  Expériences  de  Prévost  et  Leroyer.  —  Pvésultats  identiques  chez  les 
herbivores.  —  La  portion  pylorique  de  l'estomac  concourt  seule  à  cette 
sécrétion.  —  Des  modifications  de  la  muqueuse  stomacale  pendant  la  diges- 
tion. —  L'épithélium  se  détache.  —  Des  différentes  substances  éliminées 
par  la  sécrétion  gastrique  :  prussiate  de  potasse,  sels  de  fer,  etc.  —  Dé- 
monstration expérimentale.  —  Difficulté  de  déterminer  le  point  particulier 
où  la  sécrétion  a  lieu.  —  Des  diiférenles  manières  de  recueillir  le  suc 
gastrique  pour  l'analyse.  —  Comment  on  réussit  le  mieux  à  en  séparer  les 
substances  alimentaires  mélangées. 

Certains  liquides  sont  invariablement  mêlés  au  suc  gastrique  et  il  est  impos- 
sible d'éviter  leur  présence.  —  Salive.  —  Sécrétion  propre  des  glandes 
du  pharynx.  —  Tous  ces  liquides  sont  alcalins,  et,  suivant  la  loi  de 
Berzelius,  ils  ont   une  tendance  à  neutraliser  l'acidité  du  suc  gastrique. 

—  Influence  des  alcalins  sur  la  sécrétion  gastrique.  —  La  réaction  des 
liquides  intestinaux  au  delà  du  pylore  est  entièrement  variable.  —  Com- 
position chimique  du  suc  gastrique.  —  Influence  du  système  nerveux 
sur  sa  production.  —  Plexus  solaire.  —  Effets  produits  sur  l'estomac  par 
la  galvanisation  des  pneumogastriques  et  du  grand  sympathique. 


Messieurs, 

Nous  avons  décrit  dans  nos  précédentes  leçons 
les  différentes  manières  d'obtenir  le  suc  gastrique  en 
grandes  quantités.  Nous  allons  maintenant  procéder 
à  l'examen  des  principales  propriétés  de  cet  important 
liquide. 

L'animal  dont  nousavonsouvertreslomac  dans  lalecou 


SÉCRÉTION    GASTRIQUE.  *        561 

dernière  esfmort  rapidement  de  péritonite  à  la  suite  de 
l'expérience.  Ce  résultat  fâcheux  ne  doit  pas  être  attri- 
bué à  l'opération  elle-même,  qui  la  plupart  du  temps 
n'offre  pas  d'inconvénients  sérieux.  Il  faut  plutôt  mettre 
en  cause  l'état  de  santé  antérieur  de  l'animal,  et  les 
prédispositions  défavorables  que  l'on  observe  trop  sou- 
vent dans  certaines  races  de  chiens  au  point  de  vue  des 
opérations  pratiquées  sur  les  organes  abdominaux. 

L'expérience  a  au  contraire  réussi  chez  l'animal  que 
nous  mettons  aujourd'hui  sous  vos  yeux.  Comme  vous 
le  voyez,  il  paraît  jouir  actuellement  de  la  santé  la  plus 
parfiute,  et  il  nous  fournira,  au  moment  voulu,  une 
<iuantité  abondante  de  suc  gastrique.  Procédons  par 
conséquent  à  l'examen  des  propriétés  caractéristiques 
de  cette  sécrétion. 

Bien  que  sa  composition  chimique  varie  légèrement 
suivant  les  différents  animaux,  le  suc  gastrique  est  con- 
stamment doué  (l'une  forte  réaction  acide.  Ce  fait  a  été 
établi,  vers  le  commencement  du  dernier  siècle,  par  les 
ingénieuses  expériences  de  Réaumur.  Cette  propriété 
de  la  sécrétion  existe  dans  toute  l'échelle  animale.  C'est 
ce  qui  a  permis  aux  anatomistes  de  déterminer  souvent 
le  siège  précis  de  l'estomac  dans  les  cas  douteux,  la 
réaction  de  toutes  les  autres  parties  de  l'appareil  digestif 
*Hant  neutre  ou  même  franchement  alcaline.  L'emploi 
d(;s  réactifs  colorés  perniet  donc  à  l'observateur  d'indi- 
quer avec  la  plus  grande  exactitude  la  portion  du  tube 
intestinal  qui  correspond  à  l'estomac  de  l'animal.  Chez 
ertainspoissons,  par  exemple,  aucune  modification  de 
forme  ou  de  volume  du  canal  alimentaire  ne  correspond 


c 


CL.  BERXAiiD.  —  Physiol.  opér. 


3G 


562         *  APPAREIL    DIGESTIF. 

à  la  place  occupée  par  l'organe;  sans  l'emploi  des  réac- 
tifs colorés,  il  serait  absolument  impossible  de  découvrir 
sa  position. 

Mais  les  cellules  glandulaires,  qui  versent  ce  puissant 
dissolvant  dans  la  cavité  gastrique,  ne  sont  pas  réunies 
en  une  masse  conglomérée;  elles  sont,  au  contraire, 
disséminées  sur  une  large  surface.  Autrefois,  l'esprit 
inventif  des  anatomistes  s'est  fortement  exercé  à  décou- 
vrir l'organe  qui  produit  le  suc  gastrique.  La  rate,  entre 
autres  viscères,  avait  été  investie  <le  cette  propriété. 
Aujourd'hui  on  reconnaît  universellement  que  les  petites 
glandes  en  tubes  que  le  microscope  découvre  dans  la 
muqueuse  stomacale  sont  en  réalité  la  source  unique  de 
ce  liquide.  Mais  comment  démontrer  expérimentalement 
ce  fait  ?  La  sécrétion  de  ces  petits  organes  ne  peut  pas, 
comme  cela  a  lieu  pour  les  grosses  glandes  conglomérées, 
être  recueillie  au  moyen  d'un  tube  introduit  dans  le 
conduit  excréteur.  D'autre  part,  la  muqueuse  qui  les 
contient  renferme  en  môme  temps  un  nombre  consi- 
dérable de  petits  follicules  muqueux  dont  la  structure 
et  les  propriétés  difFèrent  entièrement  des  glandes  dont 
nous  nous  occupons.  Des  expériences  directes  sont 
dès  lors  évidemment  nécessaires  pour  résoudre  la  ques- 
tion. La  première  solution  satisfaisante  de  cette  difflculté 
est  due  à  Prévost  et  Leroyer  (de  Genève).  Ces  auteurs 
ont  prouvé,  par  les  expériences  suivantes,  que  la  portion 
pylorique  de  l'estomac  jouit  seule  de  la  propriété  de 
sécréter  le  suc  gastrique.  On  ouvre  l'estomac  d'un  ani- 
mal vivant,  par  une  incision  pratiquée  sur  sa  face  anté- 
rieure, après  avoir  préalablement  incisé  la  paroi  abdo- 


SÉCRIÎTION    GASTRIQUE.  563 

minale.  On  essuie  alors  la  surface  interne  de  cet  organe 
au  moyen  d'une  fine  éponge  imbibée  d'une  solution 
alcaline  faible,  en  ayant  soin,  bien  entendu,  de  ne  pas 
enlever  l'épithélium.  On  introduit  enfin  dans  la  cavité 
un  morceau  de  papier  bleu  de  tournesol  et  l'on  referme 
la  plaie.  Quelques  heures  après,  on  sacrifie  l'animal. 
A  l'autopsie,  on  trouve  que  vers  l'extrémité  pylorique 
de  l'organe  le  papier  bleu  est  devenu  rouge,  tandis  qu'il 
a  conservé  sa  coloration  dans  tous  les  autres  points. 
Cela  prouve  bien  que  la  portion  pylorique  de  l'estomac 
où  se  trouvent  les  petites  glandes  en  tubes  dont  nous 
avons  parlé  est  bien  le  siège  réel  de  la  sécrétion  gastrique. 

On  peut  répéter  l'expérience  sur  des  animaux  d'es- 
pèce différente  ;  elle  donne  invariablement  les  mômes 
résultats.  Ainsi,  chez  le  cheval,  la  partie  pylorique  de 
l'estomac,  et  chez  les  ruminants,  la  caillette,  sont  seules 
douées  de  la  propriété  de  sécréter  ce  liquide,  ainsi  que 
le  démontrent  les  papiers  réactifs.  Nous  devons  admettre 
comme  une  vérité  incontestable  que  le  suc  gastrique  ne 
se  produit  que  dans  les  environs  du  pylore. 

Mais  la  sécrétion  de  ces  petites  glandes  est  intermit- 
tente chez  l'homme  aussi  bien  que  chez  les  animaux 
inférieurs.  Le  docteur  Beaumont  rapporte  que  chez 
son  Canadien  le  suc  gastrique  n'apparaissait  qu'après 
l'introduction  d'aliments  dans  l'estomac  ;  aussitôt  que  le 
travail  de  la  digestion  était  terminé,  il  ne  se  produisait 
dans  la  cavité  gastrique  aucune  sécrétion  jusqu'au  repas 
suivant.  De  même,  lorsqu'on  introduit  une  canule  dans 
l'estomac  d'un  chien,  on  ne  voit  s'écouler  aucune  goutte 
de  liquide,  à  la  condition  que  l'animal  ait  été  préala- 


564  APPAREIL    DIGESTIF. 

blement  soumis  au  jeûne;  mais  aussitôt  qu'il  com- 
mence à  manger,  on  voit  immédiatement  s'échapper 
par  l'orifice  externe  du  tube  une  quantité  abondante  de 
suc  gastrique.  On  peut  obtenir  le  même  résultat  eu  se 
bornant  à  montrer  les  aliments  à  l'animal,  ainsi  que 
cela  a  lieu  pour  les  glandes  salivaires.  Chez  le  chien 
que  nous  vous  présentons  aujourd'hui,  l'estomac  est 
actuellement  à  l'état  de  repos  ;  mais  la  vue  des  aliments 
va  stimuler  immédiatement  l'activité  physiologique  de 
ses  éléments  glandulaires. 

Vous  voyez  l'expérience  pratiquée  sous  vos  yeux. 
Un  morceau  de  viande  ayant  été  placé  sous  les  yeux  de 
l'animal,  le  suc  gastrique  s'écoule  par  le  tube  avant 
qu'il  ait  commencé  à  manger. 

Vous  voyez,  messieurs,  que,  ainsi  que  cela  a  lieu 
pour  les  autres  glandes,  la  sécrétion  n'est  pas  continue 
dans  l'estomac.  Pendant  l'intervalle  qui  sépare  un 
repas  du  suivant,  la  tunique  muqueuse  est  recouverte 
d'une  couche  épaisse  d'épithélium  grisâtre,  et  sa  réac- 
tion -est  alcaline.  Mais  aussitôt  que  le  travail  de  la 
digestion  commence,  celte  muqueuse  se  gonfle,  se  con- 
gestionne, devient  rouge;  l'épithélium  se  détache  par 
lamelles,  et  le  suc  gastrique  apparaît  à  la  surface  interne 
de  l'estomac,  comme  la  sueur  à  la  surface  de  la  peau. 
Il  est  probable  que  les  choses  se  passent  de  même  dans 
toutes  les  glandes  à  l'état  de  repos.  La  salive,  par 
exemple,  lorsqu'elle  commence  à  s'écouler,  contient 
d'abord  une  proportion  considérable  d'éléments  épithé- 
liaux;  mais  bientôt  le  liquide  devient  transparent  et  ne 
renferme  plus  que  quelques  cellules  épithéliales. 


SÉCRlïTION  GASTRIQUE.  565 

Il  existe  une  différence  remarquable  entre  le  suc 
gastrique  et  les  sécrétions  que  nous  avons  déjà  étudiées, 
sous  le  rapport  des  subslances  éliminées  de  l'économie 
par  les  diverses  glandes  après  leur  introduction  dans  les 
vaisseaux.  Nous  vous  avons  montré,  par  exemple,  que 
le  prussiate  de  potasse  et  les  sels  de  fer  en  général  ne 
passaient  pas  par  la  sécrétion  salivaire.  Le  contraire 
a  lieu  avec  le  suc  gastrique.  Si  l'on  injecte  du  prussiate 
de  potasse  dans  les  veines  d'un  animal,  et  si  Von  intro- 
duit en  même  temps  un  sel  de  fer  dans  l'estomac,  la 
muqueuse  prend  bientôt  une  coloration  bleu  foncée 
dans  sa  portion  pylorique,  pendant  que  la  digestion 
a  lieu.  Les  deux  substances  ayant  été  amenées  en  con- 
tact au  niveau  des  orifices  des  glandes  tubuleuses  qui 
sécrètent  le  liquide  digestif,  il  s'est  formé  du  bleu  de 
Prusse  en  ce  point.  Le  môme  résultat  peut  être  obtenu, 
mais  avec  beaucoup  plus  de  difficulté,  en  renversant 
l'expérience,  c'est-à-dire  en  injectant  des  sels  de  fer 
dans  les  veines  et  en  faisant  prendre  le  prussiate  de 
potasse  parla  bouche.  Enfin,  si  l'on  injecte  séparément 
ces  deux  ordres  de  substances  dans  les  vaisseaux,  on 
observe  encore  les  mêmes  effets  :  la  réaction  n'a  pas  lieu 
tant  qu'elles  sont  encore  contenues  dans  le  sang;  mais 
elle  se  produit  immédiatement  lorsqu'elles  ont  été  mises 
en  liberté  par  les  voies  d'élimination. 

En  pratiquant  l'expérience  dont  je  viens  de  vous 
parler,  je  m'étais  bercé  de  l'espoir  de  découvrir  le  siège 
précis  de  la  sécrétion  gastrique.  En  introduisant  les 
deux  substances  dans  la  circulation  en  des  points  éloi- 
gnés l'un  de  l'autre,  je  m'attendais  à  trouver  le  bleu  de 


566  APPAREIL    DIGESTIF. 

Prusse,  qui  résulte  de  leur  combinaison,  dans  les  glandes 
mômes  qui  les  séparent  du  sang.  Mais,  sous  ce  rapport, 
mes  prévisions  n'ont  pas  été  réalisées.  En  effet,  en 
examinant  au  microscope  la  membrane  muqueuse  où 
la  réaction  avait  eu  lieu,  j'ai  trouvé  que  le  ferrocyanure 
de  fer  s'était  déposé  à  sa  surface,  et  non  pas  dans  la 
cavité  des  tubes  sécréteurs. 

Nous  venons  de  dire  que  la  sécrétion  est  intermittente, 
et  cela  chez  tous  les  animaux.  Mais  comment  prouver 
ce  fait  pour  les  lapins  et  autres  rongeurs,  dont  l'estomac 
n'est  jamais  vide?  L'examen  de  l'urine  nous  permet, 
par  une  méthode  indirecte,  d'arriver  à  cette  conclusion. 
Chez  tous  les  herbivores,  en  effet,  ce  liquide  oftre  pen- 
dant la  digestion  une  réaction  alcaline,  et  devient  acide 
aussitôt  que  celle-ci  est  terminée.  Chez  les  carni- 
vores, c'est  l'inverse  qui  a  lieu.  Cette  différence  résulte 
uniquement  du  genre  d'alimentation.  En  effet,  les  chiens 
nourris  exclusivement  de  pommes  de  terre  et  autres 
substances  amylacées,  acquièrent,  sous  ce  rapport,  les 
propriétés  des  herbivores;  leur  urine  devient  acide  pen- 
dant que  les  organes  digestifs  sont  à  l'état  de  repos,  et 
alcalines  aussitôt  qu'ils  entrent  en  activité.  Par  contre, 
chez  les  lapins  nourris  exclusivement  de  viande,  l'urine 
devient  entièrement  semblable  à  celle  des  carnivores. 
Or,  si  nous  examinons  l'un  de  ces  animaux  nourri 
comme  d'habitude  avec  des  légumes,  nous  trouvons 
qu'après  une  abstinence  de  longue  durée  (vingt-quatre 
heures  par  exemple),  l'urine  devient  complètement 
acide.  Noussommes  dès  lors  en  droit  de  supposer  que  la 
digestion  a  été  suspendue  pendant  un  certain  temps, 


SÉCRÉTION    GASTRIQUE.  567 

bien  que  la  muqueuse  stomacale  soit  restée  perpétuelle- 
ment en  contact  avec  des  aliments  non  digérés.  Dans 
certaines  maladies  pourtant,  les  conditions  naturelles  de 
la  sécrétion  gastrique  sont  troublées  et  l'on  voit  le  liquide 
sVcouler  sans  interruption. 

Nous  vous  avons  dit  dans  une  autre  leçon  que  l'es- 
tomac élimine  souvent  certaines  substances  qui,  pour 
diverses  raisons,  ne  passent  plus  par  leurs  voies  habi- 
tuelles. Prévost  et  Dumas  ont  reconnu  il  y  a  long- 
temps que,  lorsqu'on  enlève  les  deux  reins  d'un  chien, 
il  s'écoule  plusieurs  jours  avant  qu'on  puisse  décou- 
vrir la  présence  de  l'urée  dans  le  sang  au  moyen  des 
réactifs  chimiques.  Cette  substance  peut  donc  s'élimi- 
ner par  des  voies  autres  que  ses  voies  ordinaires.  Ces 
auteurs  n'avaient  pas  essayé  de  donner  une  explica- 
tion de  ce  fait,  quand  je  découvris  des  preuves  indubi- 
tables de  la  présence  de  l'urée  et  des  sels  d'ammoniaque 
dans  le  suc  gastrique  de  chiens  à  qui  on  avait  récemment 
enlevé  les  deux  reins.  C'est  donc  par  cette  sécrétion  que 
l'élimination  se  fait  pendant  un  certain  temps.  L'appétit 
de  l'animal  ne  diminue  pas,  ses  digestions  ne  sont  pas 
troublées,  mais  lorsque  l'estomac  ne  peut  plus  remplir 
ce  nouvel  office,  alors  les  substances  toxiques  passent 
dans  le  sang  et  les  symptômes  de  l'urémie  apparaissent 
à  la  fin. 

Après  avoir  examiné  les  principales  propriétés  du  suc 
gastrique  et  essayé  d'indiquerle  siège  précis  de  l'appareil 
glandulaire  qui  préside  à  sa  sécrétion,  il  nous  reste  à 
décrire  les  procédés  les  plus  convenables  qu'il  faut  em- 
ployer pour  l'obtenir  à  l'état  de  pureté  parfaite  et,   si 


568  APPAREIL   DIGESTIF. 

cela  est  possible,  pour  le  recueillir  par  des  moyens  arli- 
ficiels.  Vous  avez  sans  doute  remarqué  que,  lorsqu'on 
veut  se  procurer  de  grandes  quantités  de  suc  gastrique, 
il  devient  nécessaire  d'introduire  des  aliments  dans 
l'estomac  afin  de  réveiller  son  activité  endormie.  Les 
objections  que  l'on  peut  formuler  contre  un  tel  procédé 
sont  faciles  à  prévoir.  Les  substances  étrangères  sont 
naturellement  tenues  en  dissolution  dans  le  liquide  ainsi 
obtenu,  et  sa  composition  réelle  n'est  pas  révélée  par 
l'analyse  cbimique.  Pour  obvier  à  cet  inconvénient,  il 
faut  recueillir  le  suc  gastrique  au  moment  même  oi!i  la 
digestion  commence.  Les  substances  introduites  dans 
l'estomac,  une  fois  qu'elles  ont  été  mises  en  contact  avec 
le  liquide  sécrété  par  sa  face  interne,  se  désagrègent  peu 
à  peu,  se  divisent  en  petits  fragments,  et  sont  rapide- 
ment dissoutes.  Mais  pendant  les  premiers  moments, 
alors  que  ce  travail  n'est  pas  encorecommencé,  le  liquide 
obtenu  peut  être  considéré  comme  relativement  pur  et 
sans  mélange. 

C'est,  en  outre,  un  fait  bien  connu  que  les  parois  elles- 
mêmes  de  l'estomac,  protégées  qu  elles  sont  par  les 
couches  épithéliales  qui  les  recouvrent,  ne  sont  pas 
exposées  à  être  attaquées  pendant  la  digestion. 

Ce  sont  les  tripes  que  nous  employons  habituelle- 
ment pour  stimuler  le  travail  digestif;  cet  aliment, 
comme  vous  le  savez,  est  constitué  parla  surface  interne 
des  intestins  des  ruminants;  il  est  peut-être  par  là  même 
apte  à  résister  à  l'action  du  suc  gastrique  pendant  un 
temps  beaucoup  plus  long  ([ue  les  autres  substances 
animales.  Naturellement  il  faut  filtrer  le  liquide  ainsi 


SÉCRÉTION    GASTRIOUE.  569 

obtenu,  afin  de  le  dL'barrasser  des  Iraginenls  à  demi 
digérés  qu'il  peut  contenir. 

Il  n'est  pas  difficile  d'obtenir  le  suc  gastrique  à 
volonté,  en  fermant  l'orifice  externe  du  tube  introduit 
dans  l'estomac  au  moyen  d'un  petit  bouclion  que  Tani- 
uial  ne  peut  pas  enlever  avec  ses  dents.  11  est  plus  com- 
mode toutefois  d'adapter  à  l'appareil  une  petite  poche 
de  caoutchouc,  dans  laquelle  le  liquide  se  déverse  rapide- 
ment quand  la  sécrélion  commence.  Il  faut  éviter  aussi 
d'enlever  de  l'estomac  une  trop  grande  quantité  de  suc 
gastrique,  afin  de  ne  pas  troubler  le  travail  de  la 
digestion. 

Mais,  lorsqu'on  essaye  de  recueillir  à  l'état  de  pureté 
la  sécrétion  gastrique,  on  se  trouve  en  présence  d'une 
autre  difficulté.  Lorsque,  comme  cela  a  lieu  d'ordinaire, 
les  aliments  sont  introduits  par  la  bouche,  la  salive  est 
le  premier  liquide  qui  vient  les  imprégner.  Une  autre 
sécrétion,  relativement  insignifianie  chez  les  carnivores, 
mais  plus  abondante  chez  les  ruminants,  vient  se  mé- 
langer au  bol  alimentaire  avant  qu'il  ait  atteint  la  cavité 
stomacale;  nous  voulons  parler  de  la  sécrétion  pharyn- 
gienne que  l'on  recueille  facilement  chez  le  cheval,  en 
divisant  l'œsophage  vers  la  partie  moyenne  du  cou  et 
en  adaptant  un  tube  de  verre  à  son  bout  supérieur. 
Pendant  la  mastication,  ce  liquide  se  produit  en  grande 
abondance,  et  l'on  peut  en  recueillir  plusieurs  litres.  11 
provient  des  glandes  situées  ;i  la  partie  supérieure  du 
pharynx;  par  sa  composition  chimique,  il  diffère  de  la 
salive,  mais  il  s'en  rapproche  par  sa  réaction  alcaline. 
Il  est  dès  lors  évident  qu'au  moment  de  la  digestion, 


570  APPAREIL    DIGESTIF. 

à  l'état  de  santé,  le  suc  gastrique  se  trouve  mélangé 
avec  deux  autres  liquides,  qui  offrent  tous  deux  une 
réaction  alcaline.  Mais  la  puissante  acidité  de  la  sécrétion 
gastrique  l'emporte  complètement  sur  les  propriétés 
contraires  des  deux  autres,  car  jamais  elle  ne  perd  cette 
acidité  :  dans  certaines  maladies  elle  peut  être  arrêtée 
ou  diminuée,  mais  ces  propriétés  chimiques  demeurent 
invariablement  les  mêmes.  Gela  s'accorde  parfaitement, 
comme  vous  le  voyez,  avec  cette  loi  de  Berzelius:  que 
dans  les  différentes  parties  d'un  appareil  donné  on  ren- 
contre alternativement  des  sécrétions  acides  et  alca- 
lines, qui  réagissent  les  unes  sur  les  autres  et  s'excitent 
mutuellement.  En  fait,  on  sait  très-bien  que  le  suc  gas- 
trique s'écoule  en  plus  grande  abondance  quand  on 
introduit  des  alcalins  dans  l'estomac  ;  les  acides  au  con- 
traire entravent  sa  formation.  L'addition  de  sels  alcalins 
aux  différents  aliments  est  dès  lors  favorable  à  la  diges- 
tion. Telle  est  peut-être  l'une  des  raisons  qui  expliquent 
l'usage  étendu  du  sel  ordinaire  chez  toutes  les  nations. 
Vous  savez  aussi  que  certaines  espèces  animales  dévo- 
rent avec  avidité  le  sel,  chaque  fois  qu'elles  peuvent  en 
rencontrer,  et  se  réunissent  par  bandes  dans  les  endroits 
où  il  est  déposé  à  la  surface  du  sol. 

Mais,  en  vertu  du  même  principe,  nous  trouvons  que 
la  bile  et  le  suc  pancréatique,  étant  doués  d'une  forte 
réaction  alcaline,  neutralisent  l'acidité  du  suc  gastrique, 
en  sorte  qu'au  delà  du  pylore  la  réaction  intestinale  est 
généralement  neutre;  chez  les  carnivores  toutefois  elle 
reste  acide  dans  la  plupart  des  cas. 

La  composition  chimique  |du  suc  gastrique  n'a  pas 


SÉCRÉTION    GASTRIQUE.  571 

été  encore  complètement  définie,  et  les  auteurs  ne  sont 
pas  d'accord  sur  ce  point.  Il  renferme  une  grande  pro- 
portion d'eau  (995  parties  pour  1000;  l'acide  lactique 
et  une  substance  organique,  la  pepsine,  dont  la  nature 
est  encore  imparfaitement  connue,  paraissent  être  les 
principes  actifsqui  lui  donnent  sespropriétés particulière?. 

Examinons  maintenant  le  rôle  du  système  nerveux 
dans  sa  formation. 

Lorsque,  dans  nos  précédentes  leçons,  nous  appe- 
lions votre  attention  sur  la  sécrétion  salivaire,  nous  vous 
disions  que  ce  phénomène  physiologique  devait  être 
rangé  parmi  les  actions  réflexes,  que  le  système  nerveux 
était,  par  suite,  essentiellement  intéressé  dans  la  forma- 
tion de  la  salive,  et  que  chaque  glande  devait  évidem- 
ment être  pourvue  de  nerfs  sensitifs  et  de  nerfs  moteurs 
attachés  spécialement  à  la  sécrétion.  Pour  chacune  des 
glandes,  nous  avons  indiqué  quels  étaient  ces  nerfs.  En 
second  lieu,  nous  avons  découvert  que  le  grand  sympa- 
thique avait  une  action  opposée  à  celle  des  branches 
motrices  et  faisait  obstacle  à  la  libre  action  de  la  glande. 
Nous  avons  démontré  enfin  que  la  période  d'activité  de 
€es  organes  sécréteurs  se  révélait  invariablement  par 
un  état  de  turgescence  du  tissu  glandulaire,  par  une 
accélération  de  la  circulation,  et  par  la  coloration  rouge 
du  sang  des  veines  qui  présentent  en  même  temps  des 
pulsations  artérielles. 

Pendant  la  digestion,  les  mêmes  phénomènes  accom- 
pagnent la  sécrétion  des  glandes  gastriques.  La  mu- 
queuse se  tuméfie  et  prend  une  couleur  rouge  vif  ;  et, 
comme  pour  les  glandes  salivaires,  Tinfluence  nerveuse 


57"2  APPARlilL    DIGKSTIF. 

se  rattache  intimement  à  la  formation  du  suc  gastrique. 
Il  se  produit  évidemment  une  action  réflexe,  puisque 
quelques  gouttes  d'une  solution  alcaline  provoquent 
immédiatement  la  sécrétion.  Essayons  donc  de  déter- 
miner quels  sont  les  nerfs  auxquels  est  dévolue  la  pro- 
priété de  réveiller  l'activité  endormie  de  ces  petits 
organes. 

Le  plexus  solaire  est  la  source  d'où  proviennent  tous 
les  filets  nerveux  qui  aboutissent  à  l'estomac;  et  ce 
plexus  est  formé  par  le  pneumogastrique  et  le  grand 
sympathique.  Ce  sont  donc  ces  deux  î^ert's  qui  sont  les 
conducteurs  de  l'influence  nerveuse  qui  agit  dans  le  tra- 
vail de  la  digestion.  Les  branches  émanées  du  plexus 
solaire  se  distribuent,  bien  entendu,  à  la  tunique  mus- 
culeuse  de  l'estomac,  aussi  bien  qu'aux  cellules  sécré- 
tantes, mais  les  contractions  qui  se  passent  dans  cet 
organe  pendant  la  digestion  ne  peuvent  pas  être  séparées 
de  la  sécrétion  elle-même  :  ces  deux  actes  physiologiques 
se  relient  inséparablement  l'un  à  l'autre,  comme  la 
sécrétion  parolidienne  se  relie  à  la  mastication.  Ces 
deux  derniers  phénomènes ,  vous  le  savez ,  ont  lieu 
sous  l'influence  des  branches  motrices  de  la  cinquième 
paire,  et  aucun  physiologiste  ne  voudrait  les  séparer 
l'un  de  l'autre,  en  ce  qui  touche  du  moins  l'influence 
nerveuse.  Nous  ne  chercherons  donc  pas  à  affirmer  que 
la  contraction  des  fibres  musculaires  agit  sur  les  glandes 
par  compression  :  la  sécrétion  gastrique  est,  en  elle- 
même,  un  processus  totalement  distinct  et  indépendant. 
Nous  aurons  recours  à  notre  stimulant  ordinaire, 
l'électricité,  pour  déterminer  l'influence  exercée  sur 


SÉCKTlTION   GASTRIQUE.  573 

l'eslomac  par  les  deux  nerfs  qui  sont  en  rapport  avec 
lui.  Nous  prenons  deux  chiens  porteurs  de  fistules  gas- 
triques, et  qui  ont  élé  tenus  à  la  diète  pendant  un  cer- 
tain temps.  Chez  celui  dont  on  galvanise  les  pneumo- 
gastriques, le  suc  gastrique  s'écoule  en  abondance, 
tandis  que  chez  l'autre  la  muqueuse  reste  parfaitement 
sèche. 

On  peut  donc  dire,  sans  crainte  de  se  tromper,  que 
c'est  aux  pneumogastriques  que  l'estomac  est  redevable 
de  son  pouvoir  sécréteur;  et  le  courant  galvanique, 
appliqué  à  la  sécrétion  gastrique,  paraît  être  le  procédé 
le  plus  convenable  pour  l'obtenir  à  l'état  de  pureté, 
non  mélangé  à  la  salive  et  aux  autres  substances  étran- 
gères. 

Le  grand  sympathique,  comme  on  pouvait  le  pré- 
voir facilement,  continue  à  jouer  le  môme  rôle  qu'au- 
paravant. Si  on  l'excite,  il  arrête  la  sécrétion,  ou  la 
rend  moins  abondante  quand  le  travail  digestif  est  dans 
toute  sa  plénitude.  On  peut  aisément  prouver  ce  fait 
in^  galvanisant  les  nerfs  qui  partent  des  ganglions  semi- 
lunaires. 

En  résumé  donc,  nous  trouvons  dans  l'estomac  deux 
ordres  de  nerfs,  comme  dans  toutes  les  autres  glandes  : 
des  nerfs  moteurs  qui  accélèrent  la  sécrétion,  et  des 
nerfs  organiques  qui  l'entravent.  Nous  insistons  à  des- 
sein sur  la  reproduction  constante  de  ce  fait  ;  notre 
intention  est  aussi  de  vous  démontrer  ))ius  tard  son 
importance  en  ce  qui  touche  les  propriétés  les  plus 
intimes  du  svslè.ne  nerveux. 


VINGT-HUITIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Du  suc  pancréatique.  —  Dispositions  anatomiqucs  des  con- 
duits pancréatiques  chez  l'homme.  —  Situation  de  leurs  orifices  externes. 
—  La  bifidité  de  l'appareil  excréteur  est  un  vestige  de  l'état  fœtal.  — 
Dispositions  anatomiques  de  ces  parties  dans  les  différentes  espèces  ani- 
males. —  Différents  procédés  opératoires.  —  L'organe  décrit  par  Aselli 
comme  un  pancréas  chez  le  chien  n'est  qu'une  agglomération  de  gan- 
glions lymphatiques.  —  Glandes  de  Brunner.  —  Nature  précise  de  leur 
sécrétion.  —  Propriétés  de  la  sécrétion  pancréatique.  —  Expériencos 
relatives   à  ce  sujet. 

Des  substances  éliminées  par  la  glande  pancréatique.  —  Analogie  qui  existe 
sous  ce  rapport  entre  les  glandes  pancréatiques  et  salivaires. —  Influence 
du  système  nerveux  sur  le  pancréas.  —  Expériences  variées  sur  la  sécré- 
tion pancréatique. 

Messieurs, 

Nous  avons  examiné  successivement  dans  nos  précé- 
dentes leçons  les  principales  méthodes  auxquelles  on  a 
recours  pour  se  procurer  les  produits  de  certaines  glandes 
qui  jouent  le  rôle  principal  dans  les  fonctions  digestives. 
Nous  vous  avons  montré  comment  on  recueille  la  salive, 
le  suc  gastrique  et  la  sécrétion  pharyngée  à  l'état  de 
pureté  parfaite.  Nous  arrivons  maintenant  à  la  portion 
inférieure  du  canal  alimentaire,  où  nous  allons  pour- 
suivre nos  recherches  sur  celte  branche  de  la  physio- 
logie. 

Immédiatement  au-dessous  du  pylore,  plusieurs 
liquides  importants  sont  versés  dans  le  duodénum  par 
diverses  glandes,  dont  les  unes  sont  situées  en  dehors  de 


SÉCRÉTIONS    INTESTINALES.  575 

l'intestin,  tandis  que  les  autres  sont  comprises  dans  ses 
parois  mên)es.  Nous  voulons  parler  de  la  bile,  du  suc 
pancréatique,  et  du  liquide  sécrété  par  les  glandes  de 
Brunner.  Nous  appellerons  aujourd'hui  votre  attention 
sur  la  sécrétion  pancréatique. 

Les  divers  procédés  au  moyen  desquels  on  recueille 
les  liquides  intestinaux,  bien  que  fondes  sur  un  ensemble 
de  principes  généraux,  doivent  être  modifiés  dans  une 
certaine  mesure  suivant  les  glandes  auxquelles  on  a 
affaire.  Ainsi  que  vous  le  savez,  il  existe  de  grandes 
différences  entre  ces  organes.  Le  pancréas,  par  exemple, 
est  loin  de  ressembler  à  l'appareil  salivaire,  auquel  on 
l'a  pourtant  fréquemment  assimilé.  Au  point  de  vue  de 
la  structure,  la  comparaison  est  juste;  mais,  sous  le 
rapport  des  propriétés  physiologiques,  cette  compa- 
raison est  absolument  erronée.  Et  bien  que  le  contraste 
soit  assez  sensible  à  l'élat  sain,  les  effets  des  maladies 
le  mettent  encore  plus  en  lumière.  En  effet,  les  désor- 
dres locaux  sont  presque  les  seuls  qui  puissent  troubler 
la  sécrétion  salivaire,  laquelle  demeure  intacte  dans  le 
cours  des  autres  affections.  11  est  donc  relativement 
facile  d'obtenir  ce  liquide  en  grandes  quantités,  sans^ 
modifier  ses  propriétés  normales  :  la  légère  inflamma- 
tion qui  résulte  parfois  de  l'expérience  est,  à  ce  point 
de  vue,  absolument  insignifiante.  Bien  différente  est  la 
susceptibilité  de  la  glande  pancréatique  :  les  perturba- 
lions  générales  de  l'économie  exercent  sur  ses  fonctions 
une  influence  puissante,  et  la  moindre  trace  d'inflam- 
mation modifie  immédiatement  les  propriétés  du  liquide 
qu'elle  sécrète.  Si  donc  une  péritonite  survient  à  la 


576  APPAREIL    DIGESTIF. 

suite  de  l'opéi-alion,  l'expérience  ne  peut  être  continuée 
avec  espoir  de  succès;  aucune  confiance  ne  doit  être 
ajoutée  aux  résultats  obtenus,  puisqu'on  n'a  plus  à  sa 
disposition  une  sécrétion  normale.  Si  Ton  ne  prend  pas 
les  soins  les  plus  minutieux  pour  éviter  celte  fâcheuse 
complication,  qui  est  trop  souvent  la  conséquence  des 
opérations  pratiquées  sur  les  viscères  abdominaux,  il 
sera  impossible  de  se  rendre  rationnellement  compte 
des  propriété  delà  sécrétion  pancréatique. 

La  nécessité  absolue  d'établir  des  règles  définies  pour 
l'accomplissement  de  cette  opération  délicate  est  évi- 
dente. Nous  ne  pouvons  pas,  en  effet,  accepter  les  résul- 
tats obtenus  par  les  différents  observateurs,  à  moins  que 
les  conditions  de  l'expérience  n'aient  été  identiquement 
les  mêmes  dans  chaque  cas.  Examinons  donc  la  dis- 
position anatomique  des  conduits  pancréatiques  chez 
l'homme  et  chez  les  animaux  inférieurs.  Ce  premier  pas 
une  fois  fait,  nous  essayerons  d'exposer  le  plus  claire- 
ment possible  les  principes  qui  doivent  nous  diriger. 

Dans  l'espèce  humaine,  le  pancréas  est  pourvu  de 
deux  canaux  excréteurs  :  le  premier  se  jette  dans  le 
canal  cholédoque;  le  second  va  s'ouvrir  séparément 
dans  le  duodénum.  Voici  l'estomac  d'un  criminel,  qui  a 
été  conservé  dans  l'alcool  :  cet  organe  ayant  appartenu 
à  un  sujet  sain,  nous  devons  supposer  qu'il  offre  une 
disposition  normale.  Si  nous  introduisons  deux  petits 
stylets  d'argent  dans  les  conduits  pancréatiques,  vous 
les  verrez  apparaître  h.  la  surface  interne  de  l'intestin, 
et  il  vous  sera  facile  de  constater  leur  direction.  Leurs 
<3xtiémités,  comme  vous  le  voyez,  pénètrent  dans  le  duo- 


SÉCRÉTION    PANCRÉATIQUE.  577 

dénuiii,  immédiatement  au-dessous  de  la  portion  pylo- 
rique  :  l'un  des  conduits  est  pourvu  d'un  orilice  parti- 
culier, tandis  que  l'autre  se  jette  dans  le  canal  biliaire. 
Dans  cette  préparation,  les  deux  conduits  ont  un  égal 
diamètre;  mais,  dans  la  majorité  des  cas,  celui  qui 
s'anastomose  avec  le  canal  cholédoque  est  un  peu  plus 
gros  que  l'autre.  11  existe  enfin  une  anastomose  directe 
entre  les  deux  conduits  :  cette  anastomose,  vous  la 
voyez  nettement  dans  cette  préparation.  Il  faut  noter 
cette  disposition,  puisque,  lorsqu'on  a  lié  l'un  des  canaux 
excréteurs,  la  sécrétion  passe  par  l'autre  pour  se  jeter 
dans  le  tube  digestif. 

Une  disposition  semblable  existe  chez  le  chien  ;  chez 
cet  animal,  le  pancréas  est  également  muni  de  deux 
conduits,  dont  l'un  s'ouvre  dans  le  duodénum,  immé- 
diatement au-dessus  du  canal  cholédoque,  tandis  que 
l'autre  va  rejoindre  le  canal  biliaire  :  comme  chez 
l'homme,  il  existe  une  communication  directe  entre  les 
deux  conduits.  Un  petit  tubercule  placé  à  la  surface 
interne  de  l'intestin  indique  le  siège  de  l'orifice  prin- 
cipal commun  au  canal  pancréatique  et  au  canal  bihaire; 
immédiatement  au-dessus  existe  un  second  tubercule 
qui  correspond  à  l'orifice  du  canal  pancréatique  acces- 
soire ou  indépendant.  Voici  l'estomac  et  le  duodénum 
d'un  chien,  sur  lequel  on  peut  contrôler  cette  disposi- 
tion :  il  nous  sera  facile  de  vous  démontrer  par  une 
expérience  directe  l'anastomose  des  deux  conduits.  Si 
l'on  injecte,  en  effet,  un  liquide  coloré  dans  l'un  des  ori- 
fices, on  le  voit  passer  immédiatement  par  l'autre,  ce  qui 
établit  manifestement  l'existence  d'une  communication. 

CL.    BERNARD     —  PllVSiol.   Opéf.  37 


578  APPAREIL    DIGESTIF, 

Nous  introduisons  une  fine  seringue  dans  l'orifice 
principal  et  injectons  de  l'eau  avec  force;  le  jet  apparaît 
immédiatement  par  l'orifice  voisin. 

L'existence  de  cette  particularité  anatomique  chez  le 
chien  a  été  décrite  il  y  a  longtemps  par  de  Graaf  ;  on 
savait  même  qu'elle  existait  aussi  chez  l'homme.  Meckel 
a  étahli  que  chez  le  fœtus  il  y  a  un  double  pancréas 
auquel  correspond  un  double  canal  :  chez  l'adulte,  tou- 
jours suivant  le  même  auteur, cette  bifidité  disparaîtrait, 
et  il  ne  resterait  plus  qu'un  seul  conduit,  les  deux 
glandes  étant  confondues  en  une  seule.  Bien  que  le 
célèbre  anatoiniste  ait  commis  une  erreur  sur  ce  point, 
je  crois  volontiers  à  la  bifidité  du  pancréas  à  l'état 
fœtal.  J'ai  trouvé  qu'il  en  était  ainsi  dans  la  race  ca- 
nine; et  l'existence  chez  le  fœtus  d'un  double  appareil 
correspondant  à  un  organe  unique  chez  l'animal  adulte 
n'est  pas  chose  rare.  Chez  les  gallinacées,  par  exemple, 
l'un  des  ovaires  est  atrophié  quand  l'oiseau  est  arrivé  à 
son  développement  complet. 

Naturellement  c'est  le  chien  que  Ton  emploie  d'habi- 
tude dans  les  expériences  sur  la  sécrétion  pancréatique, 
et  c'est  sur  le  conduit  accessoire  que  l'on  opère  d'ordi- 
naire. Voici  la  manière  de  procéder  : 

On  fait  sur  la  paroi  abdominale  une  incision  médiane 
dans  le  voisinage  du  pylore.  Un  aide  écarte  les  muscles 
et  l'opérateur  saisit  le  duodénum  avec  une  pince  pour 
le  séparer  des  parties  voisines  et  l'attirer  hors  de  la 
plaie.  Le  pancréas,  dont  les  connexions  intimes  avec 
cette  portion  du  tube  digestif  nous  sont  bien  connues, 
sort  ainsi  de  la  cavité  abdominale.  On  écarte  les  vais- 


SÉCRÉTION  PANCRÉATIQUE.  579 

seaux,  en  prenant  les  plus  grandes  précautions  pour  ne 
pasles  blesser,  et  l'on  met  ainsi  à  nu  une  petite  partie  du 
conduit  accessoire.  En  ce  point  on  peut  inciser  sans 
irriter  cette  glande  délicate  que  le  moindre  contact 
enflammerait.  Après  avoir  passé  un  fil  dans  le  conduit, 
on  l'ouvre  et  l'on  y  lixe  un  tube  d'argent  au  moyen  d'une 
ligature;  il  est  souvent  nécessaire  d'attacher  le  tube  en 
deux  points  différents  afin  de  l'empêcher  de  s'échap- 
per. Le  duodénum  et  le  pancréas  sont  alors  soigneuse- 
ment replacés  dans  la  cavité  abdominale;  seule,  l'extré- 
mité de  la  canule  sort  encore  par  la  plaie.  Cette  canule 
doit  avoir  de  quatre  à  cinq  pouces  de  long  et  être 
pourvue  d'un  stylet  qui  l'empêche  de  se  boucher. 

La  sécrétion  pancréatique  n'a  pas  été  examinée  seu- 
lement dans  l'espèce  canine;  ses  propriétés  ont  été 
étudiées  aussi  chez  d'autres  animaux. 

Chez  le  chat,  la  disposition  des  canaux  est  tellement 
irrégulière,  qu'elle  défie  toute  description  ;  la  plupart 
du  temps  il  y  en  a  plusieurs.  Chez  !e  lapin,  leur  situation 
est  éminemment  favorable  à  l'expérimentation  :  ils 
s'étalent,  en  effet,  en  éventail  sur  le  mésentère,  avant 
de  pénétrer  dans  le  duodénum  ;  rien  de  plus  facile  dès 
lors  que  de  les  ouvrir  et  d'y  placer  un  tube.  La  prépa- 
ration anatomique  que  nous  plaçons  ici  sous  vos  yeux 
met  en  lumière  cette  disposition. 

Chez  le  bœuf,  le  pancréas  est  également  pourvu  d'un 
grand  nombre  de  conduits  excréteurs;  la  plus  grande 
partie  de  ceux-ci  s'anastomosent  avec  l'appareil  biliaire: 
les  uns  se  jettent  dans  le  canal  cholédoque,  les  autres 
arrivent  dans  la  vésicule  biliaire  elle-même.  Assez  sou- 


580  AlTARIilL    DIGESTIF. 

vent,  les  conduits  biliaires  sont  en  rapport  avec  de  petites 
glandes  pancréatiques  qui  déversent  dans  leur  cavité  le 
produit  de  leur  sécrétion.  Toutefois,  il  existe  toujours 
au  moins  un  conduit  indépendant,  qui  s'ouvre  séparé- 
ment dans  le  duodénum;  c'est  sur  lui  que  l'on  opère; 
mais,  même  après  avoir  lié  la  plupart  des  canaux  acces- 
soires, il  est  impossible  de  recueillir  la  totalité  du  liquide 
sécrété  parle  pancréas:  une  grande  quantité  de  celui-ci 
passe  directement  dans  la  vésicule  biliaire.  Voici  le 
duodénum  d'un  bœuf  avec  les  portions  voisines  de 
l'estomac;  vous  voyez  dans  cette  préparation  les  con- 
duits pancréatiques  s'anastomoser  largement  avec  les 
différentes  ramifications  du  canal  biliaire. 

Le  procédé  que  nous  venons  de  décrire  pour  recueillir 
le  suc  pancréatique  diffère  totalement  de  celui  que  de 
Graaf  avait  adopté.  Dans  ses  recherches  sur  ce  sujet,  il 
avait  l'habitude  de  faire  une  large  incision  sur  les  parois 
abdominales,  de  manière  à  amener  l'issue  de  toute  la 
masse  intestinale;  après  avoir  séparé  le  pancréas  des 
parties  voisines,  il  introduisait  un  tube  dans  le  conduit 
principal;  mais  les  résultats  de  celte  opération  quelque 
peu  brutale  semblent  avoir  vicié  la  sécrétion  de  la 
glande,  caria  description  qu'en  donne  de  Graaf  est  loin 
de  concorder  avec  les  notions  actuellement  acquises 
sur  ce  point. 

D'autres  observateurs  ouvraient  le  duodénum  pour 
se  procurer  du  suc  pancréatique.  Mais  Tiedemann  et 
Gmeliu  avaient  déjà  recours  à  l'opération  que  nous 
venons  de  décrire,  et  ils  ont  pu  obtenir  ainsi  une  grande 
quantité  de  liquide  pancréatique  sans  léser  Tintestin. 


\ 


SÉCRÉTION    PANCRÉATIQUE.  581 

Les  avantages  qu'il  y  a  à  éviter  cette  blessure  inutile 
sont  trop  évidents  pour  avoir  besoin  d'explication. 

Dans  tous  les  cas,  l'opération  doit  être  pratiquée  pen- 
dant que  l'animal  est  en  pleine  digestion.  C'est  à  ce  seul 
moment,  en  effet,  que  la  sécrétion  a  lieu  à  l'état  sain. 
Les  nerfs  du  'pancréas  étant  imparfaitement  connus, 
nous  sommes  hors  d'étal  de  les  soumettre  au  courant 
électrique  dans  le  but  de  stimuler  l'activité  de  la  glande. 
D'autre  part,  il  est  de  la  plus  haute  importance  d'ob- 
tenir d'un  seul  coup  une  certaine  quantité  de  cette  sé- 
crétion; car,  si  quelques  heures  se  sont  écoulées  après 
l'opération  sans  qu'on  ait  pu  en  recueillir,  une  inflam- 
mation aiguë  peut  se  produire,  et  l'on  n'a  plus  à  sa 
disposition  qu'une  sécrétion  viciée,  au  lieu  du  produit 
normal  de  k  glande.  Dans  la  plupart  des  cas  cepen- 
dant, l'opération  a  pleinement  réussi,  les  accidents  ne 
se  sont  pas  produits,  et  l'animal  a  fourni  une  sécrétion 
normale  abondante  pendant  plusieurs  jours. 

Le  fait  anatomique  qui  permet  à  la  bile  de  se  mélanger 
au  suc  pancréatique  au  moment  même  oîi  il  arrive  dans 
le  duodénum,  ce  fait  enlève  toute  valeur  aux  résultats 
obtenus  par  les  observateurs  qui  n'ont  pas  adopté  dans 
leurs  expériences  les  précautions  requises  pour  obvier  à 
cet  inconvénient. 

Nous  vous  avons  dit  que  chez  la  plupart  des  ani- 
maux le  pancréas  est  double  à  l'état  embryonnaire,  et 
que  les  deux  parties  de  la  glande  se  réunissent  après  la 
naissance.  L'existence  d'un  double  canal  pancréatique 
chez  l'homme  et  jes  animaux  supérieurs  est  sans  doute 
un  vestige  de  cet  état  primitif.  Nous  avons  reconnu,  en 


582  APPAREIL    DIGESTIF. 

effet,  l'existence  d'un  double  pancréas  chez  le  fœtus  du 
chien  et  chez  l'embryon  de  plusieurs  autres  animaux. 
Chez  les  oiseaux,  le  pancréas  est  habituellement  double; 
le  pigeon  possède  deux  glandes  pancréatiques  situées 
de  chaque  côté  du  mésentère,  dans  la  courbure  du 
duodénum;  une  disposition  semblable  existe  chez  la 
buse  et  en  général  chez  les  oiseaux  de  proie,  ainsi  que 
chez  plusieurs  animaux  domestiques.  Chez  les  reptiles, 
il  y  a  aussi  deux  glandes  pourvues  chacune  d'un  canal 
excréteur  distinct.  Chez  l'homme  et  chez  les  animaux 
supérieurs,  les  deux  portions  du  pancréas  étant  réunies, 
les  deux  conduits  s'anastomosent  ordinairement,  excepté 
dans  quelques  cas  isolés. 

Il  nous  reste  maintenant  à  examiner  si,  ainsi  que 
divers  auteurs  l'ont  supposé,  il  existe,  indépendamment 
de  la  glande  principale,  certains  organes  accessoires 
destinés  à  la  même  fonction.  En  d'autres  mots,  y  a-t-il 
un  pancréas  Secondaire?  Aselli  résout  la  question  par 
l'affirmative,  mais  l'organe  qu'il  a  pris  pour  une  glande 
n'est  en  réalitéqu^une  simple  agglomération  de  ganglions 
lymphatiques  abdominaux ,  agglomération  qui  existe 
constamment  chez  le  chien  et  quelques  autres  animaux, 
mais  qu'on  ne  retrouve  pas  chez  Thomme.  Le  micro- 
scope a  démontré  surabondamment  que  ce  corps  ne 
présentait  pas  une  structure  glandulaire. 

On  a  supposé  que  les  petites  glandes  disséminées  dans 
la  tunique  muqueuse  duduodénumjouissaient  des  mêmes 
propriétés  que  l'appareil  pancréatique:  telle  était  l'opi- 
nion de  Brunner,  qui  leur  a  donné  son  nom.Danscecas, 
comme  cela  est  arrivé  pour  l'appareil  salivaire,  l'ana- 


SÉCRÉTION    PANCRÉATIQUE.  583 

logie  de  structure  a  créé  des  notions  fausses  chez  les 
analomistes;  car,  en  réalité,  la  sécrétion  de  ces  petits 
organes  est  essentiellement  différente  du  suc  pancréa- 
tique. Pour  justifier  son  assertion,  Brunner  avaitrecours 
à  l'expérience  suivante  :  11  essayait  de  détruire  le  pnn- 
créas,  dans  l'espoir  de  provoquer  un  accroissement  de 
volume  consécutif  des  glandes  duodénales;  car  c'est  un 
fait  bien  connu  que,  toutes  les  fois  qu'il  existe  des  glandes 
doubles,  l'extirpation  de  l'une  donne  naissance  à  une 
hypertrophie  correspondante  do  l'autre.  Qu'on  enlève 
un  rein,  l'autre  devient  plus  gros:  il  en  est  de  même 
pour  les  testicules.  Brunner  supposait  donc  qu'après 
la  destruction  du  pancréas  les  glandes  accessoires  aug- 
menteraient de  volume;  mais  il  n'a  jamais  réussi,  dans 
ses  expériences,  à  extirper  la  totalité  du  pancréas;  rien 
n'est  plus  difficile,  en  effet,  que  d'enlever  chez  un  animal 
vivant  cette  portion  de  la  glande  qui  siège  en  arrière  de 
l'estomac,  dans  le  voisinage  immédiat  du  tronc  cœliaque 
dont  la  moindre  blessure  provoque  à  l'instant  même 
une  héinorrhagie  mortelle.  Brunner  lui-même,  en  fai- 
sant l'autopsie  des  animaux  chez  lesquels  l'opération 
avait  été  pratiquée,  a  pu  se  convaincre  qu'il  n'avait 
détruit  qu'une  petite  portion  de  la  glande,  celle  quisiége 
immédiatement  derrière  le  tube  intestinal. 

Le  problème  n'a  donc  pas  été  résolu  par  cet  obser- 
vateur, qui  n'a  jamais  pu  réaliser  les  conditions  néces- 
saires de  l'expérience;  toutefois,  une  méthode  diffé- 
rente a  permis  à  la  physiologie  moderne  de  constater 
la  différence  essentielle  de  ces  deux  ordres  de  glandes. 
Enlevez  un  fragment  de  la  muqueuse  duodénale,  et 


584  APPAREIL    DIGESTIF. 

faites-la  macérer  pendant  un  certain  temps  dans  l'eau 
tiède,  vous  obtiendrez  ainsi  un  liquide  épais,  visqueux, 
demi-opaque,  qui  ressemble  tout  à  fait  à  de  l'eau 
imprégnée  de  salive.  Au  contraire,  le  liquide  obtenu 
par  la  macération  du  tissu  pancréatique  produit  un 
liquide  totalement  différent.  On  peut  donc  affirmer, 
à  coup  sûr,  que,  loin  de  ressembler  à  l'appareil  pan- 
créatique, les  petites  glandes  de  Brunner  jouent  un 
rôle  entièrement  distinct  dans  le  travail  de  la  diges- 
tion. 

Examinons  maintenant  les  propriétés  pbysico-chimi- 
ques  de  la  sécrétion  pancréatique.  Le  lapin  que  nous 
vous  présentons  ici  a  subi  l'opération  décrite  précédem- 
ment :  le  tube  introduit  dans  l'ouverture  fistuleusenous 
fournit  une  quantité  abondante  de  ce  liquide  ;  car,  ainsi 
que  je  vous  l'ai  déjà  fait  remarquer,  le  lapin  appartenant 
à  cette  classe  d'animaux  dont  l'estomac  n'est  jamais 
vide,  les  interruptions  qui  se  produisent  chez  lui  dans 
le  travail  digestif  diminuent  à  peine  l'écoulement  de  la 
sécrétion,  contrairement  à  ce  qui  a  lieu  dans  les  autres 
espèces.  En  outre,  chez  les  herbivores  on  peut  recueillir 
une  quantité  de  suc  pancréatique  beaucoup  plus  consi- 
dérable que  chez  les  carnivores.  Ces  derniers  ne  pren- 
nent généralement  qu'un  seul  repas  dans  les  vingt-quatre 
heures,  tandis  (^ue  les  premiers  ne  font  que  manger 
toute  la  journée.  Chez  les  chiens,  par  exemple,  ce  n'est 
que  par  intervalles  que  nous  pouvons  nous  procurer  de 
ce  liquide,  et  cela  immédiatement  après  le  repas  quoti- 
dien de  l'animal. 

Le  suc  pancréatique  que  je  vijns  de  retirer  du  con- 


SÉCRÉTION    PANCRÉATIQUK.  585 

duit  excréteur  de  ce  lapin  esl  limpide,  visqueux,  inco- 
lore, et  s'écoule,  comme  vous  le  voyez,  en  grosses 
gouttes  ;  il  n'a  pas  d'odeur  particulière,  et  son  goût  est 
légèrement  salé;  avec  les  réactifs  ordinaires,  il  donne 
une  réaction  fortement  alcaline.  La  chaleur  et  les 
acides  le  coagulent  rapidement  :  si  l'on  présente  le  tube 
qui  le  contient  à  la  flamme  d'une  lampe  à  esprit-de-vin, 
il  se  prend  au  bout  de  quelques  secondes  en  une  masse 
solide.  Si  l'on  y  verse  quelques  gouttes  d'acide  nitrique, 
on  obtient  le  même  résultat.  La  sécrétion  pancréatique 
présente  donc,  comme  vous  le  voyez,  tous  les  caractères 
d'un  liquide  albumineux,  et  la  présence  d'une  matière 
albuminoïde  est  probablement  la  cause  de  sa  viscosité. 
Lorsqu'on  expérimente  sur  le  pancréas,  il  est  néces- 
saire de  se  souvenir  d'un  précepte  qui  s'applique  égale- 
ment aux  opérations  analogues  que  l'on  pratique  sur  les 
autres  glandes.  Quand  cet  organe  est  à  l'état  de  repos, 
les  conduits  restent  remplis  par  le  produit  de  la  sécré- 
tion; car  les  liquides  visqueux,  ne  s'écoulant  qu'avec 
une  grande  difficulté,  sont  plus  disposés  que  les  autres 
à  demeurer  stationnaires,  quand  la  vis  a  tergo  a  cessé 
d'agir,  alors  que  les  fonctions  de  la  glande  sont  momen- 
tanément suspendues.  Si  donc  vous  exercez  une  com- 
pression sur  le  conduit,  vous  ferez  sortir  par  le  tube  le 
liquide  resté  jusque-là  immobile,  sans  que  pour  cela  il 
se  produise  aucun  acte  sécrétoire.  C'est  ainsi  (|ue  le 
physiologiste  peut  «Mre  souvent  amené  à  des  erreurs  con- 
sidérables, s'il  n'a  pas  pris  soin  de  vider  les  conduits 
avant  de  commencer  une  expérience.  Supposez,  par 
exemple,  que  l'on  cherche  à  savoir  si  la  section  de  cer- 


58G  APPAUEIL    DIGESTIF. 

tains  nerfs,  qui  aboutissent  à  la  glande,  amène  une 
cessation  immédiate  de  sa  fonction,  ou  si  l'excitation 
galvanique  appliquée  à  une  branche  donnée  provoque  de 
nouveau  l'acte  physiologique  :  ce  simple  fait  que  les 
conduits  sont  pleins,  peut  tromper  entièrement  l'obser- 
vateur :  la  galvanisation  du  nerf,  ou  une  pression  acci- 
dentelle exercée  sur  la  glande,  peuvent  faire  sortir  un 
peu  de  liquide  du  tube,  résultat  que  l'on  attribuerait 
probablement  à  une  sécrétion  récente,  alors  qu'on  aurait 
simplement  affaire  à  un  liquide  déjà  présent  dans  les 
voies  excrétoires  avant  le  commencement  de  l'opéra- 
tion. 

Dans  ses  expériences  sur  le  suc  pancréatique,  de 
Graaf  trouvait  habituellement  à  ce  liquide  une  réaction 
acide  :  mais  la  méthode  employée  par  cet  observateur 
étant,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  très-imparfaite,  le  liquide 
qu'il  obtenait  ne  jouissait  probablement  pas  de  ses  pro- 
priétés normales.  Il  est  toutefois  surprenant  que  Tiede- 
mann  et  Gmelin  qui  le  recueillaient  par  le  même  pro- 
cédé que  moi-même,  l'aient  aussi  trouvé  acide  dans  la 
majorité  des  cas.  Vous  voyez  pourtant  bien  que  nous 
avons  eu  une  réaction  franchement  alcaline  avec  le 
liquide  de  l'animal  ici  présent  ;  et  jamais  je  ne  Tai 
trouvée  acide  dans  aucune  de  mes  expériences.  Il  est 
vraiment  difficile  d'expliquer  l'erreur  commise  par  ces 
éminents  physiologistes,  erreur  qui,  selon  moi,  doit 
avoir  été  le  résultat  d'un  accident  opératoire. 

Il  est  intéressant  de  déterminer  quelles  sont  les  sub- 
stances qui  apparaissent  dans  la  sécrétion  pancréatique 
après  avoir  été  injectées  dans  les  veines,  et  quelles  sont, 


SÉCRÉTION   PANCRÉATIQUE.  587 

au  contraire,  celles  qui  ne  passent  pas  par  cette  sécré- 
tion. En  règle  générale,  toutes  les  substances  qui  passent 
par  le  pancréas  sont  également  éliminées  par  les  glandes 
salivaires  :  de  même  celles  qui  ne  sont  pas  acceptées  par 
le  premier  de  ces  appareils  sont  également  rejetées  par 
le  second.  Ainsi,  le  chlorate  de  potasse,  l'iode  et  ses  com- 
posés passent  également  par  les  deux  ordres  de  glandes. 
Au  contraire,  leprussiale  de  fer,  qui  s'élimine  par  les 
reins,  n'apparaît  ni  dans  la  salive  ni  dans  le  suc  pan- 
créatique. Mais  bien  que,  sous  ce  rapport,  les  sécrétions 
salivaire  et  pancréatique  se  ressemblent,  elles  diffèrent 
grandement  l'une  de  l'autre  à  d'autres  points  de  vue 
importants.  Ainsi,  la  salive  ne  s'écoule  que  par  intermit- 
tences, pour  ainsi  dire  :  elle  apparaît  quand  les  mâchoires 
sont  mises  en  mouvement,  et  disparaît  avec  la  mastica- 
tion; la  sécrétion  pancréatique,  au  contraire,  coule  sans 
interruption  pendant  tout  le  travail  de  la  digestion.  Une 
autre  particularité  qui  le  distingue  de  la  sécrétion  sali- 
vaire, c'est  le  changement  que  subissent  ses  propriétés 
au  moment  même  de  sa  production  :  pendant  le  premier 
temps  de  la  digestion,  elle  est  constituée  par  un  liquide 
manifestement  visqueux  et  collant  ;  mais  à  mesure  que 
le  travail  digestif  avance,  son  caractère  change  :  elle 
devient  aqueuse  et  plus  abondante,  en  même  temps 
qu'elle  est  proportionnellement  moins  coagulable.  Ce 
phénomène  singulier  est  constant  :  il  a  été  noté  pour 
d'autres  sécrétions,  pour  les  glandes  manmiaires  par 
exemple.  En  effet,  les  premières  gouttes  de  lait  que  tire 
l'enfant  renferment  une  proportion  beaucoup  plus  grande 
de  matériaux  solides  que  les  gouttes  qui  suivent,  bien 


588  APPAREIL    DIGESTIF. 

que  le  liquide  produit  augmente  sensiblement  en 
quantité. 

Le  pancréas  étant  doué  d'une  très-grande  sensibilité, 
le  choix  des  animaux  auxquels  on  doit  recourir  pour  se 
procurer  son  produit  de  sécrétion  n'est  pas  indifférent. 
Il  faut  les  prendre  dans  les  espèces  qui  supportent 
le  mieux  la  douleur  et  résistent  le  mieux  à  ce  genre 
d'opérations.  En  d'autres  termes,  un  chien  de  berger 
est  préférable  à  un  chien  d'arrêt,  à  un  lévrier  et  à  tous 
les  chiens  qui  appartiennent  à  des  races  plus  délicates. 
Chez  ces  derniers,  l'opération  amène  dans  l'économie 
des  perturbations  telles  que  ladigestion  est  soudainement 
arrêtée,  et  que,  par  suite,  la  sécrétion  pancréatique  est 
également  suspendue;  ou  bien,  si  elle  continue,  elle 
n'est  plus  normale  et  n'offre  plus  les  caractères  que  nous 
venons  de  décrire.  Lorsque,  au  contraire,  l'opération  a 
été  pratiquée  sur  un  animal  plus  vigoureux,  nous  voyons 
que,  tant  que  l'estomac  reste  vide,  aucune  sécrétion 
n'apparaît  et  que  le  pancréas  est  à  l'état  de  repos  absolu. 
Mais,  à  peine  la  digestion  commence-t-elle  que  l'on  voit 
le  liquide  commencer  à  couler  goutte  à  goutte  par  l'ori- 
fice du  tube  introduit  dans  le  canal  pancréatique.  Il  est 
d'abord  épais  et  visqueux;  mais  à  mesure  que  le  tra- 
\iii\  de  la  digestion  avance,  il  devient  plus  abondant  et 
plus  aqueux. 

Nous  allons  répéter  l'expérience  devant  vous,  mes- 
sieurs. Vous  pourrez  contrôler  par  vous-mêmes  tous  les 
faits  sur  lesquels  nous  avons  appelé  votre  attention. 
L'animal  qui  va  subir  l'opération  vient  de  manger. 
C'est  un  gros  chien  de  berger  sur  lequel  nous  pratiquons 


SÉCRÉTION    PANCRÉATIOUli.  589 

l'opéralion  suivant  la  méthode  décrite  plus  haut.  Le 
duodénum  et  le  pancréas  ayant  été  attirés  en  dehors  par 
la  plaie,  nous  trouvons  ce  dernier  organe  extraordinai- 
rement  rouge  et  vasciilarisé,  ce  qui  prouve  que  l'activité 
de  la  glande  coïncide  avec  le  travail  de  la  digestion. 
Après  avoir  isolé  le  conduit  avec  une  grande  précaution, 
on  l'ouvre  avec  une  paire  de  ciseaux  fins.  On  introduit 
immédiatement  un  tube  d'argent  que  l'on  fixe  par  une 
ligature  ;  les  parois  abdominales  sont  alors  soigneusement 
réunies  par  des  sutures  et,  pour  recueillir  le  produit  de 
la  sécrétion,  on  adapte,  à  l'extrémité  du  tube,  un  petit 
réservoir  de  caoutchouc.  A  ce  moment  quelques  gouttes 
de  suc  pancréatique  s'échappent  de  l'orifice. 

Nous  examinerons  dans  notre  prochaine  réunion 
le  liquide  fourni  par  cet  animal.  Ayant  ainsi  à  notre 
disposition  une  grande  quantité  de  suc  pancréatique, 
il  nous  sera  facile  de  démontrer  ses  principales  pro- 
priétés. 


VINGT-NEUVIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Difficultés  de  conserver  longtemps  les  fistules  pancréatiques 
en  pleine  activité.  —  Nécessité  d'opérer  simultanément  sur  un  grand 
nombre  d'animaux  lorsqu'on  a  besoin  de  grandes  quantités  de  suc  pan- 
créatique. —  Propriétés  présumées  de  ce  liquide  chez  l'homme.  —  Expé- 
riences faites  sur  le  pancréas  des  condamnés  à  mort.  —  Faits  cliniques 
qui  viennent  à  l'appui  des  résultats  obtenus  par  ce  moyen.  —  Propriété 
fondamentale  de  la  sécrétion  pancréatique.  —  Émulsion  des  matières 
grasses.  —  Aucun  autre  liquide  de  l'économie  n'est  doué  de  la  même 
propriété.  —  Les  sécrétions  alcalines  exercent  sur  les  substances  grasses 
une  action  particulière  différente  de  celle  du  suc  pancréatique.  —  La 
nature  des  fonctions  du  pancréas  se  déduit  naturellement  de  ces  faits.  — 
Elîets  de  la  ligature  des  conduits  pancréatiques  chez  les  animaux  exclu- 
sivement nourris  de  substances  grasses.  —  Résultats  analogues  observés 
dans  les  cas  de  cancer  du  pancréas.  —  Influence  du  système  nerveux 
sur  la  sécrétion  pancréatique. 

Des  connexions  de  l'appareil  biliaire  avec  les  conduits  pancréatiques.  — 
De  sa  disposition  anatomique  chez  les  différents  animaux.  —  Diverses 
manières  de  recueillir  la  bile.  —  On  la  retire  habituellement  de  la 
vésicule  biliaire.  — Objections  à  l'emploi  des  anesthésiques. —  La  bile 
est  sécrétée  pendant  les  intervalles  de  la  digestion.  —  Cela  est  prouvé  par 
les  expériences  sur  les  limaçons.  —  Fistules  biliaires. —  On  les  pratique 
Généralement  dans  le  but  d'empêcher  la  sécrétion  de  passer  dans  le  duo- 
dénum. —  Importance  de  cette  sécrétion  dans  le  travail  de  la  digestion. 

Opinion  de  Haller.  —  Expériences  de  Schwann,  Çlondlot,  Tiedemann  et 

Gmelin.  —  M.  Blondlot  croit  que  la  bile  est  un  produit  excrémeutitiel. 
—  Expériences  propres  de  M.  Cl.  Bernard  sur  ce  point.  —  Le  procédé 
opératoire  qu'il  a  adopté  permet  de  suspendre  et  de  rétablir  alterna- 
tivement le  passage  de  la  bile  dans  l'intestin.  —  Difficulté  d'arriver  à 
une  conclusion  positive  par   de    semblables   expériences. 

Messieurs, 

Nous  vous  avons  montré  dans  notre  dernière  réunion 
la  manière  de  recueillir  le  suc  pancréatique  et  le  pro- 
cédé opératoire  qu'il  convient  de  suivre  dans  ce  but. 


SÉCRÉTION   PANCRÉATIQUE.  591 

Le  chien  sur  lequel  l'expérience  a  été  pratiquée  est 
encore  vivant,  et  la  plaie  de  l'abdomen  est,  comme 
vous  le  voyez,  presque  complètement  cicatrisée.  Mal- 
heureusement, le  canal  pancréatique  ayant  été  coupé 
par  la  ligature  destinée  à  fixer  au  tube  un  réservoir  de 
caoutchouc,  nous  n'avons  pu,  par  suite  de  cet  acci- 
dent, recueillir  autant  de  liquide  que  nous  aurions 
voulu;  mais  nous  eu  avons  suffisamment  poiir  toutes 
nos  expériences  pratiques.  Nous  pourrions  même  répé- 
ter l'opération  plusieurs  fois  de  suite  chez  le  même 
chien,  sans  inconvénient  sérieux,  puisque  l'animal,  lors- 
qu'il est  bien  choisi,  souffre  rarement  beaucoup,  mal- 
gré la  nature  délicate  des  organes  blessés.  Le  péritoine 
du  chien  est  loin  d'être  aussi  sensible  que  celui  de 
l'homme,  ou  même  que  celui  du  cheval;  aussi,  chez 
ce  dernier,  est-il  presque  impossible  d'établir  une  fistule 
pancréatique  sans  encourir  un  grand  danger  d'é- 
chouer. Les  ouvertures  permanentes  de  cette  nature 
ne  persistent  pas  longtemps,  même  chez  le  chien, 
à  cause  de  la  rapidité  de  la  cicatrisation.  ïl  en  résulte 
que  l'opération  doit  être  répétée  plusieurs  fois  sur  le 
même  animal,  ou  bien  que  l'on  doit  employer  plusieurs 
animaux  à  la  fois,  si  l'on  veut  recueillir  la  sécrétion  en 
grande  quantité. 

On  rencontre  parfois  chez  l'homme  des  fistules  spon- 
tanées du  canal  pancréatique,  mais  elles  sont  rares. 
J'ai  moi-même  observé  deux  cas  dans  lesquels  on  sup- 
posait que  cette  lésion  s'était  produite.  Chez  l'un  des 
malades,  on  avait  remarqué  que,  lorsque  les  organes 
digestifs  étaient  à  l'état  de  repos,  aucun  liquide  nes'é- 


592  APPAREIL    DIGESTIF. 

chappait  par  l'orifice  fistuleux  ;  mais  quand  l'estomac 
entrait  en  activité  à  la  suite  de  l'ingestion  des  aliments, 
une  sécrétion  abondante  s'écoulait  par  l'ouverture,  et 
cela  en  quantité  telle  que  le  malade  était  obligé  de  se 
garnir  constamment  avec  une  serviette.  En  examinant 
ce  liquide,  j'ai  trouvé  qu'il  était  franchement  alcalin  ; 
mais,  en  dehors  de  cette  propriété,  il  ne  ressemblait 
nullement  au  suc  pancréatique,  ni  à  aucune  autre  sécré- 
tion normale  de  l'économie. 

Le  suc  pancréatique  de  l'homme  est-il  identique  à 
celui  des  animaux?  Je  suis  disposé  à  répondre  à  cette 
question  par  l'affirmative;  si  des  différences  ont  été 
observées,  je  penche,  comme  dans  le  cas  précédent,  à 
soupçonner  fortement  qu'elles  sont  imputables  à  l'état 
pathologique  de  la  glande  chez  les  hommes  porteurs 
d'un  orifice  fistuleux.  En  effet,  en  faisant  macérer 
dans  l'eau  tiède  le  pancréas  de  condamnés  à  mort,  on 
obtient  un  liquide  entièrement  semblable  au  suc  pan- 
créatique de  l'espèce  canine.  A  l'état  normal  donc,  la 
sécrétion  chez  l'homme  et  le  chien  ne  diffère  sous  aucun 
rapport;  et  cela  ne  doit  pas  nous  étonner,  puisqu'il  en 
est  absolument  de  même  du  suc  gastrique. 

Voici  une  abondante  quantité  de  suc  pancréatique 
recueilli  chez  le  chien  sur  lequel  nous  avons  opéré  il  y 
a  quelques  jours.  Vous  voyez  qu'il  donne  une  réaction 
alcaline  des  plus  nettes,  propriété  qu'on  retrouve  con- 
stamment dans  ce  liquide  à  l'état  sain.  Un  autre  de  ses 
caractères  est  de  subir  rapidement  des  altérations  chi- 
miques, et  cela  peut-être  plus  vite  qu'aucune  autre 
sécrétion  de  l'économie.  Au  milieu  des  modifications 


suc    PANCRÉATIQUE.  593 

dont  il  est  le  siège,  il  y  a  certaines  particularités  qui  mé- 
ritent d'attirer  notre  attention.  Lorsqu'il  se  refroidit,  on 
voit  bientôt  se  produire  un  précipité  ;  la  composition 
chimique  de  ce  dernier  n'est  pas  parfaitement  connue; 
suivant  M.  Robin,  il  est  formé  de  laclate  de  chaux.  11  est 
constitué  en  effet  par  de  petits  cristaux  prismatiques. 
Dans  le  tube  que  je  tiens  en  ce  moment,  ils  sont  parfaite- 
ment visibles  à  l'œil  nu,  sous  l'apparence  de  petites  gra- 
nulations blanchâtres.  Une  autre  modification  importante 
de  la  sécrétion  pancréatique  peu  de  temps  après  son 
extraction  est  la  diminution  de  sa  coapfulabilité  sous 
l'influence  de  la  chaleur.  Lorsqu'elle  vient  d'être  re- 
cueillie par  la  fistule,  elle  se  prend  en  une  masse  solide 
après  avoir  été  exposée  quelques  instants  à  la  flamme 
d'une  lampe  à  alcool  ;  mais  lorsqu'elle  a  séjourné  un 
certain  temps  en  dehors  de  l'économie,  cette  propriété 
diminue  rapidement. 

Mais  la  propriété  fondamentale  et  caractéristique  du 
suc  pancréatique,  celle  qui  le  distingue  de  toutes  les 
autres  sécrétions,  consiste  dans  la  faculté  de  former  une 
émulsion  avec  les  substances  grasses  et  les  huiles.  Si 
nous  ajoutons  un  peu  d'huile  au  suc  pancréatique  con- 
tenu dans  ce  tube,  vous  voyez  se  produire  sur-le-champ 
une  émulsion  blanche  qui  persistera  pendant  un  temps 
considérable.  Cette  singulière  propriété  est  particulière 
au  suc  pancréatique  et  n'existe  ni  dans  la  salive,  ni  dans 
le  suc  gastrique,  ni  dans  la  bile.  Il  est  vrai  toutefois  que 
les  sécrétions  alcalines  (la  salive  et  la  bile,  par  exemple) 
produisent  des  effets  analogues  en  saponifiant  partielle- 
ment les  matières  grasses  avec  lesquelles  elles  sont  mises 

CL.    BERNAKD.  —  Phjsiol.   Opéf.  ;j^ 


594  APPAREIL    DIGESTIF. 

en  contact.  Mais,  dans  le  liquide  pancréatique,  cette 
propriété  'existe  indépendamment  de  sa  nature  alcaline  ; 
l'émulsion  produite  est  d'une  nature  différente,  et  n'est 
pas  le  simple  résultat  d'une  combinaison  chimique.  Ce 
fait  nous  permet  de  nous  rendre  compte  des  principaux 
usages  du  pancréas  dans  l'économie.  Il  sert  surtout  à  la 
digestion  des  graisses,  lesquelles  ne  peuvent  pénétrer 
dans  les  vaisseaux  absorbants  qu'à  l'état  d'émulsion. 
Lorsqu'on  lie  les  conduits  pancréatiques  chez  un  chien 
et  qu'on  le  nourrit  ensuite  de  matières  grasses,  on  re- 
trouve ces  matières  non-digérées  dans  les  excréments. 
Les  observations  cliniques  confirment  sous  ce  rapport 
les  résultats  des  recherches  expérimentales  ;  chez  les 
malades  atteints  de  cancer  du  pancréas,  on  retrouve 
souvent  une  matière  huileuse  dans  les  selles  :  c'est  pro- 
bablement le  résidu  des  matières  grasses  qu'ils  n'ont 
pas  pu  assimiler. 

Nous  connaissons  maintenant  complètement  les  prin- 
cipales propriétés  de  la  sécrétion  pancréatique;  il  nous 
reste  à  examiner  ses  rapports  avec  le  système  nerveux. 
A  ce  point  de  vue,  elle  diffère  essentiellement  des  autres 
sécrétions  que  nous  avons  étudiées  jusqu'ici.  Les  remar- 
quables effets  de  l'innervation  sur  la  production  de  la 
salive  et  du  suc  gastrique  vous  ont  été  exposés  tout  au 
long;  mais  l'influence  du  système  nerveux  sur  l'appa- 
reil pancréatique  parait  être  d'un  ordre  totalement  diffé- 
rent. Lorsqu'on  agit  sur  les  nerfs  de  cet  organe,  qu'on 
les  excite  par  le  courant  galvanique  ou  qu'on  les  para- 
lyse par  une  section  transversale,  le  résultat  est  abso- 
lument le  même  :   la  sécrétion  devient  abondante  et 


SÉCRÉTION  PANCRÉATIQUE.  595 

ininterrompue,  et  une  diarrhée  proluse  est  la  cons«?- 
quence  de  l'opération.  L'extirpation  des  ganglions  semi- 
lunaires  produit  des  effets  semblables  :  dans  ces  condi- 
tions le  liquide  pancréatique  n'a  plus  ses  propriétés 
physiologiques  normales.  Il  existe  une  différence  fonda- 
mentale entre  les  glandes  salivaires  et  le  pancréas:  dans 
ces  deux  ordres  d'organes,  la  section  du  sympathique 
accélère  la  circulation;  mais  dans  l'appareil  salivaire  la 
sécrétion  est  loin  d'être  modifiée  de  la  même  manière. 
Lorsque  le  pancréas,  dont  les  fonctions  sont  intermit- 
tentes à  l'état  sain,  est  ainsi  amené  à  fournir  une  sécré- 
tion continue,  le  produit  qu'il  déverse  n'est  plus  un 
liquide  normal  :  c'est  une  matière  aqueuse,  qui  ne  pos- 
sède aucune  des  propriétés  caractéristiques  du  suc  pan- 
créatique. Nous  trouvons  dans  ce  fait  expérimental  une 
confirmation  des  idées  générales  que  nous  avons  expri- 
mées ailleurs  sur  le  mécanisme  des  sécrétions.  Nous  ad- 
mettons que  tous  les  organes  sécréteurs  produisent  une 
substance  spéciale  et  caractéristique,  qui  est  emportée 
par  un  courant  intermittent.  Il  est  donc  de  toute  néces- 
sité que  la  glande  jouisse  de  certains  intervalles  de 
.  repos,  pendant  lesquels  se  forme  ce  composé  particulier; 
quand  le  moment  de  la  sécrétion  arrive,  il  se  fait  un 
afflux  sanguin  abondant  qui  emporte  le  produit  spécial 
de  la  glande,  par  une  sorte  d'exsudation  profuse.  Mais 
quand  la  sécrétion  est  rendue  continue,  tout  à  coup, 
la  substance  caractéristique  ne  se  forme  plus  dans  la 
glande,  et  le  véhicule  aqueux  s'échappe  seul  de  l'appa- 
reil sécrétoire. 
Vous  voyez,  messieurs,  que  le  grand  objet  de  toutes 


596  APPAREIL   DIGESTIF. 

les  opérations  que  nous  avons  pratiquées  devant  vous 
a  été  d'examiner  en  dehors  de  l'économie  les  diverses 
sécrétions  qui  concourent  au  travail  de  la  digestion. 
C'est  à  Réaumur  et  à  Spallanzani  que  revient  l'honneur 
de  cette  nouvelle  méthode  d'investigation  :  c'est  par  eux 
qu'elle  a  été  inaugurée  pour  la  première  fois,  et  aujour- 
d'hui nous  avons  à  notre  disposition  des  procédés  opé- 
ratoires au  moyen  desquels  nous  pouvons  nous  procurer 
presque  toutes  les  sécrétions  qui  se  rapportent  à  la 
digestion.  C'est  ainsi  que  nous  sommes  en  état,  non-seu- 
lement d'examiner  avec  soin  et  de  constater  avec  certi- 
tude les  propriétés  de  chacune  d'entre  elles,  mais  encore 
de  les  imiter  et  de  préparer  artificiellement  les  liquides 
digestifs.  Dans  une  certaine  mesure,  ces  sécrétions  peu- 
vent être  obtenues  en  dehors  des  manœuvres  opératoires 
que  nous  avons  décrites  et  pratiquées  devant  vous,  en 
faisant  simplement  macérer  les  organes  dans  l'eau  ;  mais 
jamais  on  ne  les  a  en  aussi  grande  quantité  et  à  un  état 
de  pureté  aussi  parfait  que  lorsqu'on  emploie  la  mé- 
thode ordinaire. 

L'histoire  expérimentale  de  la  sécrétion  pancréatique, 
étant  ici  terminée,  un  autre  liquide,  non  moins  intéres- 
sant, appelle  maintenant  notre  attention  :  nous  voulons 
parler  de  la  sécrétion  biliaire.  Les  connexions  intimes 
qui  existent  entre  l'appareil  excréteur  du  foie  et  celui 
du  pancréas,  les  nombreuses  anastomoses  qui  unissent 
leurs  conduits  et  permettent  à  leurs  sécrétions  de  se  mé- 
langer largement  l'une  à  l'autre,  enfin  la  nature  distincte 
de  leurs  fonctions  font  de  cette  étude  le  complément 


I 


SI-CRÉTION    BlLlAIRli.  597 

indispensable  de  celle  que  nous  avons  récemment  ter- 
minée. Tel  est  le  motif  qui  nous  amène  à  finir  celte 
dernière  leçon  par  cet  important  sujet. 

La  bile  se  déverse  dans  le  tube  intestinal  par  un  seul 
orifice,  dont  la  situation  est  constamment  la  môme  :  il 
est  placé  au-dessous  du  pylore.  Chez  aucun  animal  elle 
ne  passe  en  un  autre  point,  contrairement  à  ce  qui  a 
lieu  pour  le  suc  pancréatique  :  cette  disposition  anato- 
mique  persiste  dans  toute  l'échelle  des  êtres  vivants. 

Voici  l'estomac  et  le  duodénum  d'un  lapin  :  vous 
pouvez  juger  par  cette  préparation  combien  est  consi- 
dérable la  distance  qui  sépare  chez  cet  animal  l'orifice 
biliaire  de  l'orifice  pancréatique.  Toutefois,  il  n'en  est 
pas  toujours  ainsi  ;  car,  dans  beaucoup  d'autres  espèces, 
le  canal  cholédoque  est  uni  à  l'appareil  pancréatique 
par  un  grand  nombre  d'anastomoses.  Chez  les  animaux 
dépourvus  de  pancréas  (la  carpe,  par  exemple),  Weber 
suppose  que  les  deux  organes  se  confondent  en  un  seul 
appareil;  beaucoup  d'autres  poissons  otfrent  une  sem- 
blable disposition. 

Il  est  beaucoup  plus  facile  de  se  procurer  la  bile  en 
grandes  quantités  qu'aucune  autre  sécrétion  intestinale. 
Le  foie  étant  l'un  de  ces  organes  que  la  nature  a  pourvus 
dun  réservoir,  la  méthode  lapluscommode  pour  recueillir 
sa  sécrétion  consiste  à  ouvrir  la  vésicule  biliaire  immé- 
diatement après  la  mort.  Ou  peut  ainsi  étudier  à  l'aise 
ses  propriétés  physiques  et  chimiques.  Toutefois,  chez 
certains  animaux,  la  vésicule  biliaire  fait  défaut:  elle 
manque  chez  le  cheval,  alors  que  chez  le  bœuf  elle 
atteint   des  proportions  prodigieuses.   Les  raisons  de 


598  APPAREIL    DIGESTIF. 

cette  différence  ne  nous  sont  pas  connues  ;  mais  les 
animaux  privés  de  vésicule  biliaire  ont  des  conduits 
excréteurs  extrêmement  lâches,  ce  qui  permet  à  la  bile 
de  les  distendre  et  de  s'accumuler  dans  leur  cavité. 

Pour  opérer  sur  les  animaux  vivants,  on  pourrait 
songer  aux  anesthésiques  ;  mais  le  liquide  obtenu  de 
cette  manière  n'a  pas  ses  propriétés  normales.  Comme 
vous  le  savez,  toutes  les  sécrétions  ont  lieu  sous  l'in- 
fluence de  certaines  excitations  physiologiques  :  la  salive 
s'écoule  pendant  la  mastication,  le  suc  pancréatique 
pendant  la  digestion.  Les  causes  qui  agissent  sur  la 
sécrétion  biliaire  sont  inconnues  jusqu'ici;  cette  sécré- 
tion a  lieu  pendant  l'intervalle  des  digestions  :  chez  les 
animaux  pourvus  d'une  vésicule  biliaire,  le  liquide 
s'accumule  dans  cette  poche  pendant  le  jeûne  et  en 
sort  aussitôt  que  les  aliments  arrivent  dans  l'estomac  ; 
dans  d'autres  espèces,  il  distend  simplement  les  canaux 
biliaires.  Lors  donc  qu'on  veut  en  recueillir  de  grandes 
quantités,  il  faut  que  l'animal  n'ait  [)as  mangé  depuis 
un  certain  temps. 

Aussitôt  que  la  digestion  commence,  la  bile  s'échappe 
de  son  réservoir  et  tombe  dans  le  duodénum  ;  mais  il  ne 
s'en  forme  plus  dans  le  foie,  qui  commence  alors  à  exer- 
cer une  autre  fonction,  à  savoir  la  production  du  sucre 
de  raisin.  Il  est  facile  de  contrôler  ce  fait  chez  les  ani- 
maux inférieurs.  J'ai  découvert  chez  le  limaçon  l'exis- 
tence de  ces  deux  sécrétions  diff'érentes,  qui  ont  lieu 
alternativement.  Le  sucre  se  forme  pendant  la  diges- 
tion ;  la  bile,  au  contraire,  est  produite  pendant  l'absti- 
nence et  coule  dans  l'estomac.  Quand  les  aliments 


SÉCRl'TION    BILIAIRE.  599 

arrivent  dans  ce  dernier,  ils  y  rencontrent  la  bile  qui 
s'y  est  accumulée  à  l'avance,  et  la  digestion  commence. 
Mais  la  sécrétion  biliaire  est  alors  suspendue,  en  sortt^/ 
que  l'animal,  lorsqu'il  ne  mange  pas,  prépare  pour 
ainsi  dire  une  provision  de  ce  liquide  pour  son  prochain 
repas. 

Les  opérations  pratiquées  dans  le  but  de  recueillir  la 
bile  chez  les  animaux  vivants  ont  eu,  la  plupart  du 
temps,  pour  objet  de  l'empêcher  de  suivre  son  cours 
naturel;  car  pour  étudier  ses  propriétés  particulières, 
il  est  en  général  beaucoup  plus  commode  de  prendre  la 
vésicule  bihaire  d'animaux  récemment  tués.  Les  phy- 
siologistes ont  donc  essayé  de  s'opposer  au  passage  de 
la  bile  dans  le  duodénum,  afin  de  déterminer  si  elle 
joue  un  rôle  dans  le  travail  de  la  digestion.  En  effet, 
plusieurs  auteurs  croient  que  ce  liquide  n'est  qu'une 
matière  excrémentitielle  sans  aucun  rapport  avec  l'as- 
similation des  aliments.  M.  Blondiot,  en  particulier, 
s'est  fait  remarquer  parmi  les  partisans  de  cette  opi- 
nion par  la  publication  d'une  série  d'articles  ayant  pour 
titre  :  «  De  l'inutilité  de  la  bile  dans  la  dioeslion.  » 

Haller,  au  contraire,  en  raison  des  dispositions  anato- 
miques  que  nous  venons  de  décrire,  avait  été  amené  à 
admettre  que  la  bile  jouait  réellement  un  rôle  important 
dans  cette  fonction  :  il  croit  qu'il  est  impossible  qu'un 
liquide  excrémentitiel  puisse  être  versé  dans  les  portions 
supérieures  du  tube  intestinal.  Mais  de  tels  arguments 
n'ont  pas  de  valeur  réelle  en  physiologie,  et  en  cas  de 
doute  il  faut  recourir  aux  vivisections.  Schwann  et 
Blondiot  ont  entrepris  simultanément  des  expériences 


600  APPAREIL    DIGESTIF. 

intéressantes  sur  ce  sujet.  Sch^vann  opère  simplement 
sur  la  vésicule  biliaire  elle-même;  or  vous  savez  que  le 
conduit  commun  est  indépendant  de  celui  qui  émerge  du 
réservoir  biliaire  :  il  s'anastomose  avec  ce  dernier  de 
manière  à  permettre  le  passage  du  liquide  ([u'il  porte 
dans  la  vésicule,  ou  à  laisser  la  bile  contenue  dans 
celle-ci  pénétrer,  à  un  moment  donné,  dans  le  duo- 
dénum; il  continue  donc  néanmoins  à  charrier  vers 
l'intestin  la  sécrétion  biliaire  qui  vient  directement 
du  foie,  alors  que  le  réservoir  glandulaire  a  été 
perforé. 

C'est  pourquoi  Tiedemann  et  Gmelin  liaient  le  con- 
duit commun  immédiatement  au-dessus  de  son  oriûce 
externe,  afin  de  s'opposer  au  passage  de  la  bile  dans  le 
duodénum;  mais  cette  opération  produit  des  désordres 
pathologiques  :  les  conduits  biliaires  se  distendent,  la 
sécrétion  s'accumule  dans  les  canaux  qui  la  renferment, 
et  l'animal  est  atteint  tout  d'abord  d'ictère.  Puis,  au 
bout  d'un  certain  temps,  la  rupture  du  conduit  com- 
mun est  la  conséquence  de  cette  distension  inaccou- 
tumée; et  l'animal  succombe  rapidement  à  la  péritonite 
qui  résulte  de  cet  accident.  Dans  quelques  cas,  toutefois, 
la  ligature  tombe,  la  perméabilité  est  rétablie,  et  les 
fonctions  i-eprennent  leur  cours  normal. 

Pour  éviter  cet  inconvénient,  il  faut  pratiquer  une 
ouverture  qui  permette  à  la  sécrétion  de  s'échapper, 
alors  que  son  cours  naturel  est  interrompu.  M.  Blondlot 
a  adopté  dans  ce  but  un  procédé  différent.  11  lie  le  canal 
cholédoque  en  deux  points  séparés;  la  bile,  ne  pouvant 
plus  ainsi  passer  dans  le  duodénum,  s'accumule  dans  le 


SliCRÉTION    BILIAIlxli.  601 

vésicule  biliaire.  On  provoque  alors  des  adhérences  de 
celle-ci  avec  la  paroi  abdominale,  exactement  comme 
l'on  fait  lorsqu'on  opère  les  kystes  hydaliques  par  la  mé- 
thode de  Récamier,  méthode  qui  consiste  en  applica- 
tions successives  de  potasse  caustique.  On  ouvre  alors  la 
vésicule,  et  l'on  entretient  Touverlure  au  moyen  d'un 
tube  qu'on  y  introduit.  Les  desiderata  de  l'expérience 
sont  ainsi  comblés  avec  succès;  et  dans  ces  conditions 
la  vie  peut  être  prolongée  pendant  un  temps  considé- 
rable. Cependant  les  résultats  obtenus  parles  différents 
observateurs  ne  concordent  pas  toujours. 

Le  premier  effet  de  l'opération  est  une  atrophie  com- 
plète de  la  vésicule  biliaire,  qui  se  trouve  réduite  aux 
proportions  d'un  simple  canal  excréteur  d'où  la  bile 
s'écoule  continuellement;  mais  bientôt  ensuite,  d'a- 
près Schwann,  les  animaux  deviennent  excessivement 
voraces;  ils  maigrissent,  sont  pris  d'une  diarrhée  pro- 
fuse et  succombent  plus  ou  moins  vite.  Chez  les  jeunes 
animaux  la  terminaison  fatale  se  produit  dans  un  espace 
de  temps  plus  court  que  chez  les  adultes.  Dans  quelques 
cas  on  a  vu  les  sujets  recouvrer  entièrement  leur  santé 
antérieure;  mais  Schwann  a  reconnu  que  ce  résultat 
était  invariablement  dû  au  rétablissement  de  la  per- 
méabilité des  conduits  et  au  passage  consécutif  de  la  bile 
dans  le  duodénum. 

Les  résultats  des  expériences  de  M.  Blondlot  sont 
diamétralement  opposés  à  ceux  que  je  viens  de  décrire. 
[1  dit  que,  chez  un  grand  nombre  de  chiens  sur  lesquels 
l'opération  avait  été  pratiquée,  la  santé  avait  continué  à 
se  maintenir  parfaite,  bien  que  les  canaux  ne  se  fussent 


00^  APPAREIL    DIGESTIF. 

pas  rétablis.  11  attribue  la  mort  des  animaux  de 
Schwann  à  ce  qu'ils  léchaient  leur  plaie  et  avalaient 
ainsi  la  bile  qui  s'en  écoulait  :  habitude  qui  produit 
rapidement  de  fatals  effets.  Il  évite  donc  ce  danger  en 
muselant  l'animal,  ce  qui  l'empêche  effectivement  de 
lécher  sa  blessure. 

D'autres  observateurs,  et  moi-même  entre  autres, 
ont  obtenu  des  résultats  qui  s'accordent  avec  ceux  de 
Schwann  ;  mais  il  est  certain,  quoi  qu'il  en  soit,  que  la 
mort  n'est  pas  une  conséquence  immédiate  des  fistules 
biliaires,  et  n'a  lieu  qu'après  un  laps  de  temps  considé- 
rable. Voici  un  chien  sur  lequel  l'opération  a  été  prati- 
quée. La  plaie  est  aujourd'hui  guérie  (bien  entendu  il 
reste  un  orifice  fîstuleux)  :  vous  voyez  que  sa  santé  ne 
paraît  pas  avoir  souffert  de  l'expérience. 

La  méthode  adoptée  par  Schwann  et  Blondlot  offre 
un  inconvénient  frès-sérieux  :  nous  voulons  parler  de 
l'interruption  définitive  du  passage  de  la  bile  dans  l'in- 
testin, sans  qu'il  y  ait  possibilité  de  rétablir  l'ordre  na- 
turel des  choses.  Dans  mes  propres  expériences,  j'ai 
trouvé  plus  avantageux  d'introduire  une  canule  dans  le 
canal  cholédoque  lui-même.  Après  avoir  provoqué  les 
adhérences  d'après  la  manière  usuelle,  on  incise  le  canal 
et  l'on  introduit  dans  la  plaie  un  gros  tube,  ouvert  aux 
deux  extrémités  et  pourvu  également  d'une  ouverture 
latérale.  Lorsqu'on  veut  laisser  passer,  comme  d'habi- 
tude, la  bile  dans  le  duodénum,  on  bouche  l'orifice 
«xterne,  et  la  bile  coule  dans  l'intestin  par  l'ouverture 
latérale.  Si.  au  contraire,  on  veut  empêcher  cet  écoule- 
ment, on  introduit  dans  le  tube  un  autre  tube  plus  petit, 


SÉCRliTIOX    BILIAIRE.  008 

qui  le  remplit  assez  exactement  pour  fermer  l'orifice 
latéral;  la  bile  sort  alors  entièrement  de  l'économie,  et 
pas  une  seule  goutte  n'arrive  à  l'appareil  digestif.  Cette 
méthode  offre  toutefois  un  inconvénient  sérieux:  le  tube 
s'échappe  fréquemmentdu  canal  quand  l'animal  se  remue 
et  s'agite  après  l'opération.  Aussi  avons-nous  adopté  le 
procédé  suivant  :  nous  plongeons  le  tube  dans  la  vésicule 
elle-même,  après  avoir  préalablement  lié  le  conduit  com- 
mun ;  nous  ouvrons  alors  le  duodénum  et  nous  y  plaçons 
une  canule  :  les  deux  fistules  sont  mises  en  communi- 
cation l'une  avec  l'autre  par  un  tube  de  caoutchouc. 

En  somme,  toutes  ces  expériences  ne  peuvent  pas 
nous  permettre  de  décider  si  la  bile  est  réellement  une 
excrétion  ou  une  sécrétion;  les  résultats  ne  sont  pas 
assez  importants  pour  que  nous  puissions  formuler  sur 
ce  point  un  jugement,  comme  nous  l'avons  fait  pour  les 
autres  glandes.  Mais  l'une  des  principales  différences 
qui  distinguent  les  sécrétions  des  excrétions,  c'est  la  for- 
mation, dans  le  produit  glandulaire,  de  substances  par- 
ticulières qui  n'existent  pas  dans  le  sang.  Cette  propriété 
de  créer  de  nouveaux  composés  chimiques  appartient 
exclusivement  aux  organes  de  sécrétion.  Or,  à  ce  point 
de  vue,  la  bile  appartient  évidemment  à  la  classe  des 
sécrétions  :  les  substances  nombreuses  qu'elle  renferme 
n'existent  pas  dans  le  torrent  circulatoire. 

L'influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion 
biliaire  est  peu  connue  jusqu'ici;  mais  l'apparition  de 
l'ictère  à  la  suite  des  émotions  morales  vives  semble 
donner  une  preuve  irrécusable  du  pouvoir  exercé  par 
les  nerfs  sur  le  foie  comme  sur  les  autres  glandes. 


604  APPAREIL   DIGESTIF. 

Le  plan  de  ce  cours,  messieurs,  n'imjilique  pas  une 
étude  complète  des  propriétés  physiologiques  des  liquides 
digestifs.  Notre  but  a  été  de  vous  montrer  les  différents 
procédés  opératoires  qui  permettent  au  physiologiste  de 
les  recueillir.  Nous  avons  maintenant  terminé  l'histoire 
de  ces  diverses  substances,  au  point  de  vue  expérimental 
du  moins;  car  la  sécrétion  des  glandes  de  l'intestin 
n'est  pas  facile  à  obtenir  et  ne  donne  lieu  qu'à  peu  d'o- 
pérations sur  le  sujet  vivant.  Dans  la  prochaine  session, 
nous  reprendrons  ce  cours,  et,  comme  d'habitude,  nous 
pratiquerons  toutes  nos  expériences  devant  vous.  L'ap- 
pareil digestif  ayant  été  étudié  entièrement,  nous  appel- 
lerons votre  attention  sur  les  principales  propriétés  de 
la  moelle  épinière  et  du  système  nerveux  en  général. 


FIN 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface,  par  M.  Mathias  Duval v 

Introduction xi 

PREMIÈRE  PARTIE 

LA  PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  ET  LES  VIVISECTIONS  EN  GÉNÉRAL 

PREMIÈRE  LEÇON 

Sommaire  :  Nécessité  d'établir  une  technique  opératoire  en  physiologie.  — 
Plan  de  ces  Leçons.  —  De  la  phijsiologie  et  de  ses  rapports  avec  la  méde- 
cine.—  De  l'expérimentation  en  physiologie.  —  Difficultés  des  expériences. 

—  De  l'empirisme.  —  Des  sciences  pures  et  des  sciences  appliquées. 
La  médecine  est  une  science  appliquée.  —  Des  progrès  de  la  physiologie. 

—  De  son  caractère  scientifique 1 

DEUXIÈME  LEÇON 

.Sommaire  :  De  la  méthode  expérimentale.  —  Observation  et  expérience.  — 
L'expérience  est  une  observation  provoquée.  —  Il  n'y  a  pas  de  distinction 
absolue  entre  l'observation  et  l'expérience.  —  Induction  et  déduction.  — 
Complexité  des  phénomènes  à  étudier  chez  les  êtres  vivants.  —  De  l'usage 
lies  hypothèses  en  physiologie  expérimentale.  —  État  d'esprit  nécessaire 
à  l'institution  de  bonnes  expériences 23 

TROISIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Qu'est-ce  qu'un  fait?  —  Distinction  du  fait  et  dn  jugement 
auquel  il  donne  lieu.  —  Exemples  empruntés  à  l'histoire  de  la  physiologie 
pour  montrer  la  différence  du  fait  cl  de  son  interprétation.  —  Nécessité 
d'instituer  une  critique  expérimentale.  —  Du  déterminisme.  —  De  la  mé- 
thode numérique.  —  Perfectionnements  des  procédés  d'observation.  — 
Méthode  graphique.  —  Des  conditions  ou  causes  des  phénomènes 40 

QUATRIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  La  nosologie  aux  temps  anciens.  —  Union  actuelle  de  la  médecine 
et  de  la  physiologie  expérimciilale.  —  Celte  union  intime  est  déjà  indi- 


606  TABLE   DES   MATIÈRES. 

quée  dans  le  frontispice  du  livre  de  Régnier  de  Graaf.  —  Des  emprunts 
que  la  physiologie  doit  faire  à  la  physique  et  à  la  cliitnie.  —  Des  labora- 
toires de  physiologie  expérimentale.  —  Histoire  des  laboratoires.  —  Des 
vivisections.  —  Histoire  des  vivisections.  —  Choi.x  des  animaux  sur  les- 
quels portent  les  vivisections.  —  Les  résultats  des  vivisections  pratiquées 
sur  les  animaux  sont  applicables  à  la  physiologie  de  l'homme.  —  Dans 
quelles  limites  peuvent  se  faire  ces  applications. —  Réfutation  des  attaques 
dont  les  vivisections  ont  été  l'objet 56 

CINQUIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Nécessité  des  expériences  de  contrôle.  —  Détermination  du 
rôle  des  vivisections  en  physiologie  expérimentale.  —  Des  inductions 
anatomiques.  —  Comment  on  localise  les  phénomènes  de  la  vie.  —  Com- 
ment on  les  explique.  —  Ces  phénomènes  rentrent  dans  l'ordre  des  actes 
physico-chimiques.  —  Impulsion  donnée  à  la  physiologie  générale  par 
les  découvertes  de  Lavoisier.  —  De  l'emploi  des  poisons  pour  porter 
l'analyse  expérimentale  jusque  sur  les  éléments  anatomiques. —  De  la  vie. 
—  Théories  anciennes  sur  la  vie.  —  La  vie  réside  dans  les  éléments 
anatomiques.  — La  vie  totale  de  l'individu  est  la  somme  des  vies  partielles 
des  éléments  de  tissus.  —  Objet  de  la  physiologie  expérimentale "H 


DEUXIÈME  PARTIE 

PRÉHENSION  ET  CONTENTION  DES  ANIMAUX. 

INSTRUMENTS ,  APPAREILS  ET  OPÉRATIONS  D'UN  USAGE  GÉNÉRAL 

DANS  LES  VIVISECTIONS. 

SIXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Opérations  préliminaires  à  toutes  les  vivisections.  —  Choix  dp> 
animaux  destinés  aux  vivisections.  —  Préhension  des  animaux.  —  Chiens  : 
manière  de  les  saisir  (pince  à  collier,  nœuds  coulants,  etc.);  manière  de 
les  museler.  —  Chats  :  manière  de  les  saisir  (emploi  du  chloroforme»; 
manière  de  les  museler.  —  Lapins  et  autres  animaux  de  petite  taille.  — 
Oiseaux 102 

SEPTIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  De  la  contention  des  animaux.  —  Contention  mécanique  et  con- 
tention physiologique.  —  Appareils  de  contention  mécanique  employés  par 
Vésale,  par  Régnier  de  Graaf.  —  Ligature  des  membres.  —  Diverses  tables 
à  vivisection.  —  Gouttières  diverses  de  Schwann,  de  Pirogoff,  de  Blondlot. 
—  Table  à  vivisection  de  Cl.  Bernard.  —  Figures  montrant  la  disposition 
de  divers  animaux  sur  cette  table.  —  Transformation  de  cette  table  en 


TABLE    DES   MATIÈRES.  607 

diverses  formes  de  gouttières.  —  Installations  des  animaux  sur  ces  gout- 
tières (figures).  —  Nouvelle  gouttière  brisée  de  Cl.  Bernard.  —  Dispositions 
des  animaux  sur  la  gouttière  brisée.  —  Détails  sur  les  mors  employés  pour 
le  chien.  —  Contention  du  lapin.  —  Appareil  de  Czermak.  —  Préhension 
et  contention  des  grands  animaux  :  cheval  (morilles,  bricole,  entravons,  etc.)  ; 
6œ«/"  (travail) : 113^ 

HUITIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Contention  physiologique  des  animaux.  — Emploi  des  alcaloïdes 
de  l'opium.  —  Comment  il  faut  tenir  compte,  dans  l'interprétation  des 
expériences,  des  effets  propres  aux  agents  de  contention.  —  Emploi  de 
l'éther  et  du  chloroforme.  —  Du  chloral.  —  Muselières  pour  l'aneslhésie 
du  chien.  —  Éthérisation  du  lapin,  du  chat.  —  Bocal  pour  l'éthérisation 
des  animaux  de  petite  taille.  —  .\nesthésie  par  l'eau  chaude.  —  Combi- 
naison du  chloroforme  et  de  la  morphine.  —  Emploi  du  curare.  —  Avantages 
de  l'emploi  du  curare.  — Anesthésic  par  compression  du  cerveau.  —  Appré- 
ciation générale  des  moyens  de  contention 149 

NEUVIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Appareils  et  instruments  d'un  usage  général  dans  les  vivisec- 
tions. —  Scalpels,  pinces,  crochets,  scies.  —  Appareils  pour  les  injections. 
—  Seringues  à  vis.  —  Perce-plèvre  de  Magendie.  —  Canules  diverses. .     182 

DIXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Opérations  d'un  usage  général  dans  les  vivisections.  —  Des  itici- 
sio)is  (maniement  du  scalpel,  des  ciseaux,  etc.).  —  Des  sutures.  —  Manuel 
opératoire  des  injections.  —  Injections  hypodermiques.  —  Injections  sous- 
cutanées  de  gaz.  —  Quelques  considérations  générales  sur  les  résultats 
obtenus  par  les  injections  sous-cutanées I9S 

ONZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Des  autopsies  en  physiologie  expérimentale.  —  Procédés  pour 
sacrifier  les  animaux  (injections  veineuses  d'air,  d'acide  prussique,  section 
du  bulbe).  —  Emploi  de  la  respiration  artificielle.  —  Appareils  pour  la 
respiration  artificielle.  —  Appareils  divers  que  l'expérimentateur  doit  tou- 
jours avoir  tout  préparés  sous  la  main.  —  Balance,  microscope,  pompe 
à  mercure,  appareils  enregistreurs.  —  Appareils  électriques 220 


608  TABLE    DES    M\TIÈi{ES. 


TROISIÈME  PARTIE 

PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  DE  L'APPAREIL  CIRCULATOIRE  SANGUIN 

ET    LYMPHATIQUE.    —     SYSTÈME    CAPILLAIRE,   —    ABSORPTION   DES 

POISONS  COMME  MOYENS   D'ANALYSE  PHYSIOLOGIQUE. 

DOUZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Physiologie  opératoire  de  Yappareil  île  la  circulation.  —  Topo- 
graphie générale  du  système  vasculairc  sanguin  et  lymphatique.  —  Dispo- 
sition des  gros  vaisseaux  chez  le  chien,  chez  le  lapin.  —  Divers  modes 
d'origine  des  branches  de  la  crosse  de  l'aorte.  —  Système  lymphatique.  — 
Analomic  topographique  des  vaisseaux  du  cou  et  du  pli  de  l'aine  chez  le 
chien  et  le  lapin.  —  Manuel  opératoire  général  des  vivisections  portant 
sur  ces  vaisseaux.  —  îlanuel  opératoire  des  injections  à  pratiquer  sur  ces 
vaisseaux. —  Injections  intra-artérielles  et  intra-vcineuses.  — Importance 
de  l'étude  des  sangs  veineux.  —  Cathétérismc  du  cœur  et  des  gros  vais- 
seaux. —  Classification  des  phénomènes  de  la  vie  en  phénomènes  phy- 
siques, phénomènes  chimiques  et  phénomènes  dits  physiologiques.  — 
Valeur  de  celte  dernière  catégorie.  —  Problèmes  que  se  posent  la  physiologie 
et  la  pathologie  générales.  —  Importance  de  l'étude  du  sang  <à  ce  point 
de  vue 241 

TREIZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  ÉtuJe  expérimentale  de  l'appareil  circulatoire.  —  Anatomie  et 
physiologie.  —  Les  analogies  anatomiques  ne  peuvent  suppléer  à  l'expéri- 
mentation physiologique.  —  Revue  historique  des  faits  et  des  théories 
relatives  à  la  circulation.  —  Nouvelles  lumières  apportées  par  la  chimie 
moderne.  —  Les  phénomènes  ciiimiques,  comme  les  phénomènes  méca- 
niques de  l'organisme,  doivent  être  étudiés  directement  par  l'expérimen- 
tation, et  non  déduits  par  analogie  des  faits  semblables  empruntés  à  la 
mécanique  pure.  —  En  chimie,  comme  en  mécanique,  les  procédés  de 
l'organisme  lui  sont  particuliers 291 

QUATORZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  cfrculatoirc.  —  Un  appareil 
circulatoire  n'est  qu'un  appareil  de  perfectionnement. —  Apparition  de  cet 
appareil  chez  l'embryon.  —  Sa  forme  chez  les  animaux  supérieurs.  — 
Différentes  parties  dont  il  se  compose  chez  les  animaux  supérieurs.  — 
Importance  des  vaisseaux  capillaires.  —  Diverses  expériences  pour  montrer 
que  tous  les  phénomènes  essentiels  de  la  nutrition  se  passent  au  niveau  des 
capillaires. 

Étude  du  système  capillaire.  —  System:"  lacunaire  des  animaux  inférieurs.  — 


\ 


TABLE    DES   MATIÈRES.  f)OU 

Spliiiiclers  prélacunaircs  de  quelques  articulés;  leur  analogie  avec  l'en- 
semble formé  par  les  parois  musculaires  des  artcrioles  des  animaux  supé- 
rieurs. —  Capillaires  sanguins  et  capillaires  lymphatiques.  —  Développe- 
ment et  disposition  des  réseaux  capillaires;  ils  sont  indépendants  du  reste 
de  l'appareil  circulatoire,  aussi  bien  au  point  de  vue  de  leur  genèse  qu'au 
point  de  vue  de  leurs  fonctions 303 

QUINZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  circulatoire.  —  Importance 
des  expériences  faites  sur  le  système  capillaire.  —  Les  capillaires  sont  par 
excellence  les  agents  de  Vabsorplion.  —  Absorption  par  les  surfaces  externes 
et  internes.  —  Des  injections  locales  à  effets  locaux.  —  Expériences  prou- 
vant qu'on  peut  produire  à  part  l'effet  local  et  l'effet  général.  — Différentes 
phases  à  considérer  dans  l'absorption. 

Capillaires  sanguins  et  lymphatiques.  —  Idées  anciennes  sur  les  voies  de 
l'absorption.  —  Découverte  des  vaisseaux  lymphatiques.  —  Expériences 
de  Magendie.  —  Expériences  nouvelles.  —  Les  veines  sont  les  organes 
les  plus  essentiels  de  l'absorption 323 

SEIZIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  de  la  circulation.  —  Du  sys- 
tème capillaire.  —  Rapports  des  vaisseaux  lymphatiques  avec  les  capillaires 
sanguins.  —  Nerfs  vaso-moteurs.  —  Par  les  capillaires  sanguins,  les 
agents  toxiques  portent  leur  action  sur  les  éléments  des  tissus. 

De  l'absorption  :  absorption  interne;  absorption  externe.  —  Des  divers  actes 
de  l'absorption  :  elle  comprend  trois  phases.  —  Nouvelles  expériences  pour 
déterminer  la  durée  relative  de  chacune  de  ces  trois  phases.  —  Expériences 
sur  l'absorption  des  gaz.  —  Expériences  sur  l'absorption  du  curare., .     344 

DIX-SEPTIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Expériences  sur  l'appareil  de  la  circulation.  —  De  l'origine  des 

veines.  —  Circulation  dite  dérivative. 
Cœurs  périphériques  veineux  et  lymphatiques.    —    Influence  du    système 

nerveux  et   des  poisons   sur  ces  cœurs.  —  Exsudation  de  la  lymphe.  — 

Induence  du  curare  sur  ce  phénomène.  —  Diapédèse  des  globules  blancs. 
Des  diverses  espèces  de  sang.  —  Des  diverses  espèces  de  sang  veineux.  — 

Importance  de  leur  étude  comparée 374 

DIX-HUITIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Étude  expérimentale  de  l'appareil  de  la  circulation  et  du  sang. 

—  Études   physiologiques  au   moyen  de    substances    introduites    dans  le 

sang.  —  Les  poisons  utilisés  comme  moyens  de  vivisection.  —   Résumé  de 

l'histoire  du  curare.—  Expériences  sur  la  grenouille.  —  Résultats  acquis 

CL.  BERNARD.  —  Phy»iol.  opér.  3'J 


610  TABLE    DES    MATIÈRES. 

par  l'expcrimcutatioii  avec  le  ciuarc.  —  De  l'acide  prussique  ou  cyan- 
liydiique.  —  Théories  curieuses  sur  l'action  rapide  de  ce  poison.  —  De  la 
mort  sans  lésions  anatomiques.  — ■  De  l'anatomie  pathologique 398 

DIX-NEUVIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  De  la  respiration  artificielle  comme  moyen  d'analyse  physiolo- 
gique. —  Effets  mécaniques  de  l'insufflation  pulmonaire.  —  De  l'apnée 
produite  par  la  respiration  artificielle.  —  De  l'oxyde  de  carbone  comme 
moyen  d'analyse  physiologique.  —  Recherche  du  mode  d'élimination  de 
l'oxyde  de  carbone.  —  Nouvelles  expériences 430 

VINGTIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Système  circulatoire.  —  Du  sang  étudié  en  lui-même  au  point 
de  vue  de  ses  conditions  physiques  (température)  et  chimiques  (glycémie 
normale).  —  Topographie  calorifique  du  système  sanguin.  —  Coup  d'œil 
historique.  —  Critique  expérimentale.  —  Appareils  de  M.  d'Arsonval.  — 
Aiguilles  thermo-électriques.  —  Dispositions  et  construction  dos  sondes  ; 
sondes  eng aînées  ;  sondes  nues  (de  d'Arsonval).  —  Aiguilles  tlicrmo- 
électriques.  —  Graduation  de  ces  appareils.  —  Résultats  des  expériences. 
— Appareil  de  d'Arsonval  à  température  constante.  — Derniers  perfection- 
nements de  l'appareil  pour  le  dosage  du  sucre  dans  le  sang...  • . . . .     460 


QUATRIÈME  PARTIE 

PHYSIOLOGIE  OPÉRATOIRE  DE  L'APPAREIL  DIGESTIF 

VINGT  ET  UNIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Physiologie  opératoire  de  f  appareil  digestif.  —  Historique  de  la 
question.  —  Actes  mécaniques  et  actes  chimiques  de  la  digestion.  — 
Digestions  artificielles  in  vitro.  —  Liquides  digestifs.  —  Fistules  pour  se 
procurer  les  liquides  digestifs,  et  notamment  le  suc  gastrique.  —  Tentatives 
de  de  Graaf. 

Étude  de  la  salive.  —  Salive  mixte.  —  H  y  a  trois  espèces  de  salives  bien 
distinctes.  —  Expériences  sur  les  carnivores  et  les  herbivores 492 

VINGT-DEUXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Propriétés  de  la  salive  parotidienne.  —  Comment  il  faut  s'y 
prendre  pour  introduire  des  tubes  dans  le  conduit  parotidien.  —  Disposi- 
tion anatomique  des  parties  chez  le  cheval  et  le  chien.  —  Propriétés  des 
salives  ainsi  obtenues.  —  Elles  diffèrent  avec  les  diverses  espèces  et  quel- 
quefois chez  divers  individus  de  la  même  espèce.  —  Explication  de  cette 
contradiction  apparente.  —  Caractère  intermittent  de  la  sécrétion.  —  Des 
différentes  manières  de  l'e.xciter.   —  L'affinité  élective  des  glandes  sali 


TABLE   DES   MATIÈRES.  61  i 

vaires  démontrée  par  différentes  expériences.  —  Toutes  les  substances 
peuvent  passer  dans  la  salive  lorsqu'elles  ont  été  introduites  en  suflisantc 
quantité  dans  le  sang.  —  Du  pouvoir  absorbant  de  la  surface  interne  des 
glandes.  —  Sa  disparition  pendant  le  cours  de  la  sécrétion 504 

VINGT-TROISIÈME  LEÇON 

So.MM.\iKE  :  Influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion  parotidienne.  — 
Les  glandes  sont  pourvues  de  trois  ordres  distincts  de  nerfs  :  moteurs, 
scnsitifs  et  ganglionnaires.  —  Différence  entre  les  glandes  sous-maxillaire 
et  parotide,  au  point  de  vue  de  l'influence  ganglionnaire.  —  De  la  galva- 
nisation du  grand  sympathique  pendant  la  mastication.  —  Ses  résultats. 

—  L'innervation  des  glandes  parotides  a  évidemment  sa  source  dans  les 
nerfs  moteurs.  —  Influence  de  la  septième  paire  sur  la  sécrétion  paroti- 
dienne. —  Résultats  de  la  section  du  nerf  facial  :  1°  au-dessous  du  trou 
stylo-mastoïdien  ;  2"  dans  l'intérieur  du  rocher.  —  On  a  supposé  que  c'é- 
tait du  petit  pétreux  qu'émanait  le  nerf  moteur  de  la  parotide.  —  Décou- 
verte de  ce  nerf.  —  Description  de  l'expérience  par  laquelle  on  est  arrivé 
à  ce  résultat.  —  Le  nerf  moteur  de  la  parotide  est  une  branche  de  l'auri- 
culo-temporal.  —  11  accompagne  la  maxillaire  interne.  —  Il  semble  être  le 
congénère  de  la  corde  du  tympan.  —  Différence  entre  l'action  du  système 
ganglionnaire  sur  les  glandes  et  celle  qu'exercent  les  nerfs  moteurs.  — 
Explication  des  raisons  pour  lesquelles  le  grand  sympathique  n'exerce 
aucune  action  sur  les  parotides 517 

VINGT-QUATRIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Expériences  nouvelles  démontrant  que  le  nerf  moteur  de  la 
parotide  est  fourni  par  le  facial  au  nerf  auriculo-temporal  superficiel.  — 
Son  trajet  et  sa  distribution.  —  Résultats  importants  de  la  découverte  de 
ce  nerf.  —  Différence  de  coloration  du  sang  veineux  de  la  parotide  à  l'état 
de  repos  et  à  l'état  d'activité.  —  La  sécrétion  salivaire  peut  être  provo- 
quée par  la  piqûre  de  certains  centres  nerveux.  —  Influence  du  trijumeau. 

—  Influence  des  poisons.  —  Comparaison  entre  le  nerf  moteur  de  la  paro- 
tide et  celui  de  la  sous-maxillaire.  —  Cette  dernière  est  infiniment  plus 
sensible  à  l'action  des  agents  extérieurs  que  la  parotide.  —  Estimation  de 
cette  différence  par  l'appareil  de  Du  Bois-Reymond.  —  Moyens  divers  de 
modifier,  d'augmenter  ou  de  diminuer  à  volonté  cette  sensibilité  relative. 

—  La  section  du  grand  sympathique  augmente  Irx  sensibilité  de  la  glande 
du  côté  correspondant.  —  Exemples  de  phénomènes  analogues  qui  se 
passent  en  d'autres  points  du  corps.  —  Inflammation  de  la  conjonctive 
consécutive  à  une  opération  analogue.  —  Le  grand  sympathique  fait 
contracter  les  vaisseaux,  tandis  que  les  nerfs  moteurs  de  la  sécrétion  les 
dilatent.  —  Démonstration  expérimentale  de  la  sensibilité  relative  des 
glandes  et  des  effet-;  de  la  section  du  sympathique 527 


612  TAIJLU:    DliS   MATIÈRES, 


VINGT-CINQUIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  La  disposition  anatomiquc  des  glandes  sous-maxillaires  est  abso- 
lument la  même  chez  le  chien  que  chez  l'homme.  —  Canal  de  Wliarlon. 

—  11  est  complètement  indépendant  de  celui  de  la  sublinguale  —  La 
glande  sous-maxillaire  est  pourvue  de  deux  ordres  de  nerfs  :  les  uns 
dérivent  du  système  ganglionnaire;  les  autres,  du  nerf  facial,  par  l'inter- 
médiaire de  la  corde  du  tympan.  —  De  l'influence  du  nerf  lingual  sur  la 
sécrétion  sous-maxillaire.  — Elle  appartient  à  la  classe  des  actions  réflexes. 

—  Preuve  expérimentale  de  cette  hypothèse.  —  Effets  de  la  galvanisation 
de  la  corde  du  tympan. 

Disposition  anatomique  de  la  glande  sublinguale.  —  Cliez  l'homme  et  chez 
la  plupart  des  animaux,  ce  n'est  pas  une  glande  en  grappe.  —  Chez  le 
chien  cependant,  elle  ne  présente  qu'un  seul  conduit  excréteur.  —  Les 
expériences  relatives  à  cette  glande  ne  peuvent  être  faites  que  sur  le 
chien.  —  Propriétés  spéciales  de  la  salive  sublinguale.  —  Elle  n'appa- 
raît que  lentement,  lorsqu'on  excite  la  glande.  —  Elle  sert  surtout  à  la 
déglutition.  —  La  corde  du  tympan  est  le  nerf  moteur  de  la  glande  sub- 
linguale      539 

VINGT-SIXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Expériences  sur  les  fonctions  de  l'œsophage.  —  Effets  de  la  sec- 
lion  du  pneumogastrique  sur  cette  partie  du  tube  digestf.  —  Conclusions 
erronées  que  l'on  a  tirées  de  ces  résultats.  -  -  L'opération  n'abolit  aucune 
des  sensations  en  rapport  avec  le  travail  de  la  digestion.  —  Explications 
rationnelles  des  effets  produits  par  une  constriction  du  cardia. —  Facilité 
de  la  démonstration  chez  les  animaux  porteurs  d'une  fistule  gastrique.  — 
La  constriction  disparaît  après  un  court  espace  de  temps.  —  Expériences 
sur  le  bol  alimentaire.  —  De  la  quantité  de  salive  qui  imprègne  les  aliments. 

—  Expériences  sur  la  déglutition.  — Effets  produits  par  la  division  comidète 
du  nerf  œsophagien. 

De  l'estomac.  —  Des  fistules  gastriques.  —  Des  animaux  qui  conviennent 
à  l'opération.  —  Diverses  manières  de  procéder.  —  Description  de  la  mé- 
thode de  M.  Blondlot.  —  Modifications  introduites  par  M.  Claude  Bernard. 

—  Modifications  apportées  plus  récemment  par  M.  Blondlot  lui-même.  — 
Démonstrations  expérimentales 551 

VINGT-SEPTIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  L'opération  de  la  gaslrotomie  chez  le  chien  ne  présente  généra- 
lement pas  d'inconvénients  sérieux.  —  Propriétés  particulières  du  suc  gas- 
trique. —  Sa  réaction  acide.  —  Celte  propriété  se  retrouve  dans  toute 
l'échelle  animale.  —  Les  glandes  en  tube  de  la  muqueuse  stomacale  son 
la  source  réelle  de  ce  liquide.  —  Preuves  cxpérinienlales  de  ce  fait.  — 
Expériences  de  Prévost  et  Leroyer.  —  Résultats  identiques  ciicz  les  lierbi- 


TABLE    DES   MATIÈRES.  613 

vorcs.  —  La  portion  pylorique  de  l'estomac  concourt  seule  à  cette  sécrétion. 
—  Des  modifications  de  la  muqueuse  stomacale  pendant  la  digestion.  — 
L'épilhélium  se  détaciie.  —  Des  différentes  substances  éliminées  par  la 
sécrétion  gastrique  :  prussiate  de  potasse,  sels  de  fer,  etc.  —  Démonstra- 
tion expérimentale.  —  Difficulté  de  déterminer  le  point  particulier  où  la 
sécrétion  a  lieu.  —  Des  différentes  manières  de  recueillir  le  suc  gastrique 
pour  l'analyse.  —  Comment  on  réussit  le  mieu.x  à  en  séparer  les  substances 
alimentaires  mélangées. 
Certains  liquides  sont  invariablement  mêlés  au  suc  gastrique  et  il  est  impos- 
sible d'éviter  leur  présence.  —  Salive.  —  Sécrétion  propre  des  glandes 
du  pharynx.  —  Tous  ces  liquides  sont  alcalins,  et,  suivant  la  loi  de 
Berzelius,  ils  ont  une  tendance  à  neutraliser  l'acide  du  suc  gastrique.  — 
Influence  des  alcalins  sur  la  sécrétion  gastrique. —  La  réaction  des  liquides 
ntestinaux  au  delà  du  pylore  est  entièrement  variable.  —  Composition 
chimique  du  suc  gastrique.  —  Influence  du  système  nerveux  sur  sa  pro- 
duction. —  Plexus  solaires.  —  Effets  produits  sur  l'estomac  par  la  galva- 
nisation des  pneumogastriques  et  du  grand  sympathique 560 

VINGT-HUITIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Du  suc  pancréatique.  —  Dispositions  anatomiques  des  con- 
duits pancréatiques  chez  l'homme.  —  Situation  de  leurs  orifices  externes. 
—  La  bifidité  de  l'appareil  excréteur  est  un  vestige  de  l'état  fœtal.  — 
Dispositions  anatomiques  de  ces  parties  dans  les  différentes  espèces  ani- 
males. —  Différents  procédés  opératoires.  —  L'organe  décrit  par  Aselli 
comme  un  pancréas  chez  le  chien  n'est  qu'une  agglomération  de  gan- 
glions lymphatiques.  —  Glandes  de  Brunner.  —  Nature  précise  de  leur 
sécrétion.  —  Propriétés  de  la  sécrétion  pancréatique.  —  Expériences 
relatives  à  ce  sujet. 

Des  substances  éliminées  par  la  glande  pancréatique.  —  Analogie  qui  existe 
sous  ce  rapport  entre  les  glandes  pancréatiques  et  salivaires.  —  Influence 
du  système  nerveux  sur  le  pancréas.  —  Expériences  variées  sur  la  sécré- 
tion pancréatique 5'4- 

VINGT-NEUVIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  Difficultés  de  conserver  longtemps  les  fistules  pancréatiques 
en  pleine  activité.  —  Nécessité  d'opérer  simultanément  sur  un  grand 
nombre  d'animaux  lorsqu'on  a  besoin  de  grandes  quantités  de  suc  pan- 
créatique. —  Propriétés  présumées  de  ce  liquide  chez  l'homme.  —  Expé- 
riences faites  sur  le  pancréas  des  condamnes  à  mort.  —  Faits  cliniques 
qui  viennent  à  l'appui  des  résultats  obtenus  par  ce  moyen.  —  Propriété 
fondamentale  de  la  sécrétion  pancréatique.  —  Émulsion  des  matières 
grasses.  —  Aucun  autre  liquide  de  l'économie  n'est  doué  de  la  môme 
propriété.  —  Les  sécrétions  alcalines  exercent  sur  les  substances  grasses 
une    action   particulière   différente  de  celle   du  suc  pancréatique.  —  La 


614  TABLK    DUS    MATif-RES. 

nature  dos  fonctions  du  pancréas  se  déduit  naturellement  de  ces  faits.  — 
Effets  de  la  ligature  des  conduits  pancréatiques  chez  les  animaux  exclu- 
sivement nourris  de  substances  grasses.  —  Résultats  analogues  observés 
dans  les  cas  de  cancer  du  pancréas.  —  Influence  du  système  nerveux 
sur  la  sécrétion  pancréatique. 
Des  connexions  de  l'appareil  biliaire  avec  les  conduits  pancréatiques.  — 
De  sa  disposition  anatomiquc  chez  les  différents  animaux.  —  Diverses 
manières  de  recueillir  la  bile.  —  On  la  retire  habituellement  de  la 
vésicule  biliaire.  —  Objections  à  l'emploi  des  anesthésiques.  —  La  bile 
est  sécrétée  pendant  les  intervalles  de  la  digestion.  —  Cela  est  prouvé  par 
les  expériences  sur  les  limaçons.  — Fistules  biliaires. —  On  les  pratique 
généralement  dans  le  but  d'empêcher  la  sécrétion  de  passer  dans  le  duo- 
dénum. —  Importance  de  cette  sécrétion  dans  le  travail  de  la  digestion. 

—  Opinion  de  Haller.  —  Expériences  de  Schwann,  Blondlot,Tiedemann  et 
Gmelin.  —  M.  Blondlot  croit  que   la  bile  est  un  produit  excrémenlitiel. 

—  Expériences  propres  de  M.  Cl.  Bernard  sur  ce  point.  —  Le  procédé 
opératoire  qu'il  a  adopté  permet  de  suspendre  et  de  rétablir  alterna- 
tivement le  passage  de  la  bile  dans  l'intestin.  —  Difficulté  d'arriver  à 
une  conclusion  positive  par   de    semblables   expériences 590 


UN    DE   L\   TABLE    DES  MATIERES. 


.  MFIIIK    l)i:    t:.    MA  HT  1  NET.    IIUE   JIICXOS. 


LIBRAIRIE   .I.-li.    r.AlLLIKRE    ET    1-lLS. 


(ilT) 


LE  CORPS  HUMAIN 

STRUCTURE  ET  FONCTIOiNS 

Formes  extérieures,  Régions  anatomiques ,  Situation,  Rapports  et  Usages 
des  Appareils  et  Organes  qui  concourent  au  mécanisme  de  la  vie, 

DÉMONTRÉS  A  L'AIDE  DE  PLANCHES  COLORIÉES,  DÉCOUPÉES  Eî  SUPERPOSÉES 

DESSINS   D'APRÈS   NATURE 

Par  :É:d.oiiara  CUY'EFt 

Lauréat  de  l'École  des  Beaux-Ar(s, 

TEXTE 

r»ai*  O.  A.  K.tjmrir' 

Doctcih-  en  médecine,  préparateur  au  laboratoire  d'Anthropologie  de  l'Érule  des  Hautes  Études. 

Col  ouvrage  est  complet.  Il  a  été  publié  en  8  livraisons,  [chacune  de  3  planches  coloriées 
avec  un  texte  descriptif  et  explicatif.  Prix  de  chaque  livraison  :  7  fr.  .50 

Iw"ou.vraee  conaplot,    cartonné.  —  60    fr. 


PI.      I.   Du  CORPS  HUMAIN  EN'  GÉNÉRAL. 

II.  Tronc   et    cavité  thoracique  (face 
antérieure). 

III.  Tronc  (face  postérieure). 

IV.  Tronc  (face  latérale). 
V.  Cavité  abdominale. 

VI.  Tête. 

1.  —  Face  antérieure. 

2.  —  Face  postérieure. 


Fig. 
Fig. 
VII.  TÊTE. 
Fig. 
Fig. 


1.  —  Face  latérale. 
_    2.  —  Base  du  crâne. 
VIII.  Coi;  (face  antéro-externe). 
I.\.  Membre  thoracique. 
Fig.  1.  —  Bras. 
Fig.  2.  —  Ava7it-bras. 
X.  Membre    thoracique    (face    posté- 
rieure). 
Fig.  1.  —  Bras. 
Fig.  2.  —  Arant-bras. 
XI.  Membre  thoracique  (face  interne;. 
Fig.  1.  —  Bras. 
Fig.  2.  —  Avant-bras. 
XH.  Membre  thoracique  (face  externe). 
Fig.  I.  —  Bras. 
Fig.  2.  —  Avant-bras. 
XIII. 

Os  du  carpe  (face  anté- 
rieure). 
Os  du  carpe  (face  pos- 
térieure). 
Main  (face  palmaire). 
Main  (face  dorsale;. 

XIV.  Membre  abdominal  (face  antérieure), 

Fig.  1.  —  Cuisse. 
Fig.  2.  —  Jambe. 

XV.  Membre  abdominal  (face  postérieurej. 

Fig.  1.  —  Cuisse. 
Fig.  2.  —  Jambe. 


PI. 


du    tarse    (face 
du   tarse   (face 


Main. 

Fig. 

1 

Fig. 

2. 

tig 

3. 
4. 

XVI.  Membre  abdominal  (face  interne). 
Fig.  1.  —  Cuisse. 
Fig.  2.  —  Jambe. 
XVII.  Membre  abdominal  (face  externe). 
Fig.  I.  —  Cuisse. 
Fig.  2.  —  Jambe. 
XVIir.  Pied. 

Fig.  i.  —  Os 

supérieure). 

Fig.  2.  -  Os 

inférieure) 

Fig.  3.  —  Pied  (face  dorsale). 

Fig.  4.  —  Pf'ef/ (face plantaire). 

XIX.  Ensemble  des  vaisseaux  et    des 

nerfs. 
XX.  Encéphale  (face  supérieure). 
XXI.  Encéphale. 

Fig.  1.  —  Face  latérale. 
Fig.  2.  —  Cervelet. 
XXII.  Appareil  visuel  (face  latérale). 

XXIII.  Appareil    visuel;    paupières    et 

voies  lacrymales. 

XXIV.  Appareil  .auditif. 

Fig.  1.  —  Oreille  externe  et 
oreille  moyenne  vues  par  la 
face  externe. 

Fig.  2.  —  Oreille  externe  , 
oreille  moyenne  et  oreille 
interne  vues  par  la  face  an- 
térieure. 

Fig.  3.  —  Chaîne  des  osselets 
vue  par  sa  face  antérieure. 

Fig.  4.  —  Chaîne  des  osselets 
vue  par  sa  face  externe. 

Fig.  5.  —  Coupe  du  limaçon. 

XXV.  Appareils  de  l'olfaction,  du  goût 

ET  DE  LA  voix. 


Une  Neuvième  livraison  complémentaire  comprend  les  planches  :  XXVI.  ORGANES  géni- 
taux DE  l'homme.  —  XXVII.  Organes  génitaux  de  la  femme. 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  UN  MANDAT  SUR  LA  POSTE. 


010  LIBRAIRIE   J.-B.    RAILLIÈRE   ET    FILS. 


ANATOMIE  DES  CENTRES  NERVEUX 

r»ar  le  aocteixr  Gt.  HUOUEIVIIV 

Professeur  à  rUiiivcrsité  de  Zurich. 

Traduit  de  l'allemand  par  le  docteur  Th.  KELLER  , 
Ex-aide  d'anatomie  à  la  Faculté  de  médecine  de  Strasbourg'. 

Annoté  par  le  docteur  Mathia.s  DUVAL, 

Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris. 
Paris,  1879,  in-8  de  368  pages  avec  149  figures  intercalées  dans  le  texte.  —  8  f r 

De  toutes  les  branches  de  la  biologie,  l'étude  du  système  nerveux  est  sans  contredit 
une  de  celles  qui  ont  été  depuis  longtemps  l'objet  du  plus  grand  nombre  de  recherches. 
Dans  ces  dernières  années,  la  physiologie  et  la  pathologie  des  centres  nerveux,  en  nous 
révélant  des  faits  inattendus,  ont  rendu  plus  actives  encore  les  investigations  anato- 
miques;  c'est  ainsi  que,  notamment  pour  les  centres  supérieurs,  pour  les  hémisphères 
cérébraux,  la  notion  nouvelle  des  localisations  fonclionnelles  dans  les  parties  grises, 
ou  tout  au  moins  dans  la  substance  blanche,  nous  donne  l'idée  la  plus  complète  de  ce 
qu'on  csl  aujourd'hui  en  droit  de  demander  à  l'anatomie  :  Une  nomenclalure  et  une 
délermination  exacte  des  parties ,  dans  leurs  rapports  de  contiguïté,  et,  s'il  est  possible, 
dans  ceux  de  continuité. 

Cet  ouvrage  vient  combler  cette  lacune  en  appelant  l'attention  sur  des  faits  ri- 
goureusement observés  qui  éclairent  l'anatomie  des  centres  nerveux. 


PRÉCIS  DE  TECHNIQUE  MICROSCOPIQUE  ET  IIISTOLOGIQUE 

ou  introduction  pratique  a   l'anatomie  générale 

Par  le  docteur  ^latlxias  XHJVA.I-. 

Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  professeur  d'Anatomie  à  l'Ecole  des  beaux-arls, 
Membre  de  la  Société  ne  biologie. 

Avec  une  Introduction  par  le  professeur  Ch.  ROBIN. 
1  vol.  in-18  Jésus  avec  43  figures.  —  4  fr. 

Après  quelques  pages  consacrées  à  fixer  le  lecteur  sur  la  portée  de  l'anatomie  géné- 
rale et  sur  la  valeur  réelle  de  l'histologie,  nous  étudions  successivement  :  1°  le  microscope 
et  ses  appareils  annexes;  2°  les  procédés  de  manipulations  histologiques. 

Un  traité  technique  peut  être  utilisé  de  deux  manières  bien  distinctes  : 

Ou  bien  celui  qui  étudie  l'histologie,  se  proposant  d'employer  sur  tel  tissu  un  réactif 
qu'il  sait  propre  à  cette  étude,  désire  être  fixé  sur  le  mode  précis  selon  lequel  il  doit 
procéder  (dose,  durée  de  l'action,  etc.). 

Ou  bien  le  débutant  désire  se  familiariser  avec  l'emploi  des  instruments  et  des  réac- 
tifs avant  de  les  appliquer  à  une  recherche  spéciale  :  si  celte  étude  doit  être  faite  par 
lui  d'une  manière  pratique,  et  elle  ne  sera  vraiment  profitable  qu'à  cette  condition, 
nous  lui  donnerons  le  conseil  de  suivre  dans  cet  apprentissage  l'ordre  suivant,  qui 
n'est  pas  exactement  celui  du  livre  ,  les  connexions  qui  résultent  de  la  nature  même  des 
choses  nous  ayant  contraint  de  placer  parfois  tout  au  début  l'exposé  de  moyens  de 
recherche  qui  ne  doivent  préoccuper  l'étudiant  qu'après  qu'il  se  sera  familiarisé  avec 
des  manipulations  plus  élémentaires.  Ainsi  le  débutant  devra  d'abord  lire  tout  ce  qui 
a  trait  au  microscope  et  à  son  maniement;  il  se  portera  alors  aux  chapitres  qui  traitent 
de  la  conservation  des  préparations,  car  rien  ne  sera  plus  propre  à  donner  de  l'attrait 
à  ses  exercices,  que  le  fait  d'être  à  même  de  pouvoir  conserver  les  préparations,  qu'il 
apprendra  alors  seulement  à  faire  en  étudiant  les  chapitres  qui  traitent  des  réactifs; 
enfin  ce  ne  sera  qu'en  dernier  lieu  qu'il  devra  s'occuper  de  l'étude  des  appareils  annexes 
du  microscope,  lesquels  ïe  rapportent,  du  moins  pour  quelques-uns,  à  des  recherches 
spéciales,  comme  par  exemple  les  appareils  pour  la  numération  des  globules  du  sang. 

(Extrait  de  la  Préface  de  l'Auteur  ) 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  UN  MANDAT  SUR  LA  POSTE. 


t"  série.       -  K"  194.  Uécenibre   ISÏfel 

BULLETIN  MENSUEL  UES  NOUVELLES  PUBLICATIONS 

DE    LA    LIBRAIRIE    J.-B.    BAILLIÈRE    et    FILS 

19,  rue  Hautefeuille,  près  le  boulevard  St- Germain,  à  Paris. 

LA    SCIENCE    EXPÉRIMENTALE 

Par  Claude  BER.\.4KU 

Membre  de  l'Institut  de  France  (Académie  des  sciences), 
Professeur  de  physiologie  au  Collège  de  France  et  au  Muséum  d'histoire  naturelle. 

Progrès  des  sciences  physiologiques.  —   Problèmes  de  la  pliysiologie  générale. 

La  vie,  les  théories  anciennes  et  la  science  moderne. 

La  chaleur  animale.  —  La  sensibilité.  —   Le   curare.   —  Le  cœur.  —  Le  cerveau. 

Discours  de  réception  à  l'Acidémie  française. 

Discours  d'ouverture  de  la  séance  publique  annuelle  des  cinq  Académies. 

Deuxième  édition. 

Paris,  1878,  1  vol.  in-18  jésus  de  449  pages,  avec  21  ligures.  —  i  fr. 


LEÇONS 
DE    PHYSIOLOGIE    OPÉRATOIRE 

1  volume  in-8  de  640  pages,  avec  116  figures.   —  8  fr, 


LEÇONS  SUR  LES  PHENOMENES   DE   LA   VIE 

COMMUNS    AUX    ANIMAUX    ET    AUX     VÉGÉTAUX 

COURS   DU   MUSÉUM    D'HISTOIRE   NATURELLE 
Par  Claude  BERNARD 

Paris,  1878, 1  vol.  iii-8  de  xxu-400  pages,  avec  45  fig.  intercalées  daas  le  lexle 

et  1  planche  coloriée.  —  7  fr. 

Tome  II.  Paris,  1879,  1  vol.  in-8,  avec  3  planches  et  40  ligures. 

BERNARD  (Claude).  Leçons  de  pby»«iologic  espérimeniale  appliquée  à  la  méde- 
cine, faites  au  Collège  de  France.  Paris,  1855-1856,  2  vol.  in-8,  avec  lûO  fig.  14  fr. 

—  I<eçon<4  sur  les  effets  des  substances  tos^iqncs  et  médicamenteuses. 
Paris,  1857,  1  vol.  in-8,  avec  32  figures.  7  fr. 

—  I^eçons  sur  la  pbysiologie  et  la  pathologie  du  système  nerveui.  Paris^ 
1858,  2  vol.  in-8^  avec  79  figures.  14  fr. 

—  I^eçons  sur  les  propriétés  physiologiques  et  les  altérations  pathologiques  des 
liquides  de  l'organisme.  Paris,  1859,  2  voL  in-8,  avec  fig.  i4  fr. 

—  Introduction  à  l'étude  de  la  médecine  expérimentale.  Paris,  18G5,  in-8 
de  400  pages,  avec  figures.  7  fr, 

—  leçons  de  pathologie  expérimentale.  Paris,  1871,  1  vol.  in-8  de  604  p.   7  fr. 

—  liCçons  sur  les  anestbésiques  et  sur  l'asphyxie.  Paris,  1874,  1  voL  in-8 
de  520  pages,  avec  figures.  7  fr. 

—  licçons  sur  la  chaleur  animale,  sur  les  effets  de  la  chaleur  et  sur  la  fiè\re. 
Paris,  1876,  1  voL  in-8  de  471  pages,  avec  figures.  7  fr. 

—  I.eçons  sur  le  diabète  et  la  glycogenèsc  animale.  Paris,  1877,  1  vol.  in-8 
de  576  pages.  7  fr. 

—  Fr.  xMagendie.  Paris,  1856,  in-8,  36  pages.  1  fr. 

—  Précis  Iconographique  de  médecine  opératoire  et  d'anatomie  chirur- 
gicale. Nouveau  tirage.  Paris,  1873,  1  vol.  in-18  Jésus,  495  pages,  avec  113  plan- 
ches, figures  noires.  Cartonné.  24  fr. 

—  Le  même,  figures  coloriées.  Cartonné.  48  fr. 

ENVOI  FRANCO  CONTRE   UN    MANDAT    SOR   LA   POSTE. 


618  J.-B.    BAILLIÈRE  ET  FILS,    RUE  Hadtefeuille,  19. 

LA   VIE 

ÉTUDES    ET    PROBLÈMES    DE     IHOLOGIE    GÉNÉRALE 

Par   P.    K.    CHAtlFFAR» 

Profosseur  do  Pathologie  générale  à  la  F:iciillé  do  médecine,  inspecteur  géiiéral  de  l'Université. 

Paris,  1878,  1  vol.  in-8  de  526  pages.  —  7  fi-.  50 

LEÇONS      SUR      LA      PHYSIOLOGIE      COMPARÉE 

DE    LA    RESPIRATION 

Par  Paul  BKRT 

Professeur  de  physiologie  comparée  à  la  Faculté  des  sciences. 

Paris,  1870,  1  vol.  in-8  de  588  pages,  avec  150  figures.  —  10  h\ 
TRAITÉ  D'ANATOMIE  COMPARÉE  DES  ANIMAUX  DOMESTIQUES 

Par   A.    CHAIJTEAU 

Directeur  de  l'Ecole  vétérinaire  de  Lyon. 

Troisième  édition,  revue  et  augmentée. 

Avec  la  collaboration  de  S.  Arloing,  professeur  à  l'École  vétérinaire  de  Lyon. 

Paris,  1879,  1  vol.  gr.  in-8,  avec  400  fig.  intercalée  dans  le  texte, 

noires  et  coloriées.  —  24  fr. 

TRAITÉ  DE  PHYSIOLOGIE  COMPARÉE  DES  ANIMAUX 

CONSIDÉRÉE  DANS  SES  RAPPORTS  AVEC  LES  SCIENCES  NATURELLES 
LA  MÉDECINE,  LA  ZOOTECHNIE  ET  L'ÉCONOMIE  RUR\LE 

Par  Ci.  COL,I]l[ 

Professeur  à  l'Ecole  vétérinaire  d'Alfort,  membre  de  l'Académie  de  médecine. 
DEUXIÈME   ÉDITION. 

Paris,  1871-1873,  2  vol.  in-8,  avec  206  figures.  —  26  fr. 

MÉCANISME    DE    LA    PHYSIONOMIE    HUMAINE 

ou  ANALYSE  ÉLECTRO-PHYSIOLOGIOUE 

DE    L'EXPRESSION    DES    PASSIONS 
Par  lo  docteur  G.-.U  DIICHE.^HE  (de  Boulogne) 

Deuxième  édition. 

Paris,  1876,  1  vol.  gr.  in-8  de  xii-264  pages,  avec  9  planches  photographiées 

représentant  144  figures  et  un  frontispice.  —  20  fr. 

—  Le  même,  édition  de  luxe.  2"  édition.  Paris,  1876, 1  vol.  gr.  in-8  de  xii-264  pages, 
avec  atlas  composé  de  82  planches  photographiées  et  de  9  planches  représentant 
144  figures  et  un  frontispice.  Ensemble,  2  vol.  in-8,  cartonnés.  68  fr. 

—  Le  même,  grande  édition  in-folio,  dont  il  ne  reste  que  peu  d'exemplaires,  formant 
84  pages  de  texte  in-folio  à  2  colonnes,  et  82  planches  tirées  d'après  les  clichés 
primitifs,  dont  74  sur  plaques  normales,  représentant  l'ensemble  des  expériences 
électro-physiologiques.  200  fr. 

DUCHENNE  [de  Boulogne]  (G.-B.).  »e  l'élcctrisation  localisée  et  de  son  application 
à  la  pathologie  et  à  la  thérapeutique  par  courants  galvaniques  interrompus  et  continus. 
i'  édition.  Paris,  1872,  1  vol.  in-8  de  xil-1120  pages,  avec  255  fig.  et  3  planches 
noires  et  coloriées.  18  fr. 

DUCHENNE  [de  Boulogne]  (G.-B.),  Pbyslologie  dos  uiouvements  démontrée  à 
l'aide  de  l'expérimentation  électrique  et  applicable  à  l'élude  des  paralysies  et  des  dé- 
formations, Paris,  1867, 1  vol.  in-8  de  xvi-872  pages,  avec  101  fig.  14  fr. 

DUCHENNE  [de  Boulogne]  (G.-B.).  Anatouiio  microscopique  du  système  ner- 
veux. Recherches  à  l'aide  de  la  photo- autographie  sur  pierre  ou  sur  zinc.  Paris, 
1868,  gr.  in-8,  14  pages,  avec  4  planches.  3  fr. 

DUCHENNE  [de  Boulogne]  (G.-B.).  Du  pied  plat  valgns  par  paralysie  du  long  péro- 
nier  latéral,  et  du  pied  creux  valgus  par  contracture  du  long  péronier  latéral.  Paris, 
1860,  in-4,  42  pages.  2  fr. 

ENVOI  FRANCO  CONTRE  DN  MANDiT  SDR  LA  POSTE. 


J.-15.  DAILLlÈlili;  ET  FILS,  RUE  Hautefeuille,   l'J.  61<) 

ANATOMIE    ET    PHYSIOLOGIE    CELLULAIRES 

ou  des  cellules  animales  el  vogélales, 
du  proloplasma  el  des  élénienls  normaux  et  palliologiqucs  qui  en  dérivent. 

Par  Ch.   ROBIIV 

-  :'aiis,  1873,  1  vol.  in-8  de  xxxviii-640  pages  avec  83  figures.  Cartonné  ;  16  fr. 

TRAITÉ    DU    MICROSCOPE    ET    DES    INJECTIONS 

DE    LEUR    EMPLOI 

De  leurs  appliraiions  à  l'analomie  humaine  cl  comparée, 

à  la  pathologie  médico-chirurgicale, 

à  l'histoire  naturelle  animale  et  végélale  et  à  l'économie  agricole. 

Par    CH.     ROBIAI 

Professeur  d'iiistolog'ie  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  membre  de  l'Institut 
et  de  l'Académie  de  médecine. 

Deuxième  édition  revue  et  augmentée 

1877,  1  vol.  in-8  de  1100  pages,  avec  336  figures  et  3  planches. 

Cartonné  :  20  fr. 

LEÇONS  SUR  LES  HUMEURS  NORMALES  ET  MORBIDES 

DU  CORPS  DE  L'HOMME 

professées  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris 

Par   GH.  ROBIN 

Seconde  édition,  corrigée  et  augmentée. 
Paris,  1874.  1  vol.  in-8  de  1008  pages,  avec  fig.  Cartonné  :  18  fr. 

ROBIN  (Ch.).  }|léinoire  âur  le  dévelopiieuient  eiubryogénique  des  hirudi^ 
nées.  1876,  in-4,  472  pages  avec  19  planches  lilhographiées.  20  fr. 

—  JMénioire  sur  l'évolution  de  la  notocorde,  des  cavités  des  disques  interver- 
tébraux et  de  leur  contenu  gélatineux.  In-4  de  212  pages,  avec  12  pi.  12  fr. 

—  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui  croissent  sur  l'homme  et  les 
animaux  vivants.  In-8  de  700  pages,  avec  atlas  de  15  pi.  en  partie  coloriées.  ,^16  fr. 

—  Programme  du  cours  d'bistologle  professé  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris. 
Deuxième  édition,  revue  et  développée.  Paris,  1870,  in-8  de  xl-416  pages.  6  fr. 

—  Mémoire  sur  les  objets  qui  peuvent  être  conservés  en  préparations 
microscopiques,  transparentes  et  opaques.  Paris,  1856,  in-8.  2  fr. 

—  Mémoire  contenant  la  description  anatomo-patbologique  des  diverses 
espèces  de  cataractes  capsulaires  et  lenticulaires.  Paris,  1859,  in-4  de  62  p.   2  ir. 

—  Mémoire  sur  les  modiflcations  de  lu  muqueuse  utérine  pendant  et  après 
la  grossesse.  Paris,  1861,  in- 4  avec  5  planches  lithogr.  4  fr.  50 

ROBIN  (Ch.)  et  YERDEIL.  Traité  de  chimie  anatomique  et  physiologique, 
normale  et  pathologique,  ou  des  principes  immédiats  normaux  et  morbides  qui  con- 
stituent le  corps  de  l'homme  et  des  mammifères.  3  forts  volumes  in-8,  avec  atlas  de 
46  planches  en  partie  coloriées.  36  fr. 

BEALË.  Ue  l'urine,  des  dépôts  nrinaires  et  des  calculs,  de  leur  composition 
chimique,  de  leurs  caractères  physiologiques  et  pathologiques  et  des  indications  thé- 
rapeutiques qu'ils  fournissent  dans  le  traitement  des  maladies,  traduit  par  les  docteurs 
Auguste  OUivieret  Georges  Bergeron.  1  v.  in-18  jésus  de  540  p.,  avec  136  fig.  7  fr. 

BOUCHUT.  lia  Vie  et  ses  attributs,  dans  leurs  rapports  avec  la  philosophie  et  la 
médecine.  2®  édition.  Paris,  1876,  in-18  jésus,  450  pages.  4  fr.  50 

BYASSON  (Henri).  Des  matières  amylacées  et  sucrées,  leur  rôle  dans  Técono- 
mie.  Paris,  1873,  gr.  in-8  de  112  pages.  2  fr.  50 

CADIAT  (0.).  Cristallin,  anatomie  et  développement,  usages  et  régénération,  Paris, 
1876,  in-8  de  80  pages,  avec  2  planches.  2  fr.  50 

—  Ktudc  sur  l'anatomic  normale  et  les  tumeurs  du  sein  chez  la 
femme.  Paris,  1876,  in-8  de  60  pages,  avec  3  pi.  et  20  fig.  lilhog.  2  fr.   50 

DONNÉ.  Cours  de  mïcroscopie  complémentaire  des  études  médicales,  anatomie  mi- 
croscopique et  physiologique  des  fluides  de  l'économie.  In-8  de  550  p.  7  fr.  50 

ENVOI   FRANCO   CONTBE    UN    MANDAT   SUR   LA    POSTR. 


620  J.-B.   BAILLIf:i'.E  et  KILS,  rce  IIaotefedille,  19. 

DONNÉ  (A.)  et  FOUCAULT  (L.).  .%(Ia!«  «lu  courte  de  iuicro»«copie,  exécuté  d'après 
nature  au  microscope  daguerréotype,  par  le  docteur  A.  Donné  et  L.  Foicallt.  1  vol. 
in-folio  de  20  planches  gravées,  avec  un  texte  descriptif.  50  fr. 

DUCLOS  (F.).  E,a  Vie.  Qu'cs-tu?  o'où  vicns-(uî  Où  vasii-tuT  In-12  de  204  p.     2  fr. 

FLOURENS  (P.).  Rechercbcs  cxpérinicntnles  sur  les  fonctions  et  les  pro- 
priétés du  système  nerveux  dans  les  animaux  vertébrés.  2^  édition.  Paris,  1841, 
in-8  (7  fr.  50).  3  fr. 

—  Cours  de  physiologie  comparée.  De  l'ontologie  ou  étnde  des  êtres.  Paris,  1856. 
ln-8  (3  fr.  50).  1  fr.  50 

—  mémoires  d'anatomie  et  de  physiologie  comparées,  contenant  des  recher- 
ches sur  :  1"  les  lois  de  la  symétrie  dans  le  Règne  animal;  2°  le  mécanisme  de  la 
rumination;  3°  le  mécanisme  de  la  respiration  des  Poissons;  4"  les  rapports  des  ex- 
tr/mités  antérieures  et  postérieures  dans  l'Honimp,  les  Quadriipèdes  et  les  Oiseaux. 
Paris,  1844,  gr.  in-4  avec  8  planclies  coloriées  (18  fr.).  9  fr. 

—  Théorie  expérimentale  de  la  formation  des  os.  Paris^  1847,  in-8,  avec 
7  planches  n.  et  col.  (7  fr.  50).  3  fr.  50 

—  Anatomie  générale  de  la  peau  et  des  membranes  muqueuses.  1843,  in-4, 
104  pages,  avec  6  planches  coloriées  (20  fr.).  6  fr. 

—  Recherches  sur  le  déve'oppement  des  os  et  des  dents.  1841,  in-4.  146  p., 
avec  12  pi.  col.  (20  fr.).  10  fr. 

HANNOVER  (A.).  l,a  Rétine  de  l'homme  et  des  vertébrés,  mémoire  liistologi- 
que  et  physiologique.  1876,  in-4,  214  pages  avec  6  pi.  gravées.  25  fr. 

HUXLEY  (Th.).  Éléments  d'anatomie  comparée  des  animaux  vertébrés,  tra- 
duit de  l'anglais  par  M""^  Brunet,  revu  par  l'auteur  et  précédé  d'une  préface  par 
Ch  RORIN.  Paris,  1875,  1  vol.  in-18  Jésus  de  viii-530  pages,  avec  122  figures.   6  fr. 

—  Les  sciences  naturelles  et  les  problèmes  qu'elles  font  surgir  [Lny 
Sermons),  édition  française  publiée  avec  le  concours  de  l'auteur  et  accompagnée 
d'une  préface  nouvelle.  Paris,  1877.  1  vol.  in-18  jésus  de  500  pages.  4  fr. 

KUSS  etDUVAL  (Mathias).  l'aurs  de  physiologie,  d'après  l'enseignement  du  professeur 
Kuss.  Troisième  édition,  1876. 1  vol.  in  18  de  vri-624  pages,  avec  152  fig.  Cart.     7  fr, 

LEGROS.  Des  nerfs  vaso-moteurs.  Paris,  1873.  1  vol.  in-8  de  112  pages.       2  fr.  50 

M.\NDL  (L.).  Anatomie  microscopique,  par  le  docteur  L.  Mandl.  Ouvrage  complet. 
Paris,  1838-1857,  2  volumes  in-folio  avec  92  planches.  200  fr. 

Le  tome  1".  comprenant  I'Histologie.  est  divisé  en  deux  séries  :  Tissus  et  organes,  Liquides  or- 
ganiques, est  complet  en  26  livraisons,  avec  52  planches. 
Le  tome  II,  comprenant  l'HiSTOGENÈSE,   ou  Recherches  sur  le  développement,  l'accroissement  et  la 

reproduction  des  éléments  microscopiques,  des  tissus  et  des  liquides  organiques  dans  l'œuf,  l'cmlirvon 

et  les  animaux  adultes,  est  complet  en  20  livraisons,  avec  40  jilanches. 
Séparément  les  livraisons  10  à  26  du  tome  !*■■. 
Prix  de  chaque  livrai  on,  composée  de  5  feuilles  de  texte  et  2  planches.   Prix  de  la  livraison.  5  fr. 

MEYER  (P.).  Études  bistologiques  sur  le  labyrinthe  membraneux  et  plus  spéciale- 
ment sur  le  limaçon  chez  les  reptiles  et  les  oiseaux.  1876,  192  p.,  avec  5  planches 
gravées  et  coloriées.  10  fr. 

MOITESSIER  (A.).  l,a  photographie  appliquée  aux  recherches  niierographi- 
ques.  Paris,  1867,  1  vol.  in-18  jésus,  340  pages,  avec  30  figures  et  3  planches 
photographiées.  7    fr. 

MULLER.  Manuel  de  physiologie,  par  J.  MuLLEB,  traduit  de  l'allemand  sur  la  der- 
nière édition,  par  A.-J-L.  Jourdan,  deuxième  édition,  revue  et  annotée  par  E.  Littré, 
avec  320  figures,  et  de  4  planches.  2  forts  vol.  gr.  in-8.  20  fr. 

P.\TR1GE0N  (G.).  Recherches  sur  le  nombre  des  globules  rouges  et  blancs 
du  sang  à  l'état  physiologique  (chez  l'adulte)  et  dans  un  certain  nombre  de  ma- 
ladies chroniques.  In-8  de  100  pages,  avec  20  pi.  de  tracés.  4  fr. 

ROBIN  (Albert).  Essai  d'urologie  clinique;  1«  flcvre  typhoïde,  1877,  in-8, 
260  pages.  4  fr. 

SCHIFF.  De  l'inflammation  et  de  la  circulation,  par  le  professeur  M.  SCHIFF, 
traduction  de  l'italien  par  le  docteur  R.  GuiCHARD  DE  Choisity,  médecin  adjoint  des 
hôpitaux  de  Marseille.  Paris,  1873,  in-8  de  96  pages,  3  fr. 

—  I^a  pupille  considérée  comme  esthésiomètre,  traduit  de  l'italien,  par 
le  docteur  R.  Giiciiard  de  Ghoisitv.  Paris,  1875,  in-8  de  34  pages.  1   fr.   25 

ENVOI    FRANCO   CONTRE   UN    MANDAT   SUR    LA   POSTE. 


LIBKAIRIE   J.-B.    liAILLIÊRE   ET   FILS  621 


ÉTL'DE  MÉDICO-LÉGALE  SUR  LES  BLESSURES 

COMPRENANT  : 

LES    BLESSURES    EN    GÉNÉRAL    ET    LES    BLESSURES    PAR    IMPRUDENCE 
l'homicide  et  les  coups  INVOLONTAIRES 

Par  A.   TARD! EU 

Professeur  de  médecine  lég;ilo  à  la  Faculté  de  médecine. 

1  vol.  in-8  de  500  pages.  —  6  fr. 

L'étude  généra'e  des  blessures  n'aurjit,  au  point  de  vue  de  la  chirurgie 
pratique,  ni  intérêt  ni  utilité;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  en  ce  qui  touche 
la  médecine  légale. 

Sous  les  dénominations  de  coups  et  blessures,  violences  et  voies  de  fait, 
de  meurtre  et  d'assassinat,  la  loi  pénale  a  compris  toute  une  série  de  fuits 
extrêmement  fréquents  qui  constituent  des  délits  ou  des  crimes,  à  l'occasion 
desquels  les  constatations  médicales  sont  chaque  jour  réclamées  par  la  justice. 

L'auteur  a  pris  pour  base  de  l'étude  des  coups  et  blessures  l'objet  de  la 
mission  de  l'expert,  défini  par  les  termes  mêmes  dont  se  sert  le  magistrat  qui 
fait  appel  à  ses  lumières  en  le  chargeant  : 

1°  De  visiter  le  blessé  et  de  reconnaître  l'élat  où  il  se  trouve; 

2°  De  constater  l'état  des  blessures; 

3°  Leurs  causes; 

û°  Les  consé  juences  qu'elles  pourront  avoir,  ou,  en  cas  de  mort,  de  pro- 
céder à  l'examen  du  cadavre,  déterminer  les  causes  de  la  mort,  et  dire  si  elle 
est  la  suite  des  blessures; 

5°  D'établir  les  circonstances  dans  lesquelles  les  coups  ont  été  portés.  A 
chacun  de  ces  divers  objets  se  rapportent  des  questions  méd'co-légales  nom- 
breuses qui  sont  passées  successivement  en  revue,  en  même  temps  que  les 
grands  procès  qui  ont  occupé  l'opinion  publique  et  nécessité  l'intervention  de 
la  médecine  légale. 


ÉTUDE 

MÉDICO-LÉGALE  ET  CLINIQUE  SUR  L'EMPOISONNEMENT 

■>ai-     Anibroisc     TARDIEi: 

avec  la  collaboration 

De     Z.     ROISSIX 

I'li:irm.icien   eu  chef  de.riiôpiial   luililaire  du  Gros-Caillou 
Professeur  agrégé  à  l'École  de  mcdcciiic  du  Val-dc-Gràce 

|miir  la  paiiif  ilo  l'oxpeilise  uicdico-lé«alc  relalivc  k  la  ictlicrclic  cliimiqnc  des  \w\m.$ 

Deuxième  édilion,  revue  el  augmentée 

1875.  In  volume  in-8  de  xx-1236  pages,  avec  2  pi.  et  54  fig.  —  Oi  fr. 

M.  Tardicu  s'est  attaché,  après  avoir  fait  connaître  les  conditions  dans 
lesquelles  s'accomplit  d'ordinaire  l'empoisonnement,  à  donner  une  description 
étendue  des  svmptômes  et  des  lésions,  de  \i  marche  et  des  différentes  formes 
de  chaque  genre  d'empoisonnement.  Passant  ensuite  en  revue  les  qucst  ons 
médico-légales  que  peuvent  faire  naître  les  divers  cas  d'empoisonnement,  il  a 
cherché  à  fixer  les  éléments  du  diagnostic,  à  faire  ressortir  les  signes  tirés  des 
symptômes  et  des  lésions  qui  peuvent  permettre  de  distinguer  chaque  espèce 
des  maladies  spontanées  ou  des  autres  empoisonnements  avec  lesquels  on 
pourrait  le  confondre  ;  il  s'est  efforcé  de  déterminer  avec  précision  les  doses 
auxquelles  commence  l'action  vénéneuse  de  telle  ou  telle  substance,  le  temps 
que  chaque  poison  met  à  agir,  la  durée  que  peut  avoir  chaque  empoisonne- 
ment. Ces  données  intéressent  au  même  degré  le  médecin  légiste  et  le  mé  'ecin 
praticien. 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  UN  MANDAT  SUR   LA  POSTE. 


LIBHAIKIE   J.-B.    BAILLIKKE    ET    FII.S. 


ÉTUDE  MÉDICO-LÉGALE 

s  t  U     LES 

MALADIES  PRODUITES  ACCIDENTELLEMENT 

ou  INVOLONTAIREMENT 

PAK  IMPRUDENCE,   NÉGLIGENCE  OU   TRANSMISSION   CONTAGIEUSE 

Comprenant  : 

L'HISTOIRE  MÉDICO-LÉGALE  DE    LA   SYPHILIS 

DE  SES  DIVERS   MODES  DE  TRANSMISSION 

Par  Ambroisie  TARDIEU 

Professeur  de  médecine  légale  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris. 


J  volume  in-8  de  400  pages.  —  4  fr. 


Ouvrages  de  M.  le  professeur  Tardieu. 

Etude  médico-légale  sur  la  folie.  Paris,  1872,  1  vol.  in-8,  XXII- 
610  pages,  avec  15  fac-siniile  d'écriture  d'aliénés.  7  fr. 

Etiule  médico-légale  sur  les  atlentats  aux  mœurs.  7^  édition.  Paris, 
iS~8,  in-8  de  viii-30i  pages^  et  5  planches  gravées.  5  fr. 

Etude  médico-légale  sur  l'arortement,  suivi  d'une  noie  sur  l'obligalion 
de  déclarer  à  l'état  civil  les  fœtus  mort -nés  et  d'observations  et  derecherclies 
pour  servir  à  l'histoire  médico-légale  des  grossesses  fausses  et  simulées. 
3«  édition.  Paris,  1868,  in-8,  280  pages.  à  fr.  50 

Étude  médico-légale  sur  l'infanticide.  Paris,  1868,  in-8,  342  pages, 
avec  3  planches  coloriées.  6  fr. 

Etude  médico-légale  jiiur  la  pendaison,  la  strangulation  et  la 
suffocation.  2*  édition.  Paris,  1879,  in-8,  352  pages,  avec  planches  noires 
et  coloriées.  5  fr. 

Question  médico-légale  de  Tidentité  dans  ses  rapports  avec  les  vices  de 
conformation  des  organes  sexuels,  contenant  les  souvenirs  et  impressions 
d'un  individu  dont  le  sexe  avait  été  méconii.  2^^  édition.  Paris,  1874,  1  vol. 
in-8  de  176  pages.  3  fr. 

Relation  médico-légale  de  l'alfaire  Armand  (de  Montpellier),  simulation 
de  tentative  d'homicide  (commotion  cérébrale  et  strangulation).  Paris,  1864, 
in-8  de  80  pages.  2  fr. 

Mémoire  sur  l'empoisonnement  par  la  strychnine,  comprenant  la 
relatalion  médico-légale  complète  de  l'affaire  Palmer.  Paris,  1857,  in-8, 
104  pages.  2  fr.  50 

Empoisonnement  par  la  strychnine,  l'arsenic  et  les  sels  de  cuivre, 
observations  et  recherches  nouvelles,  en  collaboration  avec  P.  Lorain  et 
Z.  RoussiN.  1865,  in-8,  23  pages.  1   fr. 

.Ylémoire  sur  l'examen  microscopique  des  taches  formées  par  le  mé- 
conium  et  l'enduit  foetal,  par  Ch.  Robin  et  Amb.  Tardieu.  Paris,  1857,  iu-8, 
30  pages.  1  fr. 

Contribution  à  l'histoire  des  monstruosités  considérées  au  point  de 
vue  de  la  médecine  légale,  à  l'occasion  de  l'exhibition  publique  du  monstre 
pygopage  Millie-Christine  (en  collaboration  avec  M.  Laugier).  1874,  in-8, 
32  pages,  avec  4  figures  intercalées  dans  le  texte.  1  fr.  25 

.Vlémoire  sur  la  coralline,  et  sur  les  dangers  que  présente  l'emploi  de 
cette  substance  dans  la  teinture  de  certains  vêtements,  par  A.  Tardieu  et 
/.  ItoussiN.  Paris,  1869,  in-8.  1  fr.  25 

E.NVOI    FRANCO   f'ONTnE   UN    MANDAT    SUK    LA    POSTE. 


LIBRAIRIE  .l.-B.    UAILLIKRE    ET   FILS.  623 

Suite  des  ouvrages  de  M.  le  professeur  Tardieu. 

Ilictîonnaire  d'bygièno  publique  et  de  salubrité,  ou  Répertoire  de 
toutes  les  questions  relatives  à  la  santé  publique^  considérées  dans  leurs 
rapports  avec  les  substances,  les  épidémies,  les  professions,  les  établisse- 
ments et  institutions  d'hygiène  et  de  salubrité,  complété  par  le  texte  des 
lois,  décrets,  arrêtés,  ordonnances  et  instructions  qui  s'y  rattachent.  2*  édi- 
tion. Paris,  1862,  à  forts  vol.  igr.  in-8.  32  fr. 

Voieries  et  cimetières.  Paris,  1852,  in-8  de  250   pages.  4  fr. 

Étude  hygiénique  sur  la  profession  de  mouleur  en  cuivre,  pour 
servir  à  l'histoire  des  professions  exposées  aux  poussières  inorganiques. 
1855,  in-12.  1  fr. 

Rapport  fait  au  conseil  municipal  de  Paris  au  sujet  du  projet  de 
construction  du  nouvel  Hôtel-Dieu.  1866,  in-8.  1  fr.  50 

AMETTE.  Code  médical,  ou  Recueil  des  lois,  décrets  et  règlements  sur 
l'étude,  l'enseignement  et  l'exercice  de  la  médecine  civile  et  militaire  en 
France,  par  Amédée  Amette,  secrétaire  de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris. 
3*^  édition,  augmentée.  Paris,  1859,  1  vol.  in-12  de  300  pages.  U  fr. 

BAYAKD    (H.).    Examen  microscopique  du  sperme  dessécbé  sur  le 

linge  ou  sur  les  tissus  de  nature  ou  de  coloration  diverses.  Paris,   1839, 

in-8,  fig.  ^2  fr.).  1  fr. 

—  De   la  nécessité  des  études  pratiques  en   médecine  légale,  et 

réflexions  sur  les  procès  criminels  de  Peytel  et  de  madame  Lafarge.  Paris, 
18i0,  in-8  (1  fr.  50).  50  c. 

BOISSEAU  lEdm.).  Des  maladies  simulées  et  des  moyens  de  les 
reconnaître,  leçons  professées  au  Val-de-Gràce  par  le  docteur  Edm.  Bois- 
seau, professeur  agrégé  à  l'École  d'application  de  médecine  militaire  (Val, 
de-Grâce).  Paris,  1870,  in-8,  510  pages,  avec  15  figures.  7  fr 

BRIAND  et  CH.AUDÉ,  Manuel  complet  de  médecine  légale,  ou  résumé 
des  meilleurs  ouvrages  publiés  jusqu'à  ce  jour  sur  cette  matière,  et  des  ju- 
gements et  arrêts  les  plus  récents,  par  J.  Bri.^nd,  docteur  en  médecine  de 
la  Faculté  de  Paris,  et  Ernest  Chaude,  docteur  en  droit  ;  et  contenant  dn 
Traité  élémentaii-e  de  chimie  légale,  par  J.  Bouis,  professeur  à  l'École  de 
Pharmacie  de  Paris.  10=  édition.  Paris,fl879,2  vol.  gr.  in-8,  avec  3  planches 
et  37  figures.  24  fr, 

CHAUSSIER.  Consultation  médico-légale  sur  un  cas  d'amputation 
de  la  cuisse.  Paris,  1828,  in-8.  1  fr.  50 

CLAUSADE.  Essai  de  médecine  légale  considérée  comme  science.  Mont- 
pellier, 1838,  in-8.  3  fr. 

ENGEL.  :\ouvcaux  éléments  de  chimie  médicale  et  de  chimie  biolo- 
gique, avec  les  applications  à  l'hygiène,  à  la  médecine  légale  et  à  la  phar- 
macie, par  R.  Engel,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier. 
Paris,  1878,  1  vol.  in-18  jésus,  viii-768  pages,  avec  117  figures.  8  fr, 

GALISSET  et  MIGNON.  IVouveau  traité  des  vices  rédhibitolres,  ou 
Jurisprudence  vétérinaire,  contenant  la  législation  et  la  garantie  dans 
les  ventes  et  échanges  d'animaux  domestiques,  d'après  les  principes  du  Code 
Napoléon  et  la  loi  modificalrice  du  20  mai  1838,  la  procédure  à  suivre,  lu 
description  des  vices  réJhibitoires,  le  formulaire  des  expertises,  procès- 
verbaux  et  rapports  judiciaires,  et  un  précis  des  législations  étrangères,  par 
Ch.  M.  Galisset,  ancien  avocat  au  conseil  d'État  et  à  la  Gourde  cassation, 
et  J.  Mignon,  ex -chef  de  service  à  l'École  vétérinaire  d'Alfort.  3^  édition, 
mise  au  courant  de  la  jurisprudence  et  augmentée  d'un  appendice  sur  les 
épizooties  et  l'exercice  de  la  médecine  vétérinaire.  Paris,  1864,  in-18  jésus 
de  542  pages.  6  fr. 

GALLARD.  De  l'avortement  au  point  de  vue  médico-légal.  Paris,  1878, 
in-8,  135  pages.  3  fr. 

—  IVotes  et  observations  de  médecine  légale  et  d'hygiène.  Paris, 
1875,  in-8,  128  pages.  3  fr.  50 

ENVOI    FRANCO   CONTRE    U.V   MANDAT   SLR   LA    l'OSTE. 


62i  MllUAllUli   .l.-H.    BaII.LIÈUK   et    l'Il.S. 

GU160URT.  :tlanui>l  It'ttal  tlet*  pliarinacienH  et  «Ict»  élèves  en  plinr- 
■iiacie,  on  recueil  des  lois,  arrêtés,  règlements  et  instructions  concernant 
l'enseignement,  les  étdues  et  l'exercice  de  la  pharmacie.  Paris,  1852, 
1  vol.  in -12  de  230  pages.  2  fr. 

HALMAGRAIND.  Considérations  niédioo-Iéeales  sur  l'avortcinent,  sui- 
vies de  quelques  considérations  sur  la  liberté  de  l'enseignement  médical. 
Paris,  1841,  in-8.  1  fr.  25 

HASSAN.  De  l'examen  du  cadavre  en  médecine  légale,  par  le  docteur 
Ibrahim  Hassan.  Paris,  1869,  1  vol.  in-8,  360  p.igcs.  5  fr. 

HOFFBAUER  (J.-C).  médecine  légale  relative  aux  aliénés,  aux  souril.s- 
muets,  ou  les  lois  appliquées  aux  désordres  de  l'intelligence;  traduit  de 
l'allemand  par  Chambeyron,  avec  des  notes  par  MM.  Esquirol  et  Itard. 
Paris,  1827,  in-8  (6  fr.).  2  fr.  50 

LOIR  (J.-N.).  De  l'état  civil  des  nouveau-nés,  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire, de  l'hygiène  et  de  la  loi.  Présentation  de  l'enfant  sans  déplacement. 
Paris,  1865,  1  vol.  in-8  de  462  pages.  6  fr. 

MARC.  Do  la  folie  considérée  ilans  ses  rapports  avec  les  questions 
nicdico-judiciaires,  par  G.  C.-H.  M.\rc,  mé  lecin  près  les  tribunaux.  Paris, 
1840,  2  vol.  in-8.  5  fr. 

MARGE.  Traité  de  la  folie  des  femmes  enceintes,  des  nouvelles 
accouchées  et  des  nourrices,  et  considérations  médico  légales  qui  se 
rattachent  ;\  ce  sujet.  Paris,  1858,  1  vol.  in-8  de  400  pages.  6  fr. 

OR  FI  LA.  Rapports  sur  les  moyens  de  constater  la  présence  de 
l'arsenic  dans  les  empoisonnements  par  ce  toxique.  Paris,  1841,  in-8, 
53  pages.  1  fr.  25 

PÉNARD  (Louis).  Do  l'intervention  du  médecin  légiste  dans  les  questions 
d'attentats  aux  mœurs.  Paris,  1860,  in-8  de  140  pages.  2  fr.  50 

POILROUX  (J.).  Manuel  de  médecine   légale  criminelle  à  l'usage  des 
médecins  et  des  magistrats  chargés  de  poursuivre  ou  d'instruire  les  procé- 
dures criminelles.  2*  édition.  Paris  1837,  in-8  de  465  pages.  4  fr. 
ROUCHER    (G.).    Sur  les  empoisonnements  par  le  phosphore,   l'arsenic, 
l'antimoine  elle  plomb.  Paris,  1876,  in-8,  32  pages.                          1  fr.  25 
SOUBEIRAN     ]%'ouvcau  dictionnaire  des  falsiOcations  et  des  altéra- 
tions des  aliments,  des  médicaments  et  de  quelques  produits  employés 
dans   les  arts,  l'induslrie    et  l'économie   domestique.  Exposé   des  moyens 
scientifiques  et  pratiques  d'en  reconnaître  le  degré  de  pureté,  l'état  de  con- 
servation, de  constater  les  fraudes  dont  ils  sont  l'objet;  par  Léon  Soubeiran, 
professeur  à  l'École  de  pliarmacie  de  Montpellier.  Paris,  1874,  1  vol.  in-8 
de  640  pages,  avec  218  figures.  Cartonné.                                            14  fr. 
TOULMOUGHE  (A.).  Iliouvellcs  recherches  médico-légales  sur  les  lésions 
du  crâne  et  de  l'organe  qu'il  renferme.  Paris,  1800,  in  8,  22  pages.     75  c. 

—  IVouvolle  étude  médico-légale  sur  les  difficultés  d'appréciation 
de  certaines  blessure,  Paris,  in-8,  45  pages.  2  fr. 

—  Etudes  sur  l'infanticide  et  la  gros.sesse  cachée  ou  simulée. 
Paris,  1861,  in-8  de  134  pages.  3  fr. 

ÏOURDES  (G.).  Exposition  historitiue  et  appréciation  des  secours  empruntés 
par  la  médecine  légale  à  l'obstétricie.  1838,  ir.-4  de  94  pages.        2  fr.  50 

—  Des  blessures  de  l'artère  mammaire  interne  sous  le  point  de  vue 
médico  légal.  Paris,  1849,  in-8  de  41  pages.  1  fr.  25 

—  De  l'enseignement  de  la  médecine  légale  à  la  Faculté  de  médecine 
de  Strasbourg.  Strasbourg,  1802,  in-8,  33  pages.  1  fr.  50 

—  Examen  médico-légal  d'une  présomption  de  tentative  d'homi- 
cide. Strasbourg,  1864,  in-8,  27  pages.  75  c. 

TRÉBUCHET  (A.).  Jurisprudence  de  la  médecine,  de  la  chirurgie  et  de 
la  pharmacie  en  France.  Paris,  1834,  in-8  (9  fr.).  3  fr. 

NERNOIS  (Max.).  iJe  la  main  des  ouvriers  et  des  artisans  au  point  de 
vue  de  l'hygiène  et  de  la  médecine  légale.  Paris,  1862,  in-8,  avec  4  plan- 
ches chromolithographiées.  3  fr.  50 

Le  Gérant  :  H.  Baillière. 


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ENVOI    l'nANCO    C.ONTKE   L\    MANOAT    SUR    I.A    TOSTE. 


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Université  d'Ottawa 
Echéance 


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University  of  Ottawa 
Date  Due 


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